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Il y a 15 millions d’années, le cheval sauvage (d’un type très ancien, l’Anchiterion) vivait au Japon; des fossiles en témoignent. Quelques rares « vrais » chevaux (equus), datés à 500.000 années av. J.-C., ont été retrouvés. Ils sont sans doute arrivés par des ponts terrestres entre le Japon et la Corée ou l’ile de Sakhalin (Russie). Ils sont des « cousins » génétiques des chevaux Mongols et Prezwalsky. En 500 apr. J.-C., des sources chinoises mentionnent que le peuple Wa(Japonais) ne disposait pas de chevaux; les quelques équidés et leur sellerie étant importés de la péninsule Coréenne.
Huit races de chevaux indigènes survivent aujourd’hui, en petit nombre. Ils servaient aux travaux agricoles, le transport à l’aide de bât et à la logistique militaire. Les noms des races réfèrent à la zone géographique de leur élevage accompagné du mot Uma en japonais (qui veut dire cheval): Kiso, Noma, Dosanko, Misaki, Miyako, Nomaguni, Taisho et Tokara. Certaines races ne comptent plus que 19, 70 voire 200 individus, de taille poney, bien adaptés à la vie et au travail en zone montagneuse.
Pendant la guerre Russo-Japonaise de 1904, ces chevaux indigènes servent de monture et cheval de bât. Les militaires japonais doivent faire face à une cavalerie et intendance ennemies équipées de chevaux (européens) de taille plus importante. Sitôt la paix revenue, le Japon importera ces chevaux pour les croiser. De ce fait, aujourd’hui, il reste bien peu de chevaux indigènes de race pure.
Un peu d’histoire
Au Japon moyenâgeux et jusqu’en 1868, monter en selle (kura)était réservé à la classe samurai. Les classes populaires se contentaient d’une selle de bât (ni-gura ou konida-gura) ou montaient à cru. Les chevaux de bât (ni-uma ou konida-uma) transportaient nombre de marchandises ainsi que les bagages des voyageurs. La selle de bât allait d’un simple cadre en bois à des modèles recherchés utilisés lors de processions semi-annuelles (sankin kotai) du Daimyo (seigneur). L’équipement et la nourriture des guerriers samurais en campagne militaire étaient chargés sur des chevaux de somme.
De 500 apr. J.-C. à la fin du XVIème siècle (1573), les Samurais pratiquaient la guerre à cheval jusqu’à ce que l’arc traditionnel (yumi) soit remplacé par des armes à feu, rendant ainsi la cavalerie superflue. Pendant la période Edo (1603 à 1868), les Samurais ne montaient à cheval que pour des cérémonies et l’accompagnement de leur Daimyo lors de sa visité bisannuelle à la capitale Edo. La logistique reposait toujours sur les chevaux de somme.
Le Gouvernement militaire des Shogun Tokugawa, régnant de 1603 à 1868, prenait grand soin pour éviter les débâcles vécus par leurs prédécesseurs. Ainsi, des mesures draconiennes interdisaient l’utilisation de véhicules à roues sur les routes du Japon pour rendre difficile les rassemblements d’une armée de rébellion contre le Shogun. Bien que cette période de paix rendait les voyages plus faciles et plus surs, la mesure « pas de roues » handicapait le commerce intérieur japonais. Toutes les marchandises se transportaient sur les dos d’animaux ou d’hommes plutôt que dans des charrettes…, assurément bien plus efficaces.
En 1868, l’Empereur lève cette interdiction du « non usage de roues ». Tout le monde est autorisé à monter à cheval. Et dans la cavalerie militaire, les selles anglaises deviennent courantes.
L’armée Japonaise était beaucoup moins motorisée que ses homologues européens ou américains. Leur équipement standard reposait sur une charrette à deux roues, en bois, de construction solide et légère, de manière à pouvoir la déplacer à la main devant des obstacles. D’une charge utile 250 kilos, équipée de brancards, elle était tirée par un cheval, mené à la tête.
Les chevaux et charrettes servaient de support pour l’infanterie et pour l’artillerie. En campagne militaire en Chine cette dépendance vis-à-vis des chevaux ne constituait pas un problème. Le contraire était vrai pour des campagnes militaires sur les iles.
La traction chevaline restait cependant très chère et c’est ainsi qu’en 1869, un diplomate américain développera le Rickshaw. Le nom Japonais Jinriskha se traduit par "véhicule à force humaine”.
Dans les rues de Yokohama des voitures à usage personnel ainsi que des tramways à cheval apparaissent à partir de 1870.
L’empereur Meiji (règne de 1867 à 1912) ouvre les frontières du Japon et le transforme, en une génération, d’un pays féodal préindustriel en une grande puissance. En 1887, l’Empereur nomme un diplomate allemand, Ottmar von Mohl, à sa cour, récemment déménagée de Kyoto à la « nouvelle » capitale Tokyo pour y introduire le Protocole Royal Européen.
L’univers des courses
Avant de nous rendre aux remises impériales, jetons un coup d’œil sur l’utilisation de chevaux au Japon d’aujourd’hui.
Chaque année 21.000 courses hippiques sont organisées au Japon. Le pays compte 10 grands hippodromes sous la gestion de la Japanese Racing Association ainsi que des hippodromes régionaux gérés par National Association of Racing. Le Japanese Bloodstock Information System permet la recherche de plus d’un million de pédigrées et bulletins d’information. Le ‘SIRE’ Japonais enregistre 6.500 poulains chaque année.
Le chiffre d’affaires des paris se monte à 27 milliards d’euro/an, en comparaison aux 8 milliards en France. Le secteur des courses contribue pour 2.5 milliards d’euros au Trésor Public Japonais. Le gagnant de la Japan Cup, qui est la course la plus importante du calendrier, emporte une cagnotte de 4.25 millions d’euro !
Des lieux de pèlerinage dans tout le pays accueillent un grand nombre de festivals et de cérémonies. Les participants, habillés de maniéré traditionnelle, mènent des bœufs ou des chevaux, conduits à la main, tirant des charrettes anciennes. De nombreux jeux de guerriers samouraïs sont organisés.
Une course très particulière organisée sur l’hippodrome d’Obihiro, sur l’ile de Hokkaido suscite intérêt et passions, voire oppositions. Véritable épreuve de force pour chevaux de traits issus du croisement de Percherons ou Bretons (apportant la force) à des Belgians américains (pour la vitesse et la taille), le Ban’ei se dispute sur une piste en sable de 200 mètres « agrémentées » de deux buttes. Ces courses attelées sont à la fois spectaculaires et rudes. Elles peuvent paraître dures pour un public non averti. Ce qui est encore plus vrai pour les entraînements de chevaux qui se déroulent à huis clos, très tôt le matin.
Cheval de sport ou de loisirs
La Fédération Equine du Japon enregistre 8.000 chevaux, la moitié pour la compétition, dressage et obstacles et une autre moitié pour l’équitation de loisir pratiquée dans 250 clubs. La vie d’un cheval au Japon n’est pas toujours une partie de plaisir. Les samedis, dimanches et lundis, ils travaillent pendant 5 ou 6 heures. Le reste de la semaine se passe en box. Une dimension de 2.70 mètres par 2.70 est considérée luxueuse. Il y a très peu de paddocks. Le travail est fait en carrière. Des sorties dans la nature sont quasi inexistantes. La facture mensuelle pour le foin se chiffre à 230 euro/mois; pratiquement tout le foin vient de l’Etat américain de Washington, sur la côte pacifique.
La Fédération invite des entraîneurs étrangers et organise des séminaires et cliniques pour ses membres. Toute cette formation est traduite en Japonais. Les compétiteurs internationaux stationnent leurs chevaux en Europe où l’entraînement est moins cher qu’au Japon. Un voyage en avion pour un cheval entre le Japon et l’Europe revient à 18.000 euros. L’importation d’un cheval est moins chère qu’un achat au Japon, où tous les chevaux sont saillis naturellement ; le sperme congelé est interdit.
Deux parcs d’attraction offrent des tours en voiture d’attelage. Un village d’imitation hollandais dispose d’un Frison attelé à une Victoria. Les ‘cowgirls’ du Fuji Safari Parc attèlent quatre chevaux miniature américains à un Stage coach, taille 3/4, de la manufacture de Doug Hansen à Letcher au South Dakota.
Dans ce contexte, imaginez mon admiration et surprise lorsqu’en un pas je quitte le trafic intense de Tokyo pour entrer dans le calme et le silence parfaits des Jardins du Palais Impérial. Une petite partie du parc est ouverte au public de 9h00 à 17h00. Le reste du parc, le palais, la salle de cérémonies et les dépendances ne se visitent que sur invitation de la Maison Impériale du Japon. En 1983, l’historien et auteur allemand, Rudolf Wackernagel a visité les remises. Monika Kurzel-Runtscheiner, directrice des Musées Impériaux de Vienne, a été reçue en 2002. Aujourd’hui je vous propose une visite dans ce lieu privilégié.
Un privilège
Une matinée hivernale, claire et ensoleillée, ma traductrice japonaise et moi arrivons 1 minute avant 10 heures, rendez-vous convenu, au grand portail du Palais. Le cocher en chef de la Maison Impériale se tient droit et prêt à nous recevoir avec une très grande révérence, bien entendu. Il se présente et sur un simple signal de sa main, les gardes impériaux ouvrent grand le portail. Nous entrons sans autre formalité, comme seule une grande maison impériale ou royale sait le faire. Après une balade de dix minutes à travers le parc, nous nous rendons aux écuries : pas une seule poussière ou brin de foin, deux voitures prêtes à partir sont à notre disposition, les harnais briqués et étalés par terre, les uniformes tous rangés sur un rang impeccable. Vont suivre deux jours de réunions avec la direction et l’équipe des écuries, la visite des installations, la rencontre avec les chevaux… Et admirer les voitures sous toutes les coutures. Une seule restriction, que je suggérais moi-même, nous ne sommes pas installés dans la voiture impériale n°1, car réservée au couronnement et cérémonies de l’Empereur.
Les chevaux sont logés dans des écuries et leurs 40 boxes, mesurant 2.60m par 3.40m. 17 chevaux de selle Anglo-Arabe sont au service du commandant, officiers et cavaliers d’escorte. 16 Chevaux de race Cleveland Bay servent à l’attelage. Originaires et importés du Yorkshire anglais, bien qu’en règle avec les standards de la race, ils ne sont pas répertoriés dans le studbook. Le dernier étalon Cleveland Bay à prendre l’avion de Londres à Tokyo était Carolina Boaz (25 Mai 2007, de Brunswick Special Edition par Carolina Windflower). De 1967 à 2007, trois étalons l’ont précédé, Principle Boy, OatenMainbrace et Botton Grove Brigand. Les archives antérieures à 1967 sont muettes, pas de traces de Cleveland Bay importés.
Les chevaux d’attelage sont élevés à la ferme impériale de Goryo Bukuyo, à quelques 130 kilomètres au nord de Tokyo. Là, sont aussi produits viande, fruits et légumes pour la Maison Impériale ainsi que le foin pour les chevaux. Grandis à la ferme, les jeunes chevaux sont débourrés sous selle puis partent aux écuries de Tokyo pour être attelés. L’entraînement comporte du dressage, longues rênes en cercle et travail sous selle dans un manège couvert. Tous les chevaux sont sortis cinq fois par semaine, été comme hiver, pendant 45 minutes. L’entraînement commence tôt le matin de manière à se terminer avant 9 heures, ouverture du parc impérial au public oblige. Une fois les chevaux mis en paire, ils restent ensemble, permutés régulièrement entre gauche et droite. Chaque paire a son cocher attitré. Un vétérinaire fait partie de l’équipe des écuries.
Chaque année leurs Majestés Impériales organisent une cérémonie de lecture de poésie, Utakai Hajime, c’est l’occasion pour choisir les noms des poulains nés dans l’année. Le choix de la famille se porte sur une lettre, un caractère chinois, qui change chaque année. Un panneau blanc accroché sur chaque box informe du nom des chevaux.
Les chevaux sont commandés d’une façon spécifique. Il est interdit d’utiliser des commandes orales pendant les cérémonies. Lors des entraînements, le nom du cheval sert d’appel pour marcher. Le trot est obtenu par deux petits demi-arrêts en bouche. Ralentir ou s’arrêter est ordonné par un déclic de la langue ou le ‘Hooo’ universel en reprenant les guides.
En cas de besoin, un bourrelier Japonais pique de nouveaux harnais en recopiant soigneusement les modèles originaux. Comme la Maison Impériale est un service public, toutes les commandes sont soumises à appel d’offres. En bon état, les harnais anciens sont entretenus et réparés pour servir jusqu’au bout.
43 voitures sont disponibles pour les différentes fonctions des écuries impériales. Dix voitures, les plus anciennes, dont des wagonnettes et un break d’écurie, servent uniquement aux entraînements. Treize voitures transportent les hôtes et vingt sont réservées exclusivement à la famille impériale.
L’activité principale - une cérémonie hebdomadaire - consiste à transporter les ambassadeurs nouvellement affectés à Tokyo, à leur rendez-vous avec l’Empereur pour la remise de leurs lettres de créance. En cas de pluie des automobiles remplacent les voitures. Les cours royales britannique, néerlandaise, suédoise et espagnoles connaissent des cérémonies similaires. Le nombre d’occasions où la famille impériale utilise les voitures de gala restent très limités: couronnements, mariages le dernier celui du prince héritier en 1959, obsèques et de rares occasions d’Etat.
La quasi-totalité des archives a été perdue dans un immense incendie de l’enclos impérial, en 1945. Les sources orales situent l’arrivée des premières voitures en 1874 et les dernières en 1936.
D’inspiration prussienne
Largement inspiré de documents de la Cour impériale prussienne, le règlement intérieur pour le fonctionnement et le protocole du Palais impérial et de tous ses services ont été consignés dans un manuel. Pendant deux ans, le diplomate allemand, Ottmar von Mohl, a été attaché à la cour comme conseiller au Ministère de la Maison impériale, Kunaicho. Son épouse était dame d’honneur de l’Impératrice. Le matin était consacré à des réunions, travail, rédaction et traduction et les après-midi à des visites. En équipe, avec ses collègues japonais, le conseiller allemand rédigeait le manuel de la Maison impériale touchant des sujets tels : la réception des diplomates et dignitaires étrangers, tous les aspects de leurs contacts et procédures avec la Cour impériale ainsi que tous les ministères et services du gouvernement japonais. Le manuel est très détaillé, s’appliquant à chaque aspect de protocole, d’organisation, des finances, de classes et rangs des officiels, le tout selon le modèle prussien et traduit en français et en anglais. Citons von Mohl : « mettant fin à toutes réclamations…et fonctionnait à la satisfaction de tous… ».
A la même époque les costumes du personnel impérial sont conçus et il est décidé que l’habit européen sera porté par tous et à tout moment. Des échantillons de tissus vont faire des allers retours entre Berlin et Tokyo. Ils couvrent tous les besoins en tissu des robes de gala de l’impératrice jusqu’aux uniformes. Les créateurs berlinois incorporent des motifs japonais en utilisant des coloris plus tempérés.
Une réunion de plusieurs semaines concluait au choix de tous les uniformes du Palais et pour tous les rangs. Le comité étudiera nombre d’uniformes européens (prussien, autrichien, russe, anglais et italien). Et en final, le style prussien avec une finition japonaise sera retenu. Les originaux servent toujours au service du palais pour créer de nouveaux uniformes sachant qu’un jeu bien fait sert pendant 35 ou 40 ans avant d’être remplacé.
Les écrits de von Mohl
A l’arrivée de von Mohl à la Cour Japonaise, le 29 Avril 1887, plusieurs voitures étant déjà en service. Ses mémoires mentionnent quelques voitures dont le carrosse de l’Impératrice, un véhicule construit en Angleterre, peint et décoré par des artisans japonais à son arrivée à Tokyo. Lorsque l’impératrice se rendait en visite, ses chevaux étaient dételés à son arrivée. Une grande toile recouvrait toute la voiture, la protégeant de la poussière et des regards curieux. Cette pratique était utilisée pour toutes les voitures impériales.
Von Mohl consacre un chapitre entier de ses mémoires, Am JapanischenHofen, publié à Berlin en 1904, au défilé militaire lors de l’anniversaire de l’Empereur. Debout dans son Landau ouvert, sa voiture habituelle, celui-ci inspecte le défilé. Un accident survient alors au conseiller allemand et son épouse. Les chevaux de leur voiture s’emballent, leur cocher est éjecté, sa main en charpie. Le siège de cocher, de manufacture européenne était trop haut par rapport à la taille des Japonais !
S’inspirant de modèles prussien et autrichien, la nouvelle constitution Meji requiert huit ans de rédaction. Sa promulgation formelle, le 11 Novembre 1889, constitue la toute première occasion pour sortir la nouvelle Berline de Gala de l’Empereur, attelée à la Daumont à six chevaux. La même voiture sera à nouveau en service le 11 Janvier 1890 pour véhiculer l’Empereur lors de l’inauguration de son nouveau palais.
Selon les sources disponibles, les premières voitures de la Cour impériale étaient des wagonnettes et des breaks. Aujourd’hui, elles ne servent qu’à l’entraînement et ont été repeintes en noir. Elles sont arrivées complètes en provenance d’un carrossier anglais, probablement « en blanc » pour être peintes et décorées sur place.
Un Landau de Gala, à atteler à la Daumont, est une des voitures réservées à la famille impériale. Les essieux patents à huile sont gravés du nom de John Rigby& Sons de Rigby Street, Wednesbury Bridge, West Bromwich.
La voiture voisine, un Landau similaire, à mener à partir d’un siège à housse, pourrait être plus ancienne et parmi les premières à débarquer au Japon. On note une différence de style et de qualité de la sculpture sur bois entre ces deux voitures. Cela est d’autant plus visible autour du moulin, du train avant et de la barre de volée. Une voiture est très marquée du style japonais. L’autre affiche son origine européenne classique, probablement britannique. Nous observerons les marques sur l’essieu de la seconde voiture. Les essieux du Landau le « plus jeune » sont gravés « Potron Paris **** ».
Emile Potron établit son atelier en 1838. Spécialiste de la ferronnerie de voitures, essieux et suspensions, il remporta des médailles d’or à Toulouse, Paris, Amsterdam, Anvers et St. Louis. La société fusionna et devint Bail–Posy& Cie, en 1888. L’essieu observé à Tokyo est donc antérieur à cette date. La gravure comporte en plus quatre étoiles, code typique pour Potron, indiquant une qualité supérieure.
Concevoir et construire un train pour une voiture de ce poids et importance n’étaient pas à la hauteur de n’importe quel carrossier. Beaucoup de grands noms de la carrosserie achetaient leurs trains de manufactures spécialisées telles que Rigby ou Potron, tout en exigeant que leur propre nom soit gravé sur la ferronnerie. Des essieux gravés Rigby ou Potron étaient probablement vendus sans caisse. Voilà une partie de la réponse à une des rumeurs ou mythes les plus persistants autour de la carrosserie des voitures impériales japonaises. Elles étaient « carrossées » à Tokyo selon l’histoire orale. Les indices semblent le confirmer. Les premières voitures arrivèrent « en blanc », non peintes et reçurent des décorations, garnitures et finitions typiques. Les acquisitions suivantes s’appuyèrent sur des trains complets, achetés en Europe. La caisse était construite au Japon par des ébénistes japonais qui finissait les parties en bois du train, construisait une caisse en imitant les modèles européens avec un style, qualité de matériaux et finition typiquement Japonais.
Un ballet minutieux
L’ Ambassadrice des USA à Tokyo, Mme Caroline Kennedy, à l’entrée de la salle de réception pour la remise de ses lettres de créance à l’ Empereur
Deux modèles de voiture sont utilisés, chaque semaine, pour la cérémonie de remise de lettres de créance des ambassadeurs arrivant en poste à Tokyo. Un Landau très élégant avec siège à housse transporte les visiteurs du Meiji Seimei Kan Building, situé en face du parc impérial, à la salle de cérémonies où l’Empereur les attend. Pas moins de 21 membres du personnel sont nécessaires pour exécuter le ballet minutieux de cette cérémonie. Le commandant supervise, bien campé sur sa selle. Un cocher et un laquais assurent le service de la première voiture, la plus importante. Ils sont responsables du bon ordonnancement des voitures suiveuses. La « voiture de suite », un Landau moins important est à la disposition des accompagnants de l’ambassadeur et des traducteurs. Parfois, il y a besoin d’une troisième voiture. Le convoi est accompagné d’une automobile, très discrète. Au départ et à l’arrivée, un groom descendra de l’automobile pour se placer à la tête des chevaux. Un deuxième groom se tiendra prêt, hors de vue derrière la voiture, pour déposer deux cales à l’avant et l’arrière de la roue arrière pour éviter tout mouvement pendant l’embarquement des passagers. Une fois le cortège en route, les deux grooms répartiront en automobile… Ils seront là, près du « tapis rouge », pour renouveler leur office à l’arrivée du cortège. Aucun signal audible aux chevaux n’est admis pendant la cérémonie.
A propos de ces deux voitures.
Les deux voitures affichent un style typiquement japonais tant par leurs couleurs, détails, accessoires et intérieurs. La voiture de tête est à huit ressorts avec des ressorts en C complétés par des ressorts à pincettes pour un confort maximal. La voiture de suite est sur ressorts à pincettes.
Les « mains de laquais » au revers de la caisse sont d’un style plus simple que sur une voiture européenne. Le cuir autour des crampons est diffèrent, un motif « grecque » est tissé sur les bords. Les compas permettant d’ouvrir et fermer la capote sont d’une conception très simple, ornés du sceau à chrysanthème impérial avec seize pétales sur le front et seize en arrière-plan.
La poignée est d’une conception unique, « made in Japan ». Le fait de coller des écussons sculptés, arborant les armes de la famille sur la porte, est une pratique présente nulle part ailleurs. La housse est inhabituelle avec ses jasmins qui dépassent et un sceau en métal à 16 ouvertures et 16 pétales. Seul l’Empereur a le droit au sceau à 16 pétales. Les membres de la famille impériale utilisent un sceau à 14 pétales et le Premier Ministre utilise une autre fleur, le paulownia.
La voiture N°1, une Berline de Gala, la voiture la plus importante, est très rarement attelée et de conception ancienne avec un bateau de caisse en demi-cercle parfait. Le haut de porte en arc est une construction très peu répandue. Cette façon de faire se répercute dans la forme du pavillon ainsi que dans la finition intérieure. Dans le cas présent, les artisans n’ont pas opté pour une tenture d’un seul tenant. Ils ont choisi de la réaliser en trois parties séparées. Des têtes couronnées portent une couronne et requièrent par conséquent un peu plus d’espace pour monter et descendre de la voiture. La hauteur de votre tête par rapport aux autres, lors des protocoles de salutations est d’une importance capitale au Japon. Je n’étais donc pas surpris de voir une construction de portière permettant à l’Empereur de descendre…, sans baisser la tête. Il est rare de voir sur une voiture aussi exclusive un grand garde crotte en cuir et sans mécanisme d’échange avec un siège à housse : la voiture ne peut être attelée qu’à la d’Aumont. Puisqu’il n’y a pas besoin d’espace pour un siège ou pour les jambes du cocher, l’avant de la voiture, sa longueur totale et son empattement sont plus courts. Des décorations japonaises abondent en corniche de toit. Le Phoenix mythique japonais, annonçant paix et harmonie, est un symbole de la Maison impériale japonaise. L’oiseau soleil immortel, représentant le feu, la justice, le soleil, l’obéissance, la fidélité et les constellations de l’hémisphère sud, est sculpté et finie en peinture dorée. Il est monté au centre sur le toit. Démonté, il est rangé et protégé par un caisson en verre.
Comme toutes les voitures des remises impériales, la voiture est peinte de couleur bordeaux foncé en combinaison avec une peinture dorée, et cela même sur des parties qui seraient peintes en noir en Europe ou aux États-Unis. Le bord du toit est décoré dans un style japonais avec sculpture en bois, peinte dorée. La même chose pour des sculptures très élaborées et très typiques autour du train avant.
C’est de tradition, les voitures royales et impériales ne portent pas de nom sur les bouchons. Les bouchons sont tous du même dessin avec un motif de chrysanthème à 16 pétales.
Nous avons découvert une partie du mystère qui entoure l’histoire de la carrosserie des Voitures Impériales Japonaises. Il reste une part de mystère, à découvrir. Que serait un conte oriental sans sa part de mystère ? Je salue l’effort énorme consenti pour atteler ces voitures pour les cérémonies de la cour avec un respect méticuleux de la tradition et du protocole. Le professionnalisme du Maitre d’écurie, des Cochers, des Valets de pied et de l’équipe des écuries rend possible la continuité de cette tradition exceptionnelle, au cœur de la ville de Tokyo et au service de la Maison Impériale du Japon.
Texte:
Stephan Broeckx
Les recherches et l’édition de cet article ont pu compter sur l’aide de :
La direction et les employés de Kunaicho, L’Agence de la Maison Impériale, Division Voitures et Chevaux, Monsieur Yasuo Kawakami, Monsieur Nobuyuki Shinozaki, Monsieur Makoto Ezawa etMonsieur Mitsugi Ishii
S.E. Monsieur l’Ambassadeur de Belgique L. Liebaut et Madame Kaori Mizushiro, Assistante personnelle de l’Ambassadeur
Madame Akiko Utsunomiya, Interprète et Monsieur Makoto Arai, Photographe
Professeur Shousei Suzuki, Mejiro University, Dr. Hiroaki Ichikawa, Edo Museum, Dr Akinobu Kiguchi, Directeur Général, Dr Yasuhiko Haruta, Secrétaire Général et Azusa Kitano De la Fédération Equestre du Japon
Jean-Louis Libourel, Conservateur en Chef du patrimoine, Ken Wheeling, Carriage Association of America, Dr Rudolf Wackernagel, Historien, Dr Monica Kurzel-Runtscheiner, Directrice Wagenburg, Col. Toby Browne, the Crown Equerry
Crédits Photo :
Makoto Arai et François Durand, Wagenburg Wien, The Royal Mews, Doug Hansen, Toshi Hitotsugi, collection personnelle