Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Par figoli
Kim s’est fait la malle, Kimono est
parti…
Jeudi 14 janvier 2010
-Pas une fois elle n’est venue me voir sans craquer ni sans
fondre de joie
devant ma bouille ébouriffée, sauf hier…
Ben oui… je suis mort hier. Je n’en pouvais plus, j’avais trente neuf
ans.
Vous, ça vous ferait dans les 120 ans !
Même pour un “ Shet “, une peluche inoxydable comme moi, ça faisait
très beaucoup.
De tous les chevaux qui ont remplacé ses enfants, je suis le seul à ne
l’avoir pas déçue,
même l’ombre d’une fois.
Alors, j’ai fait un effort, mais vraiment, là, avec cet hiver de
misère qui nous est tombé
sur le poil, je n’ai pas su faire plus.
- Je suis désolée ma mie, mais tu sais que les meilleures des choses
ont une fin.
J’ai été son poussin d’amour… elle souriait aux anges quand elle
marchait à mon côté,
le bras dessus mon encolure, la main glissée au chaud sous
l’incroyable crinière pie
qui me poussait tellement dru qu’elle balayait la poussière devant moi.
Si vous ne le savez pas, quand un cheval sauvage, après avoir usé ses
molaires,
ne peut plus user l’herbe, il se meurt de
faim.
J’en étais là, perdant de mon état, quand elle a décidé que ça ne se
pouvait pas.
Je l’ai regardée manier la masse, les piquets, les isolateurs et les
rubans électriques,
regardée m’inventer une salle à manger avec un passage à la hauteur de
mon garrot
qui empêcherait “ les autres “ de venir chouraver les grains que seuls
mon
râtelier usagé consentait encore à croquer.
J’ai compris la manœuvre aussitôt et nous avons cru que nous étions
sauvés.
J’ai retrouvé ma bedaine, je la portais comme le saint sacrement, mais
bon…
on ne peut pas être et avoir été, hein ?
Seize mois plus tard, hélas, après un novembre printanier, l’hiver
dégainant
ses couteaux m’a convaincu que la vie ne valait plus la peine d’être
vécue.
Je n’ai jamais été malade… que faire alors, pour en finir, si ce n’est
cesser de manger ?
Je la voyais pâlir. Elle me tirait, elle me poussait vers la mangeoire
des
“ autres “. Pour ne pas la décevoir, je grignotais quelques grains,
puis je retournais tête basse prendre racine le long d’une haie,
ou bien je m’isolais dans l’abri, espérant en finir… passant la tête
par la porte quand même,
simplement par curiosité… le temps passe si lentement quand on attend.
J’allais encore tout doucement voir les “ autres “, histoire de ne pas
faire bande à part,
quand venait l’heure des repas. Dans ma salle à manger, je ne faisais
plus que passer.
Quand je ne venais pas, elle me portait un seau jusque dans la cabane,
sachant bien,
après avoir veillé sur le peu que je me décidais à avaler,
que ce serait “ les autres “ qui viendrait le vider.
Hier encore, j’avais la tête à la porte, mais elle reposait dans la
neige boueuse de l’entrée…
j’étais au bout du chemin.
Oh, je vivais encore… je voulais me lever, mais ne le pouvais plus.
De toutes ses forces, elle a tenté de me soulever, mais en vain.
Mes sabots ont brassé le vide, et mes poumons se sont emballés…
c’était fichu, je ne me releverais plus.
Alors elle a appelé le vétérinaire… pas question de me laisser
agoniser comme on laisse
les hommes profiter de ces moments là… elle m’a dit qu’elle me devait
ça,
que c’était la dernière chose qu’elle pouvait faire pour moi et je
suis mort doucement
dans ses bras, lui faisant de la peine, je cois, pour la toute
première fois.
Aujourd’hui on a lié mes sabots à l’arrière d’un tracteur, traîné et
abandonné ma carcasse
sous une bâche le long du mur qui borde la route afin de faciliter
l’ouvrage à l’équarrisseur.
Ces gens là dont pressés.
Falone, ma jument, toi qui n’as pas eu de petit, toi qui m’avais pris
sous ton aile,
qui m’a toujours protégé… toi qui me gratte-grattait le garrot quand
je ne pouvais te gratter
que l’épaule, tu n’en as cru ni tes yeux ni ton cœur quand tu m’as vu
partir ainsi,
et tu m’as suivi pas à pas…
Qui a dit que les animaux ne comprennent pas ?
Après ?… Oh, c’est l’enfer pour ceux qui aiment les chevaux.
Le camion grue m’a balancé au milieu des cadavres du jour et le
chauffeur,
par sa fenêtre ouverte, en guise d’homélie, a beuglé la somme que tu
lui devais.
- Ma mie, tu peux dormir en paix, tu m’as offert une si jolie vie…
Je sais que tu tournes en rond dans le pré sans arriver à y croire…
je sais qu’il ne te reste plus que Falone et Doudou et qu’après eux,
ma foi…
mais aussi j’espère en toi : dans ma mangeoire, ne viens-tu pas de
voir un rouge-gorge
se gaver de cette orge dont je ne voulais plus ?
J’ai bien vu que tu as
souri.
Julie Wasselin
Eclipse Next 2019 - Hébergé par Overblog