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Texte: Figoli
Jean Jacques Binder s’est donc établi comme carrossier.
Comme dans les définitions précédentes de sellier, sellier carrossier,... ce terme de carrossier recouvre une réalité assez complexe. Dans un premier temps, nous pouvons le différencier du métier de charron. Les charrons étaient présentés comme les personnes s’occupant de la fabrication « des charrettes, des chariots et, dans les autres voitures, des roues, des brancards et de tout ce qui en constitue la carcasse »(larousse)
Le terme de carrossier rassemblait l’ensemble des personnes produisant ces « autres voitures ». L’élargissement du marché hippomobile à la bourgeoisie et aux classes moyennes, le développement de l’utilisation des voitures publiques ; fiacres, omnibus, voitures de service,…entraina la multiplication de personnes se déclarant carrossiers. Il est à noter que cette augmentation était largement supérieure au développement même du marché. En fait, sous ce vocable, en plus des constructeurs, se rassemblaient aussi bien des spécialistes de certaines parties de voitures que des marchands d’équipage.
Carte porcelaine de 1845 archives de Bruxelles
Certains revendeurs de voitures, les plus nombreux, assuraient également l’entretien des véhicules donc pratiquaient un métier assez proche de celui de nos concessionnaires de voiture actuels.
Les carrossiers constructeurs de voiture se différenciaient par leur organisation du travail. Il commencèrent en ce début de siècle (certains avaient anticipé le mouvement dès le 18° tel Simons en Belgique) à rassembler dans un même lieu l’essentiel des travaux nécessaires à la fabrication d’une voiture; travaux de forge, de menuiserie, de charronnage, de peinture et de garnissage. Mais, là encore, on pouvait retrouver des constructeurs de voitures de services et de voitures haut de gamme .
Beaucoup de grandes maisons cherchèrent donc à mettre en valeur leur production en introduisant le vocable de voiture de luxe dans leur dénomination commerciale. Cela ne fut pas nécéssaire pour JJ Binder qui avait obtenu le « brevet du carrossier de la maison du Roi » et qui se nomma tout simplement « Binder carrossier du Roi ».
Bien entendu, ce marché du luxe n’était accessible qu’aux fournisseurs de produits de haut de gamme. Ils employaient des ouvriers hautement qualifiés et utilisaient des matières premières exceptionnelles (bois exotiques, or, argent,….). Les modes de fabrication restaient traditionnels. L’intégration des nouvelles techniques et outillages ne se fera que très progressivement dans ces grandes maisons.
Pour acquérir cette notoriété, il fallait faire ses preuves et, bien sûr, se faire reconnaître. La démarche commerciale ne s’appuyait pas encore sur des catalogues mais sur différents réseaux de connaissances :
- un réseau professionnel de selliers, carrossiers, avec qui on travaillait en sous-traitance ou co-traitance et qui pouvaient renvoyer des clients.
-le réseau de la promotion par la clientèle. La fin de l’empire voit le retour des émigrés de la noblesse traditionnelle. Les jeunes carrossiers d’origine étrangère, non impliqués dans la politique française, vont trouver là de nouveaux débouchés. Cette nouvelle clientèle amène avec elle des voitures et des modes d’attelage nouveaux comme ceux « à la Daumont ».
Dessin d'attelage en Daumont de 1815
(Nous développerons dans un autre article cette technique d’attelage très particulière dont l’invention est attribuée au conte d’Aumont.) Nous ne savons pas comment JJ Binder devint le fournisseur d’attelage à la Daumont de la maison du Roi hormis le fait qu’en premier il fut le fournisseur du comte d’Artois.
Attelage à la Daumont musée Apeldoorn
Jean Pierre Binder a mis à notre disposition différents devis et factures, qui nous permettent de connaitre les caractéristiques des voitures de maître de ce début de siècle, mais également de découvrir l’ensemble des services proposés par un grand carrossier.
Types de voitures :
Les devis et factures étant assez descriptifs, nous vous en présentons les fac similés en les accompagnant de dessins ou photos de voitures de la même époque. En voici quelques exemples qui montrent l’excellence des voitures Binder :
-Devis d’un landau pour aller en Daumont, de 1830, destiné à JJ MM Siciliennes : « Landau pour aller en Daumont monté sur un train à flèche droite suspendu par quatre ressorts coffre devant et derrière, la garniture intérieure couleur au choix, marchepieds avec garde crotte, les compas seront marqués en plein argent ainsi que les frettes de timon des roues, les crochets de timon et toute la bouclerie,…. »
Vous pouvez vous faire une idée de cette voiture avec ces photos:
Landau à la Daumont 1860 Holland & Holland Londres
Landau de 1825 conservé au musée de Vienne
-Devis d’une berline pour le Roi de 1830
« Une forte berline neuve confectionnée d’après la dernière dimension adoptée, train à brancards ciselés d’un bout à l’autre avec moulures et feuilles de chêne dans les bouts, quatre grands ressorts en C en acier fin, matelas de laquais et siège à housse le tout suspendu par les mains de la caisse ; le train sculpté entièrement, ….l’intérieur garni de drap blanc galons et hornements tout en soie fine, une housse avec trois rang de frange et Jasmin de plaqué en argent au 20°,… »
Voici quelques berlines de cette époque: Berline dite du duc de Bordeaux datant de 1821 conservée au musée des voitures de Versailles. La décoration a été refaite vers 1853 à l'occasion du mariage de Napoléon III.
Ciel de la Berline
Berline de voyage montée en poste vers 1840
Berline 1840 avec coffre à armes
-Tilbury pour la maison du Roi :
« Fournir un Tilbury dans le dernier genre la caisse à deux places et peint au choix de Monsieur le Duc de Polignac très bien confectionné… »
Les curieux auront surement noté un détail commercial intéressant dont nous allons reparler; la reprise.
Différents Tilburys années 1816 1817
Tilbury 1839
-Devis de fourgons de voyage.
L'hippomobile de luxe ne se limitait pas aux voitures destinées au transport des personnes mais également aux véhicules qui les accompagnaient dans leurs voyages comme le montrent ces devis de fourgons:
Fourgon de toilette;
En voilà un exemple plus tardif. Cette voiture permettait d'avoir un accès aux commodités pendant le voyage et surtout d'avoir tous les ustenciles nécéssaires pour apparaitre dans une tenue impeccable (vêtement, coiffure,...) à la fin du voyage. Trés utilisés par les grandes dames pour aller "prendre les eaux" dans les villes thermales.
Fourgon de voyage;
Vous pouvez constater que ce fourgon était fourni complet avec le matériel d'entretien (cric,clés,...) et les différentes malles. En voici un exemple datant de 1840.
Autres services des grands carrossiers
-Transformation des voitures:
Comme nous l'avons vu dans les documents précédents, il fallait avoir une voiture à la mode du moment ou, comme le note JJ Binder dans ses devis, du "dernier genre". Celà concernait le garnissage mais aussi l'ensemble des composantes techniques. Ainsi, un document de 1830 montre que JJ Binder proposait déjà de modifier les voitures de ses clients en posant des essieux à patent qui venaient juste d'être créés en Angleterre. Voici un exemple de proposition pour un train de voiture.
Les propriétaires faisaient modifier leurs voitures pour les remettre au goût du jour, ce qui était moins couteux que d’en commander une nouvelle. Cette pratique, déjà existante au 17° et 18° siècle, perdurera tout au long du 19°. Restons donc prudents sur la définition des origines et de la datation de nos voitures de collection. (Voir l' exemple en début d'article de la berline du duc de Bordeaux construite en 1821, utilisée et modifiée jusqu'à la fin du second empire)
-Entretien des voitures :
L’activité qui permettait bien évidemment la fidélisation de la clientele était l’entretien et la réparation des voitures. Voici un extrait de la facture de l’entretien au quotidien des voitures de la maison du Roi.
Echanges et reprises :
Il est intéressant de constater que les principes commerciaux de vente de voitures de cette époque sont assez proches de nos pratiques actuelles. Ainsi, comme nous l'avons vu dans le devis du Tilbury, les carrossiers pouvaient reprendre les anciennes voitures comme dans cet extrait de vente de cabriolet.
Il est à noter que dans les différents documents présentés précedemment, les cabriolets apparaissent assez souvent dans les ventes, réparations, modifications. Leur utilisation semble assez courante en ce début du 19°.
Cabriolet d'origine portugaise construit entre 1750 et 1800 (musée Lisbonne)
Cabriolet 1802
Cabriolet 1805
Cabriolet 1829
Cabriolet 1830
-Revente de voitures.
Ces voitures reprises étaient remises en état et revendues à d’autres clients.
Il existait donc un important marché d’occasion, pratique déjà existante au 18°.
Dans le prochain article, nous vous présenterons un film des années 1970 sur un des derniers carrossiers travaillant de façon traditionelle. Ceci vous donnera une idée des travaux que nous venons de vous décrire.
Pour avoir une connaissance plus large de l'esthétique des voitures de cette époque Vous pourrez consulter une collection de dessins signée en 1837 par le dessinateur allemand Joseph Dinkel album-1837 de J Dinkel
Ce dessinateur est plus connu pour ses dessins "d'écorchés" pour les facultés.Cette collection est inscrite au catalogue du musée de Munich.
Bibliographie :
Binder à Paris de Jean Pierre Binder
Kutschen Europas d'Andréas Furger
Voitures et carrossiers de Catherine Rommelaere
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