Son et lumière
Cette nuit d’hiver a étendu un suaire vierge de toute trace sur la
vicinale qui grimpe au-dessus des Douglas, là-haut, vers ce plateau sévère comme une citadelle cathare où elle terre sa solitude, ses dernières années.
La neige affleure le bas de caisse de la voiture.
Pour un peu, ce serait impossible de passer, mais comme elle veut y
croire, elle attaque la montée.
Lente, obstinée, brave comme un cheval à la charrue, la machine laboure le
blanc manteau.
Elle sait qu’au moindre écart, à la moindre glissade, elle ne repartira
pas et qu’en ce cas, elle empêchera le passage du chasse-neige, le lendemain matin.
Elle sait aussi que par endroits, un dérapage pourrait l’emporter cent
mètres plus bas.
Tenace, la mécanique ronronne et s’accroche, mais au dernier virage, alors
que les pneus bataillent sans défaillir, l’ABS croit bon de signaler son existence une fraction de seconde. Perturbée, la gomme s’emballe et les voilà plantées sous une lune glaciale, au bas de
la dernière côte, avec les phares illuminant un décor de rêve le long de ce pré où attendent de meilleurs jours deux superbes Auxois.
Intrigués, leur lourde tête posée sur le premier rang de barbelés, ils la
regardent étaler des couvertures sous les roues de la voiture, rouler dessus, les récupérer et recommencer indéfiniment, tout en jurant comme un charretier… et réussir à s’en sortir, furax, en nage, épuisée, vers les deux heures du matin.
Alors on entend les Auxois échanger quelques mots :
- Z’ont pas l’esprit pratique ces humains… nous, avec un palonnier de
trinqueballe, on t’aurait sorti ça vite fait.
Julie Wasselin