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Le Private Road Coach de Mülhbacher du Musée national de la voiture : histoire d’une restauration et d’une mise en valeur

La salle rénovée

La salle rénovée

En 2019, l’entrée du Musée national de la voiture a fait l’objet d’une rénovation d’envergure donnant le ton à la restauration progressive des salles tout en poursuivant un important travail quant au projet de refondation in-situ de cette institution née en 1927. L’idée est de retrouver la muséographie des années 1920, celle décidée par les fondateurs du premier musée au monde dédié à la locomotion. Ainsi, les peintures d’origine ont-elles été restituées, valorisant les boiseries du manège de Napoléon III au Louvre qui servent d’écrin à deux chefs-d ’œuvres, la Jamais Contente d’une part, première automobile à avoir dépassé les 100 km/h, véhicule électrique pilotée par Camille Jenatzy, l’Autochenille Citroën d’autre part, emblématique de la Croisière noire de 1924. Le « toujours plus vite » se confronte au « toujours plus loin » résumant dès l’entrée les ambitions et les enjeux que symbolise la collection du Musée national de la voiture.

La réouverture de la Cour de cuisines en novembre 2019, après plus de vingt ans de fermeture et un aménagement cohérent des œuvres présentées ont permis de donner de nouveau accès au public à la collection hippomobile, bien que beaucoup reste encore à faire notamment en termes d’éclairage et d’encombrement, malgré le déménagement d’une quinzaine de véhicules dans de nouvelles réserves.

 

Dans la continuité de ces premières opérations, il fut décidé par la direction du château de rénover la Rôtisserie et d’en faire une vitrine de ce que pourrait être le futur musée. Comme pour l’entrée du musée, la salle a été rénovée dans son état de 1927, tout en conservant les éléments datant du Second Empire, la salle étant alors destinée à la Rôtisserie, ce que rappellent plusieurs objets et éléments de mobilier, provenant des collections du château, présentés autour de la monumentale cheminée aménagée dans ce but.

Vue de la Rôtisserie avant restauration, Photo (C) RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Tony Querrec

Vue de la Rôtisserie avant restauration, Photo (C) RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Tony Querrec

A l’origine du Musée national de la voiture se trouve la volonté de plusieurs carrossiers parisiens de garder la mémoire de la civilisation hippomobile, dont Pierre Giffard avait dès 1899 annoncé la fin ainsi que des premières automobiles qui appartenaient déjà au passé en 1927. Dès les années 1870, quand les premières voitures sans chevaux suscitent admiration et crainte, hippomobiles et automobiles se côtoient, s’affrontent, entrent en compétition, chacune ayant ses partisans et ses détracteurs ; cette cohabitation est au cœur des collections du Musée national de la voiture et il est apparu évident dans cette salle « modèle » de la mettre en avant à travers deux véhicules : le « phaéton » Panhard et Levassor de 1891, l’une des premières automobiles de ce fabricant français, et le Private Road Coach de Mülhbacher (1880-1890), qui attendait au fond de la Cour des cuisines d’être enfin mis en lumière. Il était aussi tentant de rapprocher ce véhicule du parkdrag mené par le comte du Luart sur le tableau peint par Ernest-Alexandre Bodoy dans les mêmes années (1887-1888). Au-delà de ce parallèle, cette présentation met également en avant un art de vivre et des pratiques sportives fort en vogue dans le dernier quart du XIXe siècle, mais aussi les années de transition entre deux modes de locomotion.

Le Private Road Coach de Mülhbacher dans la cour des Cuisines

Le Private Road Coach de Mülhbacher dans la cour des Cuisines

Comme souvent au sein d’un monument historique, les accès aux salles historiques sont complexes pour des œuvres aussi monumentales. Les portes, les couloirs n’ont évidemment pas été pensés pour permettre le passage aisé de véhicules aux dimensions parfois imposantes. Donc pour réaliser ce projet, il a fallu penser autrement tout en gardant à l’esprit en permanence la conservation et le respect des œuvres. Le « phaéton » Panhard Levassor était présenté dans la Grande Cuisine, mais la largeur des portes du couloir amenant à la Rôtisserie comme l’angle de manœuvre pour y accéder ne permettaient pas un mouvement par ce chemin. Le seul accès possible est rapidement devenu une évidence : par la Cour des cuisines et par les deux fenêtres séparant la cour de la Rôtisserie en traversant le couloir.

Cette solution exigeait que les œuvres soient démontées d’une part et d’autre part qu’un échafaudage soit construit dans la Cour des cuisines (la fenêtre pour le passage se situant à environ 3 m du sol) et qu’un système soit mis en place pour lever les différents éléments et les transférer sans risque dans la Rôtisserie.

Montage de l'échafaudage côté cour des Cuisines. Au premier plan, le petit "phaéton" Panhard & Levassor démonté

Montage de l'échafaudage côté cour des Cuisines. Au premier plan, le petit "phaéton" Panhard & Levassor démonté

Problématique posée par le passage du Private Road Coach

L’opération a commencé par la pose préalable de socles de présentation dans la Rôtisserie, puis par la construction de l’échafaudage (par l’entreprise Bovis) dans la Cour des cuisines et du pont dans le couloir. Le « phaéton » fut transféré sur un plateau dans la Cour des cuisines pour être levé puis transféré et mis en place après démontage sur le socle de la Rôtisserie après son passage par les deux fenêtres.

Le démontage du Private Road Coach a fait l’objet d’interrogations multiples : où démonter pour limiter au maximum les risques de dégradations ? A cette fin, un comité scientifique composé à la fois de restaurateurs, de membres de l’Association Française d’Attelage (AFA) et de conseillers techniques, a été constitué sous la gouvernance de la direction du château et de la conservation du Musée : Philippe et Danièle Sassatelli, Jacques Dumont, Alain Bahuchet, président de l’AFA, Dominique Posselle, Jean-Alain Greze, Juliette Zelinsky ont ainsi réuni leurs compétences et leurs points de vue. Leur expérience et la diversité des approches ont été non seulement très instructives du point de vue de la connaissance de la construction et de la conservation de la voiture, mais aussi efficace quant au but qu’il fallait atteindre.

Le premier point à déterminer fut les zones de démontage avec le cahier des charges suivant : intervenir le moins possible, car le véhicule ayant été peint et verni après montage, tout mouvement de boulon aurait pour conséquence une perte de couche picturale, un craquèlement dû aux vibrations, d’autant qu’il est fort possible que le décor peint soit le dernier datant de l’utilisation du véhicule. La caisse et les têtes de boulon présentent en effet un film de peinture continu et stable qu’un démontage viendrait rompre en créant des écailles et un évasement localisé de la couche picturale. Ensuite, séparer la caisse du train posait nécessairement la question de la réaction des ressorts : la suspension est constituée de quatre ressorts montés en carré, ou télégraphe, à l’avant et à l’arrière de la voiture. Ces ressorts, composés de plusieurs lames, tiennent en place grâce au poids de la caisse posée sur le train. Lever la caisse entrainerait nécessairement un risque de dissociation des lames d’autant que cette option implique l’ouverture des brides de ressorts. Enfin, les dimensions des deux fenêtres ne permettant que le passage de la caisse nue de tout accessoire, le démontage des lanternes, marche pieds, sabot d’enrayage, patins de freins, balustrades de l’impériale devenait obligatoire.

Ecrous du marchepied gauche avant démontage et après démontage et avant l'enlèvement du marchepiedEcrous du marchepied gauche avant démontage et après démontage et avant l'enlèvement du marchepied

Ecrous du marchepied gauche avant démontage et après démontage et avant l'enlèvement du marchepied

Après le démontage du marchepied et démontage sur l'impérialeAprès le démontage du marchepied et démontage sur l'impériale

Après le démontage du marchepied et démontage sur l'impériale

Après avoir étudié plusieurs solutions, notamment autour de la cheville ouvrière, il fut décidé de retenir l’option d’une dépose au niveau des fixations des ressorts sur le train soit le démontage de quatre points de fixation et huit boulons autour des brides de ressorts, donc au total vingt boulons, auxquels s’ajouteront les boulons fixant les accessoires.

La première étape fut donc de sécuriser l’œuvre bien que le bois de la caisse ne présentait pas de fente mobile ou de fragilité structurelle apparente, par le refixage de la couche picturale et la protection des zones de démontage par la pose d’un papier Japon. Isabelle Devergne, restauratrice spécialisée notamment dans le domaine hippomobile fut chargée de ces opérations. Parallèlement, Juliette Zelinsky, restauratrice spécialisée dans le traitement des métaux, est venue traiter les parties métalliques en lien avec le comité scientifique. Son examen a permis d’établir que, sur le plan de la résistance des métaux, il n’avait pas été observé de corrosion du fer dans les lacunes, ni de taches de corrosion autour des lanternes et des marche pieds. Elle a alerté sur les risques de corrosion « dans les filetages ou dans la jonction entre les écrous et les filetages » qui pourraient être pris dans le bois (rapport du 9 décembre 2020). Elle a pu ainsi préconiser les zones favorables au démontage.

Après un traitement au dégrippant, la seconde étape a pu être entreprise par Dominique Posselle : le démontage des accessoires. Force est de constater l’excellence de la carrosserie Mülhbacher ; malgré le temps et des conditions de conservation parfois peu adéquates, l’ensemble de ces éléments fut démonté avec une facilité déconcertante : pas ou peu de corrosion, pas de grippage qui auraient pu entraîner une dégradation du bois, ce qui interroge sur la nature des graisses utilisées.

Après le démontage des porte-lanternes et Porte-lanterne démontéAprès le démontage des porte-lanternes et Porte-lanterne démonté

Après le démontage des porte-lanternes et Porte-lanterne démonté

La troisième étape fut la préparation des ressorts et la protection du véhicule : afin de limiter les risques inhérents au relâchement des ressorts lors du levage de la caisse, deux structures métalliques de soutien et de manipulation ont été réalisées sur mesure pour porter et maintenir les ressorts autant à l’avant qu’à l’arrière par Jean-Alain Greze, membre de la Société des Amis du Musée national de la voiture, laquelle a financé l’achat des matériaux. Ces structures ont constitué les points de manipulation, de levage et de pose de la caisse sur son socle de transfert. Donc à aucun moment la caisse ne sera manipulée directement. Des cales et serre-joints ont ensuite été positionnés sur les ressorts pour en optimiser le maintien lors de la translation, certes brève, de la caisse du train vers le socle de transfert. La caisse et donc les ressorts ont reposé sur ces structures métalliques.

Essai de la structure de maintien

Essai de la structure de maintien

Restaient à résoudre deux problèmes : prévoir le rehaussement de la caisse sur le socle de transfert en raison du bas de caisse plus bas que le fond de caisse et des éléments de fixation du frein situés en saillie sous la caisse d’une part, d’autre part palier à la mobilité des liaisons entre les ressorts latéraux et longitudinaux par les menottes mobiles.

 

La caisse sur son support de transfert

La caisse sur son support de transfert

L’ensemble de la caisse (et du train) furent protégés et le véhicule fut amené au pied de l’échafaudage. Le protocole de démontage a pu être mis en œuvre. Une fois les écrous démontés, la caisse a pu être levée par le biais de poulies et de sangles passant par des anneaux situés sur les deux structures métalliques de maintien des ressorts. La caisse fut immédiatement posée sur la palette de transfert, reposant sur ces mêmes structures lesquelles ont été placées sur des socles à l’avant et à l’arrière pour rehausser la caisse. Seule une vis filetée au niveau du ressort avant gauche posa problème en raison de sa déformation progressive due aux mouvements internes des lames de ressorts. Elle fut remise en état par l’atelier métallerie du château.

Début de l'opération de transfert du train vers la Rôtisserie et arrivée du train dans la Rôtisserie Début de l'opération de transfert du train vers la Rôtisserie et arrivée du train dans la Rôtisserie

Début de l'opération de transfert du train vers la Rôtisserie et arrivée du train dans la Rôtisserie

La pose du train sur le socle

La pose du train sur le socle

Le passage du train à champ fut assez délicat malgré le maintien de toutes les parties mobiles. La translation de la caisse ainsi soclée ne posa pas de problème particulier, bien que sa repose sur le train fit l’objet d’une opération d’une grande précision. La remise en place des boulons n’entraina pas de difficulté sauf pour la vis mentionnée plus haut, car il fallut remettre les lames de ressorts en place. Une fois la caisse sur le train, les structures métalliques de maintien furent retirées (et conservées en réserve) tandis que l’ensemble des accessoires fut remis en place avec autant de facilité que lors de leur démontage.

Passage de la caisse et remise en place de la caisse sur le trainPassage de la caisse et remise en place de la caisse sur le train

Passage de la caisse et remise en place de la caisse sur le train

La restauration du Private Road Coach pouvait donc commencer : les restauratrices métal sont intervenues en premier en conservation et traitement de la corrosion qui s’est notamment développée dans les lacunes soit du cuir soit de la couche picturale. La plupart des éléments métalliques étant peints, leur restauration a été conduite conjointement avec celles des couches picturales et vernies. Le traitement des lanternes a été particulièrement spectaculaire. Les parties en cuir furent restaurées par Ingrid Leautey qui a traité les cuirs, les cuirs vernis et le linoléum par aspiration, nettoyage par gommage, remise en forme et consolidation réversible puis protection à la cire micro-cristalline. Patricia Dal Prà est intervenue sur les parties textile qui, après dépoussiérage par micro-aspiration, nettoyage par gommage, a atténué les auréoles de certains coussins. Préalablement à toute opération de nettoyage des parties peintes et vernies, Isabelle Devergne a procédé à un dépoussiérage général des parties peintes, suivi d’un décrassage par micro-éponges Basotec® et mélanges de solvants, adaptés selon les surfaces et la nature des dépôts à enlever. Puis une série de tests a été réalisée pour définir la méthodologie et le niveau d’intervention. Le véhicule a été, comme d’autres au sein de la collection, badigeonné sans doute dans les années 1950 d’un jus brun, probablement à base d’huile de lin, qui reste très visible, surtout lorsque les parties non recouvertes par ce produit ont été nettoyées. Isabelle Devergne a donc procédé à divers tests et protocoles de nettoyage visant certes à retirer ce produit mais sans nuire aux vernis et autres glacis colorés sur la caisse comme sur le train. Les tests ont été effectués sur la coquille, sur la barre de volée, sur la lame maîtresse du ressort avant gauche et sur la roue arrière droite. Un protocole de nettoyage a été défini, mais au regard de l’ampleur du chantier, il n’a pu être mis en œuvre. Toutefois, certaines fenêtres ont été gardées afin d’imaginer la vivacité du vermillon en particulier du train. Néanmoins, le décrassage, l’atténuation des coulures sur le train et surtout sur les panneaux peints en noir ainsi que les réintégrations colorées ont permis de redécouvrir ce véhicule, de le mettre en lumière et de le valoriser auprès du public tout en assurant sa conservation future. Enfin, Isabelle Devergne est intervenue en restauration sur les zones concernées par le démontage : les papiers de protection ont été retirés, les zones fragilisées ont été stabilisées, les lacunes réintégrées et protégées.

Détail d'un coussin situé sur la banquette avant à l'intérieur (photo Patricia Dal Prà)

Détail d'un coussin situé sur la banquette avant à l'intérieur (photo Patricia Dal Prà)

Lanterne avant et après restauration (photo Juliette Zelinsky pour Hephaïstos)Lanterne avant et après restauration (photo Juliette Zelinsky pour Hephaïstos)

Lanterne avant et après restauration (photo Juliette Zelinsky pour Hephaïstos)

Lanière des banquettes en cours de nettoyage (photo Ingrid Leautey)

Lanière des banquettes en cours de nettoyage (photo Ingrid Leautey)

Coulures d'un badigeon brun et après restauration (photo Isabelle Devergne) Coulures d'un badigeon brun et après restauration (photo Isabelle Devergne)

Coulures d'un badigeon brun et après restauration (photo Isabelle Devergne)

Ce transfert qui a permis non seulement la présentation de cette œuvre au public, mais aussi sa conservation dans de meilleures conditions, a été géré grâce à la mise en commun d’expériences, de connaissances et d’approches variées de l’œuvre hippomobile. Elle est aujourd’hui valorisée et s’inscrit dans un discours muséographique défini.

Le Private Road Coach de Mülhbacher du Musée national de la voiture : histoire d’une restauration et d’une mise en valeur

Coaching et conduite automobile

Le coach carrossé par Mühlbacher est un Private Road Coach (et non un parkdrag) si on se réfère à la classification établie par Fairman Rogers (Manual of Coaching, dans Le Coaching en France, Compiègne, MNV, 1994, p. 22) : la construction est lourde sans être massive, la banquette arrière est bien supportée par des panneaux pleins, l’espace entre les banquettes sur l’impériale était dotée d’un filet pour les bagages (aujourd’hui disparu), les lampes sont bien à leur place habituelle, les dossiers des sièges de l’impériale sont cependant rabattables. La caisse à deux fonds est de couleur « carmin glacé et verni » à panneaux de custodes et de coffres noirs et vernis, les panneaux du siège de cocher et du siège de groom sont aussi rouges comme la partie extérieure de la coquille, soulignée de filets noirs. Le siège du meneur est placé sur un coffre de siège comme le siège de groom à l’arrière, dont le dossier présente un demi-cercle. La caisse comprend deux portières à quatre vitres montées sur un châssis en acajou verni, à glissières et à jalousies rouges et noires. Un chiffre, malheureusement illisible, orne la ceinture des portières. Le pavillon comprend deux banquettes à accoudoirs, dossiers repliables, couvertes de coussins garnis de crin, à capitons et couverts d’un velours de laine chiné sur la face et d’une toile enduite de l’autre côté. La caisse repose sur des ressorts télégraphes (Jean-Louis Libourel, Vocabulaire typologique et technique. Voitures hippomobiles, 2005, p. 222), le train est rouge vermillon avec un filet noir sur les roues. La flèche présente trois branches à l’arrière, l’avant train est à rond, le timon à crapaud, et les deux palonniers sont conservés en réserve. Le freinage couple un sabot d’enrayage avec chaîne et un frein à patin sur les roues arrière actionné par un levier de frein à crémaillère situé à la droite du meneur. Le véhicule est doté de deux lanternes à bougies de forme carrée à double chapiteaux en tôle peinte (fer et étain) en noir à deux vitres. L’intérieur est en bois nu et verni, l’encadrement des fenêtres et des portières est toutefois souligné de rouge ; les portes ainsi que les banquettes assises et dossiers sont couvertes du même velours de laine chiné que les assises de l’impériale. Dans la partie inférieure de la portière figure une plaque émaillée portant l’inscription en noir : Mühlbacher Carrossier Paris, mention qui est également inscrite sur une plaque de cuivre jaune (laiton ?) située au bas de la portière droite. Les moyeux de roues portent aussi la marque Mühlbacher Paris.

Moyeu de roue

Moyeu de roue

Cette célèbre maison de carrosserie fondée en 1797 au 14 rue de la Planche à Paris, est qualifiée par le Guide du Carrossier en 1889 de « la plus ancienne et la plus grande de Paris ». Les Annuaires Almanachs de Paris mentionnent au 63 avenue des Champs-Elysées, le carrossier (ou fabricant de voitures) Mühlbacher de 1879 à 1894. Dans l’édition de 1877 (Mühlbacher n’apparait pas dans celle de 1878), la raison sociale est Mühlbacher et fils, tandis que dans celle de 1896 (Mühlbacher n’est pas mentionné dans celle de 1895), elle devient Mühlbacher O. à la même adresse. Les ateliers sont situés au 13 rue Mesnil à partir de 1881. La fabrication du coach se situerait donc entre 1879 et 1894. Mühlbacher s’est bâti une belle réputation dans la construction de coaches comme le montre notamment la liste des membres du club les Guides, établie par Donatien Levesque dans son ouvrage Les Grandes Guides publié en 1886 (Donatien Levesque, Les Grandes Guides, Paris, 1886, p .145 et suiv.) : on apprend ainsi que le général comte Friant, vice-président de ce club très privé, possédait un coach Mühlbacher à caisse bleue et train jaune, comme l’autre vice-président, E. de la Haye-Jousselin, propritaire d’un coach à caisse vert olive et train rouge. Le coach du vicomte de Gironde, également de Mühlbacher est à caisse jaune et train bleu foncé, celui de E. Pascal est à caisse bleue et train rouge, tandis que le celui de Ridgway est à caisse brune et train rouge.

Ce Private Road Coach s’inscrit donc dans une pratique de l’attelage que décrivent fort bien les auteurs du Rapport du jury de l’Exposition Universelle de Paris de 1878 (Rapport sur la carrosserie et le charronnage, groupe VI, classe 62, Paris, 1880-1881, p. 25). La première présentation d’un coach lors d’une exposition internationale remonte à 1855 et déjà en 1867, trois mails coaches, dont un de fabrication française étaient montrés au public : « Pendant les onze années qui se sont écoulées depuis lors, ce type a pénétré dans nos habitudes ; il est devenu le complément obligé des grandes maisons qui se préoccupent d’attelage. C’est en effet, la voiture qui se prête le mieux au menage si difficile à quatre chevaux ; enfin, la disposition agréable des sièges supérieurs, les ressources que les grands coffres présentent au fabricant, qui peut y loger tout un monde d’objets utiles, la rendent précieuse, non seulement pour les courses, mais encore pour les excursions, les grandes chasses et la vie de château. Nous sommes convaincus que cette voiture se vulgarisera davantage en France, et cette conviction, partagée par la plupart de nos confrères, explique le nombre considérable que l’Exposition de 1878 a vu figurer dans la classe 62 ». Les auteurs précisent que même les carrossiers anglais ont pu évaluer la perfection atteinte par les carrossiers français dans la réalisation de ce type de voitures.

Nous n’aborderons pas le développement du coaching en France, déjà bien étudié, mais plutôt les liens qui unissent coaching et automobiles. Le Private Road Coach carrossé par Mühlbacher appartient à la pratique du road coaching, mode venue d’Angleterre et introduite en France dès les années 1860. Ce sont toutefois de riches Américains vivant à Paris qui ont le plus contribué au développement de ce sport en France. Un article de la Carrosserie Française du 15 mai 1893 en fait un bon résumé : depuis quelques années, l’art de conduire à quatre chevaux a pris en France un grand développement. Cela a donné l’idée de créer plusieurs lignes de coaches partant de l’avenue de l’Opéra, du bureau du New York Herald « pour divers points intéressants des environs de Paris. Ce sont deux Américains Ridgway et Morgan qui lancent la première ligne entre Pau et Oloron en 1883-1884 », avec un coach réalisé par Mühlbacher, The Rocket ; « plusieurs lignes se développent alors dans le sud de la France, entre Pau et Biarritz, puis sur la Côte d’Azur et dans les environs de Paris ». Les coaches The Comet, The Meteor, The Crescent, The (New) Rocket et The Evening Star sont aussi sortis des ateliers de Mühlbacher, qui est très apprécié de ces Américains fortunés, ayant mené une politique active de promotion aux Etats-Unis où il jouissait d’une solide réputation. Le coach privé restauré par Dieter Gaiser, que l’auteur de l’article publié sur le site attelage-patrimoine rapproche du Old Rocket de Ridgway utilisé sur la Côte d’Azur dès 1890, n’est pas sans évoquer dans ses lignes et structure générales, ainsi que dans ses couleurs, le Private Road Coach du Musée national de la voiture.

S’il appartient à la pratique du coaching, le parkdrag mené par le comte du Luart sur le monumental tableau peint par E.-A. Bodoy illustre un autre aspect du driving, sur des distances plus courtes, pour se rendre aux courses, accompagner la chasse ou se promener en se montrant au Bois de Boulogne.

Cette œuvre monumentale fait partie d’une série de cinq tableaux commandés par le comte Philippe le Gras du Luart à Ernest-Alexandre Bodoy pour son hôtel particulier situé au 61 rue de Varenne à Paris et son château de la Pierre dans la Sarthe. Elle ornait la sellerie d’honneur des Ecuries jusqu’en 2005, date de sa vente.

Ernest-Alexandre Bodoy, En promenade pour le bois de Boulogne, vers 1888, CMV.2005.003 (photo RMN, Tony Querrec)Ernest-Alexandre Bodoy, En promenade pour le bois de Boulogne, vers 1888, CMV.2005.003 (photo RMN, Tony Querrec)

Ernest-Alexandre Bodoy, En promenade pour le bois de Boulogne, vers 1888, CMV.2005.003 (photo RMN, Tony Querrec)

Le comte Anne-Philippe-Charles-Jacques le Gras du Luart (1818-1896) est le second fils de Roland-Marie le Gras, marquis du Luart et de la marquise, née Anne-Eulalie d’Harcourt. Il épouse en 1840 Léopoldine Antoinette Elisabeth Barbin de Broyes (1819-1886). Il fut un grand veneur, maître d’équipage du Rallye « La Haut », propriétaire de la verrerie de Coudrecieux et maire de cette bourgade pendant plus de cinquante ans.

Il eut deux filles, l’une morte en bas âge, tandis que la seconde, Elisabeth, épousera en 1863 Cyprien de Pontoi, marquis de Pontcarré et comte de Pontoi. Ils auront un fils, Louis.

Après son mariage, en 1842, le comte du Luart entreprend de nombreux travaux de remise en état du château de la Pierre que la Révolution avait fort endommagé. Il confie ces travaux à l’architecte Delarue et en 1862, il le charge de la construction des écuries qui se caractérisent par un plan en U à grande cour ouverte, très pratique pour rassembler chevaux et voitures. Si leur architecture en briques et pierres évoque le règne de Louis XIII, leur structure est entièrement métallique et témoigne d’une certaine modernité architecturale.

Détail des chevaux de volée

Détail des chevaux de volée

Ernest-Alexandre Bodoy est membre de la Réunion des Peintres et Sculpteurs de chevaux, organisation placée sous le patronage de la Société hippique française. Peintre de chevaux, il est aussi un peintre mondain apprécié par la haute société aristocratique, industrielle et financière de la IIIe République, ayant parmi ses commanditaires le baron Carayon de la Tour, dont le Musée national de la voiture possède une voiture de voyage carrossée par Clochez, le comte de Nicolaÿ, le comte de la Marche dont il représente le drag le 18 mai 1875, ou M. de Montgoméry dans La voiture est avancée de 1877 (Bénézit, Dictionnaire des peintres, Paris, 1911, t. I, p. 633, col. 2 ; Base documentaire des peintres du Musée d’Orsay).

Ernest-Alexandre Bodoy, Etudes et croquis de cavaliers et de chevaux, CMV.3297

Ernest-Alexandre Bodoy, Etudes et croquis de cavaliers et de chevaux, CMV.3297

Détail d'une bride

Détail d'une bride

Il était donc le peintre désigné pour la réalisation des cinq œuvres souhaitées par le comte du Luart où équipages, chevaux, pratiques et vie mondaines sont mises en valeur : Dans l’Attente dans la cour de l’hôtel particulier des Luart rue de Varenne (100*150 cm), un équipage de deux chevaux attelés au coupé de gala carrossé par Ehrler attend ses passagers. Ce coupé qui fit partie de la collection d’André Becker fut récemment mis en vente (2021). L’arrivée au perron du château de la Pierre (100*150 cm) figure un équipage à quatre chevaux attelés à un landau. Philippe du Luart apparait au second plan accompagné de son chien tandis qu’un groom attend sur le perron et que le cocher est en place. L’Arrivée au château de la Pierre (100*150 cm) montre un break attelé à quatre chevaux devant le château dans son état des années 1880, tandis que le Départ pour la chasse dans le parc de la Pierre (100*150 cm) met en valeur un petit duc attelé à deux poneys mené par Elisabeth du Luart, comtesse de Pontoi (1843-1926). Son époux donne des instructions au garde-chasse debout sur le perron (Catalogue de la vente Philippe Rouillac au château de Cheverny, 5 juin 2005, n°8 ; Jean-Denys Devauges, Notice de l’œuvre, 2005).

Détail des harnais

Détail des harnais

Le tableau acquis en 2005 par le Musée national de la voiture est le plus grand (227*340 cm) et est signé en bas à droite. Il représente le comte du Luart menant un park drag attelé à quatre chevaux au galop, trois bais foncés et un gris, à queues coupées. Leurs harnais vernis sont à colliers anglais et sont traduits par le peintre avec grande précision et force détails.

Le parkdrag est mené à vive allure sur l’allée du Bois, actuelle avenue Foch, emmenant, sous le regard admiratif et envieux de deux dames et d’un homme accompagnés d’un chien, représentés sur la gauche, ses invités vers le Bois de Boulogne, haut lieu de la sociabilité équestre dans le dernier quart du XIXe siècle, notamment décrite avec détail et humour par Crafty dans ses nombreux ouvrages.

Détail des passagers du coach

Détail des passagers du coach

Carl-Georg Arsenius, Retour de Longchamp, 1885, huile sur toile, CMV.660 (photo RMN, Franck Raux)

Carl-Georg Arsenius, Retour de Longchamp, 1885, huile sur toile, CMV.660 (photo RMN, Franck Raux)

Sur le modèle anglais, des clubs privés réservés aux propriétaires de coaches furent créés dans les années 1880, le Riding and coaching club en mai 1882, qui fut à l’origine le 2 juin 1882 du premier rassemblement de coaches qui rallièrent le Palais de l’Industrie à l’hippodrome d’Auteuil. Les Guides lui succéda en 1886 et créa la fameuse journée des drags dont la première édition, qui rassembla plus de vingt-huit coaches eut lieu le 4 juin 1886 entre la place de la Concorde et Auteuil. Au cours de cette journée mondaine par excellence, l’élégance des chevaux et des voitures rivalisait avec celle des toilettes des dames s’exhibant sur les impériales. Le comte du Luart n’apparait certes pas dans la liste des membres des Guides publiée par Donatien Levesque dans Les Grandes Guides de 1886, mais l’auteur avoue qu’il y a « bien d’autres coaches particuliers à Paris et il ne serait peut-être pas bien long d’en compter jusqu’à cinquante » (op. cit., p .149-150).

Derepas frères, Déjeuner sur le coach, tirage photographique, CMV.62.012 (photo RMN, Daniel Arnaudet)

Derepas frères, Déjeuner sur le coach, tirage photographique, CMV.62.012 (photo RMN, Daniel Arnaudet)

Derepas frères, Coach mené par le fils aîné d'Edwin Howlett, 1894, tirage photographique, CMV.62.012 (photo RMN, Daniel Arnaudet)

Derepas frères, Coach mené par le fils aîné d'Edwin Howlett, 1894, tirage photographique, CMV.62.012 (photo RMN, Daniel Arnaudet)

Derepas frères, L'arrivée des coachs aux courses, fin du XIXe siècle, CMV.62.012 (photo RMN, Daniel Arnaudet)

Derepas frères, L'arrivée des coachs aux courses, fin du XIXe siècle, CMV.62.012 (photo RMN, Daniel Arnaudet)

Cette pratique sociale autant que sportive n’est pas très éloignée de la conduite automobile qui connait dans les mêmes années ses premiers frissons. En 1888, en effet, Jim Selby parcourt la distance Londres-Brighton avec son coach Old Times en 7h50 mn soit une moyenne de 22 km/h. Quelques années plus tard, en 1907, l’Américain Alfred Vanderbilt reprend la route entre Londres et Brighton avec son coach Venture puis avec le coach Viking, n’hésitant pas à débarquer des Etats-Unis plus d’une centaine de chevaux gris. Entretemps, le 14 novembre 1896 avait lieu la première édition de la course automobile Londres-Brighton rendue possible par l’évolution du Locomotion Act, autorisant les automobiles à rouler à plus de 22km/h. Le pilote et constructeur automobile français Léon Bollée remporta cette course que le Royal Automobile Club ressuscita dès 1927 ! Par ailleurs, la coupe Vanderbilt, qui est la plus ancienne compétition automobile américaine, est lancée en 1904 par William Kissam Vanderbilt II à Long Island. C’est le pilote américain George Health qui l’emporte sur une automobile française de la marque … Panhard & Levassor.

Course Paris Amsterdam 1898, tirage photographique, CMV.1296.1 (photo RMN, Gérard Blot)

Course Paris Amsterdam 1898, tirage photographique, CMV.1296.1 (photo RMN, Gérard Blot)

Quelques années plus tôt, le 12 juillet 1892, avenue de l’Opéra au siège du New York Herald, propriété de James Gordon Bennett, s’élançait à l’initiative de l’Américain William G. Tiffany un coach réalisé par le carrossier Million-Guiet. A son bord, James Gordon Bennett, Auguste Guiet (voir Auguste Guiet, Hugues Legrand, « Souvenirs d’un record », dans Attelage-patrimoine, 29 avril 2019), Manuel Luqué de Soria, caricaturiste et peintre au Figaro illustré, le fils de Edwin Howlett et aux guides Eugène Higgins, membre du New York Coaching Club. Tiffany ambitionne de battre le record de vitesse établi par Selby en 1888 en parcourant la distance Paris-Trouville qui est réalisée en 10h50 soit 10h02 après déduction des temps d’arrêt aux douze relais. La vitesse moyenne est de 22,46 km/h mais les conditions du voyage, la route et les conditions de changements des chevaux aux relais sont loin d’être identiques. Qu’importe, James Gordon-Bennett était du voyage. En 1899, il crée la plus ancienne compétition de l’histoire automobile, la coupe Gordon-Bennett qui non seulement remplace les courses de ville à ville, devenues dangereuses, mais devient rapidement un événement mondial où pilotes et constructeurs automobiles s’affrontent avec frénésie. Elle est remplacée en 1905 par les Grands Prix de l’Automobile Club de France. La première édition a lieu en 1900 entre Paris et Lyon ; cinq automobiles sont engagées, dont trois françaises et seules deux finissent la course : ce sont deux Panhard & Levassor, et le vainqueur est Fernand Charron qui a roulé à une vitesse moyenne de 62 km/h.

René de Knyff en Panhard & Levassor lors de la seconde course Gordon Bennett, lithographie, CMV.3453 (photo RMN, Tony Querrec)

René de Knyff en Panhard & Levassor lors de la seconde course Gordon Bennett, lithographie, CMV.3453 (photo RMN, Tony Querrec)

Panhard & Levassor s’implique donc avec succès dans les premières courses automobiles et le « phaéton » (CMV.253) exposé aux côtés du Private Road Coach illustre ces premiers exploits : daté de 1891, il comporte une caisse à deux places posée sur un train noir à filets jaunes, dont les roues à rais en bois ont encore un bandage métallique. Les suspensions sont des ressorts à pincettes à l’avant et des ressorts droits à l’arrière. Une « queue de vache » en permet la conduite et son moteur à deux cylindres en V, est développé sous licence Daimler. C’est la première automobile de l’histoire utilisée pour effectuer un voyage : du 31 juillet au 1er août 1891, Emile Levassor aux commandes, accompagné d’Hippolyte Panhard, le fils de son associé, prend la route entre Paris et Etretat à la vitesse moyenne de 10 km/h.

L’association de deux véhicules contemporains (et de l’œuvre de Bodoy) n’est donc par fortuite (pour l'évolution des carrosseries hippomobiles et automobiles, voir l'article sur attelage-patrimoine : Jean-Louis Libourel, Carrosserie hippomobile et premières automobiles, une histoire commune, 30 mars 2012). Elle dévoile une cohabitation qui ne relève pas nécessairement d’une compétition mais plutôt d’une pratique sportive et sociale, voire mondaine, certes réservée à une élite fortunée. Deux femmes sont tout à fait représentatives de cette époque : la baronne Hélène van Zuylen (1863-1947), grande donatrice du Musée national de la voiture et la duchesse d’Uzès (1847-1933).

Le "phaéton" Panhard & Levassor et le Private Road Coach Mülhbacher

Le "phaéton" Panhard & Levassor et le Private Road Coach Mülhbacher

La première, née Rothschild était reconnue pour ses qualités de meneurs à quatre chevaux et fut aussi la première femme à participer à une course automobile, Paris Amsterdam en 1898 sur sa … Panhard & Levassor. Quant à la seconde, elle menait à six chevaux et fut la première femme à décrocher son permis de conduire en 1898. Elle conduisait un break Delahaye, aujourd’hui conservé au Musée national de la voiture.

 

Texte et photos (sauf mention contraire) : Maria-Anne Privat

Détail de la plaque du break Delahaye de la duchesse d'Uzès, 1897-1898, CMV.242 (photo RMN, Tony Querrec)

Détail de la plaque du break Delahaye de la duchesse d'Uzès, 1897-1898, CMV.242 (photo RMN, Tony Querrec)

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H
Merci mille fois pour ce passionnant article qui raconte par le menu la restauration, ainsi que toutes les phases du transfert dans cette salle "modèle". Il rend aussi si bien hommage à tous les acteurs de cette mise en valeur de deux monuments historiques avec en plus des photos inédites (pour moi) tirées des fonds du CMV.
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