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Note d''attelage patrimoine:
Cet article fait suite à l'article "Souvenirs d'un record".
Vous y trouverez les modalités de la construction du mail coach Hérald utilisé lors du record accompagnées de la description plus générale de l'organisation de l'entreprise Guiet § Cie.
L’ART DE CONSTRUIRE
LES VOITURES GUIET & C°
Auguste Guiet (avec l’aide d’Hughes Legrand qui m’a prêté son clavier)
Une photo N&B en 1950 du mail-coach The Herald de Guiet & C° rebaptisé The Lightning, exposé à The New-York Historical Society.
Maintenant, j’aimerais vous parler de la voiture qui est un membre à part entière de l’équipe. Tout d’abord, ce nouveau mail coach a été construit fidèlement selon les plans d’origine, mais les modifications récentes comme la cambrure des essieux ou carrossage et l’inclinaison donnée aux roues n’étaient pas vraiment des améliorations, sauf pour des routes bombées. Le propriétaire et ses fidèles amis voulaient en rester au descriptif et aux plans du gouvernement britannique selon la conception des meilleurs ingénieurs de l’époque, mais les fabricants américains insistaient pour respecter la cambrure et l’inclinaison selon une loi anglaise sur la forme des routes qui n’existait pas encore. C’est ainsi que par une étrange bizarrerie, une ancienne conception anglaise d’un coach, après avoir été proposée en vain aux carrossiers anglo-saxons, a pu être reprise par une entreprise française bien connue en Amérique.
Mais en quoi, le Herald se distinguait des autres mails ou road coaches, y compris de ceux que nous avions l’habitude de fabriquer et qui nous valaient déjà d’avoir une clientèle fidèle et passionnée.
Tout d’abord le Herald avec 1 230 kg est plus léger, il est plus étroit, en dehors du meneur et du garde, il accueille beaucoup moins de passagers – 4 personnes à l’extérieur et 4 à l’intérieur, au lieu de respectivement 8 à 12 et 6-.C’est une voiture pour transporter du courrier et quelques passagers, ce n’est pas un public coach ou un stage coach. Si on compare les dessins du Herald et des anciens mail coach Million Guiet et du road coach Guiet & C°, on remarque que le siège du garde est rond, il est pour une seule personne et posé sur un tripode métallique au lieu d’un banc de 4 personnes fixé sur des montants en bois. Le garde pose ses pieds sur la trappe du coffre à courrier qui s’ouvre donc par le dessus, contrairement aux autres qui s’ouvrent à l’arrière pour ranger des outils et pièces de rechange. L’impériale sur la cabine ne comporte qu’un banc dans le sens de la marche, il n’existe pas de banc regardant vers l’arrière, même repliable.
La cabine du Herald est légèrement plus basse sur le train, mais la hauteur totale est presque la même que celle du road coach. Par contre, si la forme aplatie de l’arrondie de la cabine est proche de celui du road coach, celui des anciens mails était un demi-cercle parfait, les coffres étaient plus proches d’un rectangle ou d’un trapèze contrairement à ceux du Herald qui sont presque carrés. La fenêtre dans la porte est maintenant carrée. L’intérieur de la cabine est tapissé avec un drap épais et cossu, celui des drags est capitonné comme une voiture privée, celui des road-coaches est lambrissé avec un bois dur et clair comme une voiture publique. Il y a trois marchepieds sur les côtés du coffre avant au lieu de deux. S’il existe une échelle pour monter sur l’impériale, elle est accrochée sous l’essieu arrière, il n’y ni logement pour l’échelle ni trappe dans les coffres comme pour les drags ou nos anciens mails.
La réalisation de cette voiture s’est faite dans nos ateliers parisiens à l’ombre de la Tour Eiffel, près de l’avenue Rapp et du site de la dernière exposition de 1889.Sur une surface de 6 500 m², 300 personnes y travaillent.
La fabrication d’une voiture est divisée en deux grandes branches : construction de la caisse et création du train qui porte la caisse. Dans chaque division, il y a différents menuisiers et forgerons pour des tâches spécialisées. Dans l’usine Guiet & C°, le métier de forgeron est très important, car l’un des maximes de la firme est que l’acier doit être utilisé partout où il peut être utilisé sans sacrifier à la légèreté et ce principe est appliqué de la manière la plus réaliste. Les bois utilisés par le carrossier sont sélectionnés en fonction des préférences, des compétences professionnelles et de la perspicacité. Le nombre d’essence de bois à sa disposition est presque infini. Le frêne est peut-être le bois le plus utilisé, les charrons l’ont préféré pendant longtemps pour sa dureté et sa résistance, mais l’hickory américain est presque aussi bon, et Guiet & C° importent chaque année de grandes quantités de ce bois et d’autres bois durs, en particulier du Hackmatack, ou Red Melch [mélèze américain].Pour les brancards et les timons, le Lancewood est très apprécié, mais sa taille relativement petite et la difficulté d’en obtenir en quantité suffisante gêne son utilisation systématique. Pour fabriquer la caisse, d’autres essences de bois sont nécessaires, les panneaux sont généralement en acajou tendre, lisse et sans nœud.
Bien sûr, tous ces bois doivent être soigneusement préparés. ChezGuiet &C°, il y a de vastes séchoirs chauffés par la chaleur dégagée par le four, la température étant régulée par une série de ventilateurs. Dans ces salles, le bois est conservé longtemps, parfois jusqu'à sept ans, avant d'être utilisé. Une règle d'or qui prévaut dans cette usine est que, dans le cas d'une voiture commandée par un client résidant à l'étranger, le bois originaire de ce pays doit être exclusivement utilisé. Ainsi, une voiture commandée par un client américain pour être utilisée aux États-Unis est composée exclusivement de bois d’origine américaine parce qu’ils sont plus adaptés dans leur pays d’origine.
Derrière l’atelier de fabrication des caisses, nous arrivons chez les charrons et les fabricants de ressorts, deux ateliers très importants dans notre métier. Les roues sont très exposées aux contraintes et aux accidents donc la résistance des matériaux et la précision de la construction sont indispensables. Les bois les plus appropriés pour les essieux sont l’orme ou le mûrier tropical [fustic], le chêne et le hickory pour les rais et le hickory ou l’acacia pour les jantes. On utilise aussi l'orme liège, le bois blanc et l'érable. Les grumes où sont découpées les essieux, sont stockées en tas dans une salle spéciale, chaque pile étant identifiée par la date de l’année, et seul le bois le plus ancien et le mieux séché est employé. Les rais des roues sont taillées au moyen d’une machine très précise ; le bois des jantes passe dans des bouilloires pendant six heures pour être cintrées à la vapeur, puis placées entre des profils en fer arrondi. Quand la bonne courbure est obtenue, les jantes sont percées pour les rais, et des broches en fer sont enfoncées par le côté de chaque trou, les têtes de ces goupilles étant ensuite meulées. C’est un très beau travail à voir, car la roue devient un cercle de feu au contact avec la broche. Pour la contraction du bandage métallique, un nouveau et ingénieux dispositif remplace l’ancienne méthode. Le bloc sur lequel le bandage est chauffé, est entouré de 16 ou 18 fours à gaz, chacun composé de trois ou quatre becs Bunsen. Lorsque le bandage est suffisamment chaud, le gaz est coupé, la roue en bois est lâchée au centre et le processus de "rétrécissement" se fait plus rapidement, mieux et en toute sécurité que par l'ancien procédé.
Les ressorts ont une importance considérable, car le confort de la voiture en dépend. Ils sont fabriqués à partir du meilleur acier et sous différentes formes, la plus courante étant les "pincettes" et les nouveaux,les ressorts en C. Grâce aux progrès dans la fabrication de l'acier, ils peuvent maintenant être plus légers d'un tiers et ils sont environ deux fois plus résistants.Dans la salle des machines, il y a une machine d’essai précise et très belle ; aucun ressort n’est utilisé tant qu’il n’est pas capable de supporter un certain poids sans se plier, ce poids étant proportionnel à l'épaisseur des lames du ressort, et étant fixé selon une échelle graduée près de la machine. A côté des fabricants de ressorts, certains forgerons sont employés à des travaux "délicats", comme la fabrication de marchepieds, de patins de frein, de cadres de capote, de ferrures, de crochets, de poignées et de divers autres petits objets forment les accessoires de chaque voiture bien équipée. Les forgerons employés pour cette activité doivent être expérimentés, mais posséder aussi un certain goût et un talent artistique. À côté se trouve la salle de dessin, la plus grande partie de cette pièce est occupée par une immense table. Quand une voiture doit être fabriquée, le dessinateur prend note des demandes du client, puis avec ses assistants ils dessinent sur d’énormes feuilles de papier brun épais une élévation, à l’échelle exacte. Le plan terminé est fixé au mur et les contremaîtres des différents départements viennent prendre les mesures dont ils ont besoin. Une fois utilisé, le plan est archivé pour servir de référence. Il est ainsi possible de reproduire une copie exacte de toute voiture déjà construite.
Lorsqu'une voiture a été terminée à l'état brut, elle est montée au premier étage avec un élévateur dans la salle de peinture. La peinture d'une voiture est un processus très long et fastidieux. Les couleurs doivent être de la meilleure qualité pour rester exposées par tous les temps. Le vernis utilisé est le copal, dont il existe deux sortes, la plus fine pour la finition de la caisse; la seconde pour finir la voiture. Entre les différentes qualités de peintures et de vernis ; une calèche bien finie reçoit de 20 à 24 couches distinctes avant de quitter les mains du peintre. Entre chaque couche de vernis et de laque, le travail est soigneusement lissé et aplani avec de la pierre ponce ou du papier de verre fin, lorsque le ponçage final est terminé, la dernière couche de vernis est appliquée. Avant son application, le peintre héraldiste vient pour exécuter sur les panneaux latéraux le blason,l’écusson ou le monogramme de l'acheteur.
Dès que la dernière couche de vernis est sèche, la voiture quitte la salle de peinture pour aller dans le département "garniture et passementerie". L'intérieur de la voiture est tapissé, des coussins sont fixés sur les sièges, des stores sont placés sur les vitres, etc. Bien sûr, une partie de ce travail est effectué par des femmes, mais dans le même département, il y a aussi des hommes dont le travail consiste à coudre et à fixer les cuirs, comme par exemple garde-crotte, tablier et autres pièces. Cependant, avec certaines voitures, il y a plus de travail et revêtir de cuir le pavillon de la caisse est l’une des phases les plus difficiles de la fabrication. Plusieurs peaux sont utilisées, le cuir étant travaillé autour des coins par un corroyage répété et toutes doivent être rendues lisses sans même une piqûre. Lorsque les tapissiers et les passementiers ont terminé leur travail, on peut dire que la voiture est terminée et après un dernier examen minutieux qu'elle est prête à être livré à l'acheteur. Parfois, en particulier dans le cas des mail coaches, le client demandera qu'une sorte de "voyage d'essai" soit fait par un whip compétent et qu'un rapport soit envoyé indiquant toutes les qualités ou tous les défauts pouvant être constatés. Ci-dessous le rapport d’un essai du mail coach C’est mon plaisir, construit par Guiet et Cie pour le vicomte Charles de la Rochefoucauld.
« Monsieur le Vicomte,
À la demande de M. H. Ridgway, et conformément à vos instructions, nous avons envoyé hier à son écurie, située au 9 rue Fresnel, votre mail coach C'est mon plaisir, pour qu'il soit essayé pour découvrir tous les défauts ou qualités qu'il pourrait avoir. Étaient présents : Ridgway (whip), George Monroe, M. Monroe et un ami, M. Guiet, le garde et un homme. Les chevaux étaient les "Kittens" de M. Ridgway.Le trajet passait par le Trocadéro, l'avenue Henri Martin, l'avenue entre les deux lacs, l'avenue menant à Longchamps et le circuit de l’hippodrome ; le trajet retour passait par l'avenue des Acacias, l'avenue du Bois-de-Boulogne [Foch], l'avenue Marceau. L’essai qui était sérieux et réalisé par un meneur très expérimenté, a montré que votre coach possédait d’excellentes qualités en termes de facilité de la mobilité et de la stabilité à la fois au trot et au galop, comme vous pourrez le vérifier par vous-même en essayant le coach dans les mêmes conditions. La première partie du trajet a été effectuée au trot et la seconde partie du parcours avec la piste de course a été parcourue au galop à une vitesse d’environ 18 miles à l’heure. La route était moitié nivelée, moitié en descente et suffisamment longue pour pouvoir apprécier les bonnes qualités du coach. L’essai a prouvé que, malgré le terrain lourd, la voiture se déplaçait très facilement et que, même au galop, elle ne présentait aucun signe de fragilité, elle ne déviait pas ni ne roulait. Tous les messieurs qui étaient sur le coach ont unanimement vanté ses mérites. Le télégramme que nous vous avons envoyé "Essai très satisfaisant", était l'expression exacte utilisée par M. Ridgway. Nous sommes heureux, Monsieur le Vicomte, de pouvoir vous donner l’opinion d’une autorité aussi éminente que celle de M. Ridgway, qui a personnellement dirigé l’essai afin qu’il puisse témoigner des mérites ou des imperfections de la première voiture que nous avons l'honneur de construire pour vous.
Nous sommes, M. le Vicomte, etc., etc.
« GUIET andCo »
La haute réputation dont jouissent MM. Guiet et Cie pour la qualité de leur travail et la supériorité de leurs matériaux leur a valu d’être largement favorisés, non seulement par leurs compatriotes, mais parmi la gentry américaine et anglaise. La firme présente à l’Exposition de Chicago, dix modèles différents de voitures, dont la beauté et l’élégance seront évidentes, même pour le public, tandis que le regard averti de l’expert remarquera toutes les qualités de travail qui ont fait de l’École parisienne de carrosserie, la meilleure du monde. Il aurait été impossible pour l’entreprise d’envoyer des exemplaires de tous les modèles de voitures fabriquées, mais si des lecteurs de ce petit livre avaient la chance de visiter l’Europe et de passer par Paris, MM. Guiet et Cie se sentiraient honorés s’ils les appelaient à leur établissement avenue Montaigne pour visiter leurs show-rooms et leurs ateliers.
Une photo couleur du mail-coach The Comet de Guiet & C° réalisé sur le modèle du Herald, à la suite du record Paris-Trouville. (Crédit M St Germain)
REMERCIEMENTS
SOURCES
ICONOGRAPHIE