On achève aussi les Haras…
Cluny, je l’ai connu hennissant, le sable hersé comme un jardin japonais, martelé des sabots de ses innombrables chevaux, accompagné de cris et de rires joyeux, du crissement des voitures emportées par les attelages à quatre ou les tandems de percherons, d’auxois, de comtois, d’anglos, de pur-sangs, de connemaras… odorant du crottin frais, de la paille, du foin et de la fumée qui
jaillissait des fers posés à chaud et du parfum tenace des cuirs soigneusement savonnés, graissés…
Vivant !
C’était un bonheur que d’y aller, un honneur que d’y travailler.
Que d’admirer les énormes croupes des traits dans leur stalles nattées, et l’œil fiévreux, la robe lustrée, soyeuse, rutilante des étalons de sang, d’y contempler, au printemps, les mères suitées, attendant la saillie nouvelle… les poulains cotonneux et intimidés.
Pour eux, pour les Haras, j’étais heureuse de payer des impôts !
Le Haras de Cluny est vide. Certaines stalles sont cassées… la crasse froide rampe inexorablement et les araignées ont beau jeu que de s’y installer.
Les bâtiments appartiennent aux courants d’air à présent, et s’y balader est aussi gai que d’arpenter les allées d’un cimetière abandonné.
Dévoré par les célèbres restes de l’abbaye, le Haras a déjà vu détruite l’infirmerie des chevaux.
Le bâtiment où s’entassent, en triste état, les voitures, répertoriées, classées, pourtant, " notre " patrimoine et " notre " passé, sera détruit lui aussi, ainsi que la salle des gardes et la sellerie.
L’abbaye n’en sera pas ressuscitée pour autant, mais ça lui donnera un peu d’air, une perspective, puis l’abbaye est tellement touristique, et tellement rentable, elle…
On vient d’enterrer le Haras, et tout le monde, ou presque, s’en fout.
Consciente d’avoir remué juste un peu de poussière, moi, je ne m’en fous pas.
Julie Wasselin