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Georges Kellner
Un carrossier à la production très éclectique
Cet article du 20 Septembre 2009 est, pour des raisons techniques, réédité et remis à jour.
Georges Kellner, est né le 26 Février 1831 à Léopoldstadt à Vienne. Après un apprentissage de sellier, en Autriche, il travaille en 1851 chez Proust et Cammaerts à Bruxelles puis part se perfectionner chez le carrossier Barker à Londres où il reste jusqu'en 1855. Il part alors travailler à Paris chez un carrossier situé rue Lafitte avant de se faire engager comme sellier chez le carrossier Aigner, au 16 rue de l'Arcade. Il devient contremaître puis directeur de l'entreprise Aigner jusqu'en 1860. En Janvier 1861 Il s'installe à son propre compte cité Godot rue Moccador à Paris. Sa reconnaissance comme constructeur de voitures de luxe semble avoir été très rapide. En 1864,Il s'installe dans des locaux plus grands au 135 Boulevard Hausmann avant d'investir en 1867 des locaux supplémentaires dans le même 8° arrondissement; un local de stockage rue Messine, un atelier de forge au 217 rue du faubourg St Honoré. Cette même année, preuve de la qualité de ses productions, il expose ses voitures à l’Exposition universelle de Paris.
Il y fait déjà preuve de sa capacité de création et d’invention en y présentant un de ses brevets de portes de landau, « le système Kellner ». Les portes « étaient brisées à l’aide de charnières à la hauteur de l’appui de glace et de telle façon que la partie supérieure puisse se plier en dedans de la partie inférieure »
Landau Kellner conservé au musée de Tucson (aurait été commandé par Napoleon III pour le sacre de Maxililien à Mexico)
Cette invention fut remplacée par un système à coulisseau plus simple, que l’on rencontre sur la plupart des landaus actuellement sauvegardés. La volonté d’être un précurseur, un innovateur est une des caractéristiques de George Kellner. Cette recherche de modernité s’accorde cependant avec le style et le « cachet » de cette maison, basés sur la sobriété des lignes et le classicisme.
Vu l’importance prise par son entreprise il installe en 1873 une grande fabrique, au 109 Avenue Malakoff dans le XVI° arrondissement, qui emploiera de 500 à 600 ouvriers.
Présent en 1873 à l'exposition de Vienne, en 1874 celle de Bruxelles , … il est vraiment reconnu comme faisant partie de la « fine fleur » des carrossiers Français de voitures de luxe. Il revendique d’ailleurs une clientèle internationale et une capacité de construire des voitures adaptées aux conditions climatiques et au réseau routier de chaque pays. Il livra des voitures au Khédive d’Egypte (dont une est conservée au musée du Caire), aux sultans Ottomans (dont 2 sont conservées au musée Topkapi à Istanbul) aux cours de Suède, d’Autriche,…
En 1878 il est célébré par de nombreux journaux pour la qualité de ses productions, sa réussite commerciale et bien sûr, pour sa médaille d’or obtenue à l’exposition universelle.
Extrait d’un article du journal « Le sport » du 30 octobre 1978
« Nous sommes heureux d’apprendre à nos lecteurs que la Maison Kellner, 109 Avenue de Malakoff, vient d’obtenir à l’exposition universelle une grande médaille d’or. Nous sommes d’autant plus satisfaits de la haute distinction que cette maison a obtenu qu’on y fabrique réellement la voiture d’un bout à l’autre, ce qui est rare en carrosserie. Ce n’est pas d’ailleurs la première fois que nous voyons le nom de Monsieur Kellner figurer parmi les Lauréats admis à de hautes récompenses…D’après les écriteaux placés sur les voitures exposées, la maison Kellner nous parait être celle qui a fait le plus d’affaires à l’exposition. »
Sa fabrication est très diversifiée et l’on pouvait admirer plus de 300 modèles différents dans le hall d’exposition intégré à la fabrique.
Vous aurez une idée de cette production en consultant quelques dessins provenant des archives familiales Paget.
Vous trouverez un catalogue complet datant des années 1880 conservé à la BNF à la fin de cet article.
Vous pourrez y constater que beaucoup de voitures sont décorées d’armoiries. Il s’agit en fait d’une pratique commerciale. Fin 19°, si vous n’étiez point noble, lune des façons d’acquérir une position sociale était d’être de la « noblesse de cheval ». Pour ce faire 2 solutions : entrer au Jockey club ou acquérir une voiture haut de gamme d’un grand Maître carrossier parisien. Mr Kellner avait bien intégré ce fonctionnement et décorait largement ses voitures d’armoiries de Baron. Mais gare à celui qui ne payait pas son dû. Il se faisait alors roidement appelé « sieur untel » dans les lettres d’assignation.
Dans ses catalogues, Kellner met en avant ses spécialités comme la production de Park-drags ( souvent appelés Coachs dans les catalogues de cette époque) et bien sûr de Cabs à quatre roues (plus connus sous la dénomination de Cab Français ou Milord fermé).
Park drag :
Georges Kellner le présente donc sous le nom de Mail coach et met en valeur la spécificité de sa construction et son originalité.
« Le Mail Coach a conservé son type primitif avec tous ses avantages en subissant toutefois une modification dans ses côtés incommodes ; on a trouvé moyen de supprimer l’échelle, si dangereuse, en la remplaçant par 4 marchepieds qui tiennent à la voiture et qui deviennent invisibles une fois repliés. Les ouvertures de l’intérieur et du dessous sont justement appréciées par les amateurs »
Voici un exemplaire de road-coach Kellner conservé au musée de Vaux le Vicomte et une photo d'un road coach archivé au musée de la voiture de Compiègne.
La recherche de la diminution du poids de la voiture amena Kellner à imaginer un autre Drag quelque peu original sans flèche présenté sous le nom de petit Mail coach.
« Le petit Mail coach, à forme carrée, que j’ai également créé, beaucoup plus léger que les Mails ordinaires quoiqu’ayant les mêmes commodités et qui est bien plus pratique que ces derniers pour faire toute sorte d’excursions, surtout dans les pays accidentés ; ceux de nos clients qui s’en servent en ont été enchantés. D’autre part, par l’enlèvement des sièges du dessus, il constitue une sorte d’Omnibus et, dans ce cas, il peut aisément n’être attelé que de deux chevaux. »
Le Cab à quatre roues :
Cette voiture originale est le résultat de la fusion entre un Hamson cab anglais et un Milord.
La maison Kellner garde encore aujourd’hui sa renommée de constructeur de Cabs de luxe et on lui attribue souvent la création du Cab à quatre roues. Même si d’autres constructeurs ont créés des Cabs privés comme Rothshild (Voiture conservée au haras du pin et déclarée monument historique), Binder,...,Kellner en était effectivement un spécialiste.
Par contre, il y a des doutes sur sa paternité de l’invention de ce type de voiture. Le guide du carrossier d’Août 1903 indique ne pas connaitre l’origine de la voiture mais note que la représentation la plus ancienne de cette voiture est un dessin de 1839 du carrossier Baslez installé à Paris.
Kellner construisit son premier modèle en 1877. Son objectif était de faire une voiture de louage plus légère qu’un coupé, offrant une meilleure aération et plus d’abri en cas de pluie qu’un Milord. D’autre part, construit très bas, ce Milord fermé est plus facilement accessible. La « Compagnie générale des petites voitures » fit l’acquisition de 50 voitures. Son intérêt était, en utilisant cette voiture mixte utilisable pour toute saison, de diminuer le nombre de voitures de son parc de fiacres. Mais le public bouda ce véhicule dont l’habitacle fut jugé exigu et inconfortable. Le dessinateur Graphti, dans son ouvrage Paris à cheval de 1889, résume ainsi l’opinion générale : « Au carrossier qui a eu le premier l’idée d’emprisonner sous châssis d’innocents voyageurs dans l’épouvantable voiture désignée sous le nom de cab Français »
Ceci ne découragea pas Kellner qui se réorienta vers la production de Cabs privés. Dans l’introduction de l’album présentée en fin d'article, il spécifie que cette voiture est « très appréciée des grandes dames ». Vous pourrez apprécier la qualité et la diversité des créations Kellner en regardant ces différents modèles dont ces assez surprenantes voitures à huit ressorts.
Il semble que ces Cabs Français eurent un certain succès commercial, et ils apparaitront en nombre conséquent dans les albums jusqu’en 1900, où leur carrière parait se terminer.
L'entreprise sous la dénomination Kellner § fils construira des modèles automobiles.
Il créa également un autre type de voiture à partir de ce même principe de « voiture hybride », le Duc Cab. A ma connaissance, une de ces voitures est conservée dans une collection privée espagnole et l’autre, le Duc-cab Kellner n°1217 fut retrouvé dans une remise suisse et remise en état de rouler par Christian Fouquet.
Il m'a aimablement fourni ces photos de cette voiture "dans son jus"
Comme vous pouvez le constater, elle est parfaitement conservée. Les caisses et le train sont verts très foncé. La caisse est agrémentée de filets vermillon très fins, les roues et ressorts de larges bandes de la même couleur. La garniture intérieure est en drap bleu marine mais il semblerait qu’elle fut verte à l’origine comme le sont la moquette et les galons. Comme beaucoup de Ducs, elle pouvait être équipée, à l’avant, d’un petit siège de cocher. Bien que ses formes soient très angulaires, la finesse de ses roues (à la jante en uniquement 2 parties), l’équipement des mains de ressort de bobine de caoutchouc, l’élégance de l’ensemble,… montrent qu’il s’agit là d’une voiture de luxe de grande qualité.
Vous trouverez plus d'information sur cette voiture dans l'article de Jean Louis Libourel: "Duc cab Kellner n°1217 , étrange et rarissime."
En 1890, les enfants de Georges Kellner;Georges Junior et Paul, intègrent la société qui devient: « Kellner et ses fils » L'entreprise est présente à l'exposition universelle de Paris en 1900 et dans divers autres salons étrangers;1904 St Louis aux états unis, 1906 Milan, l1908 Londres, 1910 Bruxelles.
A partir de 1894 l’entreprise, tout en maintenant une production hippomobile, s’oriente progressivement vers le carrossage d’un autre type de véhicule : la voiture automobile de luxe. Elle a un partenariat assez important avec la maison Renault, mais également avec d'autres constructeurs Panhard, Peugeot,....Cette nouvelle activité amène l'entreprise à agrandir ses locaux en 1898, 1902. En 1906, Kellner et fils vend les locaux de Malakoff. La maison installe ses bureaux au 127 avenue des champs Elysées et ses ateliers à Boulogne Billancourt.
Comme ses concurrents, la maison Kellner a du évoluer pour s’adapter à l’apparition du moteur à explosion. Elle alla cependant plus loin et mérite bien l’attribut de « production éclectique » donné dans le titre.
En effet, l’entreprise participa également à l’aventure de l’aviation. L’avion Forman MF1 est l’œuvre de Maurice Forman, de l’ingénieur Neubauer et du carrossier Kellner. Il effectue son premier vol le 6 Février 1909. Ce modèle ne sera pas construit en série mais donnera naissance à une lignée dont les MF7 et MF8 qui se distinguèrent durant la grande guerre de 14-18. La construction aéronautique perdurera jusqu'en 1940.
En 1910 Georges Kellnet quitte l'entreprise qui devient "Kellner Frères". Georges meurt en 1915 à l'age de 86 ans.
Durant la première guerre mondiale, l'entreprise participe à la production de matériels militaires; ambulances auto-canon mitrailleuse,... A la sortie de la guerre l'entreprise s'investit dans la carrosserie de voitures de grand luxe, hispano souza, Roll royce. et d'avions. En 1942 le dernier directeur de la maison;Jacques Kellner fut fusillé pour actes de résistance par les allemands.
Texte:
Patrick Magnaudeix
Documentation et iconographies:
Jean Louis Libourel, François Vanaret, archives familiales Paget, Archives musée de Compiègne, collection de l'auteur,Gallica.
A lire sur le même sujet l'ouvrage de François Vanaret "Kellner une dynastie de carrossiers" qui comporte une grande partie sur la fabrication automobile.