Sans espoir

Sans espoir

 Son beau regard d’ambre clair est tellement absent qu’il se demande sans doute ce qu’il fait encore là. Ce n’est pas qu’il soit maltraité, loin de là, mais s’il a survécu à l’épouvantable accident qui a tué net son presque frère, son jumeau, enfin, son compagnon de timon… je suis certaine qu’il n’oublie pas.

Les chevaux n’oublient pas.

S’il s’est remis de ses blessures physiques, les mentales, on ne sait pas…  il s’est pourtant laissé réatteler sans jamais tenter de s’enfuir, ce qui dépasse l’entendement. Parfois, pourtant, son front se crispe et je vois bien qu’il peine.

Avec une sagesse exemplaire il exécute sans jamais renâcler tout ce qu’on lui demande… mais c’est le sort des chevaux de ne pas savoir pourquoi ils font ce que nous leur faisons faire… ils font, c’est tout. 

On appelle ça la soumission. Je déteste ce mot.

Souvent quand il a mangé sa ration, il s’en va d’un pas lent appuyer ses ganaches sur la barrière  au fond du pré, puis il ferme les yeux et s’abandonne ainsi de tout son poids.

Il me fend le cœur.

Je l’aime. Il le sait.

Tout mon être me dit qu’il m’aime aussi, mais oui.

Il n’est pas à moi, et pourtant…

Texte et photo Julie Wasselin