Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Le marché aux chevaux de Paris
ou quand le XIIIème arrondissement maquignonnait…
On attribue à Catherine de Médicis l’établissement d’un des premiers marchés aux chevaux de la Capitale sur l’ancien hôtel des Tournelles – sur la place Royale ou
place des Vosges - dont elle ordonna la destruction en 1564 après que son époux Henri II y eut trouvé accidentellement la mort dans un tournoi célèbre.
Sous Henri IV, on put fréquenter les marchés de Saint Honoré, de la butte Saint Roch puis du boulevard des Capucines. Le roi Louis XIII, par une lettre patente de
1639, permit enfin à François Baranjon - l’un des ses apothicaire et valet de chambre - l’établissement d’un nouveau marché au lieu dit la Folie Eschalard (ou Folie Echalait, sur ancienne rue
Saint Victor ). A l’abord de ce marché, durablement installé, on construisit en 1760 un pavillon pour loger l’inspecteur chargé de sa surveillance [encore visible rue Geoffroy Saint-Hilaire
(1)].
D’un marché à l’autre…
En 1811, un décret impérial concède le marché aux chevaux à la Ville de Paris qui entame en 1818 d’importants travaux : le terrain est nivelé et planté de nouveaux
arbres. D’autres projets d’agrandissement ou d’embellissement restent sans suite. La plus notable des réalisations réside sans doute dans l’établissement des deux rangées de stalles pouvant
contenir 400 chevaux. Identifiées par les noms des marchands qui s’y installent, elles encadrent une allée centrale. Un des architectes de la Ville de Paris propose quelques temps après, pour
palier aux dégradations rapides des structures en bois, des poteaux de fontes reliés de barres de fer. Leur agencement calculé sur l’alignement des arbres permet de bientôt gagner 100 autres
places. Le site se maintient dans cette configuration jusqu’au percement du boulevard Saint Marcel en 1859 qui entraîne un glissement vers le boulevard d’Enfer. Mais le commerce des chevaux se
développant considérablement, le marché se trouve vite à l’étroit et son déplacement devient une nécessité. Plusieurs opportunités sont discutées et finalement, on l’entérine le retour au
quartier Saint Marcel en novembre 1874. Quatre ans plus tard, le marché investit enfin le boulevard de l’Hôpital.
de l’entrée à l’essai
Agrandi encore, le marché finit par occuper une superficie d’un peu plus de 17 800 m2 entre les boulevards de l’Hôpital et Saint Marcel. Deux entrées desservent
trois parties distinctes.
Dans la première, à gauche de l’entrée du Boulevard de l’Hôpital (un ancien terrain des Hospices), on vend des voitures de toutes sortes. De part et d’autre de
cette porte, se trouvent le bureau des perceptions et le logement du concierge (à droite), le bureau du commissaire priseur (à gauche). Les juments entrent par ici tandis que les chevaux entiers
et les mulets entrent par l’autre porte (les hongres indistinctement par l’une ou l’autre).
La seconde section abrite les chevaux. Les stalles ont une capacité de 1050 places.
Enfin, à l’ouverture du boulevard Saint Marcel se trouve le « tertre » où l’on essaye les chevaux attelés à une sorte de squelette de charrette.
En forme de fer à cheval incliné, la piste permet de juger de la « franchise » du cheval.
Le marché se tient le mercredi et le samedi après midi. On a voulu en 1829, créer un marché le premier lundi de chaque mois uniquement destiné aux chevaux « fins et de luxe » mais la tentative ne rencontra aucun succès, l’idée reprise en 1878, le jeudi, ne connut pas davantage de réussite.
A partir de 1850, la régie administrative permet à la Ville de percevoir les droits d’entrée et de place. Sauf réservation à l’année, celles-ci sont attribuées au gré des arrivées. Les droits d’entrée sont fixes : 1 fr. par animal ou voiture à 2 roues, 1, 50 fr. pour les 4 roues.
ici, on négocie la « macédoine hippique »
On trouve essentiellement sur le marché des chevaux de peu de valeur, réformés, accidentés, fatigués, usés, qui feront l’affaire des petits maraîchers, des
commerçants modestes, de quelques entrepreneurs peu exigeants. Tous les types, toutes les nationalités chevalines, toutes les races, tous les rebus y sont représentés, chacun sait que celui qui
veut raisonnablement acheter un bon cheval se rend directement dans les écuries d’un marchand établi. Les transactions sont parfois peu nombreuses, le quart, le tiers des chevaux trouve
acquéreur, au mieux les ventes représentent-elles la moitié des animaux amenés. Ici, un cheval de trait se négocie rarement au-delà de 1000 fr. quand un bon cheval de roulage ou de camionnage
atteint 1800 fr. chez le négociant spécialisé.
On recense entre 1880 et 1906 environ 50 000 entrées par an.
Pour voir l’animal convoité en action, on fait appel à un « ouvrier trotteur », seule personne autorisée à montrer un cheval. Au nombre théorique de 20 (ordonnance de police de 1816), il s’agit de jeunes garçons (de plus de 16 ans, normalement) dûment habilités par l’Administration, portant au bras une plaque d’identité. Les archives abondent pourtant d’entraves à la règle et de constats de connivences, de pénuries de volontaires voire de vols de chevaux par des usurpateurs.
savoir vendre, savoir acheter
Le 13 octobre 1849 l’Illustation consacre un article au marché aux chevaux de la capitale. La sentence est sans appel : « le marché aux chevaux qui se tient à Paris
deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, offre, pour ainsi dire un double objet d’études : d’abord, c’est le rendez-vous de toutes les physionomies imaginables (…) ; ensuite ce dont on se
préoccupe le moins dans le marché, c’est de la vente des chevaux. Ce marché est peu important ; mais si on l’examine sous un autre aspect, si on prend sur le fait toutes ces ruses de maquignons,
toutes ces roueries, toutes ces luttes de diplomaties entre vendeurs et acheteurs, souvent entre dupeurs et dupés, qui se rencontrent sur cet étroit théâtre, il fournira un sujet d’études des
plus intéressants. »
Les chevaux sont préparés à la vente avec un soin particulier, telle est la loi du maquignonnage. Les ruses sont connues : des dents limés, du gingembre glissé sous
la queue en relève le port, un mélange de fleur de genêt à l’avoine cache la pousse, de savantes rations rebondissent les efflanqués (jusqu’à la première suée), on joue des aspérités du terrain
pour mettre d’aplomb un cheval défectueux, du soleil ou de l’ombre, on recourt aux teintures et aux postiches, aux narcotiques comme aux excitants… Seule la maladie – surtout les vices
rédhibitoires – constitue un véritable empêchement à la vente. Les chevaux suspects sont normalement refoulés mais il existe une écurie de quarantaine.
un quartier dont le cheval était l’identité …
Le marché accueille à partir de 1883 un concours annuel pour les chevaux de trait (2 épreuves : trot et attelage) et, en 1902, à l’initiative de l’association
d’assistance aux animaux un concours de la plus belle voiture attelée. L’affluence est grande, la qualité au rendez-vous: on y voit plus d’une centaine de camions, voitures de livraison, de
brasseur, d’ambulances, de tombereaux, d’omnibus, etc.
Le marché devient aussi l’éphémère « salle » des cours pratiques de l’école gratuite des cochers ouverte en 1906 sur proposition commune de la S.P.A. et de la Société d’Assistance aux Animaux.
Les abords du marché recèlent une quantité de cabarets où s’achèvent normalement toutes les transactions, les cerises à l’eau de vie y sont réputées. Des ateliers
de charrons, de carrossiers de bourreliers, de selliers-harnacheurs, de maréchaux-ferrant vivent de la proximité du marché et tolèrent plus ou moins pacifiquement les petits métiers tels que le
vendeur de mèches de fouet. Mais le progrès est en marche… En 1906, l’opinion publique ne voit plus dans cet « endroit insalubre » - désormais largement tourné vers l’hippophagie – qu’une entrave
à la modernité. Une nouvelle pétition recouvrant les souhaits des habitants des XIIIème et Vème arrondissements est adressée à la Ville : il faut déplacer le marché et construire des logements
économiques. Les bouchers adhèrent largement au projet de rapprocher un nouveau marché des abattoirs de Brancion. La décision est votée le 11 juillet 1906. L’opération immobilière est alléchante
puisque les dépenses d’installation du nouveau site sont sans commune mesure avec le gain de la reconversion du premier. Le nouveau marché, dont la chambre syndicale des bouchers hippophagiques
obtient la concession pour 75 ans, est opérationnel un an après – en novembre 1907. Il couvre 5 900 m2 à l’angle de la rue Brancion et de la rue des Morillons. Il est moderne, couvert, son sol
est bitumé.
Inexorablement tourné vers le couteau des bouchers, le sort des chevaux laborieux est scellé et un haut lieu du Paris populaire vient de disparaître.
Texte et documentation:
Etienne Petitclerc
Edité par "Sabot"
[1]aujourd’hui rue Geoffroy-Saint-Hilaire. Au delà de la rue du Fer-à-Moulin (ou de la rue Poliveau), la voie prenait le nom de rue du Marché aux chevaux, anciennement rue Maquignonne, elle allait initialement sous ce nom jusqu’au boulevard de l'Hôpital.