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Les écuries des grands magasins Dufayel.
Pente d'accés aux boxes et stalles des écuries des grands magasins Dufayel
Succédant à plusieurs articles sur les types d’écuries de la fin du XIX° siècle (écuries de maison privée, de société de location, de la Compagnie générale des omnibus,…), nous vous présentons aujourd'hui une écurie de commerce. Il s’agit de celle des grands magasins Dufayel. Pour mieux appréhender l’organisation de ces locaux, il nous semble intéressant de vous faire une brève présentation de cette entreprise.
Ils ont été fondés par Jacques François Crespin, en 1856. Ces magasins, d'abord appelés "Palais de la Nouveauté", furent construits par Alfred et Stéphane Le Bègue et Gustave Rives, avec une façade monumentale ornée d’un groupe sculpté:
“ le Progrès entraînant dans sa course le Commerce et l’Industrie”.
Contrairement aux autres grands magasins, implantés dans des quartiers plus huppés, ce grand magasin fut établi à deux pas de la Goutte d'Or, au pied de la Butte Montmartre, dans un quartier pauvre. C'est un choix commercial et "humaniste" de leur créateur:
" Vous avez là un des secrets de ma force ! Je dis bien… de ma force. Elle est faite de bienveillance, de générosité intelligente envers les humbles… -- Pourtant, c’est aussi du commerce ? -- Sans doute, sans doute. Mais à ce commerce président un esprit d’humanité, une pensée fraternelle qui l’ennoblissent, pour ainsi dire, et en font une œuvre de solidarité sociale... ... Il ne faut pas regarder aux bénéfices, notables, certes, je ne le nie pas, que peut valoir la vente par paiements mensuels. Non, non. Il faut regarder plus haut. L’argent n’est rien dans l’affaire. C’est un détail secondaire… Qu’est-ce que j’ai voulu : dispenser un peu de bonheur aux classes laborieuses, leur donner un foyer, un intérieur, où ils auraient leurs meubles à eux...".
A la mort de son fondateur, en 1888, le magasin est repris et agrandi par l'un de ses employés, Georges Dufayel, qui garde le principe de vente à crédit, dite alors "vente à tempérament", d'ameublement et d'équipement de la maison. L'ensemble des magasins emploie 15000 personnes, couvre environ un hectare, et propose diverses animations dont un théatre.
Les employés des grands magasins Dufayel, munis d'un écritoire portatif, parcouraient les rues afin d'effectuer les encaissements auprès des clients !
L'ensemble du fonctionnement reposait sur une importante cavalerie et de nombreux véhicules; omnibus, camions de livraison mais également tout le matériel
nécessaire à la publicité dont des camions d’affichage avec leurs grandes échelles.
L'élégance de ses voitures, la qualité de la cavalerie, des harnachements, la tenue des personnels concouraient à faire de ces équipages un outil promotionnel de premier ordre. Véritables supports publicitaires, voitures et cavalerie étaient entourées d'un grand soin que l'on retrouve dans l'organisation des écuries.
Nous en avons la description dans ces extraits d'un article du Sport universel illustré du 30/09/1902:
"Chacun a vu passer dans Paris ou sa banlieue les attelages de la maison Dufayel. Soit que ses carrossiers puissants traînent l'Omnibus imposant, la voiture de livraison, ou la longue échelle d'affichage. On a pu apprécier la tenue et la correction toute particulière de ces chevaux qui apportent dans leur fonctions commerciales l'élégance et le harnachement des équipages les plus soignés. Ces détails nous faisaient bien présager de l'installation des locaux dont ils sortaient. ...
Les écuries qui nous sont présentées viennent d'être construites rue Belhomme en remplacement des locaux du boulevard Barbes, devenus trop exigus.
" Le hall immense que nous traversons en entrant sert de remise aux nombreux véhicules de la maison Dufayel.
Voici les omnibus conduits par des postillons galonnés et que traînent 3 chevaux. ...une attelée de deux alezans, mis impeccablement, au timon de l'échelle d'affichage, cependant qu'au fond, sur notre gauche, les coups de marteau du maréchal-ferrant sonnent dans la forge.
Nous y faisons une courte halte, puis par un plan incliné, nous nous disposons à monter aux écuries. A monter est le terme exact, car les locaux habités par la cavalerie occupent tout le premier étage en quatre salles bien distinctes donnant sur une large galerie qui en fait le tour au dessus du hall. Et ce n'est pas un spectacle banal de voir un percheron, un instant libre, passer la tête au dessus du large balcon de ce premier étage, pour s'interesser au va et vient de charrois et de marchandises que la cour vitrée intérieure ne cesse d'abriter.
...
Monsieur Brognard s'empresse pour nous faire présenter les plus beaux spécimen des écuries.Ces dernières renferment cent vingt animaux, la plupart percherons, où la robe grise domine. Au dépot de Versailles il y en a encore trente et il va y en avoir d'autres encore à Meaux et à Juvisy, où, pour son service de banlieue, la maison Dufayel est en train de créer de nouveaux centres d'expédition de ses marchandises.
On fait les achats de chevaux deux fois par an, au printemps et à l'automne, dans le Perche. C'est également l'époque des réformes.
Maintenant que la traction à vapeur, à air comprimé ou électrique, remplace un peu partout dans Paris la traction animale et que la Compagnie des omnibus ne va plus être la grosse acheteuse des produits du Perche (où l'Amérique déjà va tant puiser), les èleveurs de la région pourront se rabattre sur les maisons qui, comme celle qui nous interesse, ont besoin pour leur livraisons de bêtes robustes et sachant trotter. Et c'est avec plaisir que ces contrées d'èlevage doivent voir se propager un emploi du cheval pareil à celui qui se fait dans l'établissement que nous visitons.
Mais voici qu'à mi-étage, sur notre droite, un bassin arrête nos regards. C'est là que se fait la baignade des chevaux, et où ils peuvent avoir de l'eau jusqu'au ventre à la sortie même de leurs boxes. Un percheron s'y prélasse, tenu à la longe. Mais nous quittons ce bain de pieds curieux et nous arrivons enfin à la porte des écuries.
Ces écuries sont au nombre de quatre. Trois contiennent seulement la cavalerie de commerce, la dernière renferme également les chevaux de luxe de M. Dufayel.
Pénétrons dans l'une d'elles .... faisons le tour des boxes spacieux. Eclairée par de larges baies vitrées, la salle est large et bien aérée. Au dessus de chaque mangeoire, le nom des animaux se lit en lettres noires sur fond blanc.
C'est dimanche et la plupart des locataires du lieu sont au repos sur la paille fraîche soigneusement entretenue, des palefreniers circulent, porteurs de la casquette de la maison. Tout respire l'ordre et la propreté...."
Suit la description des plus beaux spécimens des pensionnaires de l'écurie.
"Voici "Athos", un cheval gris de huit ans, tenu par un cocher de la maison Dufayel en livrée..., puis "Surcouf" qu'on vient de dételer et qui réintège son domicile."
Athos: percheron gris
Surcouf: percheron gris
L'écurie est en cours de finition et l'auteur nous présente le nouvel aménagement des remises dans les sous-sols.
"C'est là que prochainement, lorsque le tunnel reliant l'annexe aux magasins eux-mêmes sera achevé, on remisera, nettoiera et chargera les voitures. Un monte charge imposant les élèvera jusqu'au rez de chaussée, dans le grand hall que nous avons traversé en arrivant, où elles seront attelées et d'où elles partiront dans toutes les directions."
"... On pourrait craindre dans ces écuries, établies à un premier étage et encadrées d'un si nombreux stock de marchandises diverses et inflammables, le danger de l'incendie, la panique et les victimes que ce feu pourrait y faire. Mais toute inquiétude de ce côté peut être délibérément écartée. En effet, les flammes seraient vivement combattues dans un édifice entièrement composé de verre de fer et de pierre et qui de plus, au premier étage face aux écuries, possède une sortie directe et de plein-pieds sur une rue avoisinante."
Ce soin apporté au confort des chevaux et à la qualité de présentation des équipages se retrouve dans le fonctionnement de l'ensemble des grands magasins de la capitale comme le montre cette photo des voitures du Bon Marché.
A titre de comparaison, voici un camion de livraison d'une boulangerie.
Ces écuries de commerce de la fin du XIX° siècle présentent le sommum du confort et de l'organisation des écuries à la fin du XIX°. Vous avez pu observer la même modernité dans les autres types d'écuries; de maitre, de location, de la Compagnie générale des omnibus...présentées dans les articles:
Location de chevaux et de
voitures de luxe à la fin du XIX° siècle.
La vie d'un cheval à Paris vers 1890
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Pourtant le monde du transport est en plein bouleversement. Depuis 1875 La Compagnie générale des omnibus, la compagnie générale des voitures multiplient les expériences pour remplacer la traction animale par d'autres énergies; vapeur,électricité, air comprimé,...A partir de 1895 l'automobile prend le dessus. Dés 1900 la CGO commence à liquider sa cavalerie pour la remplacer par des omnibus à l'entretien moins honéreux. Cette mutation toucha trés rapidement les services de livraison des grands magasins et l'ensemble de l'économie des transports. Il y eu une diminution de 27% du nombre de chevaux parisiens de 1900 à 1910.
Texte:
Figoli
Photo:
collection Figoli et courtoisie
Documentation:
Edouard Ponté/ une écurie de commerce/sport universel illustré du 30 Novembre 1902.
Ghislaine Bouchet/Le cheval à Paris 1850-1914
inter-cop/Les galeries Dufayel
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