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Réjouissons-nous. Dans notre triste époque où le dernier carrosse historique construit en Europe en 1898 pour la reine Wilhelmine des Pays-Bas est désormais relégué au musée sous la pression du mouvement indigéniste et décolonial “Black Lives Matter” au prétexte de représentations coloniales racistes peintes sur les panneaux de la voiture, nos amis anglais viennent de perpétuer leur grande tradition d’attelage d’apparat à l’occasion du couronnement du roi Charles III, le 6 mai 2023.
Des carrosses historiques
Dans le cadre des festivités du couronnement, le carrosse du Président du Parlement, le Speaker’ Coach, a été exposé dans une salle de l’Abbaye de Westminster. Ce carrosse, de style français louis-quatorzien, probablement d’après des dessins de Daniel Marot, construit en 1698 pour le roi Guillaume III et la reine Mary II, devenu le carrosse du Président du Parlement, a longtemps été le plus ancien carrosse encore utilisé au XXe siècle. Il l’a été pour la dernière fois en 1981 par le Président du Parlement à l’occasion du mariage du prince Charles avec Lady Diana Spencer.
The Speaker’s Coach, 1698 (Arlington Court)
Pour son couronnement, le nouveau roi, respectant l’ancestrale tradition des cérémonies royales, s’est déplacé en voitures à cheval. Du palais de Buckingham à l’abbaye de Westminster la voiture était le Diamond Jubilee State Coach, de fabrication moderne. Au retour de la cérémonie, de l’abbaye de Westminster vers Buckingham Palace, le couple royal est apparu dans le somptueux et historique Gold State Coach, construit en 1762. Les membres rapprochés de la famille royale suivaient dans trois berlines de gala, l’Australian State Coach, l’Irish State Coach et le Scottish State Coach, chacune attelée à quatre chevaux Cleveland Bay.
Berlines de gala du cortège de Westminster Abbey vers Buckingham Palace
Le carrosse Gold State Coach attelé à huit chevaux gris, à crinières tressées et enrubannées de soie bleue, était la pièce maitresse de ce cortège. Construit en 1762 pour le roi George III, ce carrosse est le plus ancien et le dernier carrosse historique encore en activité au XXIe siècle. (Voir l’article Carrosse d’or pour jubilé de platine, www.attelage-patrimoine, 21 juin 2022).
The Gold State Coach, 1762 (Londres, Royal Mews)
Cérémonie paradoxale où ont été associés d’authentiques et historiques voitures, le Gold State Coach seul carrosse du XVIIIe siècle encore utilisé dans le monde, et les berlines de gala Irish State Coach et Scottish State Coach, à de pataudes réalisations modernes, l’Australian State Coach et le Diamond Jubilee State Coach.
Retour en arrière
L’époque où l’on construisait des carrosses semblait révolue depuis bien longtemps. Grossière erreur !
Le 4 juin 2014, sa Majesté la reine Elisabeth II étrennait à l’occasion de la session parlementaire un nouveau « carrosse » flambant neuf. Diable, un nouveau carrosse en 2014 ? Quel est-il ? D’où vient-il ? Est-il concevable de construire un carrosse au XXIe siècle ? Bien que surprenante, la réponse est oui ! Même si, en fait, il ne s’agit que d’une berline de gala, pompeusement baptisée « carrosse » par des médias ignorants.
Elisabeth II aurait-elle été la muse d’un improbable carrossier égaré à la fin du XXe siècle et à l’aube du XXIe ? Sans doute, puisqu’elle a inspiré au cours des trente dernières années la réalisation de deux berlines d’apparat.
Un premier ovni hippomobile : la berline Australian State Coach
En 1988 déjà, la souveraine du Royaume-Uni, chef du Commonwealth, avait reçu en cadeau de l’Australie, pour le bicentenaire de sa fondation comme colonie britannique de Nouvelle-Galles du Sud, une berline d’apparat entièrement réalisée dans ce pays à cette occasion. Loin d’être une création, cette voiture est une copie inspirée par l’une des berlines de gala des écuries royales anglaises, l’Irish State Coach. Cette dernière est elle-même une réplique exacte, construite par la maison londonienne Barker à la suite de la destruction de la berline Irish State Coach originale en février 1911 dans l’incendie des ateliers de cette entreprise où elle se trouvait pour des travaux de rénovation pour le couronnement du roi George V. Œuvre du carrossier John Hutton à Dublin, elle avait été achetée par la reine Victoria à la suite de sa visite de l’Exposition Industrielle de cette ville en septembre 1853.
Berline Irish State Coach, par Barker & Co à Londres, 1911(Londres, Royal Mews)
Inattendu et anachronique présent dont la construction à notre époque paraît injustifiable, la berline offerte par l’Australie, appelée pour cela Australian State Coach, est une curiosité devant laquelle on ne peut qu’être partagé entre admiration embarrassée et raillerie polie. Faut-il admirer cette sorte de tour de force et le savoir-faire de son auteur, l’australien Jim Frecklington ? Faut-il moquer la plate imitation dénuée de tout génie créatif ? Aucune hésitation pour l’amateur de belles voitures et pour le véritable connaisseur en matière de carrosserie hippomobile…
Berline Australian State Coach, offerte à Elisabeth II en 1988 (Londres, Royal Mews)
La berline Diamond Jubilee State Coach : une récidive embarrassante
Sans doute enivré par ce premier exploit, le même Jim Frecklington, à l’approche du 80e anniversaire d’Elisabeth II, récidive et fabrique, pour célébrer ce royal anniversaire, une deuxième copie, elle aussi inspirée de l’Irish State Coach. Elle est d’abord dénommée « Britannia », en souvenir du yacht royal auquel la reine dut renoncer et qui fut désarmé en 1997. Prévus pour l’anniversaire de la souveraine en 2006, mais retardés pendant près de huit ans, son achèvement et sa livraison n’ont été réalisés qu’au moment de la célébration des 60 ans de règne d’Elisabeth II, le jubilé de diamant, ce qui lui vaut finalement l’appellation de « Diamond Jubilee State Coach ».
Berline Diamond Jubilee StateCoach(Londres, Royal Mews)
Le coût de cette voiture et celui de son transport d’Australie jusqu’à Londres ont créé la polémique en Angleterre où nombreux se sont indignés à l’idée que cette injustifiable folie puisse être payée avec des fonds publics. Selon Buckingham Palace il n’y a pas eu de commande officielle et la voiture a été réalisée à la seule initiative de son auteur. Selon Jim Frecklington elle a été « approuvée » par Buckingham Palace « mais, en effet, non commandée ». M. Frecklington, qui avoue ne pas connaître le coût réel de la voiture, aurait financé personnellement sa construction avec l'aide d'une subvention de 250 000 dollars du gouvernement australien.
Berline Diamond Jubilee State Coach. Signature de W.J. Frecklington sur un moyeu de roue
Elle a été finalement et officiellement acquise, pour un montant non dévoilé, par le Royal Collection Trust grâce à une donation privée. En d'autres termes, elle n'a pas coûté un centime aux contribuables. Bien que terminée en 2010, elle n'est arrivée à Londres qu'en Mars 2014 en raison des problèmes liés au financement de son transport. Elle a été utilisée pour la première fois par la reine Elisabeth II le 4 juin 2014 pour l’ouverture du Parlement.
Berline Diamond Jubilee State Coach, utilisée pour la première fois par Elisabeth II le 4 juin 2014
Un ovni kitchissime
Comme l’Australian State Coach en 1988, la berline Diamond Jubilee State Coach s’inspire de la berline de gala Irish State Coach. De surcroit, ses roues empruntent leurs rais à décor torsadé au Golden State Coach construit en 1762 pour George III, et sa caisse reprend, non sans raideur, le cintre qui caractérise les portières et la corniche de la berline de gala Alexandra State Coach, construite en 1865 et transformée en 1893 par le carrossier Hooper pour la princesse de Galles, plus tard reine Alexandra.
Rais : modèle et copie.
Berline Alexandra State Coach
La voiture pèse 2,75 tonnes et mesure 5,50 m de long et 3,40 m de haut. L’intérieur de cette berline sans grâce est certes cossu. Mais il est dépourvu de caractère et dénué de réelle beauté, avec ses garnitures textiles à banal décor de motifs végétaux et sa moquette beige unie. Il pourrait être celui de n’importe quelle grosse automobile de luxe appartenant à un banquier ou à un riche PDG…
Intérieur
Intérieur, détail
Elle dispose de vitres électriques et d’un chauffage dont les commandes sont dissimulées sous les épaisses et disgracieuses moulures des accoudoirs taillés dans le teck d’anciennes mains-courantes du yacht royal Britannia. Six stabilisateurs hydrauliques recouverts de feuilles d’or lui assurent un moelleux confort. Les deux poignées de portières, réalisées en Nouvelle Zélande, sont décorées chacune de 130 saphirs australiens et de 24 diamants dont quatre figurent les yeux des lions placés en leur centre.
Poignée de portière
Sculptée dans du chêne provenant du trois-mâts Victory, vaisseau amiral de Lord Nelson à la bataille de Trafalgar, la couronne qui surmonte l’impériale recèle une petite caméra mobile dont la rotation à 360 degrés permet de filmer et de visionner en direct la totalité du cortège devant, sur les côtés et derrière la voiture. Les quatre lions qui entourent cette couronne ont été créés d’après ceux qui ornent le “Victoria Memorial” qui fait face au palais de Buckingham.
Couronne d’impériale dissimulant une caméra
« Un musée sur roues »
L'intention affichée de Jim Frecklington était de réaliser une voiture où l’insertion de matériaux provenant de monuments, de navires ou de toute autre origine évoquerait le patrimoine du Royaume-Uni, les grands événements, les rois, les reines et les personnages les plus influents de l’histoire britannique, et ses plus grandes victoires.
A cet effet, la voiture contient près de 100 pièces de bois émanant d’édifices, églises, cathédrales, châteaux et navires célèbres. Sont ainsi réunis et accolés pour former le lambris intérieur de la voiture des petits carrés de bois dont l’origine est indiquée sur les baguettes d’encadrement en laiton de cet étonnant patchwork : la Tour de Londres, l'Abbaye de Westminster, les châteaux de Balmoral, Windsor, Édimbourg, Caernarfon, Stirling, Glamis en Ecosse où la reine mère a grandi et où est née la princesse Margaret, Blenheim Palace, les Cathédrales Saint-Paul de Londres, Canterbury, Carlisle, Chichester, Durham, Ely, Lincoln, Salisbury, Westminster, Winchester, Liverpool, York, Wells, le palais de Holyrood, Kensington Palace, Hampton Court, Osborne House, le Palais de Westminster, la Maison Blanche des jardins royaux de Kew, l'ancienne loge royale à Ascot.
Détail du décor intérieur. On peut lire sur la baguette d’encadrement en laiton la provenance des échantillons de bois (de bas en haut) : Salisbury Cathedral, Worcester Cathedral, Glams Castle, St Georges Chapel, Lincoln Cathedral, Chatsworth House, Canterbury Cathedral. (de gauche à droite) : RMS Queen Mary, Kensington Palace, HMS Victory, Westminter Abbey…
Décor intérieur, détail
D’autres proviennent de navires historiques : bateaux de l’âge du bronze découverts à Ferriby (Yorkshire), épave du Mary Rose vaisseau du roi Henry VIII renfloué en 1982, vaisseau marchand Mayflower (1620), trois-mâts carré Endeavour de la première expédition de James Cook, paquebots Olympic, le sister-ship du Titanic, et Queen Mary, steamer Great Britain, ancien Yacht Royal Britannia, navire de recherche scientifique Discovery.
Les avions héros de la bataille d’Angleterre (1940-1941) ne sont pas oubliés : morceaux de métal d’un chasseur Hurricane et d’un bombardier Lancaster, boulon d'un chasseur Spitfire.
Cette « forêt de symboles » (dixit l’hebdomadaire Point de vue) recèle encore d’autres reliques étonnantes. Qu’on en juge : une balle de mousquet de la bataille de Waterloo ; un contrepoids de Big Ben, la fameuse horloge ; des éclats de bois du pommier d’Isaac Newton, d’un chêne d’Althorp demeure ancestrale des Spencer, famille de la défunte princesse Diana, et de la porte du 10 Downing Street à Londres ; et aussi, inséré dans l’assise de la banquette arrière où prend place la reine, un minuscule fragment de la pierre sacrée provenant du monastère de Scone, en Ecosse, au-dessus de laquelle sont couronnés depuis des siècles les monarques d’Ecosse d’abord, et plus tard d’Angleterre et du Royaume-Uni de Grande Bretagne.
Ahurissant inventaire à la Prévert… Bric-à-brac digne d’une boutique de brocanteur, quelle valeur attribuer à l’invraisemblable assemblage de tous ces débris ?
Cependant, certains, notamment les médias, s’extasient et s’émerveillent devant ce pastiche balourd : « Musée mobile de notre histoire » (Daily Mail), « Œuvre d’art ambulante […] Concentré de l’histoire de la Grande-Bretagne » (Point de Vue), « Musée sur roues » (Paris-Match). Niaise admiration démontrant l’inculture des journalistes admirant cette sotte imitation dont les défauts et imperfections n’échappent pas aux regards connaisseurs.
Lourdeur du train accentuée par une dorure clinquante uniforme, épaisseur et trop forte section de la flèche, ressorts en C, massifs, dont la courbe trop resserrée, comme écrasée, semble se refermer sur elle-même faute d’un rayon plus long.
Ressorts massifs exagérément cintrés, dorure clinquante
Lignes du bateau de caisse et des fenêtres de custodes présentant des courbes au tracé hésitant et discontinu. Appauvrissement des moulures : doucines, gorges, talons ont fait place à de simples et grossières baguettes dorées que tout un chacun peut acheter dans n’importe quelle grande surface de matériel de bricolage. Quant à la juxtaposition simpliste des carrés de bois tapissant l’intérieur, abusivement qualifiée de marqueterie par certains médias, elle est bien éloignée des complexes agencements caractéristiques de cette technique.
Disparus l’équilibre, l’élégance, la beauté de l’Irish State Coach, pour faire place à la lourdeur, à la banale technologie moderne, au clinquant, osons l’écrire, à une sorte de vulgarité, propre à l’époque contemporaine, consistant, dans une confusion et une ignorance béates, à accorder au toc et au faux une valeur égale à celle de l’œuvre originale.
Les 3,5 millions d’euros, le « savoir-faire » de 50 personnes et les 10 années de travail invoqués par les médias — 10 ans, alors que moins de cinq mois ont suffi en 1911 au carrossier Barker pour reconstruire le nouvel Irish State Coach ! — ne feront jamais de ce pastiche lourdaud un chef-d’œuvre de la carrosserie hippomobile.
L’original et la copie
Alors, nous revient à l’esprit le jugement du baron de Frenilly au sujet du carrosse du sacre de Charles X en 1825, ainsi formulé : « les gens qui n’ont rien vu d’autrefois, trouvèrent la voiture du sacre fort belle ; elle était misérable […] Les meilleurs artistes de Paris y avaient épuisé leur savoir pour ne produire qu’une mesquinerie dorée » (Mémoires du baron de Frenilly 1768-1848. Souvenirs d’un ultraroyaliste). Ce jugement cruel pourrait s’appliquer exactement au Diamond Jubilee State Coach qui a conduit le 6 mai 2023 le roi Charles III et la reine Camilla du palais de Buckingham à l’Abbaye de Westminster.
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