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Le Duc-cab Kellner n° 1217 : étrange et rarissime

 

 

Le Duc-cab Kellner n° 1217 :

 

étrange et rarissime

 

 

 

 

Les voitures exceptionnelles sont rares… et sont pour la plupart dans des musées. Hasard, chance ou prédestination ? Un amateur éclairé, monsieur Christian Fouquet, président de l’Association des attelages de Pompadour et organisateur de plusieurs concours d’attelage de tradition à Pompadour, aujourd’hui décédé,  a découvert et acquis en 2001 l’une de ces pièces rarissimes, une voiture insolite, unique peut-être (notre corpus, riche de plus de 10.000 voitures recensées, n’en contient aucune autre semblable) : un Duc-cab, construit par la célèbre maison parisienne Kellner, et portant le numéro 1217. Cette voiture est actuellement en Allemagne dans une des plus importantes collections d’Europe.

 

Une voiture hybride : le Milord fermé

L’anglomanie, à laquelle succomba la France du cheval au XIXe siècle, est à l’origine d’inventions curieuses en matière de carrosserie. Ainsi, le cab anglais, ou hansom cab, excentrique voiture à caisse fermée, montée sur deux grandes roues et menée par un cocher haut perché, en périlleux équilibre sur un siège minuscule placé tout à l’arrière de la caisse, fut la source d’inspiration d’une étrange création française, le milord fermé, appelé aussi cab à quatre roues, ou cab à la française. Cette voiture hybride est le résultat de la fusion entre un milord et un cab anglais. Cette fusion consiste à greffer sur un milord un habitacle de cab, à panneaux de custode et toit rigides, enfermant complètement le siège des passagers. 

 

Hansom cab, ou cab anglais, par Healey carrossier à New York (Canada, Bromont, coll. Paul Bienvenu)

Hansom cab, ou cab anglais, par Healey carrossier à New York (Canada, Bromont, coll. Paul Bienvenu)

Mllord fermé, par Jacques Rothschild & Fils (marque sur les chapeaux de roues) ou Lelorieux (marque sur les fusées d’essieux) carrossiers à Paris. Haras national du Pin

Mllord fermé, par Jacques Rothschild & Fils (marque sur les chapeaux de roues) ou Lelorieux (marque sur les fusées d’essieux) carrossiers à Paris. Haras national du Pin

 

 

Le Guide du carrossier d’août 1903, précise que « le nom de cab à quatre roues a été étendu à ces voitures de la forme qu’ont les milords dont la capote est remplacée par des custodes fixes et dont l’avant est muni d’une porte », mais avoue ignorer l’origine de cette voiture, et cite comme référence la plus ancienne, un dessin du carrossier parisien Baslez, publié en 1839. Ce dessin, premier exemple connu d’une caisse de cab anglais montée sur quatre roues, laisse supposer une origine française à cette invention, ce que semble confirmer l’appellation cab à la française. 

 

Cab de voyage à quatre roues, Dessin du carrossier parisien Baslez, 1839.

Cab de voyage à quatre roues, Dessin du carrossier parisien Baslez, 1839.

 

Conçue pour servir de voiture de louage, on lui prêta d’abord toutes les qualités : plus facile à mener qu’un Hansom cab, plus fraîche l’été qu’un coupé, mieux protégée de la pluie qu’un milord.

Le carrossier parisien Georges Kellner qui en revendiquait abusivement l’invention, en avait fait sa spécialité. Il en avait présenté un « très original, fini avec soin » à l’Exposition universelle de Paris en 1878. En 1884, une carte publicitaire vantant les mérites de cette célèbre manufacture de voiture de luxe, fournisseur de S.M. l’empereur d’Autriche, de la cour de Suède et de Norvège, est illustrée par le dessin d’un milord fermé, volontairement choisi comme emblème de la maison Kellner. 

 

Carte publicitaire de la maison Kellner illustré&e d’un milord fermé (Paris, Musée de l’affiche et du tract)

Carte publicitaire de la maison Kellner illustré&e d’un milord fermé (Paris, Musée de l’affiche et du tract)

 

 

Malgré ses avantages comme voiture utilisable en toutes saisons, et « en dépit des efforts de quelques constructeurs, le milord fermé n’a jamais obtenu, en France, la faveur du public » constate Le Guide du carrossier d’octobre 1900. « Il y a quelque trente ans la Compagnie générale des petites voitures à Paris, le considérant propre à servir aussi bien en été qu’en hiver et poussée par le désir de diminuer ainsi son matériel, mit une cinquantaine de cabs en circulation. Au bout de peu de temps elle dut renoncer à ce type qui était délaissé du public. Comme voiture de luxe on ne le voit que dans un petit nombre de remises ». Sans doute le public parisien la bouda-t-il à cause de son aspect peu esthétique et de son exiguïté inconfortable, reprochés par le dessinateur humoriste Crafty « au carrossier qui a eu le premier l’idée d’emprisonner sous châssis d’innocents voyageurs dans l’épouvantable voiture désignée sous le nom de cab français » (Paris à cheval, 1889).

L’insuccès de cette hybridation entre le cab et le milord, ne semble pas avoir rebuté Kellner qui en proposa de multiples variantes, dont témoignent de nombreux dessins conservés au Musée national de la voiture et du tourisme, à Compiègne, ainsi que deux  rares exemplaires, l’un très récemment acquis par une collection française,  l’autre dans une collection allemande. 

 

 

Milord fermé par Kellner à Paris (France, Marcigny, Musée de la voiture à cheval)

Milord fermé par Kellner à Paris (France, Marcigny, Musée de la voiture à cheval)

Milord fermé par Kellner à Paris (Allemagne, Mannheim, collection privée)

Milord fermé par Kellner à Paris (Allemagne, Mannheim, collection privée)

 

 

En 1900, à l’Exposition universelle de Paris, la maison Kellner et Fils présentait encore un milord fermé, unique exemplaire de ce type de voiture figurant à l’Exposition. La caisse, à pied de coupé, rappelait un modèle précédent de la maison Ehrler : elle était grenat, bordée d’un filet rouge, avec moulures noires, le train vermillon avec flammes et moyeux rechampis d’une bande noire bordée de chaque côté d’un filet blanc, puis, à distance, d’un autre filet plus mince ; la garniture était en drap gris côtelé avec galons gris en camaïeu. Le Guide du carrossier, commentait ainsi la présence de cette curieuse voiture : « seule la maison Kellner qui, depuis longtemps, étudie le cab à quatre roues et s’est fait une réputation pour sa construction, pouvait en exposer un spécimen avec quelque chance de n’avoir pas à le conserver en magasin après l’Exposition ». 

 

Cab à quatre roues  exposé par la maison Kellner à l’Exposition Universelle de Paris 1900 (Le Guide du Carrossier, octobre 1900,  pl. n° 347, 3ème série)

Cab à quatre roues exposé par la maison Kellner à l’Exposition Universelle de Paris 1900 (Le Guide du Carrossier, octobre 1900, pl. n° 347, 3ème série)

 

D’autres que Kellner se sont essayés à réaliser ce type de voiture insolite. En 1882, Binder Aîné en donne un modèle dans son catalogue n° 14. Quelques exemplaires conservés, signés de Henry Binder (Paris), Rothschild & Fils (Paris), J. Reynes (Barcelone), Henri Debruyn (Bruxelles), Nesseldorf (Vienne), Tompson Bros (U.S.A.), témoignent de ces tentatives, peu nombreuses et peu esthétiques.

 

Proche du Milord fermé : le rarissime Duc-cab

Sur le principe du milord fermé, fut réalisée une combinaison plus exceptionnelle encore : la combinaison entre duc et cab anglais, dont nous ne connaissons à ce jour que deux exemples : le duc-cab Kellner n° 1217, sujet de cet article, et un second portant la marque du carrossier toulousain A. François, successeur de l’ancienne maison Justrobe, conservé en Andalousie dans une collection privée. Cette assemblage insolite est attesté et décrit par Le Guide du carrossier, en juin 1893, qui donne le dessin d’un « duc en forme de cab », en précisant aux professionnels que ce n’est pas « un modèle sur lequel ils ont chance de construire de nombreuses voitures ». Ce dessin a été exécuté à partir d’une création de « l’un de nos bons fabricants de province, M. Suet, dont l’installation à Corbeil mériterait d’être citée comme modèle. Cette voiture est à l’usage d’un industriel qui, voyageant par tous les temps, désirait être installé confortablement, à l’abri de la pluie et du froid, et pouvoir se passer de domestique au besoin. Pour conduire de l’intérieur et ne laisser pénétrer l’air extérieur que le moins possible, au lieu d’être fermée par une glace brisée au milieu de sa hauteur, le devant se partage en quatre carreaux se repliant deux à deux l’un sur l’autre. De cette façon, il n’y a qu’un quart de devant à ouvrir pour laisser passer les guides ». Conduire soi-même sa voiture depuis le siège intérieur, est le principe même du duc.

 

« Duc-cab » modèle de Suet carrossier à Créteil (Le Guide du Carrossier, juin 1893)

« Duc-cab » modèle de Suet carrossier à Créteil (Le Guide du Carrossier, juin 1893)

 

 

Le Duc-cab Kellner n° 1217

Provenant d’une propriété suisse, cette voiture délicate et fine, qui semble n’avoir que très peu roulé, est parvenue jusqu’à nous dans un parfait état de conservation. La caisse et le train sont vert très foncé, rechampi de vermillon, posé en filets très fins sur la caisse, et en bandes sur les rais et les ressorts. Une garniture ancienne, en drap bleu marine, a remplacé la garniture d’origine dont seuls sont conservés la moquette et les galons verts. 

 

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris. Vue générale

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris. Vue générale

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris. Vue générale

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris. Vue générale

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris :  rechampi

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : rechampi

 

 L’habitacle, contenant un siège pour deux personnes, est fermé par une porte à gousset, surmontée d’un vasistas brisé par le milieu, à deux registres de deux vitres chacun. On peut mener vasistas fermé, non sans difficulté, en ouvrant seulement la vitre inférieure droite pour laisser passer les guides. 

 

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : porte à gousset fermée

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : porte à gousset fermée

 Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : porte à gousset ouverte

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : porte à gousset ouverte

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : La porte à gousset s’ouvre en se rabattant contre le garde-crotte

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : La porte à gousset s’ouvre en se rabattant contre le garde-crotte

 

La voiture est montée sur des ressorts à pincettes, devant, et sur demi-pincettes et ressort transversal, derrière. Un panier à pique-nique en osier, dont l’élévation oblique épouse l’inclinaison du garde-crotte, est fixé sur l’avant-train. Il pouvait être remplacé par un minuscule siège de cocher, disparu, auquel on accédait grâce à un marchepied fixé sur le ressort avant gauche. L’extrême finesse des roues avec leurs jantes en deux parties, les mains de ressorts équipées de bobines de caoutchouc pour amortir le bruit de roulement, témoignent d’une grande qualité de fabrication, que parachève une finition impeccable. Cette voiture se distingue aussi par le caractère très moderne que lui confèrent la grande lunette rectangulaire ouverte sur le panneau de dossier et surtout le dessin très acéré, sec et anguleux de la caisse, traduisant l’influence de la carrosserie américaine. 

 

 

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : lunette arrière

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : lunette arrière

 

Les lanternes rondes, les marchepieds à butoir, les brancards pour l’attelage simple, le timon pour atteler en paire, tous les éléments de cette voiture sont d’origine, excepté la garniture intérieure, ancienne toutefois. Bagues, écrous, portent gravés le nom de Kellner ou son initiale K, et le numéro 1217, y compris les fusées d’essieux, fournies cependant par A. Dugdale, gros fabricant de ressorts, essieux et autres pièces détachées

La marque « Kellner, 109 avenue Malakoff, Paris » inscrite sur les bouchons de roues, permet de situer la construction de la voiture entre 1873, date à laquelle Kellner installe une grande fabrique au numéro 109 avenue Malakoff, et 1890, année à partir de laquelle la marque « Kellner et Fils » remplace la précédente. 

 

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : marque Kellner sur un chapeau de roue

Duc-cab n° 1217, par Kellner à Paris : marque Kellner sur un chapeau de roue

Sa très grande rareté, la qualité de son exécution, son parfait état de conservation, placent sans conteste le Duc-cab de Kellner n° 1217 parmi les voitures d’exception.

 

 

 

 

 

Jean-Louis Libourel

Conservateur du Patrimoine

 

 

 

 

Où sont-ils?

  • Milord fermé, par KELLNER à Paris (Allemagne, Mannheim, Coll. privée)
  • Milord fermé, par KELLNER à Paris (France, Marcigny, Musée de la voiture à cheval)
  • Milord fermé, par MÜHLBACHER à Paris (Allemagne, Mannheim, Coll. privée)
  • Milord fermé, par ROTHSCHILD & Fils ou LELORIEUX à Paris (France, Haras national du Pin) Classé M.H.
  • Milord fermé, par Henry BINDER à Paris (Espagne, Castillo de Las Guardas, Coll. privée)
  • Milord fermé, par J. REYNES à Barcelone (Espagne, Ecija, Coll. privée)
  • Milord fermé, par TOMPSON Bros, U.S.A. (Espagne, El Viso del Alcor, Coll. privée)
  • Milord fermé, par H. DEBRUYN Fils à Bruxelles (Belgique, Château d’Hex)
  • Milord fermé, par SCHUSTALA à Nesselsdorf (Pologne, Château de Lançut)
  • Milord fermé, par ALMEIDA & NAVARRO à Lisbonne (Portugal, Evora, Museu de carruagens)
  • Milord fermé, par HIJOS de LABOURDETTE à Madrid (Espagne, Jerez, Museo del Enganche)
  • Miord fermé, par Carlo FERRETTI à Rome (Italie, ancienne collection Quattroruoto à Rozzano)
  • Milord fermé, par WINDOVER à Londres (Italie, Vérone, Museo della Fiera Cavalli)
  • Duc-cab, par A. FRANCOIS à Toulouse (Espagne, Dos Hermanas, Coll. privée)
  • Duc-cab n° 1217, par KELLNER à Paris (Allemagne, Mannheim, Coll. privée)
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