Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Exemple d’une ultime génération de tombereaux hippomobiles : cette benne sortie des établissements Charlet d’Oullins (France, Rhône).
La traction animale
et ses patrimoines.
Oubli, survie, renouveau : un problème français ?
Derrière ce titre très ambitieux, je voudrais surtout me livrer, en tant qu’historien - archiviste, à un exercice de style qui consiste à réconcilier histoire et modernité, à constater comment les différentes utilisations de l’énergie animale ont intégré la vie quotidienne depuis des siècles jusqu’à une actualité dont je laisserai faire la preuve à d’autres experts...
Exercice présomptueux !
Je m’empresse de baliser le sujet …
A la fin du Moyen-Age : époque où la documentation écrite et iconographique permet une étude relativement fiable du sujet et où la plupart des grands principes de l’utilisation animale contemporaine sont connus.
A la France métropolitaine, ce qui exclut les usages coloniaux appelant l’utilisation d’animaux « exotiques ».
En limitant mon propos aux attelages [ce qui exclut le portage)] des équidés et des bovins [ce qui exclus les attelages canins, caprins], utilitaires [facilité de langage ! car tous les attelages ont une utilité], c’est-à-dire les attelages agricoles, commerciaux, industriels [en excluant les attelages privés, « de prestige », les transports militaires, les pompiers, par exemple].
Négligé par les historiens et beaucoup de conservateurs de musées, les patrimoines de la traction animale « à la française », témoins des besoins, des goûts et des savoir-faire de leurs temps, vivent dans leur ensemble un paradoxe : une richesse et un prestige passés qui n’ont d’égal que leur méconnaissance et leur fragilité.
Un postulat erroné a longtemps scellé le sort des véhicules et des harnais de travail : du fait de leur grand nombre, on en a cru la source intarissable. Or, très peu de ces objets, encombrants et peu maniables, difficiles à valoriser, sont en réalité entrés dans les musées. Combien ont été abandonnés, disloqués, brûlés? Aujourd’hui encore, combien servent à décorer les ronds-points, combien d’autres font office d’enseignes (y compris de musées) ?… Tous sont condamnés à une disparition rapide.
La sauvegarde, aussi primordiale soit-elle, ne saurait toutefois se concevoir comme une fin unique. Isolés et anonymes, les objets perdent leur sens. Or, on sait bien, en matière de patrimoine, que la méconnaissance est synonyme de fragilité. Pour les matériels que la bienveillance d’un collectionneur a épargnés, se pose maintenant un problème de documentation.
Tombereau à 2 chevaux, plan extrait du « Moniteur de la Maréchalerie et du Charronnage » (revue française, parue sous ce titre entre 1909 et 1925), dessin d’atelier sur calque (62x43 cm.)
Regretter d’innombrables et irrémédiables pertes ne changera rien à la situation. De nombreuses traces artistiques et archivistiques peuvent - partiellement - témoigner.
Les attelages utilitaires sont malheureusement peu étudiés au regard de leur importance, on possède pourtant une documentation dispersée mais variée et d’une très grande qualité :
La forme très reconnaissable du collier de laitier : oreilles en pointe, couleur vives, grelotières fixes.Extrait du catalogue des colliers Renaud, 1905.Léon Renaud est un fabricant réputé de harnais de travail, établi 10 bis & 12 rue Saint-Maur à Paris (XIème arr.).
Ces précautions précisées, j’évoquerai aussi le concept de modernité… Mais qu’est-ce qu’un attelage moderne ?
Evolution, transmission
La clé pour bien saisir la pertinence historique de la traction animale, c’est d’avoir toujours en tête une approche dynamique.
Pour le cheval, des études récentes l’ont parfaitement prouvé :le cheval de trait tel qu’on le connait aujourd’hui n’a pas toujours existé.Le cheval de harnais médiéval n’est pas le cheval de tirage du XVIIIe siècle, lui-même différent du bidet, du carrossier, du postier, du camionneur, du « gros trait » du XIXe siècle, bien loin du « cheval à viande » des années 1980…
L’historiographie de ces vingt dernières années a redonné au cheval ses dimensions sociales et économiques(oubliées en demi-siècle de motorisation générale) mais encore faut-il rappeler un fait historique, remarquable par sa permanence : une parfaite adaptation (taille, poids, commerce) aux exigences de contextes successifs.
En d’autres termes, le cheval de trait a toujours été un cheval de son temps, façonné par les moyens d’un moment,pour les besoins du moment et utilisé selon des techniques également évolutives.
Villiers-le-Bel (France, Oise), 1909. Les chariots employés dans les grandes exploitations céréalières du nord de Paris et du sud de l’Oise n’ont pas l’aspect massif de leur homologue du Nord. Dimensions intérieures moyennes : longueur 5,10 m, largeur 1,20m, hauteur des ridelles 0,60m. Un chariot de ce type pèse approximativement 2400 kg pour une capacité de charge maximum à 7000 kg. Ils sont plutôt pourvus d’une limonière (attelage de 3 ou 4 chevaux en file), à moins qu’on les attelle avec des bœufs (4 à 6, par paires, au joug de nuque)…
C’est aussi le cas des bovins à quelques différences notables près, surtout liées à leur vocation bouchère (on n’a le droit de manger du cheval qu’en 1866 !).
et l’attelage ?
Un attelage utilitaire est INVARIABLAMENT l’expression pertinente d’une activité (agricole, industrielle, commerciale), dans un environnement précis (à la fois économique, géographique, technique et culturel).
Roulier ardéchois (France, Ardèche). Le limonier porte un collier « à planche » recouvert de sa housse, le chevillier et le devantier, des colliers méridionaux et leur « vara » (housse faite de peaux de mouton à laine grossière teinte en bleu, appelée chabine en Berry ou chabane en Brie). On retrouve cette tradition en Dauphiné, en Languedoc et en Roussillon.
Au cœur de cette question, 2 notions sont fondamentales : l’innovation et la transmission.
L’innovation a été permanente depuis 2500 ans, elle concerne le matériel (harnais, véhicules, outils),la zootechnie, l’architecture, l’urbanisme, l’agronomie… Au fil du temps, les techniques et les savoirs se sont complétés,amalgamés, substitués, ont voyagé (migrations de population, apprentissages itinérants, commerce), ont survécu par niche.
Labour en Champagne Berrichonne (France, Indre, Déols) avec des bœufs nivernais(Charollais) et chevaux Percherons. Le Berry (France, Cher et Indre) est une région d’élevage et de commerce très importante pour les animaux de travail.
En tenant compte du type de véhicule ou de matériel tracté, de la nature et du nombre d’animaux attelés, de leur disposition, du harnais utilisé, de la méthode de conduite, des accessoires divers, j’évalue à environ 400 le nombre d’attelages utilitaires traditionnels actifs en France métropolitaine au début du XXe siècle…Ce qui confère [incontestablement ?] au sujet une véritable dimension patrimoniale. (60% sont ruraux, 50% d’entre eux concernant les transports)
[Pour mémoire,dans le seul domaine de la carrosserie et du charronnage 150 à 200 brevets sont déposés par an dans la décennie 1890, alors que toutes les attentions, chez les gestionnaires de grandes cavaleries urbaines, portent sur la traction mécanisée !]
Restons-en là sur ce point !
Vendanges à Vauvert (France, Gard). Une « pastière » attelés de 3 fort(e)s mule(t)s en habits de fête (colliers dits « Sarrazins » lorsqu’ils sont parés de décorations votives). Les charrettes « ordinaires » des vignerons du Languedoc sont équipées, pour le transport de la vendange, d’une sorte de caisse dans laquelle on tend une toile imperméable (ou une cuve, pour la version la plus « moderne ») : la « pastière ».
S’agissant de la transmission
L’intégration de nouvelles pratiques appelle 3 voies :
Aujourd’hui
Le problème français de la perte des savoir-faire tient à deux décennies (1960 à 1980) acquises au moteur et à l’image passéiste de l‘omniprésence animale, à une génération peu complaisante d’un rythme de vie jugé (pas tout à fait à tort !) contraignant et peu rentable.
Heureusement, ici et là, la pratique (agricole)a perduré, souvent liée au maintien d’un patrimoine génétique, assurant un lien sporadique mais fondamental.
L’image passéiste de la traction animale tient au fait que ces ultimes attelages quotidiens, capturés dans leur jus, ignoraient généralement les derniers progrès (en matière de bourrellerie par exemple, un domaine très innovant jusque dans l’entre-deux guerres). Gardons-nous bien de condamnations trop hâtives : grâce à ces passeurs de mémoire, des professionnels investis permettent d’envisager un avenir à la traction animale, dans l’agriculture raisonnée notamment.
Est-ce suffisant ? Evidemment non !Les contextes d’utilisation ont considérablement changé (faire-valoir direct, prestation de service, marchés publics), il faut donc ré-explorer le sujet : réapprendre à utiliser l’animal au travail (nouvelles études dynamométriques, vétérinaires, environnementales), concevoir et faire évoluer des prototypes, fixer les limites et professionnaliser les périmètres d’intervention…
Ne nous leurrons pas.Dans une conjoncture globale difficile,le recours à la traction animale est vu comme une « fantaisie »rétrograde,économiquement peu justifiable : coût élevé (notamment face au moteur électrique), limites techniques.De fait, il faut réinventer la traction animale agricole, forestière et urbaine d’un point de vue… sociétale.
Mais… la traction animale a toujours n’a-t-elle pas toujours été une question…de modernité ?
Avant-train polyvalent(urbain, malgré le décor !) présenté par son concepteur, Bernard Michon, au rassemblement international d’attelages de chevaux de trait « Trait Comt’Est », à Magny-Cours en 2016 (France, Nièvre).
Texte et Iconographie:
Etienne Petitclerc
Pour approfondir votre connaissance du patrimoine hippomobile de travail, n'hésitez pas à acquérir l'excellent ouvrage d'Etienne Petitclerc "Attelées" (Editions: Campagne compagnie)