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J'ai, en octobre 2009, rédigé un article sur un des premiers documents connus du XIX° siècle traitant des travaux de sellerie, bourrellerie et garnissage; " Le régulateur du sellier", édité en 1818. Mon objectif d'alors, en dehors de sa présentation, était de collecter le plus d'informations possibles sur cet ouvrage et son auteur.
L'année suivante, en 2010, Andres Furger, dans son ouvrage intitulé "Le régulateur du sellier", édité aux éditions Furger à Bâle, présenta l'édition de 1821 dans son intégralité. Aux commentaires sur cette édition, A. Furger rajouta une analyse comparée des deux éditions de 1818 et 1821. Je vous invite à consulter cet excellent ouvrage édité en français et en allemand.
Depuis, j'ai trouvé d'autres documents dont une édition plus tardive. Elle présente des harnais se différenciant de ceux des éditions précédentes. Je me propose donc, aujourd'hui, de faire une synthèse de mes différentes informations concernant le "Régulateur du sellier".
Il ne subsiste de cet étonnant document que peu d'exemplaires entiers ou incomplets, conservés dans des bibliothèques nationales; Allemagne, France Espagne,... et dans quelques rares collections privées (en 2010, Sotheby's proposa à la vente un exemplaire du Régulateur du sellier de 1818 avec une fourchette d'estimation de 10000 à 15000 euros).
Le "Régulateur du sellier" a pris naissance dans la rencontre, dans une bourgade industrielle de province de 6000 habitants: Mulhouse, d'un sellier Alexandre Hofer, instruit des dernières innovations techniques de son métier, avec un imprimeur Rissier et un lithographe Godefroy Engelman qui est l'initiateur de l'introduction de la lithographie en France. Il y aura par la suite d'autres éditions qui seront réalisées, en France, par G. Engelman puis Thierry à Paris et, en Autriche à Vienne, par le lithographe Hern Philvor Phisildorf.
Le sellier Alexander Hofer
Parcours et influences
Alexander Hofer pourrait avoir un lien avec la famille de Johannes Hofer qui crée une entreprise de fabrication de tissus puis d'indienne (toile imprimée), en 1759. Cette entreprise a été associée quelque temps à celle de Rissier § Cie, (imprimeur de tissus) qui participera à l'édition de 1818 du Régulateur du sellier. Ce lien avec une famille de la grande bourgeoisie est une hypothèse qu'aucun autre élément ne m'a pour l'instant permis de confirmer.
A. Hofer est l' auteur des dessins et des textes. Au début du XIX°, il pratique son activité à Mulhouse puis s'installe à Vienne, en 1819. Cette date est confirmée par un article de la revue "Conversationsblatt" datée de 1819*.
Les informations sur son parcours professionnel, sa formation et son activité sont assez restreintes:" On peut supposer que le jeune Alexandre Hofer fit une halte à Paris. A-t-il travaillé chez le sellier Amsler, rue St Denis, qu'il évoque en dernière page (édition du Régulateur de 1821)? En 1820, ou peut-être avant, il s'installe à Vienne. C'est, à cette époque, un endroit idéal pour les fabricants de voitures et de harnais; en particulier avant et après le congrès de Vienne (1814-1815) alors qu'y séjournent les principaux hommes politiques accompagnés de leur cours". -Andres Furger dans le Régulateur du sellier-
Son travail serait donc marqué par plusieurs influences:
-Influences locales
Il exerce son activité dans une région qui est particulièrement réputée pour ses productions de luxe en sellerie et en carrosserie. Ce coupé de 1889, attribué au célèbre carrossier strasbourgeois Ginzrot, en est un bel exemple.
Coupé de gala du XVIII° siècle. - attelage-patrimoine
Faisant suite à l'article de Jean louis Libourel; "Le grand coupé; l'élégance absolue" , nous vous présentons aujoudhui un magnifique coupé de gala du XVIII° siècle, provenant d'une collect...
https://www.attelage-patrimoine.com/2015/01/coupe-de-gala-du-xviii-siecle.html
Il a donc, dans sa région même, pu être au courant du travail d'artisans de grand renom. Parmi eux figure le carrossier et dessinateur Ackerman qui a travaillé chez un carrossier de Huninge, situé à une quarantaine de kilomètres de Mulhouse, avant d'aller en France, en Belgique et de s'installer en Angleterre. Celui-ci a largement participé, par ses dessins, à la diffusion de la "mode anglaise". Cette "mode anglaise", en particulier au niveau des harnais, est très présente dans les éditions du "Régulateur du sellier".
-Influences européennes
La suppression des corporations, en 1791, n'a pas atténué le besoin d'union entre les professionnels. Par exemple, dans la sellerie de luxe, les grandes maisons n'hésitent pas à recevoir des ouvriers, même étrangers, qui élargissent ainsi leurs connaissances. Par cette mobilité, chacun de ces selliers se crée un réseau avec qui il continue à communiquer, pouvant ainsi s'informer des innovations et même s'approvisionner en dessins, plans ou matériels spécifiques chez ses collègues. A. Hofer a eu un parcours de ce type confirmé par l'article, déjà cité, de la revue "Conversationblatt". Cet article stipule que le sellier s'est servi de ses compétences acquises lors de ses séjours à Londres et à Paris pour réaliser son ouvrage.
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-influences des situations politiques et des effets de mode
Si les évolutions techniques et innovations de la sellerie de luxe sont ainsi partagées entre les grandes maisons de sellerie, elles ne se diffusent pas auprès de la clientèle de façon identique dans tous les pays.
"La révolution, en portant un coup fatal aux fortunes des anciens grands seigneurs, fit momentanément disparaître le luxe des équipages qui ne se releva que sous l'empire. Mais les guerres continuelles de cette époque et les désastres qui la terminèrent furent cause que l'art de l'attelage n'y fut pas poussé bien loin" -Faverot de Kerbrech-
Ainsi en France, à la fin de l'empire, le harnais à poitrail est, comme au XVIII° siècle, le plus usité dans les équipages de la haute société alors que le collier en cuir à attelles métalliques, que l'on nomme communément "collier anglais", s'est largement généralisé en Angleterre. Pourtant, d’après le commandant Jauffret, dans son ouvrage « Traité de la conduite en guide », ce type de collier a été créé par un sellier de Caen ; Godefroid de Huette, fin XVIII°- tout début du XIX° siècle. Cette nouveauté ne prend pas en France. A la chute de l'empire, les émigrants revenant d'Angleterre ramènent avec eux ces usages anglais. Le Comte d’Artois, exilé en Angleterre, et qui donnait le bon ton à la société élégante, utilisait des harnais à "l'anglaise" pour ses équipages. Revenu en France, il introduit cette mode, et, devenu, en 1824, Charles X, il en impose l'usage dans les équipages de la cour.
C'est donc en ce moment charnière que A. Hofer fait parraître la première mouture du "Régulateur du sellier"
Les différentes éditions du Régulateur du sellier
1818 - Edition d'un document en langue allemande
D'après Menessier de la Lance, dans son essai de bibliographie équestre édité en 1915, A. Hofer publie un premier document en langue allemande en 1818:
"Instruction (ou méthode) pour les travaux de sellier, avec leur représentation en figures, expliquée et composée en entier à titre de manuel pour selliers par Alexander Hofer, sellier à Mulhouse, et dédiée à tous ses confrères d'art."
Cette première édition de format 302 x 220mm peut être vendue coloriée à la main.
La publication en langue allemande d'un ouvrage réalisé par un sellier français demande explication. Jusqu'en 1898, date de son rattachement à la France, Mulhausen (qui ne deviendra Mulhouse qu'en 1850) est une république indépendante enclavée au sein du territoire français. Elle est rattachée au canton suisse de Berne dont les langues principales sont l'allemand et le français mais se trouve en étroite relation géographique, financière et économique avec Bâle, ville de langue allemande. Il est donc possible que la langue d'usage utilisée par la population soit encore majoritairement l'allemand et que Hofer vise au début les amateurs de chevaux et selliers de sa région, au sens large du terme (Alsace et Suisse et les états frontaliers de la confédération germanique). Sachant qu'il s'installe à Vienne l'année suivante, nous pouvons également envisager que l'objet de cette édition dans la seule langue allemande soit de participer à la promotion de sa future activité a Vienne.
Cet imprimé se compose de 20 planches représentant selles, harnais et autres articles de sellerie, accompagnées de leurs pages de description. Il est imprimé chez Johan.Rissier § Cie à Mulhouse avec les lithographies de Godefroy Engelman. Il est commercialisé par les deux entreprises; par Rissier § Cie donc et par la société lithographique d'Engelman, à Mulhouse N°683 et à Paris 18 rue Cassette. Ce double lieu d'édition est assez étonnant car, en 1817, une ordonnance de contrôle de l'édition interdit en France l'obtention d'un brevet d'imprimeur lithographe dans deux lieux différents. Ceci amène à préciser quelques éléments de l'histoire de G. Engelman qui est un des introducteurs de la lithographie en France et l'inventeur de nombreux nouveaux procédés. Dessinateur chez le fabricant d'indienne Thierry, il se marie, en 1809, avec la fille de son employeur. Après s'être formé à Munich auprès du lithographe Adolphe Senefelder, il s'installe comme imprimeur lithographe à Mulhouse, en 1815. Il crée rapidement une nouvelle société à Paris, 18 rue Cassette. De 1817 à 1828, il obtient une dérogation lui permettant d'exploiter les 2 ateliers et confie la gestion de l'atelier de Mulhouse à son beau-frère Thierry que nous retrouverons ultérieurement dans l'histoire de l'édition du "Régulateur du sellier".
"L'instruction ou méthode pour travaux de sellier" sera diffusé par l'éditeur de la revue "Conversationblatt" l'année suivante, en 1819, à Vienne, au moment de l'installation de Hofer dans cette ville.
1818 - Edition du Régulateur du sellier
Il est imprimé par Engelman en langues allemande et française sous le titre de:
"Le Régulateur du sellier, contenant les principaux ouvrages de cet état tant dans leur ensemble que dans leur détail, par Alexandre Hofer sellier de Mulhouse, exécuté par le procédé lithographique par Engelman, rue Cassette n°18 à Paris"
Ci-dessous l'édition 1818 (sans le texte), accessible sur le site attelage-patrimoine.
"Le régulateur du sellier" - attelage-patrimoine
Attelage à six à l'anglaise Texte: Figoli Documentation: Hans Paggen "Le régulateur du sellier "de 1818 . Hans Paggen a dans sa bibliothèque un exemplaire du " Régulateur du sellier ". Il a eu...
https://www.attelage-patrimoine.com/article-le-regulateur-du-sellier-38015396.html
1819 - Edition d'une suite sous le titre de:
"Suite du régulateur du sellier, collection des différents genres d'équipements de chevaux, dessinée par Alexandre Hofer, sellier, lithographie G Engelman, Paris". Cet album est vendu à Mulhouse chez Jean Hofer Stum et à Paris chez Engelman au 27 rue Louis Legrand. Sous réserve, cet album aurait été composé de 12 planches représentant des chevaux sellés et harnachés. Une deuxième suite est constituée de huit planches séparées représentant des chevaux de selle. (Informations provenant de l'essai de bibliographie de Messennier de la Lance)
1821 - Nouvelle édition imprimée à Vienne et à Paris
"Le régulateur du sellier, contenant les principaux ouvrages de cet état tant dans leur ensemble que dans leur détail, par Alexandre Hofer, sellier à Mulhouse. Edition entièrement refondue, corrigée et considérablement augmentée." Ecrite en allemand et en français, elle est composée de 31 planches accompagnées d'un texte explicatif en regard.
Il semble qu'il y ait eu deux parutions différentes; l'une à Vienne avec les lithographies de Philisdorf et l'autre à Paris avec les lithographies de Engelman. Cette édition a été commercialisée à Mulhouse, Paris, Vienne, Berlin, Breslau, Celle et Shaffenburg.
Ci-dessous, le lien vers l'édition 1821, accessible sur google book.
1828 - Parution possible d'une nouvelle édition, imprimée par Philisdorf
Dans son ouvrage; "Régulateur du sellier", Andres Furger note que Philisdorf a édité, en 1828, un livre de sellier sans pouvoir confirmer qu'il s'agisse bien d'une nouvelle parution du Régulateur du sellier.
1833 - Nouvelle édition vers 1833
L'université d'Oviédo conserve un exemplaire du "Régulateur du sellier", imprimé par Thierry. Comme l'édition de 1821, cette parution inclue une planche de voitures. La planche de 1821 expose essentiellement des voitures montées sur train à flèche avec des ressorts en C alors que l'autre présente des voitures suspendues avec des ressorts à pincettes et même trois huit-ressorts. Si le système de ressorts à pincettes est inventé en 1804 par l'anglais Obadiah Elliot, Jean Louis Libourel précise dans "Voitures hippomobiles" que son usage ne se généralise qu'en 1830-1835. Il en est de même pour le montage en huit-ressorts, inventé en 1818 par Windus. L'édition conservée à l'université d'Oviédo est donc postérieure aux éditions déjà citées.
Essayons d'être plus précis. Elle est imprimée par Thierry Cité Bergère N°1, à Paris. Pierre Thierry, le beau-frère de G. Engelman, obtient son brevet d'imprimeur-lithographe sur Paris, en 1833. Il s'installe alors rue Bergère au N°1 ce qui correspond aux indications de cette édition qui peut donc être datée au minimum de 1833.
Elle diffère peu de l'édition de 1821 sur la partie équitation mais est fortement renouvelée tant au niveau des vignettes que des harnais présentés dans la partie attelage.
Ci-dessous, l'édition 1833, accessible sur le site de l'université d'Oviédo.
Ces différentes éditions retrouvées montrent la volonté de l'auteur de remettre ses modèles au goût du jour. Il est donc envisageable qu'il y ait eu d'autres éditions.
Nous allons maintenant nous attarder sur la présentation du "Régulateur du sellier" et sur l'évolution de son contenu.
Le "Régulateur du sellier"
Description
Je me limiterai à une sommaire présentation car les liens vers les éditions (certes plus ou moins complètes) de 1818, 1821, 1833, intégrés dans ce texte, vous permettent d'y avoir un accès direct et donc d'en étudier plus précisément le contenu.
Chaque planche est composée d'une vignette de présentation et de dessins accompagnés de leurs descriptifs. (Comme nous l'avons déjà mentionné, des exemplaires pouvaient être coloriés à la main ce qui doublait leur prix). Cette présentation perdurera sur toutes les éditions avec, bien sûr, des différenciations sur le contenu des planches. L'ensemble des fabrications d'un sellier y sont présentées dont le garnissage des voitures, l'ameublement, les malles mais, principalement, la fabrication des selles et harnais d'attelage.
Selles:
Les différents modèles sont regroupés par leurs spécificités; selles à la française, à l'anglaise, pour cheval de dame, à la hussarde, spécifique au travail en manège.
Harnais d'attelage
Cette partie est composée de planches présentant les différents modèles d'harnachement et de planches présentant les types d'équipages à plusieurs rangs.
Nous vous présentons, ci-dessous, un modèle de planche accompagné de reproductions en couleurs plus tardives des vignettes d'autres planches sur les équipages (Reproductions décoratives datant du XX° siècle).
Hypothèse sur l'usage de la fonction du "Régulateur du sellier"
Ce recueil de planches accompagnées de leurs descriptions, nommé par Messennier et autres bibliographes: "curieux ouvrage", ne peut être considéré comme un véritable manuel de sellerie car il ne traite pas de la réalisation de chaque pièce comme par exemple l'a fait Garsault, au siècle précédent, dans son "Art du bourrelier et du sellier".
Dans une période charnière dans l'évolution des modes des arts de la sellerie et de la bourrellerie, le "Régulateur du sellier" apparaît comme un ouvrage d'atelier qui permet aux selliers de proposer des modèles correspondant aux nouvelles attentes de leur clientèle.
Elément de confirmation de cette fonction d'ouvrage d'atelier, l'exemplaire de l'édition de 1821, conservé à Vienne, est accompagné de notes de travail manuscrites sur les réalisations exécutées par le sellier qui en était le propriétaire.
"Le "Régulateur du sellier" s'adresse aux selliers mais aussi, directement, à leur clientèle potentielle. Dans sa présentation de "Instruction (ou méthode) pour les travaux de sellier", la revue "Conversationblatt", déjà citée, précise que cette publication est attendue par les selliers mais, plus globalement, qu'elle mérite l'attention des propriétaires d'équipages, amateurs d'équitation et de chevaux ou écuyers.
A chaque édition, A. Hofer remet au goût du jour les pièces de sellerie présentées, offrant ainsi aux selliers et à leur clientèle des modèles correspondant au goût et à la mode du moment tant dans leur conception et leur forme que leur ornementation.
Pour les passionnés et collectionneurs actuels, ces éditions permettent de suivre avec plus de précision l'évolution des selles et harnachements.
Je termine cet article en vous proposant des exemples qui vous permettrons de comparer l'évolution des harnais de poitrail, à collier et spécifiques à l'attelage à pompe, présentés dans les trois éditions que je viens de vous présenter.
Harnais poitrail:
Harnais à collier anglais:
Garrick à pompe:
* Extrait de la revue "Conversationblatt" de 1819 N° 45 page 529
Texte:
Patrick Magnaudeix
Avec mes remerciements à Chantal Baup pour son aide dans la recherche de documentation et la traduction.
Documentation:
Conversationsblatt. Bibliothèque Nationale autrichienne.
Le "Régulateur du sellier" de Andres Furger édition Furger Basel
Edition 1818 du "Régulateur du sellier". article attelage-patrimoine.com (source Hans Paggen)
Edition 1821 du "Régulateur du sellier" conservé à Vienne accessible sur gogle book
Edition de ou postérieure à 1833 du "Régulateur du sellier" université d'Oviédo
"Voitures hippomobiles" de Jean Louis Libourel.
Négoce et industrie à Mulhouse d'Isabelle Bernier. Ed Méridienne 2008