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Tout les avait toujours séparé, tout.

Tout les avait toujours séparé, tout.

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Enfant déjà, leste et maigrichon, le premier excellait à dénicher les pies au plus haut des futaies quand le second, rondouillard et pataud n’avait pas son pareil au lancer de l’épervier sur les eaux calmes de l’écluse toute proche.

Il en ramenait à chaque fois d’éclatantes fritures de poissons blancs et n’en était pas peu fier.

Quelquefois aussi, de grosses truites faisaient les frais de son adresse, et à son père horrifié de ses talents de braconnier, il répondait systématiquement « qu’elles seraient toujours bien aussi bonnes que les siennes », pourtant pêchées par le vieux « à la régulière ».

 

Plus tard, le grand dégingandé avait fréquenté l’école, jusqu’au début de la guerre tout au moins, pendant que le petit raz du sol torchait le cul des bœufs.

 

Quand âgé d’à peine vingt ans, l’un partit vers le front la fleur au fusil et la bouche pleine de chants paillards, l’autre se fit réfractaire, maquisard et donc discret.

Las, l’Augustin eut tôt-fait de déchanter et près de cinq années passées de force outre-Rhin lui firent revoir ses gammes.

Les terres Creusoises de son enfance le virent revenir Gaulliste forcené, tandis que les mêmes épreuves passées au creux des halliers avaient transformé notre Aristide en un farouche communiste.

 

Bien évidemment, ils prirent femme au pays, et à une petite belette effacée faisait face une rude matrone au cœur d’or.

 

De même l’un avait choisi l’élevage des moutons, plus rentable à ses yeux quand l’autre ne jurait que par ses grands bœufs blancs, au menage desquels d’ailleurs, il excellait.

Il fallait le voir quand, l’aiguillade sur l’épaule et les socques aux pieds, il partait devant eux sans prendre seulement la peine de se retourner après qu’il les eut simplement sifflés.

Ils ne tarderaient pas, il le savait bien, joug de frêne au front et paturons solidement plantés en terre, à se laisser tomber en avant, arrachant ainsi de toute leur masse le lourd charroi.

La qualité de ses attelages intimait le respect et il eut fait beau voir que ses animaux ne tirassent point l’imposante batteuse quand il ne s’agissait pas du tombereau enterré jusqu’aux moyeux dans les bourbiers de l’hiver finissant.

 

Ils étaient voisins, ne se fréquentaient guère et bien que leurs maisons fussent mitoyennes, elles se tournaient étrangement le dos .

Ils n’étaient pas amis non plus mais nul ne leur connaissait la moindre chicane.

  

D’ailleurs, quand vint l’âge pour leurs enfants de s’établir, l’aîné du malheureux guerrier n’alla pas chercher plus loin et prit la cadette de l’insoumis pour femme.

Comme quoi !!!

Une seule chose les réunissait pourtant.

 

La Terre…

 

La Terre et ses travaux aux dates incontournables quels que soient les caprices du temps et Dieu sait qu’il y en eut.    

La terre et ses vicissitudes, ses astreintes, ses nuits glaciales de janvier passées au chevet des bêtes au vêlage et la  cruelle fournaise des terribles journées d’Août.

La terre et ses bonheurs quand un Avril radieux verdissait les grains de printemps.

La terre enfin et leur détresse au soir de l’orage briseur d’espoir, quand les récoltes bonnes à rentrer étaient roulées dans la boue.

Rien ne les aurait pourtant découragé et toujours, ils repartaient à la charge.

En d’autres temps, Pénélope à son ouvrage n’eut pas fait mieux.

 

C’est ainsi qu’aux premiers vols de grues, à l’aube silencieuse, ils garnissaient, l’un, son énorme Percheron de neige et l’autre sa véloce petite Ardennaise à la robe de suie.

Ils partaient alors tous deux dans le brouillard de Novembre pour une journée de labeur dans quelque pente inaccessible aux engins modernes, la musette au coté et la cigarette au bec.

 

Ils n’en reviendraient qu’au soir, fourbus, le dos cassé, les chevaux éreintés.

Mais quand une fois les bêtes à l’abri devant un plantureux barbotage, ils engloutiraient à leur tour l’épaisse soupe abondamment baptisée de vin rouge, leurs yeux seraient remplis d’étoiles.

 

Ils ne me sont plus désormais qu’un doux souvenir.

Pour autant, fidèles à leurs habitudes, ils n’ont pu seulement accorder leurs funérailles.

Augustin repose entre quelques planches de mauvais sapin alors qu’Aristide partit en fumée.

Ses cendres furent malgré tout inhumées, et tous deux dorment depuis au sein de cette terre qu’ils ont tant aimée.

Gageons qu’ils y reposent à jamais, heureux.

 

 

 

Saint Martin  Novembre 2008

 

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J
<br /> Avec leurs différences et tout ce qu'ils avaient en commun, ils vous ont surtout donné de belles fondations…<br /> <br /> <br />
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