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Fort endommagé par un incendie en 1936 le château de Marsillargues, près de Montpellier, fut acheté par la commune en 1948. Les Saizieu, derniers propriétaires, y avaient abandonné des meubles de peu de valeur ou en mauvais état. Parmi eux se trouvait une chaise à porteurs. Restée sur place, elle entra tout naturellement dans les collections du musée local, le Musée Paul Pastre, créé en 1949 dans l’aile sud du château. Déjà en médiocre état, elle souffrit de nouveaux dégâts lors d’une inondation qui envahit les salles du musée en 2002.
Son élection en 2008 comme lauréate du concours initié par l’Association des maires de France « Sauvegardez le patrimoine de votre commune », a permis de réunir les financements nécessaires à sa restauration.
Les grandes étapes de celle-ci se sont déroulées au laboratoire d’Arc-Nucléart à Grenoble en 2009-2010 pour la structure en bois polychrome, et au Musée des Tissus à Lyon en 2010 pour les garnitures textiles.
Restaurée et classée Monument historique le 5 février 2010, la chaise a été exposée quelques mois au Musée de la Révolution française à Vizille avant de regagner, en septembre 2011, le Musée Paul Pastre à Marsillargues, où une salle a été réaménagée pour accueillir dignement ce chef-d’œuvre de l’art des selliers-carrossiers et des peintres en voitures minutieusement remis en état et rendu à sa splendeur passée.
La chaise à porteurs de Marsillargues présente un habitacle éclairé par une glace coulissante sur chaque côté et sur le devant à la portière, par quatre carreaux de verre assemblés dans un châssis. Il est couvert d’une impériale fortement cintrée, garnie d’une pièce de cuir.
Cet habitacle est constitué d’un bâti en bois fait de montants et traverses rectilignes, appelés corps, générant des élévations planes. Malgré le décrochement de la face arrière et les légers renflements des faces latérales, ménagés à hauteur du siège pour élargir l’espace intérieur et donner plus d’aisance au passager, la forme générale se caractérise par une grande raideur accusée par la composition géométrique des corps du bâti autour des panneaux.
Outre cette structure rectiligne à panneaux géométriques, typique de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe, la chaise à porteurs de Marsillargues se signale par la richesse de son décor d’arabesques polychromes, dans le genre de Bérain, peint sur la totalité des panneaux à fond d’or. Cartouches de formes diverses, lambrequins, coquilles, motifs végétaux, fleurons, rinceaux, volutes, crosses, guirlandes, fleurs et feuilles miniaturisées enroulées autour de tiges filiformes, couvrent à profusion la totalité des surfaces y compris les corps qui sont en général simplement dorés.
Au centre du panneau de portière et du grand panneau de dossier figure un écu ovale portant les armes des Louet de Murat de Nogaret : Palé de six pièces d'azur et de gueules, semé de rozètes d'argent sur l'un et sur l'autre (armoiries des Louet) ; brochant sur le tout d'argent au noyer de sinople (armoiries des Nogaret). L’écu, sommé d’une couronne de marquis, a pour supports deux lions d'or, rampants.
Sur les panneaux latéraux sont peintes en bleu les initiales enlacées LMN, pour Louet, Murat, Nogaret ; elles sont partiellement effacées sur le côté gauche.
L’intérieur de la chaise est garni d’un damas de soie rose-orangé, à l’exception du ciel d’impériale tendu d’un taffetas rouge, probablement plus récent. Caractéristique des soieries du XVIIIe siècle, ce damas présente un décor de grands motifs végétaux habités d’oiseaux. La restauration de ces tissus, dépoussiérage et nettoyage, a été réalisée sur l’œuvre elle-même, sans démontage, dans l’atelier de restauration du Musée des Tissus à Lyon. Le plancher est recouvert de cuir.
Sa forme et son décor d’arabesques « à la Bérain » situent cette chaise à porteurs à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe.
La forme, à élévations planes divisées en panneaux, typique au XVIIe siècle, est toujours en vogue au début du XVIIIe et perdure parfois jusqu’au milieu du siècle : vers 1740, deux chaises de ce type sont très exactement représentées sur une gouache de Jacques-André Portail, Vue de l’Orangerie et du Château de Versailles prise depuis la Pièce d’eau des Suisses.
Une chaise à porteurs passée en vente publique à Deauville le 28 octobre 2007 appartient encore par sa forme et sa structure à ce type ancien alors que son répertoire décoratif est typique de la période Louis XV.
Quant au décor d’arabesques, il connaît dans les années 1690-1720 un regain de faveur par l'action de peintres ornemanistes tels Jean Bérain (1640-1711) ou Daniel Marot (1663-1752). Ces décors alors très en vogue ne sont pas la parure seulement des murs et lambris de châteaux ou d’hôtels particuliers, ils sont aussi utilisés pour l’ornementation des panneaux de nombreux ouvrages de carrosserie, voitures ou chaises à porteurs.
L’exemple le plus fameux est le décor du carrosse d’apparat du roi de Suède Charles XI dont les dessins ont été fournis en 1696 par Jean Bérain.
Jean Bérain : projet pour les broderies de la garniture intérieure de l’impériale du carrosse du roi Charles XI de Suède (Stockholm, Nationalmuseums)
D’autres carrosses du premier quart du XVIIIe siècle sont ornés d’arabesques : celui de Gunther 1er de Schwarzberg-Sondershausen (Conservé au château de Sondershausen), celui du roi Don José 1er de Portugal (Conservé au Musée national des carrosses à Lisbonne) .
Carrosse du prince Gunther 1er de Schwarzbourg-Sondershausen, détail (Allemagne, château de Sondershausen)
Quelques chaises à porteurs, du début du XVIIIe siècle, ont elles aussi un décor d’arabesques polychromes sur fond d’or : une chaise aux armes de Colbert, passée en vente publique à Senlis le 12 décembre1999 ; une chaise aux armes du duc Léopold 1er de Lorraine et d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans (Paris, Petit Palais) ; une chaise de la cour de Hanovre (Hanovre, Coll. prince Ernst August de Hanovre) ; la chaise de Sophie Louise de Mecklenburg-Schwerin, reine de Prusse (Staatliche Schlösser und Gärten Potsdam-Sans-souci).
Elles sont comparables par la forme, la structure et le décor peint à celle de Marsillargues, dont l’exécution — provinciale ? — est cependant de moindre qualité.
A gauche : Chaise à porteurs aux armes du duc Léopold 1er de Lorraine et d’Elisabeth-Charlotte d’Orléans (Paris, Petit Palais). A droite : Chaise à porteurs de la cour de Hanovre (Hanovre, Coll. prince Ernst August de Hanovre)
Si elle date bien de la fin du XVIIe siècle ou du début du XVIIIe, comme tout porte à le croire, la chaise de Marsillargues a pu appartenir à Jean-Louis II de Louet de Nogaret, marquis de Calvisson, familier de la cour de Louis XIV, mort en 1700. Cette appartenance à un personnage habitué au luxe versaillais pourrait expliquer la richesse du décor peint de la chaise.
Un devis trompeur….
Un texte de quelques lignes écrit à l’encre noire sur un feuillet de papier cloué à une époque indéterminée, mais tardive, à l’intérieur de la chaise à porteurs, citant la date du 7 avril 1752, a fait croire que cette chaise a été construite au cours de cette année 1752. Nous allons voir qu’il ne concerne pas la chaise conservée, mais une autre, disparue.
Ce texte est une copie partielle d’un devis pour la construction d’une chaise à porteurs passé le 7 avril 1752 entre deux maîtres selliers d’Avignon, Gamet et Morisset, et le marquis de Calvisson, sans doute François de Louet de Murat de Nogaret, né en 1714 et mort en juin de cette même année 1752, ou son frère Anne Joseph (1715-1781).
Voici ce devis dans son intégralité.
« Le 7ème avril 1752.
Police passée entre Mr le marquis de Calvisson et les Sieurs Gamet et Morisset d’Avignon d’une chaise à porteurs
Devis de la chaise à porteurs que les Srs Gamet et Morisset, maîtres selliers d’Avignon doivent faire pour Mr le marquis de Calvisson.
Le corps de la chaise sera coupé et taillé le plus à la mode à l’allemande, sur le modèle de la chaise de poste du dit seigneur que les dits selliers ont vue et visitée.
Elle sera sans sculpture mais en bois de rame de galère, de même que les deux paires de bâtons qui seront bien dorés et une sculpture légère. La chaise sera bien matelassée et le coussin rempli de belle plume fine à l’égard du velours ; pour la garniture, le dit seigneur la fournira, mais les dits selliers fourniront la baguette de cartisane [Lame de parchemin qu’on plaçait sous les motifs de guipure pour leur donner du relief] qui sera en bleu et or.
Le galon autour de la dite chaise au dedans et le galon du bas du coussin sera fourni par le dit seigneur. Toutes les tresses, cordons, tirants et glands nécessaires pour la dite chaise, seront fournis par les dits selliers, et toujours en bleu et or. Le rideau de derrière sera de taffetas d’Angleterre et fourni par les dits selliers. Le store du devant et les deux du côté seront aussi de taffetas d’Angleterre et fourni par les dits selliers. Les deux accoudoirs seront d’une frange bleue et or. Les trois glaces seront fournies par Mr le marquis, et les dits selliers les placeront dans leur châssis et les rendront en bon état.
La dite chaise sera peinte sur un fond or avec une belle bordure d’ornement en bleu.
Les armes seront dans de beaux cartouches des plus à la mode, rehaussés en or avec des beaux sujets en camaïeu ou au naturel, le tout également rehaussé en or.
Toutes les moulures, cadres et corniches et fonds seront dorés avec du bel or jaune de Paris, le bâton en bleu et or, et sera passé plusieurs couches de beau vernis sur toute la peinture et dorure.
L’impériale sera couverte d’un beau maroquin rouge garni d’un beau contour rouge bien doré, accompagné des six coins qui formeront les pommes toutes dorées d’or moulu à l’imitation de celle de la chaise de poste du dit seigneur que les dits selliers ont visitée. Les trois fiches de la porte et le loquet seront de beau modèle et bien dorés au goût de Paris, et à l’égard du loquet, dudit article, il sera d’or moulu ; il faut que la porte ferme et jointe bien.
Il sera fait une couverture d’une bonne toile cirée doublée et une chemise de toile pour la conserver. Les bricoles seront de bon cuir. Les quatre portants seront de fonte dorée au feu, tout le bleu sera un beau bleu de Prusse. Enfin, la dite chaise sera bien et dûment conditionnée selon les règles de l’art, et s’il y avait quelque chose d’omis dans ce devis, pour rendre la chaise dans sa perfection, les dits selliers y suppléeront pour qu’il n’y manque absolument rien et qu’elle soit conforme aux dites règles de l’art. Le prix de la susdite chaise est fixé à la somme de quatre cent quatre vingt livres qui sera payée par le dit seigneur aux dits selliers à Nîmes, dans la maison de Mr Gignoux, où ils s’obligent de la rendre en bon état dans l’espace de trois mois à compter d’aujourd’hui. Le dit seigneur se réservant d’en faire la vérification lui-même après laquelle, s’il la trouve conforme aux règles de l’art et au devis ci-dessus, il en fera le paiement aux dits selliers.
Fait (en) double à Avignon le 7me avril 1752, Gamet et Morisset et Seigneur (?)
Messieurs Gamet et Morisset selliers à la Grande Jurande (?) à Avignon »
L’analyse de ce devis, conservé dans des mains privées, révèle plusieurs points de divergence entre son contenu et la chaise.
Le devis mentionne des « moulures, cadres et corniches » : la chaise n’est comporte pas.
« L’impériale sera couverte d’un beau maroquin rouge » : elle est recouverte d’un cuir de couleur brune. Elle doit comporter « six pommes [ornements de formes diverses en bronze ou en cuivre doré fixés sur l’impériale des voitures] toutes dorées d’or moulu » : il n’y en a aucune et l’on ne voit sur l’impériale aucune trace d’un quelconque moyen de fixation pour des pommes qui auraient disparu.
La portière est fixée par deux fiches, au lieu de trois inscrites sur le devis. Sur celui-ci figurent trois glaces, alors que la chaise en possède six, deux sur les côtés et quatre à la portière.
La garniture intérieure est en damas au lieu du velours prévu au devis. Elle a pu, il est vrai, être remplacée au cours du XVIIIe siècle.
Enfin, la couleur bleue, mentionnée six fois, « un beau bleu de Prusse », n’est visible sur aucun élément de la chaise, et les analyses au microscope électronique à balayage avec sonde X et au spectromètre infra-rouge n’ont révélé aucune trace de bleu de Prusse sous la dorure et la polychromie
Toutes ces différences démontrent que ce devis de 1752 ne peut concerner la chaise à porteurs conservée. Il s’applique à une autre, disparue depuis. La chaise de Marsillargues est bien antérieure à la date de 1752 : sa forme et son décor typiques situent, sans doute possible, sa construction à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que le marquis de Calvisson commande une nouvelle chaise à porteurs en 1752 pour remplacer une chaise ancienne, certes fort belle, mais dont la forme et l’ornementation étaient passées de mode. Comme les voitures, les chaises à porteurs, objets ostentatoires et de représentation sociale, sont sujettes « à des changements de modes et à des innovations d’autant plus fréquentes que ces sortes d’ouvrages ne semblent être faits que pour contenter le goût, lequel, dans les ouvrages dont il est ici question, n’a souvent d’autre règle que le génie de l’ouvrier et l’opulence, ou, ce qui arrive quelquefois, le caprice de celui pour qui ces sortes d’ouvrages sont faits ; ce qui fait qu’une voiture qui plaît et qui est à la mode dans un temps, n’est plus supportable l’année suivante, et cela parce que la mode est changée » (Roubo, L’art du menuisier-carrossier, Paris, 1771).
En ce milieu du XVIIIe siècle, la vogue pour les chaises à porteurs est aux décors peints en camaïeu, avec une prédominance très marquée pour les camaïeux à dominante bleue.
« Le goût du jour : du camaïeu, on en fait du bleu, du vert, du jujube, du lilas et du pourpre. Ces deux dernières couleurs sont très peu durables. Vous pouvez choisir des trois premières » écrit dans une lettre du 15 septembre 1750 Philippe-Laurent Joubert chargé de l’achat d’une chaise à porteurs commandée à Guiguet ou Guignet, menuisier-carrossier d’Avignon, par un habitant de Béziers, Antoine-Henry de Sarret, baron de Coussergues.
Plusieurs chaises à porteurs du milieu du XVIIIe siècle conservées témoignent de ce goût pour les décors peints en camaïeu bleu. On peut en voir un bel exemplaire au Musée du Vieux Nîmes.
Le choix des Sieurs Gamet et Morisset d’Avignon par le marquis de Calvisson pour sa nouvelle chaise à porteurs semble confirmer qu’Avignon a été un foyer carrossier actif au XVIIIe siècle, notamment dans la production de chaises à porteurs. Les chaises avignonnaises sont appréciées bien en dehors de la cité des papes.
Le 29 juin 1725, J.F. Guynaud, menuisier-ébéniste d’Avignon, s’engage à faire une chaise à porteurs pour la présidente de Tournier à Toulouse. Dans son devis, il précise que cette sorte de chaise est à la mode chez les bourgeoises et les marchandes de Montpellier, ses clientes. Il y décrit d’autres chaises plus riches qu’il avait exécutées pour l’évêque d’Agde, la marquise de Toviax, madame de Montaut et d’autres dames de Montpellier. Antoine Vernet, né à Avignon en 1689 et mort dans cette ville en 1752, « peignait des fleurs sur les chaises à porteurs. Il y a à Marseille deux chaises peintes et signées de lui » (Alexandre Dumas : Mes mémoires 1802-1830).
La qualité des chaises avignonnaises est aussi reconnue au-delà des frontières régionales. Le 19 juin 1777, par lettre écrite de Paris, le cardinal Dominique de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen, prie le commandeur de Villefranche, à Avignon, de vouloir bien commander à Guigues [peut-être le même artisan que Guiguet, cité plus haut], menuisier carrossier de cette ville, une litière pour sa nièce la baronne de Pradt « pareille à celle qu’il lui avait fait faire autrefois, avec une ou deux chaises à porteurs dont il avait été satisfait ».
Outre la chaise de monsieur de Sarret, baron de Coussergues, conservée à Béziers, on connaît une autre chaise à porteurs construite à Avignon par le maître sellier Vincent (Vendue aux enchères à Lyon, le 15 juin 1993).
Pour en savoir plus, notamment sur les travaux de restauration, voir :
La chaise à porteurs du château de Marsillargues, ouvrage collectif, 2012, consultable en ligne sur le site de la DRAC Occitanie :
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