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Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

Cet article a pour objet de vous présenter une entreprise dont l'importance est souvent méconnue mais qui est pourtant un acteur central dans la création et le développement des lignes d'omnibus à Paris.

Son activité fut, certes, précédée par différentes expériences et tentatives d'installation de liaisons régulières sur des itinéraires fixes mais celles-ci se révélèrent infructueuses.

 

Les prémices d'un transport public régulier

Le succès des fiacres et entreprises de louage inspirent en 1661 à quelques investisseurs, dont Pascal, l'établissement de services de voitures publiques circulant de façon régulière, "mesme à vuide",  sur des itinéraires définis:

"Nous soussignés, Duc de Roannes et Marquis de Crenan, reconnaissant qu'ayant esté depuis deux ou trois ans trouvés par ledit seigneur Duc de Roannes et le sieur Pascal l'invention d'établir des carrosses à l'instar des coches dans la ville et faux bourgs de Paris où chacun ne paiera sa place que pour un prix tout à fait modique, allant incessamment d'un quartier à l'autre, ..."- Début de l'acte de constitution de la société -

Cette entreprise, dite des "Carrosses à cinq sols", a donc pour objet l'établissement de lignes régulières de transport en commun visant, entre autre, à favoriser le déplacement des personnes "...n'ayant pas les moyens d'aller en chaise ou en carrosse". Par lettres patentes, le Roi leur accorde le monopole de cette activité. Le parlement de Paris, dans son enregistrement du 18 mars 1662, en limite l'objet en interdisant l'accès des carrosses aux "soldats, pages, laquais et autres gens de livrées, mesme les manœuvres et gens de bras ne pourraient entrer esdits carrosses pour la plus grande commodité et liberté des bourgeois". Les carrosses commencent à circuler le 8 mars 1662. Au 5 juillet 1662, 5 trajets sont exploités.

Itinéraires des routes exploitées en 1662.

Itinéraires des routes exploitées en 1662.

 

 Malgré un départ  encourageant, l'interdiction de l'accès de ce service aux gens de petite condition et l'augmentation des tarifs, qui passent rapidement de cinq à six sols, entrainent une perte d'activité qui se solde par un arrêt définitif de l'activité en 1677. Près de 150 ans après, l'idée est reprise par différents promoteurs:

-En Angleterre , à Manchester, John Greenwood met en place, en 1824, un service de transport régulier entre l'octroi dont il  a la responsabilité et la place du marché. Les  trois rotations journalières sont assurées par des voitures suspendues transportant neuf personnes. A noter que ce service à la tarification très élevée s'adresse, là aussi, à une clientèle aisée de commerçants et de bourgeois car le coût du trajet est cher. 

Ces jetons de la compagnie Greenwood sont plus tardifs d'où l'intégration du terme Omnibus, apparu plus tard à Nantes en 1826.Ces jetons de la compagnie Greenwood sont plus tardifs d'où l'intégration du terme Omnibus, apparu plus tard à Nantes en 1826.

Ces jetons de la compagnie Greenwood sont plus tardifs d'où l'intégration du terme Omnibus, apparu plus tard à Nantes en 1826.

- En Allemagne, en 1825, Simon Kremser ouvre une ligne régulière à Berlin entre la porte de Brandebourg et la ville voisine de Charlottembourg.

 -En France, à Paris, il y eu deux tentatives:

       ° En 1819, M. Godon demande vainement à la préfecture de Paris l'autorisation de mettre en place, sur des parcours déterminés, des voitures circulant de façon régulière. Il essuie le refus de l'administration qui lui oppose les risques d'embarras que ces véhicules causeraient au sein de la capitale..

       ° En 1824, la préfecture, pour les mêmes raisons, refuse le  projet porté  par MM. Dubourget et Vandrion. De fait, les premières expérimentations se feront à Nantes puis à Bordeaux avant de concerner la capitale.

 

Les expérimentations nantaises

C'est effectivement dans cette ville, aux alentours de 1826, que deux entrepreneurs ont, pour des motifs différents, l'idée de créer une ligne régulière de transport entre deux destinations:

-Le premier; Etienne Bureau, pour faciliter les déplacements des employés de son grand père armateur, crée un service de voiture entre les bureaux de la société familiale et les locaux de la douane.

- Le deuxième; Stanislas Baudry, propriétaire d'une minoterie dotée d'une machine à vapeur, avait fait construire, jouxtant son entreprise, des bains alimentés par les eaux chaudes produites par la machine. Pour attirer la clientèle, il instaure un service gratuit de transport entre le centre ville et ses locaux. Si peu de clients parviennent jusqu'à ses bains, ses voitures sont largement utilisées par les habitants pour uniquement se déplacer en ville. Baudry profite de cet engouement pour développer un service de transport permanent sur Nantes. Les voitures sont, dès 1826, nommées omnibus, mot provenant du latin Omnium; "pour tous". Il aurait été inspiré à S Baudry par son comptable, M Dagault, ou proviendrait de la présence de la dénomination "Omnes pour tous" sur la  boutique d'un chapelier situé devant le point de départ de la première  ligne.

 

La première entreprise nantaise d'omnibus de Stanislas Baudry

Ayant obtenu de la part de la municipalité l'autorisation d'établir un service de transport public dans les rues de Nantes, il créé, le 10 aout 1826, une première société "La dame blanche". Cette création s'accompagne d'une campagne d'information pour en promouvoir l'objet; "Rapprocher les distances par des moyens économiques de les franchir, en facilitant les communications entre commerçants dans la ligne ou se trouve la plus grande quantité de gens d'affaires" -prospectus-

Ses deux voitures suspendues, pouvant accueillir, chacune, 16 personnes, circulent sur deux lignes à compter du 30 septembre 1826.

L'initiative est appréciée du public, comme le souligne cet article paru dans le journal "Le Petit Breton" du 2/12/1826:

"Qu'est ce que les omnibus? Vous voulez le savoir? Transplantez-vous avec moi aux bains de Richebourg à Nantes....Compagnons d'une demi-heure, on se sépare sans regrets, de nouveaux remplaçants vont occuper nos places et à l'exception des malheureux coursiers, les baigneurs et les gens d'affaires, l'inventeur et les actionnaires rendront grâce aux progrès  de l'industrie nantaise, qui, pour cette fois, a su créer."

Devant le succès de son entreprise (en un peu plus d'un an d'activité, "La dame blanche" a dégagé un bénéfice de 8200 francs pour un investissement initial de 23000 francs), Stanislas Baudry envisage de créer le même service à Paris et en demande, dès décembre 1826, l'autorisation au préfet Delavau. Celui-ci lui oppose un refus. Cet échec n'atteint en rien sa détermination à développer son activité sur l'ensemble du territoire.

 

Création de l'Entreprise Générale des Omnibus: EGO

En juin 1827, à Nantes, est dressé le sous seing d'un acte de société en commandite portant création de "L'entreprise générale des omnibus". Ce sous seing privé reçoit sa forme authentique par un acte passé à Paris, le 30 aout 1827.  La société fixe son capital social à 500000 frs avec faculté de le porter à 2200000 frs.

La société ne vise pas le marché de la seule ville de Nantes mais aussi ceux des villes de Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, ... Le service de Bordeaux commence le 25 octobre  1827. Le succès des services de Bordeaux et Nantes réussit à convaincre les dernières résistances de l'administration parisienne. 

 

Implantation de "l'Entreprise Générale des Omnibus" à Paris

La décision du préfet Belleyme d'octroyer cette autorisation, le 30 janvier 1828, participe de sa volonté d'améliorer la qualité des transports parisiens.

En effet, hormis les nouveaux cabriolets de régie à quatre roues, récemment  mis en circulation, les voitures et les cavaleries de transport public sont de médiocre qualité. Une multitude d'entrepreneurs, le plus souvent propriétaires d'un seul véhicule, assurent différents types de service. A Paris, on trouve des cabriolets à deux places et de plus grandes voitures de louage; voitures de place ou de remise pouvant transporter au plus quatre personnes. Ce sont souvent d'anciennes berlines bourgeoises en piètre état. "Exception faite des cabriolets de régie qui sortent à cette époque, ce sont d'anciens carrosses bourgeois et les chevaux qui les trainent sont misérables." -Lagarrigue "Cent ans de transport en commun".

 

 

 

Cabriolet à deux places

Cabriolet à deux places

Cabriolet de régie à quatre places

Cabriolet de régie à quatre places

Les "coucous", voitures peu spacieuses aussi appelées "Pots de chambre", sont utilisés pour se rendre de la capitale dans la proche banlieue. Ce sont des voitures à deux roues d'une capacité de six personnes mais souvent surchargées.

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

Indépendamment des "coucous", certains trajets très  fréquentés sont desservis par des voitures à quatre roues, attelées à trois chevaux, dites voitures "accélérées".

Voiture "accélérée" mise en service entre Versailles et Saint-Germain.

Voiture "accélérée" mise en service entre Versailles et Saint-Germain.

La mise en service des omnibus est annoncée par d'énormes affiches placardées dans Paris, au mois d'avril 1828. Elles annoncent aux habitants l'établissement de ces nouvelles voitures pouvant transporter au minimum 12 personnes et au maximum 20.

Passages extraits de ces affiches.
Passages extraits de ces affiches.

Passages extraits de ces affiches.

L'arrivée de l' "Entreprise Générale des Omnibus", autorisée à mettre jusqu'à cent voitures en circulation, entraine de nombreux conflits avec les diverses entreprises de louage déjà installées. Elle provoque, également, la disparition de nombres d'entre elles. Littérature, pièces de théâtre ou pamphlets regorgent d'histoires de cochers de cabriolets ruinés par les omnibus. 

Cependant, l'administration, pour éviter les embarras de circulation et une concurrence déloyale avec les autres acteurs du transport en commun,  réglemente strictement la circulation des omnibus. L'autorisation de mise en service d'un réseau d'omnibus, donnée à l' "Entreprise Générale des Omnibus", limite la circulation des voitures à des lignes à destination fixe et détermine un ensemble de conditions de fonctionnement. Progressivement, d'autres contraintes vont être imposées comme, en août 1828, l'obligation du numérotage des voitures, de leur inspection semestrielle (le 1° avril et le 1° octobre de chaque année) et, en juillet 1829, l'imposition d'une taxe de stationnement. 

 

 

Extrait de l'autorisation de circulation des premiers omnibus parisiens, (Cent ans de transport en commun de Louis Laggarigue.)

Extrait de l'autorisation de circulation des premiers omnibus parisiens, (Cent ans de transport en commun de Louis Laggarigue.)

 

Les premières voitures mises en circulation ont les mêmes particularités que les diligences et sont divisés en trois compartiments; le coupé, l'intérieur, la rotonde.

 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

Ces véhicules, bien qu'ils ne soient destinés qu'à 14 voyageurs, sont assez lourds et nécessitent trois chevaux pour leur traction. En complément du cocher qui mène l'équipage, un conducteur perçoit les paiements et assure la sécurité des voyageurs. Dotée d'un éclairage intérieur et extérieur, leur passage est annoncé par un jeu de trompette. Les voitures partent de la tête de ligne de façon régulière et s'arrêtent sur le trajet en fonction de la demande faite par les voyageurs au cocher ou au conducteur.

Caricature surréaliste de l'engouement pour les omnibus (extrait de "3 métamorphoses" de Graville.)

Caricature surréaliste de l'engouement pour les omnibus (extrait de "3 métamorphoses" de Graville.)

L'"Entreprise Générale des Omnibus" démarre son activité sur 10 lignes dont huit desservent les quartiers périphériques alors que le centre commercial de Paris est, au début, faiblement investi. 

Parcours des premières lignes ouvertes par l'EGO
Parcours des premières lignes ouvertes par l'EGO
Parcours des premières lignes ouvertes par l'EGO

Parcours des premières lignes ouvertes par l'EGO

 Pour fidéliser sa clientèle la société édite et distribue sur ses lignes, dès novembre 1828, un journal d'annonces commerciales et judiciaires gratuit.; "Le mercure en Omnibus". 

Mercure en Omnibus (source BNF Gallica)

Mercure en Omnibus (source BNF Gallica)

 

L'activité des omnibus est soutenue et, sur la seule période de mars à octobre 1828, l'entreprise transporte 2530000 passagers avec 821 chevaux et 89 voitures de couleur grise au début, puis jaune. Dès janvier 1829, l'E.G.O. atteint l'objectif de 100 voitures, stipulé dans la convention signée avec la mairie. Elle assure la gestion de 12 lignes.

Cependant, organiser en si peu de temps un tel développement est un véritable challenge. Au-delà de l'investissement nécessaire à l'achat des véhicules et de la cavalerie, la principale difficulté rencontrée par les actionnaires provient de leur mauvais contrôle de la gestion, tout particulièrement celle du personnel. Il y a, entre autre, un important écart entre le nombre d'usagers transportés et l'argent récolté par les conducteurs. Alors que cette réussite industrielle pouvait leur apporter la richesse, "les administrateurs, grugés par leurs agents, se retrouvent en difficultés financières".  Baudry, également acculé économiquement par une spéculation immobilière malheureuse, veut préserver ses amis et associés de la ruine et se suicide en février 1830. Il leur laisse ainsi bénéficier de ses parts de fondateur et de ses fonds propres.

Cette situation économique désastreuse est aussi la conséquence de l'arrivée d'autres sociétés concurrentes sur ce juteux marché, ce qui limite le développement d'autres lignes par l'entreprise. Ces nouvelles compagnies ont pour nom; Dames blanches*, "Citadines", "Orléanaises", "Diligentes", "Ecossaises", "Béarnaises", "Batignollaises", "Parisiennes", "Joséphines", "Excellentes", "Sylphides", "Dames françaises", "Dames réunies", "Constantines", "Algériennes", "Tricycles"**

 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.
Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

De plus, dès juillet 1828, certains loueurs de voitures, pour résister à la concurrence débridée des omnibus, affectent des fiacres et des cabriolets au transport en commun. Visant une clientèle bourgeoise qui ne veut pas partager la promiscuité des omnibus, ils créent de courtes lignes entre des points assez proches et ne comportant aucun arrêt. Ces entreprises; "Citadines", "Célestines", "Berlines du temple", "Berlines du marais", "Berlines du delta" gèrent 10 lignes de berlines et 22 lignes de cabriolets. La faible capacité d'accueil des voitures; 3 ou 4 passagers les rend peu rentables et elles arrêtent leurs activités dès 1829.

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

Au début de 1829, dix entreprises se disputent déjà le marché et commencent à investir le centre de la capitale.

Carte de 1829

Carte de 1829

Le réseau s'agrandit progressivement mais dans le cadre d'une concurrence acharnée entre des sociétés qui se disputent les secteurs les plus rentables. Des nouvelles naissent, d'autres disparaissent ou sont reprises par la concurrence; ainsi l'E.G.O. reprend l'activité des "Orléanaises", en 1837, et celles des "Diligentes", en 1847. Cette carte de transport public de 1839  nous permet de visualiser la répartition des 35 lignes d'omnibus entre les 13 compagnies existantes. A cette date, l'ensemble de la capitale est desservie y compris le centre commercial.

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.
Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

L'invention de Baudry a donc révolutionné l'ensemble de l'organisation du transport urbain parisien. Dans ce deuxième quart du XIX°, les omnibus deviennent rapidement indispensables et font partie prenante du quotidien des parisiens. Grâce à un encadrement de plus en plus renforcé de l'administration, ils assurent un véritable service public.

Omnibus devant le Louvre et le pont neuf et station à la Bastille.
Omnibus devant le Louvre et le pont neuf et station à la Bastille.Omnibus devant le Louvre et le pont neuf et station à la Bastille.

Omnibus devant le Louvre et le pont neuf et station à la Bastille.

L' "Entreprise Générale des Omnibus, malgré ses difficultés passagères et la disparition de son fondateur, garde une place importante dans l'organigramme des transports parisiens grâce à sa reprise en main, en 1830, par de nouveaux administrateurs

 

Reprise en main, développement, innovations et organisation de l'"Entreprise Générale des Omnibus"

L'E.G.O. est reprise, en 1830, par de nouveaux administrateurs sous la direction de MM Feuillant et Moreau-Chaslon*** qui en assurent la gérance. Assurant l'exploitation de huit itinéraires, elle reste la plus importante et la plus prospère de Paris. La réorganisation de la société par ses deux gérants lui rend son dynamisme et fait leur fortune, ce qui est souligné dans cet extrait d'article de presse de 1840 sur les promenades du bois de Boulogne; "La demi-Daumont du duc de Caylus est un joli équipage de jeune homme qui ne pourrait être comparé qu'à la  voiture de M Feuillant le riche propriétaire des omnibus de Paris."

Cette réussite est due, en plus de la qualité de l'organisation, à l'esprit d'initiative de ses entrepreneurs:

-Dans un premier temps, l'allègement des voitures permet de limiter à deux le nombre de chevaux nécessaires à leur traction ce qui entraine une baisse des frais liés à  la cavalerie.

-En 1834, les administrateurs imaginent d'établir une correspondance entre la ligne des boulevards et celle de la barrière du trône qui la continuait en partant de la Bastille. Le système de correspondance est rapidement élargi aux autres lignes de l'entreprise. Plus tard il  est imité par des concurrents de l'E.G.O. puis élargi à l'ensemble du réseau créant, ainsi, une continuité entre  les itinéraires des différentes sociétés.

-En 1853, M Moreau, devenu le seul gérant après le décès de M Feuillant en 1844, met en circulation les premiers omnibus à impériale. Pour des raisons de poids, ces nouvelles voitures sont raccourcies et n'offrent plus que 14 places d'intérieur, au lieu des seize places habituelles, mais celles-ci sont complétées par 10 places  sur une impériale accessible par des échelons.   

Bien qu'il y n'y ait que peu de travaux sur le fonctionnement de l' Entreprise Générale des Omnibus, le compte rendu d'une visite, faite le 30 avril 1851 par Sir Francis Bond Head, ancien administrateur colonial du Canada,  nous dévoile  quelques informations sur son organisation; ses dépôts, sa cavalerie, ses ateliers de construction,...

 

Dépôts et cavalerie de l'E.G.O.

L'entreprise exploite alors six dépôts qui, ensemble, abritent 1500 chevaux. Certains de ses établissements n'hébergent que des chevaux entiers. D'autres ont une population partagée entre entiers, hongres et juments. Ainsi, le dépôt de Neuilly accueille-t-il 300 chevaux dont seulement la moitié d'entiers. Ces chevaux râblais et petits sont achetés, principalement, en Normandie et en Belgique mais les chevaux du département des Ardennes sont les plus appréciés. Francis Bond les décrit ainsi: "Ils sont bas de taille, replets, avec des jambes courtes et des têtes petites." Dès leur arrivée, un numéro leur est marqué au ciseau. Une fois retenu comme bon au service, ils sont marqués au fer chaud du même numéro accolé à leur année d'entrée, puis toilettés; coupe des barbes, rasage de la crinière, brulage des poils indésirables autour des fanons. Par contre, la queue n'est pas coupée.

Ce dépôt est un long bâtiment organisé sur le modèle d'un quartier de cavalerie. Il comporte 15 écuries abritant chacune 20 chevaux; 10 de chaque côté, séparés par un large passage. Ces écuries sont séparées entre elles non pas par des murs, mais par des palissades en bois d'environ 3m de haut. L'air peut ainsi circuler dans l'ensemble du bâtiment et s'échapper grâce à des ouvertures spécialement aménagées. Des volets situés sur la longueur de chaque écurie permettent d'en régler la  température. Les chevaux sont attachés par couples et séparés des autres paires d'attelage par une simple barre de bois, suspendue au plafond et descendue au niveau des jarrets. Ils sont, jour et nuit, sous la surveillance de deux palefreniers.

Pour la nuit, la soupente est le lieu de repos et le poste de surveillance des palefreniers

Pour la nuit, la soupente est le lieu de repos et le poste de surveillance des palefreniers

Chaque paire de chevaux reçoit chaque jour cinq kilos de foin, quatre kilos de paille et quinze kilos de grain, auquel on rajoute un kilo de grain l'hiver et, en cas de grande chaleur, du son deux fois par semaine. Les chevaux sont abreuvés trois fois par jour à une auge ouverte. Ils ne sont amenés à l'auge que deux heures après leur retour du travail.

Pour protéger cette alimentation, l'établissement dispose d'un hangar pour le foin et la paille et d'un silo sur cinq étages disposant d'un système de ventilation efficace pour aérer les sacs d'avoine blanche et noires qui y sont entreposés. 

Le dépôt dispose également d'un abri où sont entreposés les harnais régulièrement remis en état par le sellier, d'une infirmerie, gérée par un chirurgien vétérinaire, et d'une forge. Lors de l'entretien quotidien des pieds, les palefreniers marquent les chevaux qui ont un problème de ferrage en leur attachant un bouchon de paille sur la queue. Le maréchal n'est, ainsi, pas obligé dans sa visite journalière de vérifier toute la cavalerie.

A la fin de leur utilisation comme cheval d'omnibus, les chevaux ne sont pas revendus mais envoyés directement à l'équarisseur. 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

Unité de construction et d'entretien des omnibus

L' Entreprise Générale des Omnibus construit et entretient ses voitures dans sa propre carrosserie. Celle-ci est composée de différents ateliers; menuiserie, charronnage, forge, garnissage et peinture, qui assurent l'ensemble des activités nécessaires à la construction des voitures. La production mécanisée de type industriel s'appuie sur différents outils, actionnés par une machine à vapeur.

 C'est ici, dans ce lieu, que sont réparés les omnibus accidentés, démontées les voitures retirées du service, construits les différents modèles d'omnibus. L'E.G.O. peut ponctuellement faire appel à des constructeurs extérieurs, détenteurs de brevets ou initiateurs d'innovations.

Les voitures du début à trois compartiments; cabriolet, coupé, berline, tractées par trois chevaux, sont remplacées progressivement par des modèles plus légers ne nécessitant que l'usage de deux chevaux. Ils bénéficient à chaque époque des avancées techniques de la carrosserie, par exemple:

- en 1833 ils perdent leurs flèches et ne sont plus suspendus que sur sept ressorts; 4 derrière et trois devant. 

Voici extraits du plan de transports public de 1839 les modèles utilisés dans les années 1830.

Voici extraits du plan de transports public de 1839 les modèles utilisés dans les années 1830.

- en 1838-39, les suspensions passent à seulement 6 ressorts; 3 derrière et 3 devant, et bénéficient du montage d'essieux à demi patents (système des messageries).

- en 1840,  M Malen, qui avait auparavant fourni aux sociétés "Les tricycles" et "Les favorites" des voitures au poids considérablement allégé, construit pour l'E.G.O. les premières voitures à dôme, montées sur des ressorts à demi-pincettes et dotées d'essieux à patent à huile dont voici une présentation plus détaillée.

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

L'intérieur est disposé pour dix sept personnes entre lesquelles est aménagé un passage assez large pour entrer et sortir facilement. Une barre de cuivre courant sur toute la longueur de l'impériale permet aux voyageurs de se tenir quand ils se déplacent dans le véhicule. 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

Au fond du véhicule trône le cadran d'un compteur de voyageurs contrôlé régulièrement par les inspecteurs. Il est actionné par le conducteur qui presse sur un ressort à chaque montée d'un voyageur. La voiture ne comporte pas de porte et c'est le contrôleur qui gère l'entrée en décrochant une simple courroie pour la sortie et l'entrée des voyageurs.

- En 1853, L'E.G.O. obtient l'autorisation de mettre en service des voitures à impériale et crée le modèle 1853 disposant de 14 places à l'intérieur et de 10 sur l'impériale. L'accès à l'impériale se fait par un escalier pour le moins incommode.

Modèle 1853 de l'E.G.O. utilisé par la C.G.O. à ses débuts en 1855.

Modèle 1853 de l'E.G.O. utilisé par la C.G.O. à ses débuts en 1855.

Voici l'arrière d'un modèle similaire (d'une société lilloise) avec ses incommodes échelons pour monter sur l'impériale.

Voici l'arrière d'un modèle similaire (d'une société lilloise) avec ses incommodes échelons pour monter sur l'impériale.

 

Ce modèle est construit en de nombreux exemplaires pour équiper, en 1855, les services de la CGO et, ainsi, de répondre à l'augmentation du nombre de passagers, entrainée par l'exposition universelle.

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

L'organisation générale de l'EGO  lui a permis de garder une place centrale dans les transports publics parisiens. En 1854, à la veille de leur réorganisation, "l'Entreprise Générale des Omnibus" transporte, à elle seule, autant de voyageurs que l'ensemble des autres compagnies.

L'entreprise, très rentable, enrichit très grassement son gérant et ses actionnaires. Si les conditions de travail des salariés, qui ont des horaires de 16 à 18 heures, nous semblent aujourd'hui inconcevables, il faut souligner qu'ils sont les mieux payés de ce secteur d'activité et que M Moreau-Chaslon apparaît à ses contemporains comme un humaniste très attaché à son personnel!  

Extrait de sa nécrologie par le conseil  d'administration de la CGO à sa mort en 1869.
Extrait de sa nécrologie par le conseil  d'administration de la CGO à sa mort en 1869.

Extrait de sa nécrologie par le conseil d'administration de la CGO à sa mort en 1869.

 

La moindre énumération des salariés des autres entreprises s'explique aussi par la situation financière souvent critique de celles-ci.

 

Etat général des transports publics parisiens à la veille de leur réorganisation

Si l' EGO a su garder la gestion des lignes les plus rentables, comme celles qui desservent les quartiers d'affaires, certaines se battent pour survivre. A la limite du dépôt de bilan, elles se concurrencent durement sur les secteurs les plus rentables et ne fournissent souvent un service médiocre. De plus, certains quartiers de la capitale, les moins rentables, ne sont que peu desservis.

Cette situation, à la veille de l'exposition universelle de 1855 et de ses besoins énormes en moyens de transport, alarme l'administration impériale. En mai 1854, le préfet de police édite un mémoire précisant les motifs de son insatisfaction ainsi que la solution qu'il préconise.

"Il y a dans une grande ville comme Paris un immense besoin de transport à bas prix. Il existe entre tous les quartiers une étroite solidarité de relations de toute nature. Le régime de la concurrence qui rencontre de grande difficultés dans l'état de la voirie ne donnerait pas satisfaction à cet intérêt car il desservirait certains quartiers et pas d'autres. Le mieux est donc de constituer une seule compagnie qui, avec moins de frais généraux, produira le transport au plus bas prix, qui, par unité de direction, établira la solidarité dans un service appelé à rayonner en tous sens et qui sera en mesure d'exécuter, dans une certaine proportion, les transports onéreux que réclamera le service public."

La conclusion de ce mémoire de créer une nouvelle société bénéficiant d'une concession de monopole de 30 ans est reprise par la municipalité qui en établit le cahier des charges. La nouvelle entreprise est créée le 19 juillet 1854. 

 

Place de l'Entreprise Générale des Omnibus dans la création de la "Compagnie Générale des Omnibus"?

La nouvelle entreprise ainsi créée regroupe les 10 entreprises existantes sous forme de  société anonyme qui, étonnement, reprend le nom d' "Entreprise Générale des Omnibus" et est présidée par Aristide Moreau-Chaslon, le directeur de l'E.G.O.

Dès le 22 juillet, un décret approuve la création de la nouvelle société en donnant le nom administratif de "Compagnie Générale des Omnibus." 

Je n'ai pas trouvé d'autres éléments pouvant confirmer le rôle central de l'E.G.O. et des membres de son conseil d'administration dans la création de la C.G.O., hormis que:

-au vu de la rapidité de la mise en place de ce monopole, l'administration avait besoin de l'appui de la société dominante du secteur; donc de l'EGO. 

-comme le décret initial, les accords ultérieurs sur la gestion des omnibus ne sont pas signés avec la CGO (que l'on peut qualifier de nom d'usage) mais avec la société anonyme "Entreprise Générale des Omnibus".

 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

-le directeur de la cavalerie de l'E.G.O., Jean Louis Moreau-Chaslon, frère d'Aristide, deviendra celui de la CGO et y développera  les initiatives expérimentées à l'EGO.

-comme nous l'avons vu précédemment, c'est le modèle de voiture à impériale, mise en service par l'EGO en 1853, qui sera retenu pour équiper la CGO en 1855.

 

 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

 

On peut donc noter que l'Entreprise Générale des Omnibus créée par Baudry en 1828 et reprise par Aristide Moreau-Chaslon, un de ses premiers actionnaires, a été la pièce maîtresse du développement des transports publics parisiens. L'influence de l'E.G.O. se perpétuera dans l'histoire de la C.G.O. car à la mort d'Aristide, en 1869, c'est son fils Georges qui en prendra la direction.

 

Le regroupement de ces entreprises au sein de la CGO et la réorganisation des lignes modifient les habitudes des voyageurs parisiens.

Guide 1855. Les lignes sont rallongées mais réduites de 33 à 25.

Guide 1855. Les lignes sont rallongées mais réduites de 33 à 25.

Pour éviter que ses utilisateurs ne soient perturbés par la nouvelle dénomination alphabétique des lignes, la C.G.O. lance une vaste campagne de communication. Elle fait ainsi publier, dès sa création, un texte humoristique et mnémotechnique: "Les omnibus de Paris et leur alphabet par un conducteur lettré de leur administration" que vous pouvez télécharger ci dessous.

 

*Les Dames blanches: Cette société, qui étonnamment reprend le nom de la première entreprise nantaise de Baudry, est en fait la propriété d'un autre nantais; Edmé Fouquet. Celui-ci met 15 voitures en circulation, dès septembre 1828, mais fera faillite quelques mois plus tard. Il se réinvestit alors sur Nantes où, dés 1840, il prend le monopole des transports  publics.

**Tricycle: Cette  compagnie voulant limiter l'imposition de ses voitures eut l'idée de créer des voitures à trois roues. Cette "astuce" ne convint pas l'administration et  ses omnibus retrouvent rapidement leurs quatre roues. 

***Moreau-Chaslon Aristide

 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

Aristide Moreau-Chaslon est né le 2 décembre 1800. A 18 ans, il est chargé de la direction des octrois de Rouen. Il devient actionnaire de l'EGO dès sa création, en 1828. A partir de 1830, il en assure la direction avec M Feuillant puis seul, à la mort de ce dernier. Disposant d'une grande fortune, il se fait construire, en 1852, une grande maison bourgeoise, rue du Colysée. 

Entreprise générale des omnibus 1827-1855 A l'origine des transports publics parisiens.

En1855, il devient  président de la société anonyme "Entreprise Générale des Omnibus", nommée usuellement "Compagnie Générale des Omnibus". Il est décoré de la légion d'honneur en 1865 et meurt en 1869. Sa succession à  la direction de l'entreprise est alors assurée par son fils Georges Moreau-Chaslon.

Texte:

Patrick Magnaudeix

Documentation:

Turgan.

"Les grandes usines: chapitre les omnibus de Paris" (Collection BNF Gallica) 

Lagarrigue.

"Cent ans de transport en commun dans la région parisienne" T1

"Cent ans de transport en commun dans la région parisienne" T2

"Cent ans de transport en commun dans la région parisienne" T3

(Collection de l'auteur)

CGO

Les omnibus de Paris et leur alphabet. (Collection BNF Gallica) 

Guide des omnibus de Paris. 

Francis Bond head

Esquisses parisiennes (Collection de l'auteur)

Adolphe Dailly

Discours nécrologique de Moreau Chaslon.(Collection BNF Gallica) 

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