Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les métiers de la carrosserie se répartissaient de part et d’autre de la Seine. Rive gauche, ils se situaient à l’est de l’Hôtel des Invalides, dans le quartier Saint-Germain (7e et 6e arrondissements). Rive droite, ils abondaient dans les quartiers du Louvre, au Nord du Palais Royal et vers Montmartre (1er et 2e arrondissements), au Temple (4e et 3e arrondissements) et déjà dans le quartier du Roule et celui de la Madeleine (8e arrondissement).
Au siècle suivant, les industries de la carrosserie de luxe se concentrent massivement dans les quartiers prospères, à l’ouest de la capitale, où réside une clientèle fortunée, notamment autour de l’avenue des Champs-Elysées. Les 8e, 9e, 16e et 17e arrondissements constituent le pôle de la carrosserie et de la sellerie de luxe, avec une prédominance du 8e arrondissement.
Parmi les quartiers où la carrosserie est fortement implantée, celui de la Madeleine est l’un des plus actifs depuis le début du XIXe siècle. L’opulence et le faste de ses résidents y attirent de nombreux ateliers. En 1810, il regroupe près d’une cinquantaine des cent-soixante et dix-sept selliers-carrossiers recensés alors dans Paris. Durant le premier quart du siècle, environ quatre-vingt-dix s’y seront installés. Entre 1826 et 1850, ils sont soixante et quinze. Entre 1851 et 1875, on en dénombre encore cinquante-six. Au cours du dernier quart du siècle, ils ne sont plus que vingt-deux.
Eglise de la Madeleine (aquarelle de Félix Duban, Vues de quelques monuments de Paris achevés sous le règne de Louis Philippe 1er, Paris, 1837).
Durant tout le siècle, environ deux-cent-quarante maisons de carrosserie et de sellerie hippomobile, spécialisées pour la plupart dans la production de luxe, se sont succédées dans ce quartier. Les ateliers et magasins y ont proliféré, dont plusieurs figurent parmi les plus prestigieux de la capitale. Tout au long du siècle, quatre-vingt-trois entreprises ont œuvré rue du Faubourg Saint-Honoré et rue d’Anjou Saint-Honoré, cinquante-cinq rue Neuve des Mathurins, vingt-sept boulevard de la Madeleine et rue Basse du Rempart, dix-sept Cité Godot et rue Godot de Mauroy. Nombre d’autres encore rue de la Paix, rue des Capucines, rue Royale, rue de Surène, rue d’Astorg, rue Duphot, rue Roquépine, rue de l’Arcade, rue de la Pépinière et boulevard Haussmann « habité par la plus haute classe de la société : l’aristocratie princière et financière. Les rez-de-chaussée des maisons sont presque tous loués à des carrossiers pour y faire des magasins de voitures. Le boulevard Haussmann se trouve placé au centre de la fabrication des voitures de Paris. Partant de la chaussée d’Antin, il aboutit à l’Arc de Triomphe de l’Etoile, en traversant les rues de la Pépinière, de Courcelles et du Faubourg Saint-Honoré, où se trouvent concentrés un nombre considérable d’industriels de la carrosserie […]. J’y vois passer des caisses en blanc, des voitures sortant de chez le serrurier, d’autres allant et venant des ateliers de peinture aux ateliers de garnitures ; enfin je vois passer les voitures attelées que possèdent mes opulents voisins, voitures exécutées par les premiers faiseurs de Paris » (Le Guide du Carrossier, 1866).
Très nombreux, les carrossiers de la Madeleine sont aussi parmi les plus talentueux. En 1828, sur les cinq carrossiers parisiens que le Journal des haras, des chasses et des courses de chevaux recommande pour « les soins et l’attention scrupuleuse qu’ils mettent dans l’exécution de tous les ouvrages de carrosserie qui sortent de leurs ateliers » quatre sont installés dans le quartier de la Madeleine : Lasserre, Daldringen, Audy et Binder. En 1869, citant les maisons qui se distinguent le plus dans la carrosserie de luxe, Le Cocher français nomme Delongueil, Morel, Ehrler, Kellner, tous dans le quartier de la Madeleine, où l’on trouve aussi à proximité des ateliers de carrosserie les peintres en équipages Boulet (rue de l’Arcade), Lebrun (rue Basse du Rempart), Herbieux (rue du Marché d’Aguesseau), Salot et Roeser Jeune (rue de la Pépinière).
Dès les premières expositions industrielles, les carrossiers du quartier de la Madeleine participent à ces grandioses célébrations de la modernité où ils présentent leurs dernières créations.
En 1839 à Paris, Fimbel (rue Neuve des Mathurins, 1838-1844), obtient une Médaille de bronze pour un wourch, ou calèche transformable, qui a été, selon le Rapport du Jury, « l’objet de l’attention la plus flatteuse de la part des connaisseurs ; son aspect gracieux, le fini de son exécution, qui peut être cité comme un modèle, ont assuré à cette œuvre de carrosserie le rang le plus distingué ».
En 1841, Delacour (rue Saint-Honoré) présente une calèche inversable de conception révolutionnaire ; Daldringen et Mathey (rue du Colisée, puis Faubourg Saint-Honoré) exposent la berline utilisée à Londres par le maréchal Soult pour le couronnement de la reine Victoria en 1838, « voiture de cérémonie attestant la puissance de leur atelier, puisqu’elle a été exécutée en trente-cinq jours. Un si court espace de temps a pu suffire à étaler la magnificence d’un grand luxe ».
Berline de gala de Daldringen et Mathey utilisée à Londres en 1838 par le Maréchal Soult pour le couronnement de la reine Victoria (héliogravure, Faverot de Kerbrecht, L’Art de conduire et d’atteler, 1903)
Berline de gala de Daldringen et Mathey utilisée à Londres en 1838 par le Maréchal Soult pour le couronnement de la reine Victoria (Lithographie de Victor Adam).
A l’Exposition universelle de Londres en 1851, Hippolyte Delongueil (rue Royale-Saint-Honoré, 1840-1857) présente une calèche ; Charcot et Saussier (rue Neuve-des-Marthurins, 1851-1859) une « américaine à balustres, à quatre places aisées et à deux chevaux, mode de Paris » ; Hummel (rue Roquépine 1827-1836, rue de la Ville-l’Evêque 1837-1856, rue du Colisée 1858-1872) « un char-à-bancs oriental » .
En 1855 à Paris, H. Delongueil expose « un Break de chasse avec mécanique d’enrayage », et Victor Morel (rue Roquépine 1855-1856, rue Ville-l’Evêque 1857-1866, rue Cambacérès 1867-1879) une calèche très légère à huit ressorts. En 1878 à Paris, ce dernier présente un mail-coach, un landau bateau à double suspension, un coupé, un milord, un grand break, et obtient une Grande médaille d’or.
Break exposé par Morel, Paris 1878 (Gourdin, Charles : Album des principales voitures exposées en 1878 au Palais du Champ de Mars)
Son concurrent Kellner, médaillé d’or en 1872 à Paris, expose également un mail-coach, un landau carré et une victoria à huit ressorts, un coupé carré, un cab à quatre roues « type très original, fini avec soin », mais aussi des ambulances et des cuisines roulantes pour l’armée.
En 1889 à Paris, Georges Kellner remporte une médaille d’or pour un phaéton à flèche, un landau bateau à huit ressorts et un nouveau mail-coach baptisé « Baby ».
“Le Baby” nouveau Mail-Coach, exposé par la Maison Kellner, Paris 1889 (Gourdin, Charles : Album des principales voitures figurant à l’exposition universelle de Paris 1889)
En 1900, lors de la grande Exposition Universelle de Paris, Morel présente un coupé, et son associé Grümmer, « l’un de nos premiers faiseurs » (rue Cambacérès, 1885-1914), un luxueux et original coupé-mail qui lui vaut un Grand prix.
L’importance de leur activité dans l’économie de la capitale et l’excellence de leur production assurent aux carrossiers une notoriété solide et une position sociale honorable. Nombreux s’investissent pour faire progresser la profession, comme membres de la Société d’instruction professionnelle et artistique de carrosserie, ou membres de la Chambre syndicale des carrossiers, dont Georges Kellner et Jules Binder sont tour à tour présidents. Plusieurs sont décorés de la Légion d’Honneur : Picheran (rue de la Pépinière, 1847-1854), Georges Kellner, G. Ehrler, Henry Binder qui crée en décembre 1899 la première caisse de secours mutuel pour les ouvriers malades.
Des voitures exceptionnelles
En relation directe avec une clientèle fortunée, les ateliers du quartier de la Madeleine, spécialisés dans la haute carrosserie, ont produit des voitures exceptionnelles.
Sur les trente-cinq berlines commandées par le Grand Ecuyer, monsieur de Caulaincourt, pour le mariage de Napoléon 1er avec Marie-Louise d’Autriche, le 2 avril 1810, dix ont été construites dans le quartier de la Madeleine. Braidy (rue de l’Arcade) fournit deux berlines de ville, à fond d’or, garnies de drap et satin blanc ; les frères Grosjean (rue du Helder) quatre berlines, dont trois riches à fond d’or, l’intérieur garni de drap blanc, satin aux custodes, les armes de l’Empereur sur chaque face de la voiture ; Vosgien (rue Neuve des Petits-Champs) deux berlines garnies de drap blanc, caisses peintes à fond d’or avec les armes impériales et des couronnes dans les frises ; Leduc, sellier-carrossier du roi de Naples (boulevard de la Madeleine) deux berlines peintes, les caisses à fond d’or, avec les armes de Sa Majesté sur les quatre faces, les trains peints en fond vert glacé, l’intérieur garni de drap blanc, avec galon de soie bleu et blanc.
Berline pour le cortège du mariage de Napoléon 1er avec Marie-Louise d’Autriche le 2 avril 1810, construite par les frères Grosjean. Repeinte dans le courant du XIXe siècle aux armes de l’archevêque de Vienne qui en était devenu propriétaire (Vienne, palais de Schönbrunn, Kunsthistorisches Museum, Wagenburg)
En 1805, le général Junot avait fait une entrée solennelle à Quéluz (Portugal) dans une voiture qui « était une des plus belles qui fussent sorties des ateliers de Leduc » selon la duchesse d’Abrantès.
J.Fr. Tremblay, sellier, carrossier et charron (rue Duras jusqu’en 1817, puis rue de la Pépinière de 1818 à 1832) exécute sur les dessins d’Antoine Carassi, dessinateur de voitures (rue Neuve des Mathurins), l’exquise petite calèche d’enfant offerte en 1812 par Caroline Murat à son neveu, le tout jeune Roi de Rome, conservée à Vienne au palais de Schönbrunn
.
Calèche d’enfant du roi de Rome construite par J. Fr. Tremblay, 1811/12 (Vienne, palais de Schönbrunn, Kunsthistorisches Museum, Wagenburg).
Par la suite, Tremblay sera sellier-carrossier du duc et de la duchesse d’Angoulême, du duc d’Orléans (1824), du Dauphin, de la Dauphine (1825), du Roi (1832). En octobre 1829, il vend au comte de Sales « une berline de hazard [sic] reprise de Mr. le Vicomte de Chateaubriand ». Pour le duc de Cadaval il réalise un splendide coupé de gala à caisse bleu de nuit constellée de minuscules perles d’or (cette voiture est conservée au palais Bragance à Vila Viçosa, Portugal). Son fils, Tremblay le Jeune (rue Neuve-des-Capucines) est sellier de S.A.R. le Duc de Berry.
Leclercq, sellier-carrossier du Roi (rue d’Anjou St-Honoré, 1822-1828) fabrique « des carrosses à essieux mouvants et avant-train télégraphique », construit des voitures de voyage à transformation « réunissant à la fois calèche, coupé et dormeuse » et invente « le disparaît, espèce de capote invisible en soie ou en cuir ».
Au commencement de l’hiver 1824, le docteur Sue, père de l’écrivain Eugène Sue, achète un cabriolet au carrossier Sailer (rue de Surène, 1810-1822, puis rue du Marché d’Aguesseau, 1824-1828).
En 1825, l’atelier de Daldringen (rue Neuve-des-Capucines, puis rue du Colisée) sellier-carrossier des Equipages de Sa Majesté, réalise la somptueuse voiture du sacre de Charles X.
Marque de Daldringen gravée sur le Carrosse du sacre de Charles X (Versailles, Galerie des carrosses)
« Cet établissement, spécialisé pour les équipages de luxe et voitures de gala, l’un des plus anciens et des plus renommés, se recommande par la solidité, la légèreté et l’élégance des ses produits ». Ses prouesses techniques sont admirées : « il fait le cintrage des bois à droit fil pour la fabrication des roues d’une seule jante, des brancards de tilbury d’une seule pièce ». Il se charge pour trois mille francs pièce, de construire cinq malles-estafettes pour la route de Paris à Calais, sur le modèle fourni en 1833 à l’administration par le carrossier londonien John Leader.
Le Journal des haras publie en 1829 une élégante Berline de ville à ressorts en C et siège de cocher à housse, sortie des mains du carrossier Lasserre (boulevard de la Madeleine, 1820-1835). La même année, Audy le Jeune réalise deux calèches à huit ressorts pour le prince de la Moscowa. En 1840, Lelieurre de Laubépin (rue Royale Saint-Honoré) invente une « voiture à six roues à train articulé, marchant sans cahots et exigeant moins de chevaux ». Keller (rue de la Paix 1824-1832, allée des Veuves 1834-1851, avenue Montaigne 1852) construit en 1851 un « cabriolet de promenade pour le pacha d’Egypte » ; en 1858 il offre au prince impérial, fils de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie, une petite calèche verte à rechampi rouge, montée sur huit ressorts et garnie de satin blanc
D.M. Duchesne sellier-carrossier, dessinateur en voitures (rue du Vieux-Marché-d’Aguesseau et rue du Faubourg Saint-Honoré), auquel est attribué le coupé de voyage du duc d’Angoulême conservé à Compiègne au Musée national de la voiture et du tourisme, influence durablement toute la carrosserie française durant la première moitié du XIXe siècle par la publication de ses Dessins de voitures (1808), de son traité Principes du tracé des voitures (1836), « ouvrage très utile aux fabricants et aux ouvriers », ainsi que de « dessins tout prêts et à des prix très modérés ».
Coupé de voyage du duc d’Angoulême, attribué à Duchesne (Compiègne, Musée national de la voiture et du tourisme)
Baslez, « architecte et dessinateur spécial pour la carrosserie » (rue Neuve des Mathurins 1824-1843, puis rue de l’Arcade) fournit d’innombrables modèles dans ses albums de dessins.
Victor Morel dont les petits coupés sont la principale spécialité, figure « parmi les plus anciennes maisons qui se distinguent le plus dans la carrosserie de luxe. L’originalité et le bon goût des formes tout entières sacrifiées au confortable ont placé cette maison en première ligne » (Le Guide du Carrossier, 1860).
Les paniers, petites voitures en osier pour les beaux jours, si décriées par Brice Thomas, fondateur du journal Le Guide du carrossier, mais dont raffolent les jeunes femmes élégantes, sont la spécialité d’Ory, rue du Faubourg-St-Honoré (1874-1880). Dans la même rue, J. Audineau (1874-1883) construit de nombreux petits coupés de ville. Giron (rue de l’Arcade 1883-1884, puis rue des Mathurins 1886-1890) serait, selon son successeur Dupas, l’inventeur d’un omnibus à deux roues.
Georges Kellner, ouvrier sellier autrichien établi à Paris en 1860, rue Godot de Mauroy, puis avenue Montaigne (1863-1864) et boulevard Haussmann (1865) où ses magasins restent jusqu’en 1890, alors que les ateliers sont installés avenue Malakoff en 1873, sera l’un des plus important carrossiers de Paris. « Un jour, le secrétaire du Khédive d’Egypte remarqua en passant la beauté de ses voitures. Il devint un client assidu de Kellner et amena chez lui tout le Gotha ».
Kellner fournit ainsi l’Empereur d’Autriche, le roi d’Espagne, les cours royales de Suède et de Norvège, le sultan Ottoman, le prince Potocki. Georges Kellner est célèbre pour l’invention d’un essieu silencieux, celle d’un système de portes de landaus, cité comme l’une des inventions les plus utiles et qui « a fait le tour du monde », pour ses milords fermés, ou cabs à quatre roues, voitures originales dont il a fait sa spécialité.
Kellner : dessin de Milord fermé, appelé aussi Cab à la française ou Cab à quatre roues (Le Guide du Carrossier, 1900, n° 263)
Dès 1894, avec l’aide de ses deux fils, Georges et Paul, il est un des premiers à réaliser des carrosseries automobiles.
La dynastie Binder, « princes de la carrosserie »
Parmi les nombreux carrossiers du quartier de la Madeleine, se détache l’une des plus célèbres et des plus productives entreprises de Paris : la maison Binder, « famille dont le renom, ancien et jamais atténué, a éminemment contribué à faire apprécier dans le monde entier les qualités de la carrosserie française ». Ce nom est le plus connu de la carrosserie française, car il s’est illustré durant près d’un siècle et demi à travers une production très abondante et d’une qualité irréprochable. Il est la référence en matière de haut luxe : un coupé n’était digne d’être offert par un homme du monde à sa maîtresse que s’il sortait de « chez Binder », assure Alexandre Dumas Fils dans La dame aux camélias (1852).
« Parmi les plus anciennes maisons qui se distinguent dans la carrosserie de luxe » Le Cocher français place « la maison Binder Frères qui s’est bifurquée [sic] en deux grandes carrosseries. La première, marque Binder à Paris, c’est celle du boulevard Haussmann. La seconde, rue du Colisée, marque Henry Binder, a pour chef, M. Binder, ancien lieutenant de vaisseau. Du reste cette honorable maison a eu l’honneur de voir l’un de ses membres siéger au Tribunal de commerce comme juge consulaire ». A la fin du siècle, la maison Binder jouit toujours de la meilleure réputation : « à Paris, s’adresser pour avoir des voitures élégantes et correctes, d’une construction et d’un fini irréprochable [chez] Binder Aîné » conseille Vallée de Loncey dans son livre L’écurie de maître.
Le fondateur de cette célèbre maison, Jean-Jacques Binder, d’origine allemande, se fixe à Paris, comme charron, en 1806. En 1817, il est installé rue de la Paix comme sellier. En 1820, il ouvre un atelier de carrosserie rue d’Anjou, puis un magasin en 1827. La qualité de ses fabrications lui vaut rapidement les faveurs des hautes sphères aristocratiques : de 1826 à 1830, il est carrossier du roi Charles X. Il compte parmi ses clients de nombreux étrangers, comme le prince Aldobrandini pour lequel il réalise en 1828 un mail-phaéton « nouveau genre de voiture très en vogue parmi ceux des amateurs qui aiment à conduire eux-mêmes ».
En 1845, il cède l’entreprise à ses deux fils, Charles et Louis, dont les ateliers restent rue d’Anjou, tandis que le magasin est déplacé, en 1846, rue du Rocher. Ils créent d’autres ateliers boulevard Haussmann en 1865, puis rue de Courcelles en 1870.
La maison Binder, sous les raisons sociales Binder Frères (à partir de 1846), Henry Binder (1862-1914), Binder Paris (après 1877), est implantée en différents points du quartier de la Madeleine : les ateliers sont rue de Courcelles et rue d’Anjou-Saint-Honoré, les magasins boulevard Haussmann, les bureaux rue du Colisée. Cette puissante maison ne limite pas ses activités au seul quartier de la Madeleine. Elle possède des ateliers rue Piccini et rue Duret (Binder Aîné), des magasins avenue Malakoff, rue du Rocher et place Saint-Ferdinand des Ternes, des remises rue Laugier, des bureaux avenue du Bois de Boulogne et même un chantier de stockage du bois sur l’avenue Félix Faure.
Lors de l’Exposition universelle de 1867, la critique salue les frères Binder comme « les princes de la carrosserie ». Pour le couronnement manqué du Comte de Chambord comme roi de France sous le nom d’Henry V, en 1873, ils exécutent les voitures de gala destinées à l’entrée solennelle du futur souverain dans la capitale : cinq sont conservées au château de Chambord : trois berlines, un coupé et une calèche.
En 1862, Henry Binder avait créé sa propre marque, rue d’Anjou, puis s’était installé rue du Colisée dès 1863. Chez lui, ateliers et magasins d’exposition sont regroupés dans un même établissement. La galerie de vente, représentée en 1863 sur un dessin de Godefroy Durand, est installée sous une haute verrière sous laquelle est remisée une douzaine de voitures, parmi lesquelles on distingue une berline de grand gala, un landau huit-ressorts, un milord, un coupé de ville.
« Cette réunion de tous les services, administratifs et techniques, a l’inappréciable avantage de permettre à la direction d’exercer sur la construction une surveillance de tous les instants, condition particulièrement importante dans une industrie de luxe dont la clientèle exige une fabrication excessivement soignée et aime à en suivre les détails ».
En 1871, l’aîné des frères, Charles, ayant créé à son tour sa propre entreprise sous la marque Binder Aîné, s’établit dans le 16ème arrondissement.
Les frères Binder comptent parmi leur clientèle le roi Louis-Philippe, les Orléans-Montpensier, l’empereur Napoléon III, la famille royale portugaise, la cour d’Espagne, la famille Fould, les Deux-Brézé, les princes Potocki, l’artiste peintre Rosa Bonheur, le prince Alphonse de Bavière, Sa Majesté Impériale le Sultan Ottoman, Don Pedro II empereur du Brésil.
Ils sont présents dans toutes les grandes expositions industrielles et y sont fréquemment couronnés pour la qualité de leurs fabrications : à Paris en 1867 ; grande médaille d’or à Moscou en 1872 ; grand diplôme d’honneur à Vienne en 1873 ; première médaille d’or de l’American Centenial Exhibition de Philadelphie en 1876, où les frères Binder exposent six voitures : un coupé, une calèche, un Dorsay, un vis-à-vis, un milord et un break.
En 1878 à l’Exposition Universelle de Paris, Henry Binder présente un sociable à huit ressorts, un landau carré, un coupé carré, un milord, un break, et obtient une médaille d’or. Binder Aîné présente un mail-coach, un landau d’Aumont à huit ressorts, un coupé carré, un sociable à huit ressorts. Binder Frères : un sociable d’Aumont à huit ressorts, un coupé carré, un milord, un phaéton à flèche et à douze ressorts, une calèche nacelle à huit ressorts « très élégante et fort originale […] une des plus jolies voitures de l’exposition ».
Binder Frères : calèche nacelle à huit ressorts présentée à l’Exposition Universelle de Paris 1878 (Gourdin, Charles : Album des principales voitures exposées en 1878 au Palais du Champ de Mars).
Binder Frères : phaéton à flèche et à douze ressorts présenté à l’Exposition Universelle de Paris 1878 (Gourdin, Charles : Album des principales voitures exposées en 1878 au Palais du Champ de Mars)
En 1879 à Paris, à l’Exposition des sciences appliquées à l’industrie, Binder Aîné présente un mail-coach, un milord forme bateau « élancé, gracieux » et une nouvelle invention : un frein à levier, crémaillère et cliquet, et obtient une médaille d’or.
Les Binder participent à l’Exposition de Melbourne en 1880. Henry Binder préside le jury à l’exposition d’Amsterdam en 1883. En 1885 à Anvers, « ses voitures de luxe irréprochables » lui valent une distinction.
A Paris en 1889, Binder Aîné présente un Landau carré, un milord, un coupé Dorsay à huit-ressorts (photo 29) ; Binder Frères, un milord, une calèche et un Dorsay, tous à huit-ressorts ; Henry Binder, un phaéton à flèche, un omnibus à six places d’intérieur, un milord à caisse cannée. Le premier grand prix échoit à la maison Binder.
Binder Aîné : coupé Dorsay à huit-ressorts présenté à l’Exposition Universelle de Paris 1889 (Gourdin, Charles : Album des principales voitures figurant à l’exposition universelle de Paris 1889)
Henry Binder : milord à caisse cannée, présenté à l’Exposition Universelle de Paris 1889 (Gourdin, Charles : Album des principales voitures figurant à l’exposition universelle de Paris 1889)
En 1897 à Bruxelles, un grand prix lui est attribué pour un mail-break, un phaéton et un tilbury.
Lors de la grande Exposition universelle de Paris en 1900, Henry Binder préside le jury. La firme Binder présente un break, deux milords, et obtient un grand prix pour une calèche à huit ressorts.
Au XXe siècle, le nom de Binder, comme celui de la plupart des grands carrossiers hippomobiles, sera associé aux plus belles réussites de la carrosserie automobile, comme la splendide carrosserie de coupé de ville créée en 1939, à la veille de la disparition de la firme Binder, pour habiller l’un des sept prestigieux châssis de Bugatti Royale, le numéro 41.111, destiné au roi Carol II de Roumanie.
Binder : Carrosserie “ Coupé de ville ” pour le châssis de Bugatti royale n° 41.111, du roi Carol II de Roumanie, 1939 (Los Angeles, collection William Lyon)
De sa création en 1806 à sa disparition dans la tourmente de la seconde guerre mondiale, des calèches d’apparat du Khédive d’Egypte à la mythique Bugatti Royale n° 41.111, la maison Binder, comme beaucoup d’autres dans le quartier de la Madeleine, n’a connu d’autre règle que la perfection.
Malgré le départ des carrossiers Blessig, Buy, Cotel, Louis Fleury, Gustavsohn, Laslandes, Lechat, Millet, Pilon, vers le quartier des Champs-Elysées dont la concurrence s’est exercée à partir du deuxième tiers du siècle, ou encore celui d’Ehrler qui quitte en 1846 la rue d’Astorg pour la rue de Ponthieu où il deviendra le fournisseur favori de Napoléon III, le quartier de la Madeleine est resté le premier pour la production de la carrosserie de luxe.
Outre les témoignages contemporains qui l’attestent, le talent des carrossiers de la Madeleine est aujourd’hui visible à travers bien des voitures portant leur signature, et que conservent de nombreux musées : le Musée national de la voiture et du tourisme à Compiègne, les châteaux de Chambord, de Bouges, de Randan, la collection de voitures ancienne de S.A.S. le prince de Monaco, les Musées Royaux d’Art et d’Histoire à Bruxelles, les Ecuries Royales de Stockholm et de La Haye, le Museo de Carruajes du palais royal à Madrid, le Museo de Carruajes del Real Club de Enganches de Andalucia à Séville, le palais Pedralbes à Barcelone, le palais ducal de Bragance à Vila Viçosa, à Naples le Museo delle carrozze de la Villa Pignatelli, le Nationaal Rijtuigmuseum à Leek, le Musée National Hippomobile au château de Lançut (Pologne), le Museum at Stony Brook à Long Island ( New-York) , le palais Topkapi à Istanbul, les collections du Museum of the Royal Carriages au Caire, et jusque dans la lointaine île de Java le palais de Surakarta.
De merveilleuses voitures…
Texte:
Jean Louis Libourel