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Saintes a été le siège d’une circonscription des Haras Nationaux. L’Institution n’existe plus mais le site, toujours intègre, reste un marqueur fort du paysage urbain et le bruit de centaines de sabots résonne encore dans bien des mémoires. Le dépôt d’étalons de Saintes appartient désormais au passé mais un important volume d’archives (qui comporte néanmoins quelques lacunes majeures), conservé aux Archives nationales à Paris et aux Archives départementales de la Charente-Maritime, nous permet d’en restituer l’histoire.
Un élevage et un commerce considérable
« La généralité de La Rochelle est à même de fournir de bons chevaux pour la cavalerie, dragons, carrosse, trait, artillerie, chevaux fins, de selle, pour maître, la chasse. Elle est mêlée de terrains gras dont les pâtures nourrissantes sont propres à élever des grands et forts chevaux et des parties plus sèches convenables aux chevaux fins et légers : bois, landes, bruyères et lieux élevées ». C’est ainsi que débute un mémoire intitulé Observations sur les Haras de la Généralité de La Rochelle écrit en 1764.
Les chevaux de l’Ouest ont, depuis longtemps déjà, acquis une belle réputation. De l’avis de tous les commentateurs, il s’en fait entre Gironde et Loire, un élevage et un commerce considérables. Colbert, dans l’arrêt du 17 octobre 1665 qui fonde le principe d’une intervention directe de l’Etat dans l’orientation de l’élevage du cheval, citait déjà la « Xaintonge » au titre des parties les plus propres à donner au royaume les meilleurs chevaux (comprendre : pour la remonte militaire).
Les marchands spécialisés sont nombreux à sillonner les provinces de l’ouest. Les chevaux achetés seront, de foires en foires, revendus dans tout le pays quelques semaines plus tard. (Coll. personnelle)
Au nom de la liberté (en fait, pour d’uniques motifs financiers), l’Assemblée Constituante fait cesser le « régime prohibitif » des Haras le 29 janvier 1790. La vente et la dispersion des étalons royaux, combinée à la pression des réquisitions de 1793-1794, provoque une diminution rapide des effectifs et une démotivation tangible dans ce« pays naisseur ».
La nécessité d’une véritable Administration des Haras n’en est que plus vive. En l’an VI (1798), un rapport en ce sens, remis au Conseil des Cinq-Cents par Eschassériaux[1]reçoit un accueil favorable mais il reste sans suite. On peut encore y lire à propos de la Saintonge :« cette portion de la France produit abondamment des chevaux pour tous les usages, ils en sortent généralement avant l’âge de 3 ans. Les marchands de la ci-devant Normandie y enlèvent tous les poulains d’une belle figure, propres à être montés et convenables au carrosse. Ceux du ci-devant Berry et de la Beauce y achètent également tout ce qu’ils peuvent employer à la culture des terres. L’élève des mulets y est également très importante et peut être regardée comme une véritable richesse nationale par la vente qui s’en fait à l’étranger et par leur utilité à l’intérieur».
Il faut attendre le décret impérial du 4 juillet 1806 pour voir se mettre en place une structure complète et opérationnelle, centrale, fortement hiérarchisée. Le territoire est divisé en 6 arrondissements possédant chacun un Haras et des dépôts d’étalons. Pour l’Ouest, le Haras est établi à Langonnet (Morbihan),un dépôt installé à Saint-Jean-d’Angély. L’influence de Michel Regnaud[2] y est sans doute pour beaucoup. Supprimé en 1832 (pour des raisons confuses), le dépôt d’étalons installé dans l’Ancien couvent des Capucins, cède la place en 1838 à un dépôt de remonte militaire dépendant de celui de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) dont la vocation uniquement militaire ne satisfait pas totalement le milieu paysan.
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[1] L’avocat saintongeais Joseph Eschassériaux (1753-1824) fut notamment député de la Charente-Inférieure à l’Assemblée législative, à la Convention nationale, membre du Comité de Salut Public, député au Conseil des Cinq-Cents, ministre plénipotentiaire de Napoléon.
[2]Michel Régnaud de Saint-Jean-Jean-d’Angély (1760-1819) fut avocat, député aux États généraux, conseiller et ministre d'État sous l'Empire, membre de l'Académie française.
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Le dépôt d’étalons de Saint Jean d’Angély (1806-1832) en 1824. En 1838, il cède la place à une succursale du dépôt de remonte militaire de Saint-Maixent qui fermera vers 1863. Son aire d’action couvrira alors les circonscriptions de La Roche sur Yon, Saintes, une partie de la Gironde, du Maine et Loire et de l’Indre et Loire. Important débouché pour l’élevage régional du cheval de selle, la gendarmerie en est la principale intéressée. (Arch. Dép. Charente-Maritime, 12M8/2)
De la nécessité de créer une dépôt d’étalons à Saintes
Le siècle avançant, le cheval devient un enjeu politique, économique et social de premier plan : révolution industrielle, urbanisation, mutations agricoles, nouvelles mobilités collectives et individuelles réclament toujours plus de chevaux et une spécialisation des aptitudes.
C’est dans ce contexte que la Société d’Agriculture de Saintes s’empare du sujet. L’idée d’avoir à Saintes un dépôt d’étalons est doublement justifiée par la présence d’une tradition forte de l’élevage du cheval et par la perspective de bénéfices immédiat pour l’agriculture et le commerce.
En 1844, sous la conduite d’Hyppolite Delaage, conseiller général et (bientôt) premier président de la Commission Hippique de Saintes (en 1845),le projet prend réellement forme.
Il obtient rapidement l’assentiment du Ministre de l’Agriculture et du Commerce qui, toutefois, désolidarise immédiatement l’Etat de son financement. La réussite de l’entreprise sera donc entièrement locale.
Une première estimation de 240 000 francs est proposée (100 000 fr. obtenus de la Ville et 140 000 fr. du Conseil général) pour l’acquisition des terrains, les études, la construction d’un dépôt de 120 étalons mais elle est jugée très insuffisante par le ministère (avril 1845).En août, la Ville accepte de s’engager pour 264 000 francs.
L’ordonnance royale du 22 juin 1846 consacre les efforts : « un dépôt royal d’étalons sera établi dans la ville de Saintes, département de la Charente-Inférieure ».
Une rédaction pour le moins laconique pour un acte fondateur… (Arch. Dép. Charente-Maritime, 12M8/8)
L’établissement est programmé sur la rive droite de la Charente, quasi vierge d’occupation, le long de la route de Cognac.
Localisation du site (d’après un plan de Saintes de 1921,Arch. Dép. Charente-Maritime, 5Fi Saintes 8)
Le dossier de l’architecte Victor Fontorbe étant validé par le Conseil Général des Bâtiments Civils le 20 mai 1847, les travaux commencent(l’affiche d’adjudication du 21 juin 1847 annonce un coût de 324.599 francs).
Quelques difficultés d’approvisionnement du chantier, les troubles de 1848 retardent légèrement la construction. La réception officielle des travaux a lieu le 18 décembre 1854.
Configuration du site (d’après un plan de Saintes de 1921,Arch. Dép. Charente-Maritime, 5Fi Saintes 8)
Au temps de « l’industrie chevaline »
L’activité du haras débute toutefois dès le printemps 1849. Le premier étalon est un certain Xénophon, ½ sang normand gris. L’année suivante, il est rejoint par 1 pur-sang anglais, 4 pur-sang arabes, 4 demi-sang issus de Vendéens, 23 demi-sang anglo-normands.
L’enquête de 1850 sur les Haras place la toute jeune circonscription à la 22e position (sur 25) pour le nombre de juments saillies et à la 23e pour sa population chevaline totale…
Elle n’est alors formée que par les départements de la Charente et de la Charente-Inférieure amputée de l’arrondissement de La Rochelle rattaché au dépôt de Napoléon-Vendée (La Roche-sur-Yon).L’unification s’opère en 1853.
La circonscription de Saintes lors de sa création illustrée de ses principales productions. Extrait de l’Atlas statistique de la production des chevaux en France par Eugène Gayot& Hippolyte Lalaisse, 1850.(Arch. Dép. Charente-Maritime, 5 Fi Saintes 12)
Il ne reste plus au nouvel établissement qu’à accueillir un directeur emblématique. En 1849, M. Mailhard de la Couture est nommé. Formé à l’Ecole des Haras, il s’était fait remarquer à Aurillac puis à Pompadour. Visionnaire et dévoué, il ne cesse, en 23 années de direction, de rapprocher « son » dépôt des Haras les plus remarquables. Dès 1857, un article de dithyrambique parait dans le Journal des Haras.
Pour l’anecdote, en 1862-1863, Gustave Courbet séjourne à Saintes et fréquente assidûment le Haras où il a été autorisé à aménager un atelier. Il y peint notamment son célèbre tableau « Le retour de La Conférence ».
En 1872, la Vienne rejoint la circonscription.
Tandis que « l’industrie chevaline » s’apprête à connaître son apogée nationale (1875 - 1914), l’élevage local reçoit l’aide d’un allié inattendu: le phylloxéra !Beaucoup des vignes arrachées ne sont pas replantées, les terres sont converties en prairies. L’élevage bovin (laitier) en est le premier bénéficiaire, celui du cheval en profite largement.
Chevaux des marais de Rochefort, début XIXè siècle, Atlas statistique de la production des chevaux en France par Eugène Gayot& Hippolyte Lalaisse, 1850 (coll. personnelle)
Au moment de la création du dépôt, le coursier léger (« près du sang ») est résolument privilégiéen Charente-Inférieure (partie la plus active de la circonscription) mais, vers 1865, la remonte militaire et le commerce de luxe commencent à rechercher un autre modèle de cheval, émergent, dit Charentais. L’administration recommande alors l’apport d’étalons Normands issus d’Anglais, pour « conserver le cadre, la taille grande et remédier aux défauts de l’indigénat qui tend aux formes communes, aux sabots anormalement développés et au tempérament lymphatique ». Extraits de l’Acclimatation, journal des éleveurs(coll. personnelle)
Très bel attelage dans la cour du Haras, devant le bâtiment de la direction (Arch. Dép. Charente-Maritime, 40 ETP 4069)
Attelage charentais vers 1910. L’élevage du cheval de trait, peu homogène en Saintonge et en Charente, se pratique d’une manière plus orientée et sélective (concentrée sur la race poitevine mulassière) aux environs de Marans, Saint-Jean-de-Liversay, Saint-Jean-d’Angély, Matha, Surgères, Ruffec et Confolens. (Coll. personnelle)
En Saintonge, l’intérêt de l’administration va clairement aux chevaux de pur-sang et de demi-sang. L’élevage des chevaux de trait est laissé à l’initiative privée qui consacre encore une bonne partie des juments à la production mulassière (l’agriculture emploie essentiellement des attelages de bœufs).Les chevaux de trait entreront tardivement dans les écuries Saintaises (2 Percherons en 1916).
Au tournant du XXe siècle, « Saintes »est au cœur d’un réseau dynamique composé par :
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[1]L’école de dressage de Rochefort, fondée en 1851 (une des plus anciennes de France), a été ouverte le 1er janvier 1852, grâce à 50 souscripteurs, une subvention de 3000 francs de l’Etat. Elle est installée au lieu-dit la Cabane de Martrou. En 1852, elle comptait déjà 34 pensionnaires. La subvention municipale passant de 2500 francs en 1851 à 4800 en 1853, on put envisager son transfert en ville dans un immeuble d’abord acheté par 7 actionnaires, racheté par la Ville après que des réparations aient été faites grâce aux subventions du Conseil général. Preuve, encore, de l’intérêt des autorités locales pour la question chevaline. Elle ferme ses portes en 1954. Dans l’Entre-deux guerres, l’école de dressage de Rochefort peut encore s’enorgueillir de vendre des chevaux à l’Ecole de cavalerie de Saumur et à l’étranger (Russie, Turquie, Japon…)
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L’école de dressage de Rochefort vers 1905. Les écoles de dressage fonctionnent comme des centres de valorisation et de promotion de l’élevage local (Coll. personnelle)
D’une époque à l’autre…
Une période de profonde mutation se profile pourtant, caractérisée par la disparition progressive du « cheval quotidien », amorcée par la motorisation générale des transports (1920-1940) puis celle des travaux agricoles(1950-1960) et confirmée par un désintérêt pour les pratiques équestres de loisir (années 1960).
Tout en continuant leurs missions historiques, les Haras nationaux s’adaptent. A Saintes, les travaux de M. Laplaud sur l’insémination artificielle des équidés seront ainsi de toute première importance.
Ils acquièrent aussi une dimension culturelle en tant que dépositaires d’un patrimoine unique à la fois architectural, génétique (sauvegarde des lignées, soutien aux races à faibles effectifs voire menacées de disparition comme, ici, le cheval de trait Poitevin et le Baudet du Poitou), mobilier (voitures hippomobiles, sellerie, œuvres d’art…) et gestuel(pratique de l’équitation, de l’attelage).On notera au passage que les bâtiments et le parc du dépôt de Saintes ont été inscrits à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1993.
Le Haras de Saintes a eu, lui aussi, toute sa place dans la sauvegarde d’un patrimoine exceptionnel au plan immobilier, mobilier, génétique et immatériel. Ici : un aperçu des aménagements intérieurs (boxes et stalles), un attelage d’étalons de trait mulassiers poitevins (race locale à faible effectif) typique de la tradition des Haras. (photographies Eric Rousseaux)
Les Haras nationaux deviennent le 1er janvier 2000 un établissement public (EPHN) avec pour mission « de promouvoir et de développer l’élevage des équidés et les activités liées au cheval en partenariat notamment avec les organisations socioprofessionnelles, les collectivités locales et les associations ». L’EPHN compte 23 haras ou dépôts d’étalons, 220 stations de monte, 1472 équidés, 1100 agents.
En 2002, un référé de la Cour des Comptes demande à l’Etat de réexaminer le dimensionnement de ce réseau et le périmètre d’activité de la monte publique (laquelle fait, depuis 1999, l’objet d’une action en concurrence déloyale intentée par des étalonniers privés).L’objectif de réduire, entre 2004 et 2008,le nombre de sites de 23 à 17, des stations de monte (de moitié), des étalons (d’un tiers) est rapidement annoncé.
En 2006, un rapport d’information du Sénat qualifie encore l’établissement « d’institution coûteuse, présentant des rigidités de gestion incompatibles avec les critères de performance de la Loi Organique relative aux Lois de Finance ».
Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, un rapprochement avec l’Ecole Nationale d’Equitation est planifié. L’ENE assure la formation aux métiers de l’équitation, aux arts équestres et participe à l’entraînement des cavaliers de haut niveau.
Bien que les deux établissements soient diamétralement opposés dans leur organisation, leur structure et leur culture, leur fusion s’opère en 2009-2010 donnant naissance à un établissement public à caractère administratif : l’Institut Français du Cheval et de l’Equitation (IFCE). Celui-ci est placé sous la double autorité du ministère chargé des sports et de celui chargé de l’agriculture. « Ses actions s'exercent au profit des professionnels de la filière équine, des collectivités territoriales, de l'Etat et de tous les publics concernés par le cheval et l'équitation. Il se définit à la fois comme un observatoire économique et technique et un coordonnateur des politiques d’élevage et d’utilisation des équidés. Il doit veiller à la conservation et l’amélioration génétique des races, procéder à l’identification des animaux dont il tient le fichier central » (sic).
Parallèlement, le groupement d'intérêt public "France-Haras" voit le jour. Un communiqué de presse précise : " le désengagement financier de l'état devra s'accompagner d'une implication croissante des acteurs locaux (associations d'éleveurs, collectivités territoriales), (il) se manifestera principalement par la diminution, chaque année, de la contribution financière versée à France-Haras, jusqu'à sa disparition au terme des cinq années".
En février 2016, le rapport public annuel de la Cour des Comptes est une véritable déflagration : « L’évolution qui a conduit des Haras nationaux et l’ENE à l’IFCE et France-Haras apparait comme l’illustration d’une réforme mal conçue, mal préparée et mal conduite. (…) La pertinence de la fusion, cinq ans après, n’est pas démontrée. (…) Le constat qui peut être dressé aujourd’hui est celui d’une disproportion coûteuse pour les finances publiques entre, d’un côté, les ressources humaines et le patrimoine immobilier dont dispose l’IFCE et, de l’autre, les missions de service public qui subsistent. Sa situation n’est pas viable. La Cour formule les recommandations suivantes :
Si le principe d’une suppression de l’IFCE est d’emblée rejeté par les ministères concernés, leur réponse officielle au rapport rappelle que le contrat d’objectif signé en 2014 (pour 3 ans) prévoit déjà des dispositions allant dans le sens des deux autres préconisations.
Le 13 juillet 2016, un communiqué de presse établit la liste des sites« à reprendre » : Aurillac, Pau-Gelos, Saint-Lô, Saintes.
Sans avenir équestre viable (toutes les pistes envisagées ont été abandonnées), le site de Saintes est mis en vente.
Un dernier communiqué confirme, le2 avril 2019, la vente en ces termes : « Comme tous les autres Haras nationaux dont l’IFCE n’a plus besoin, le site de Saintes est cédé : il appartiendra à son nouveau propriétaire d’écrire une nouvelle page de son histoire en lien avec son territoire ».
Le dépôt vers 1910. Il est alors à son apogée (entre 1880 et 1914) : en 1911, par exemple, les écuries abritent 123 étalons (19 pur-sang et 104 demi-sang, aucun « trait »). De mars à juillet, les étalons sont dispersés avec discernent, en nombre et en qualité relativement aux juments présentes, dans les stations qui parsèment la circonscription pour y faire la monte publique. Le reste de l’année, ils vivent au dépôt. Les sorties attelées ou montées sont des moments importants et spectaculaires. (Coll. particulières)
Texte :
Etienne Petitclerc
Sources :
Archives nationales :
Archives départementales de la Charente-Maritime :
Haras nationaux et IFCE : rapports d’activités, communiqués de presse
Biblographie :