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Le coupé de gala de l’impératrice Tseu-Hi : chinoiserie hippomobile ou « merveille d’art industriel » ?

 

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Depuis le Second Empire la carrosserie française était réputée dans le monde entier, de l’Amérique du Sud à la Russie… et jusqu’en Chine. Preuve en est le coupé de gala de l’impératrice Tseu-Hi, commandé en 1894 à l’une des plus importantes entreprises parisiennes de carrosserie, la maison Mühlbacher.

Au moment de cette commande l’impératrice Tseu-Hi, alors âgée de 59 ans, exerce la réalité du pouvoir sur la Chine depuis 1861.

 

L’impératrice Tseu-Hi en robe de cour

L’impératrice Tseu-Hi en robe de cour

Créée en 1890 par le dessinateur pour carrosserie Louis Lagard, "La carrosserie Française".Publication spéciale traitant de la construction des voitures et de la sellerie-harnais" donne de ce coupé et de ses harnais, dans son numéro du 15 Juillet 1894, deux dessins de Louis Lagard, accompagnée de commentaires auxquels nous empruntons les larges extraits cités ci-après.

 

« L’auguste épouse du fils du Ciel va avoir, de par l’industrie parisienne, le plaisir de se promener au milieu de ses sujets, avec toute la grâce et aussi avec toute la hauteur qu’une telle situation comporte, dans un coupé qui est une véritable merveille d’art industriel. C’est à la Maison Mühlbacher que cette commande a été faite et qui s’en est acquittée avec toute la maestria qui lui est habituelle, et cela en deux mois de temps, délai maximum accordé. C’est un véritable succès pour l’industrie parisienne, car Paris a été mis en concurrence avec plusieurs capitales européennes et c’est lui qui l’a emporté ».

 

La maison Mühlbacher, fondée en 1797, est une des plus anciennes et des plus réputées entreprises parisiennes de carrosserie. Parmi sa brillante clientèle figurent l’empereur Napoléon III, le roi d’Espagne Alphonse XII, la famille royale de Portugal, le roi de Belgique Léopold II, les princes Potocki, la Présidence de la République française, le prince Joachim de Furstenberg…

 

Devanture de la maison Mühlbacher 63 avenue des Champs Elysées à Paris

Devanture de la maison Mühlbacher 63 avenue des Champs Elysées à Paris

 

La caisse de la voiture est une caisse de petit coupé de ville de forme carrée à coins ronds. Elle est à cinq glaces : une grande glace sur le devant et une à chacune des deux portières, disposition commune à tous les coupés, et deux glaces en lieux et places des panneaux de custodes. Cette caisse est montée sur un train à flèche à col de cygne, à quatre ressorts en C et à plate-forme arrière pour deux laquais. Il n’y a pas de siège de cocher. Deux grandes lanternes cylindriques à riche décor ciselé ornent le devant de la caisse. La galerie d’impériale est en bronze ciselé et doré. Les lignes courbes dominent : rondeur du bas de caisse, cintres des traverses supérieures des glaces, arcs semi-circulaires des ressorts en C, profil sinueux de la flèche.

 

Le coupé de gala de l’impératrice Tseu-Hi (La Carrosserie Française, 15 juillet 1894)

Le coupé de gala de l’impératrice Tseu-Hi (La Carrosserie Française, 15 juillet 1894)

 

Les carrosseries des voitures occidentales d’alors tenaient toute leur beauté de la rigueur et de la pureté de leur dessin, de l’équilibre de leurs lignes et des justes proportions de leurs volumes. Leur nudité totale étant à l’opposé de la complexité formelle et de la surcharge décorative typiques des arts de l’Empire du Milieu, il fallut, pour répondre aux goûts de l’impériale souveraine, couvrir la voiture d’une profusion d’ornements « en bois sculpté faisant saillie sur les panneaux ». Le rédacteur de La Carrosserie Française juge ces ornements« d’un beau et hardi dessin » ainsi que les sculptures du train, tasseaux, crosses d’entretoise, etc… Tous ces ornements sont dorés. La caisse est peinte en jaune, le train et les ferrures en rouge, les soupentes et le grand garde-crotte protégeant la caisse sont en maroquin rouge avec dessins jaunes en piqûres. Les marchepieds et l’entretoise sont garnis en maroquin rouge, les châssis de glaces en velours rouge. « Les couleurs imposées ou du moins celles parmi lesquelles le constructeur pouvait seulement choisir étaient : l’or, l’argent, le jaune et le rouge à l’exclusion de toutes les autres nuances ».

 

« La caisse ne contient qu’une seule mais très confortable place destinée à l’Impératrice, grande et forte personne qui y prendra presque toujours place revêtue de robes de cour ». L’intérieur est capitonné, y compris le pavillon, de « satin jaune impérial à piqûres rouges ». Sur le devant dans une niche, est installée une petite pendule avec cadran en or, aiguilles et heures en rouge.

 

Dépourvue de siège de cocher, la voiture sera attelée de quatre chevaux conduits par des hommes à pied. Les harnais en maroquin rouge avec bouclerie ciselée et dorée spécialement fabriqués par la maison Hermès « sont d’une grande légèreté, comme il convient dans un pays où les chevaux sont de petite taille ». La maison Hermès, fondée en 1837 par Thierry Hermès, jouit alors d’une immense réputation. Elle compte parmi son illustre clientèle la cour impériale de Russie.

 

Harnais de gala du coupé de l’impératrice Tseu-Hi (La Carrosserie Française, 15 juillet 1894)

Harnais de gala du coupé de l’impératrice Tseu-Hi (La Carrosserie Française, 15 juillet 1894)

 

Si la voiture,surchargée d’ornements mêlant motifs rococos et motifs propres à la fin du XIXe siècle, est de genre indéfinissable, en revanche les harnais, très dépouillés, sont du plus pur goût français. Leur composition est réduite aux seuls éléments utiles : brides, colliers, mantelets, chaînettes, traits, porte-traits pour les chevaux de volée, reculements pour les timoniers. Enrênements pour tous, conformément à la mode de l’époque.

 

Equipage de gala de l’impératrice Tseu-Hi (photo-montage)

Equipage de gala de l’impératrice Tseu-Hi (photo-montage)

 

En raison de son apparence “exotique ” si peu conforme aux canons de la carrosserie occidentale  (imagine-t-on sur tout le devant de la caisse un grand garde-crottes en maroquin rouge !) et en dépit de son esprit si peu français, cet impérial coupé a été remarqué comme création unique, « merveille d’art industriel », sans autre objet comparable. C’est ce caractère exceptionnel, unanimement reconnu, qui lui a valu de figurer, avec dessin et description, dans l’une des premières publications sur l’histoire de la carrosserie, le livre du très renommé carrossier de Milan Luigi Belloni “La Carrozza nella Storia della Locomozione ” publié en 1901.

 

 

 

Plus d'un siècle après avoir réalisé les harnais en maroquin rouge du coupé de gala de l'impératrice Tseu-Hi, la maison Hermes vient de consacrer un de ses fameux "carrés" de soie à cet impérial coupé grâce au talent du peintre Wlodec Kaminski dans une version flamboyante du dessin de Louis Lagard.

Wlodek Kaminski : Coupé de gala, d’après le dessin de Louis Lagard. « Carré » Hermès.

Wlodek Kaminski : Coupé de gala, d’après le dessin de Louis Lagard. « Carré » Hermès.

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