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Carrosserie hippomobile et premières automobiles : une histoire commune

 

Carrosserie hippomobile et premières automobiles:
une histoire commune


Jean Louis Libourel


 02 Pub BORDE

Publicité de Gustave Borde carrossier fabriquant indifféremment voitures hippomobiles et carrosseries automobiles,1908

 

 

 

 

Jean Louis Libourel.

Conservateur en chef honoraire

du patrimoine

 

 

 

 

 

Au Second Empire et durant les trente dernières années du XIXe siècle, l’industrie hippomobile française jouit d’une prospérité sans pareille. Surpassant sa rivale anglaise, elle est la première au monde pour la construction de voitures de luxe. Paris est la capitale incontestée de la carrosserie.

 

  

 

Un art français

Si l’Angleterre, à partir de la fin du XVIIIe siècle et au XIXe, a joué un rôle déterminant dans l’invention de modèles nouveaux, notamment de voitures à deux roues, la France a été le creuset où se sont affinées ces créations nouvelles, où elles ont acquis une élégance, une beauté, un luxe de finition incomparables qui séduisent une clientèle difficile, exigeant le meilleur et raffolant des dernières créations à la mode. Ces qualités imposent  les voitures françaises sur le marché international. Tout comme les meubles et les tapisseries, les voitures sont commandées à Paris, qui demeura longtemps sans équivalent pour la production de luxe. Cette suprématie du « goût français, sans rival dans le monde des arts industriels » a fait de notre carrosserie nationale le modèle que beaucoup de constructeurs étrangers cherchaient à imiter : « les dernières Expositions ont mis hors de pair le style de nos fabricants. Les types français sont aujourd’hui les plus remarqués. Les carrossiers de tous les pays au lieu d’aller chercher leurs modèles en Angleterre, viennent aujourd’hui s’inspirer des modes françaises », observe Nicolas Belvalette dans un Rapport sur la carrosserie à l’Exposition universelle de 1878. Observation confirmée par l’un des plus célèbres carrossiers londoniens, Hooper, fournisseur de la couronne britannique, qui admire « dans les voitures françaises, un raffinement de dessin, de proportion et de style, un fini excessivement beau », composantes majeures de « ce goût qui en carrosserie, caractérise les produits français et fait leur valeur ».

        

Une industrie brillante, à Paris…

 

 

 Le premier établissement parisien de construction mécanique de roues en grande série avait été créé dès 1827. À partir de 1840, le développement de la fabrication de pièces détachées, ressorts, essieux, roues, lanternes etc., par procédés mécaniques, favorise l’essor de la production hippomobile en fournissant ces pièces particulières aux petites entreprises incapables de les fabriquer elles-mêmes. 

La construction hippomobile devient une véritable industrie dans la deuxième moitié du siècle, surtout à partir de 1860. L’énergie la plus moderne du moment, la vapeur, est adoptée pour actionner des machines-outils capables d’exécuter rapidement et en série des travaux jusqu’alors réalisés à la main. Parmi les premiers à s’équiper de ces toutes nouvelles “usines à vapeur” figurent les carrossiers Pilon (1855), Levieux (1858), Colas fabricant de roues (1859 ), Eugène Chastel (1860), Robillard, les Frères Belvalette dans leurs ateliers de Paris et Boulogne-sur-Mer, Vanloo fabricant de moulures pour panneaux de voitures (1865). 

Une organisation plus efficace du travail, une meilleure formation professionnelle des ouvriers, des progrès techniques, entraînent une augmentation constante de la production qui répond à la demande toujours plus grande d’une clientèle élargie. La fabrication s’accélère et s’intensifie. Mises à part les exceptionnelles créations de très haut luxe, commandes particulières de la grande aristocratie, des cours princières et royales étrangères, de la haute finance, les voitures sont alors fabriquées en série. La fantaisie et le goût des acheteurs ne s’expriment que dans le choix des garnitures intérieures, des accessoires divers et des couleurs de la caisse et du train.

A la fin des années 1870, Paris expédie annuellement pour l’étranger 1000 à 1200 voitures de luxe, emballées,  pour une valeur de trois millions et demi de francs. 

En 1878, la France compte 3500 carrossiers et charrons. À cette date, dans Paris, travaillent 70 constructeurs de voitures de luxe, 120 fabricants de voitures de commerce, 60 constructeurs de grosses voitures, 28 selliers-carrossiers, 14 fabricants de ressorts et d’essieux, 25 lanterniers, et deux importantes manufactures de roues. En 1884, le président du Syndicat des patrons carrossiers du département de la Seine, Huret, déclare devant une Commission d’enquête parlementaire, qu’il y a 370 patrons carrossiers et charrons à Paris, et qu’ils font travailler environ 20 000 ouvriers, spécialisés dans le charronnage, la forge, la menuiserie, la peinture, la sellerie, etc.

Regroupant tous les corps de métiers dans leurs ateliers, les entreprises importantes, comme les maisons Binder ou Belvalette, fabriquent toutes les pièces de bois ou de métal nécessaires, les assemblent, posent les garnitures textiles ou de cuir, exécutent les peintures et la finition. 

« Une fois adopté, indique Henry Binder, le plan de la voiture est mis au net à l’échelle 1, par les dessinateurs. Les menuisiers, grâce à ce plan et à des calibres, exécutent la caisse, qui passe à l’atelier de forge, serrurerie et ferrure où s’opèrent la fabrication, le montage et l’ajustage des marchepieds, garde-crotte, porte-lanternes et ferrures de tous genres, le ferrage des portes et des capotages ». Commence alors la phase la plus exigeante : la mise en peinture, aux étapes longues et délicates. Au début des années 1880, il faut six semaines pour construire une voiture chez Henry Binder où, explique cet homme de l’art, « la réunion de tous les services, administratifs et techniques, a l’inappréciable avantage de permettre à la direction d’exercer sur la construction une surveillance de tous les instants, condition particulièrement importante dans une industrie de luxe dont la clientèle exige une fabrication excessivement soignée et aime à en suivre les détails ». 

 

 

Ces grandes maisons possèdent des magasins d’exposition et de vente où la société élégante et fortunée vient admirer les dernières créations et choisir le véhicule répondant le mieux à ses besoins ou à ses caprices. Les plus réputées se situent sur les Champs-Elysées, qui doivent leur première fortune commerciale à la vogue des équipages et aux nombreux métiers liés au cheval. Un premier carrossier, Koenig, y est installé dès 1820, bientôt suivi par beaucoup d’autres, y compris des concurrents étrangers, comme le londonien Windover qui y établit une succursale au numéro 55. 

On y trouve une grande variété de modèles adaptés à chaque activité : voyager, se déplacer en ville ou à la campagne, parader au Bois, sur les avenues et les boulevards, se promener en forêt ou dans les parcs, se rendre à la chasse, aux courses, à ses affaires ou à ses obligations sociales ou mondaines, mener soi-même son attelage pour le plaisir. Construits par milliers, coupés, landaus, landaulets, berlines, calèches, sociables, vis-à-vis, milords, victorias, ducs, phaétons, breaks, dog-carts, omnibus, cabriolets, tilburys, tandem-carts, carricks, charrettes anglaises, gigs, tonneaux, bien d’autres encore, répondent précisément à tous ces besoins et satisfont une clientèle bourgeoise de plus en plus étendue et de plus en plus soucieuse de confort, et pour laquelle la possession d’un équipage est avant tout le signe le plus manifeste de la réussite sociale. 

             

 

… et en province

 

La province n’est pas en reste. Des fabricants de voitures sont présents dans toutes les villes. On dénombre 80 carrossiers à Toulouse, une soixantaine à Bordeaux, autant à Lyon. Mais on en trouve aussi dans de simples bourgades, et il n’existe pas de village sans un charron capable de réaliser une charrette anglaise, une wagonnette ou un phaéton rural. Si la plupart des ateliers provinciaux restent modestes, quelques-uns s’élèvent au niveau des grandes entreprises parisiennes : la maison Rétif, à Sancoins dans le Cher, développe sur un vaste quadrilatère, ateliers, magasin, scierie, maison patronale, cours et jardins. Les voitures sortent de l’usine soit finies, soit en blanc ; ces dernières sont livrées à de petits ateliers qui les terminent, les peignent et les garnissent au gré des acheteurs. Des catalogues abondamment illustrés, tel L’Album de voitures pour petits attelages et chevaux légers publié par Ferdinand Rétif en 1895, informent la clientèle des dernières nouveautés.


Certaines de ces maisons provinciales sont assez puissantes pour avoir des agents ou des magasins de vente à Paris. Unique en Europe, selon l’Almanach du commerce de la ville de Paris, pour la fabrication mécanique de voitures en blanc grâce à 40 machines-outils activées par deux moteurs à vapeur, l’établissement Raguin, à Montrichard dans le Loir-et-Cher, possède en 1885 une maison de vente dans la capitale.

 D’autres investissent le marché international : en 1876, Gaudichet, de Vierzon, présente quatre voitures à la grande Exposition de Philadelphie pour le centenaire de l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. En 1890, G. Leudet, fabricant de roues au Havre, a des succursales à Paris et à New York. La maison Lagogué, fondée à Alençon en 1876, livre des corbillards en Afrique du Nord et en Indochine. Carrossier à Lyon depuis 1857, Guillemet, qui vend cinq cents voitures par an, possède en 1892 des agences à Paris, Athènes et Sao Paulo.

 

  

1891-1914,Carrosserie hippomobile et automobile :

une même industrie

 

 

L’industrie hippomobile est à son apogée lorsque l’automobile apparaît. Ses inventeurs avaient recherché avant tout à remplacer la traction animale par une autre énergie, à concevoir une voiture sans cheval. Leur géniale trouvaille fut le moteur… qu’on adapta aux voitures existantes, faute d’avoir imaginés aussi des véhicules spécialement conçus pour cette force motrice révolutionnaire. Les premiers moteurs furent donc installés sur des voitures hippomobiles, moyennant quelques aménagements indispensables à leur mise en place.

Lorsqu’ils furent montés sur un châssis, il fallut habiller celui-ci. Les acquéreurs de ces automobiles, réduites pour l’instant à l’ensemble châssis-moteur, s’adressent aux fabricants hippomobiles, alors seuls capables de confectionner des carrosseries. La démarche est d’autant plus aisée que ces pionniers, passionnés par la nouvelle invention, sont souvent d’authentiques hommes de cheval amateurs de beaux équipages, tel le baron Emmanuel de Zuylen de Nyevelt de Haar, président fondateur, en 1895, avec le baron de Dion, de l’Automobile Club de France : en 1896, ce gentleman entretient dans les écuries de son hôtel de Neuilly cinquante chevaux de selle et d’attelage, choisis parmi les plus beaux types des plus belles races anglaises, françaises et russes, et ses remises abritent trente voitures d’attelage, et déjà quatre automobiles qu’il conduit lui-même, comme il mène en sportsmen accompli son Mail-Coach à quatre chevaux lors des réunions élégantes de “ la Société des Guides ”.

 Ainsi, pour la première série automobile réalisée en 1891, Panhard et Levassor font appel aux carrossiers Belvalette frères, installés à Paris en 1851et cités en juillet 1869 par le journal Le Cocher français « parmi les plus anciennes maisons qui se distinguent dans la carrosserie de luxe ». À partir de 1894 d’autres carrossiers, comme Georges Kellner et Million-Guiet, exécutent pour les châssis automobiles des caisses conformes au style de la carrosserie hippomobile et soumises à ses règles. Révolutionnaire sur le plan technique, l’automobile reste sans forme propre. Elle emprunte aux voitures à cheval leur architecture, leurs lignes, leurs modèles, leurs matériaux, et même leurs noms : berline, coupé, cabriolet, landaulet, phaéton, dos-à-dos, vis-à-vis….


 

04 Coup- Hippo05 Coup- Auto 1908


Coupé de ville hippomobile                                                              Coupé de ville automobile 1908

(Le Guide du carrossier)

 

 

 

 

06 Pha-ton Hippo07 Pha-ton Autro Raguin

Phaéton hippomobile                                                      Phaéton automobile carrossé

par Raguin à Montrichard,1907



08 Double pha-ton Hippo09 double pha-ton Auto Boll-e 

Double phaéton hippomobile                                               Double phaéton automobile Bollée                                                         carrossé par Dumont et Cie Paris 1903

 

                                      

 

 

 

10 Spider Hippo11 Spider Auto

 

Spider phaéton hippomobile                                                               Spider phaéton automobile

(Le Guide du Carrossier)

 

 

Pour se libérer de cette dépendance, l’automobile, écrit Louis Lockert dans la revue Le Technologiste, « doit avoir un aspect spécial en rapport avec la puissance employée et les services qu’elle doit rendre », pour ne plus apparaître comme une « voiture dételée où une ignoble boîte métallique » remplace le bel animal qu’est le cheval. Des concours de dessin pour l’invention de nouvelles carrosseries sont organisés par le journal Le Figaro en 1895, et par Les Magasins du Louvre en 1896. En vain. Routine ? Priorité donnée à l’amélioration des moteurs, plutôt qu’aux recherches pour la création de carrosseries spécifiques ? Lorsque Le Guide du Carrossier, revue professionnelle qui a publié des milliers de modèles depuis sa création en 1858, fait paraître en décembre 1898 son premier dessin d’automobile, « une wagonnette, étudiée de manière à s’appliquer à un châssis muni d’un moteur Phénix de la maison Panhard et Levassor », sa proposition n’est pas autre chose qu’une caisse de voiture hippomobile accolée à un moteur. Près de deux décennies encore l’automobile garde l’apparence d’une voiture à cheval : toutes deux sont réalisées par les mêmes constructeurs, selon les mêmes techniques et dans les mêmes ateliers. Les photographies de l’époque les montrent côte à côte en cours de fabrication dans un même local. 

 

 01 Atelier Labourdette

      Voitures hippomobiles et carrosseries automobiles construites dans le même atelier chez Labourdette.


À partir de 1900, la plupart des ateliers fabriquent des carrosseries pour les automobiles tout en maintenant leur production hippomobile. Entre 1890 et 1910, L’Almanach du commerce de la ville de Paris, cite 53 fabricants hippomobiles qui construisent aussi des carrosseries automobiles, parmi lesquels figurent les noms les plus réputés du métier : Bail, Belvalette, Binder, Kellner, Labourdette, Million-Guiet, Morel-Grümmer, Mühlbacher, Rothschild, Vanvooren.


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         Publicité de la maison Belvalette § Cie fabriquant indifféremment voitures hippomobiles et  carrosseries automobiles

 


Même chose en province : Fernand Bedel à Trouville, Gustave Borde à Dijon, Félix Delaugère à Orléans, Léon Faurax à Lyon, Maurice et Henri Guillemain à Limoges, Jamet à La Guerche, Raguin à Montrichard, Rétif à Sancoins, Eugène Souyeux  à Pau ; à Toulouse, Emile Chabrol (1901), Laporte et Fils (1902), Casimir Klapper (1905). Installée à Castres depuis 1810, l’entreprise Viguier Frères possède à Montpellier au début du XXe siècle cinq maisons de vente de voitures à cheval et de carrosseries d’automobiles, dont une fabrique aussi des aéroplanes en 1912.

 

 03 pub R-tif

      Publicité de la maison Rétif fabriquant indifféremment voitures hippomobiles et carrosseries automobiles, 1908


En 1909, l’importation des voitures américaines Ford influence les constructeurs européens : on passe de la carrosserie “sur mesure” à la carrosserie “de confection” : la carrosserie d’usine est née. L’offre de voitures complètes, et non plus seulement de châssis à habiller, va réduire l’activité des fabricants hippomobiles dans le domaine automobile à la seule réalisation de carrosseries de grand luxe. Beaucoup cependant continuent à réaliser simultanément carrosseries automobiles et voitures à cheval pour une clientèle, encore nombreuse, attachée à « la plus noble conquête de l’homme » : la construction hippomobile ne disparaîtra réellement qu’après la guerre de 1914-1918.

         

Pendant l’entre-deux guerres, alors qu’elles ont cessé toute fabrication hippomobile, les grandes maisons de carrosserie qui ont résisté à la tempête de 1914-1918, comme Labourdette, Kellner, Million-Guiet, Mühlbacher ou Binder, brillent toujours dans la création d’automobiles prestigieuses. 

Ainsi, deux des sept châssis mythiques de Bugatti Royale seront habillés par Kellner et Binder, grands noms de la carrosserie parisienne réputés bien avant l’apparition de l’automobile. En 1932, Jacques Kellner, qui en France fabriqua le plus de carrosseries pour Rolls-Royce, réalise une carrosserie de type “coach” pour le châssis Bugatti Royale  numéro 41.141 (voiture aujourd’hui au Japon, dans la collection Sekigushi). En 1939, la maison Binder crée pour le roi Carol de Roumanie un “coupé de ville” destiné au châssis n° 41.111 (USA, Reno, collection Harrah).

 

Des calèches d’apparat du Khédive d’Egypte signées Kellner, des voitures de gala du comte de Chambord et des rois d’Espagne œuvres des frères Binder, aux incomparables Bugatti Royales, ces maisons, qui n’ont eu d’autre règle que la perfection, ont constamment illustré l’excellence de la carrosserie française, du Second Empire jusqu’à la veille de la deuxième guerre mondiale.

                                                              ___________

 

Note de Figoli:

 

Vous trouverez dans l'album   Hippomobile-et-automobile Hippomobile-et-automobile   des planches du "Guide du Carrossier", datées de 1901 à 1913. Elles vous donneront un aperçu de l'évolution des voitures hippomobiles et des carrosseries automobiles à cette époque charnière.


1907 296 GDC 005 1907

      Planche du " Guide du Carrossier" de 1907

          

 


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