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La Société du cheval national de trait léger
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Imaginez le Sénat animé de séances interminables, d’envolées enflammées…sur la question chevaline !
Nous sommes en 1909. Les Parlementaires français, depuis quelques années déjà, discutent avec passion du cheval, force motrice de ce pays qu’ils veulent plus que jamais moderne, prospère et influent.
Ici, on commente le cheval tel qu’il est produit, tel qu’on devrait le produire, celui dont on fait commerce, là on épluche le dernier rapport d’activité des Haras nationaux, les comptes-rendus des concours, ailleurs, on compte les primes, on prépare les subventions, on justifie des budgets faramineux. Une question cependant occupe de plus en plus sénateurs et députés, celle de la remonte militaire, en particuliers de l’artillerie.
En mars (c'est-à-dire 4 mois avant le vote de la loi du 24 juillet 1909, évoquée ci-avant), un comité d’initiative s’empare de la question. La « Société du Cheval National de Trait Léger qualifié par l’épreuve » et née. Le groupe compte 47 membres majoritairement des aristocrates, des grands propriétaires fonciers, des officiers supérieurs ; ils sont pour la plupart parlementaires (surtout des sénateurs), présidents de syndicats départementaux d’agriculture et hommes de cheval accomplis. On trouve même les détenteurs de quelques unes des plus belles écuries d’attelage de l’époque comme le comte du Douet de Graville, membre du jury de la Société hippique française ou le comte Potocki, président de la société l’Etrier. La présidence est confiée au général Langlois, sénateur de Meurthe-et-Moselle, membre de l’Académie Française, fervent défenseur du petit cheval Ardennais Lorrain. Le secrétariat général revient au comte de Robien, auteur, entre autres écrits, de plusieurs études sur le cheval de Norfolk et l’élevage Breton. Le siège social élit domicile au 46 rue du Bac à Paris, dans les locaux de « l’Acclimatation, journal des éleveurs », qui offre une tribune privilégiée à la nouvelle société, souvent relayée par les colonnes d’un autre célèbre hebdomadaire « le Sport universel illustré ».
Cheval de trait léger et cheval d'artilleur ne font qu'un
A côté de la Société du Cheval de Guerre dont l’unique préoccupation est alors de porter haut les qualités du cheval de cavalerie, la jeune organisation affirme bientôt sa volonté d’être « le trait d’union rationnel entre les exigences imprescriptibles du matériel d’artillerie et intérêts bien compris de l’élevage ». Son objectif est ainsi rappelé : « mettre en lumière, par l’épreuve qualificative, les qualités du cheval français de trait léger en venant en aide aux desiderata des intérêts des éleveurs , de la culture et du commerce, en même temps qu’aux exigences impérieuses du service des batteries de campagne et des transports militaires ».
Immédiatement interpellés sur la définition du « trait léger », les membres, réunis en comités régionaux, engagent une réflexion de fond. S’appuyant sur le mémoire du capitaine d’artillerie Charpy (lauréat 1909 du prix Henri Schneider de la Société des Agriculteurs de France), la description suivante est arrêtée :
« Le trait léger semble être le produit naturel d’un sol, sous un certain climat. Ce n’est pas un produit manufacturé. Ce n’est pas le cheval d’une nourriture spéciale, d’un régime spécial, d’un élevage particulier. C’est donc un cheval de taille plutôt réduite et de corpulence moyenne. C’est un cheval de travail mais non d’un travail spécialisé. Il a dans sa conformation les caractères du cheval de trait, et de fait, il tire mais il s’accommode de tous les terrains, les plats, les montueux, les raboteux, les labourés, les lourds et les légers. Ce n’est pas le cheval industriel, le cheval de la grande culture. C’est au contraire le cheval du petit propriétaire, du petit cultivateur, de celui qui demande à son cheval toujours des travaux. A la charrue, il doit être calme et fort, à la carriole il doit être léger et vite… »
Et au comte de Robien d’ajouter : « si le cheval forme l’une des assises essentielles de la défense nationale, il doit rester un auxiliaire de l’agriculture et du commerce ; le cheval de trait léger doit être un animal d’échantillon restreint, construit pour trainer du poids, éventuellement en porter, en terrain varié, aux allures vives, avec le meilleur coefficient d’utilisation».
C’est pourtant d’une note du bienveillant Ministre de la Guerre lui-même, le général Brun, que la définition la plus aboutie se devait d’arriver : « le véritable cheval de trait d’artillerie doit réunir les qualités nécessaires pour pouvoir :
1°) occuper n’importe quelle place dans l’attelage de la voiture-canon ou de la voiture-caisson du matériel de 75,
2°) être apte au service de la selle. Le choix de cet animal doit être déterminé par le poids de la voiture, la hauteur du timon au-dessus du sol, par la distance entre les crochets d’attelage et les branches de support. Le poids moyen de notre matériel chargé en guerre étant de 1.900 kg, le cheval attelé doit avoir assez de masse pour exercer un effort de traction suffisant. Il semble qu’il doive se rapprocher du poids de 500 kg. à l’âge où il est complètement utilisable. Il doit joindre à cette qualité une certaine trempe qui lui permette d’effectuer de longs parcours sur route et des efforts souvent pénibles en terrain varié. Il est essentiel que sa taille ne soit pas trop grande, afin que l’extrémité du timon ne charge pas trop l’encolure. Elle devrait être comprise entre 1m54 et 1m59 au maximum et il n’y aurait aucun inconvénient à descendre jusqu’à 1m53 pour les animaux présentant une masse et une énergie suffisantes. Le cheval doit pas être trop long afin de ne pas être gêné par les branches de support, qui serait une cause de choc répété sur les genoux et les rendraient rapidement indisponibles. Il faut éliminer le type cuirassier, trop grand, trop long, et pour qui la ration d’artillerie est beaucoup trop faible. Pour satisfaire aux conditions énumérées ci-dessus, le bon cheval de trait d’artillerie doit être court, trapu, ample, à rein large, bien charpenté, près de terre, un fort dessous, avec une certaine trempe. Le Breton fourni par le dépôt de Guingamp est celui qui parait, jusqu’ici, le mieux réunir ces qualités ».
extrait de l’ouvrage du Capitaine CHARPY Le trait léger (Paris, Lucien Laveur éditeur) paru en 1909, incontestablement le plus documenté sur le sujet.
Le culte du mastodonte et de la lymphe
Fort des soutiens et de l’audience rapidement obtenus, l’action de la Société se précise. Le discours de l’intarissable secrétaire général sur la situation de l’élevage français commence aussi à se faire plus acerbe. Le cheval de gros trait et son milieu (dirigeants des stud-books, marchands et courtiers internationaux notamment) en deviennent la cible.
Oubliée la phrase d’hier « le mot léger ne s’applique nullement au modèle ni au squelette, mais à la façon de se comporter aux allures ; il n’est pas considéré comme étant opposé au gros trait pour lequel la Société a l’intention de constituer des épreuves » ! Le temps de la critique est venu.
« La mode du gros cheval, la hantise du poids sont aujourd’hui au pinacle. Qui sait, dans un délai peut-être proche, si un simple progrès de la traction mécanique ne va pas suffire à reléguer dans la section boucherie le cheval de gros trait. Ce cheval de gros trait, tout le monde veut le produire sans tenir compte ni de la concurrence, ni des leçons de la nature, de la qualité du sol, de l’indigénat, de la tradition. La locomotion mécanique a porté un coup mortel au carrossier, dont le trotteur de service subit naturellement la répercussion. Qui sait si le triomphe des « poids lourds » [au sens de camions automobiles] ne va pas restreindre bientôt la demande du cheval de trait au point de constituer une véritable crise également dans cette branche. Pour l’industrie, pour le halage, il n’est pas douteux que le cheval sera remplacé un jour par la traction mécanique. Il en sera de même pour la culture industrielle. Quant au cheval de trait léger, aucune crise ne pourra l’atteindre. Il le faut partout, le Midi en particulier où le cheval de gros trait s’acclimate difficilement. C’est un cheval utile à tout, parce qu’il est bon à tous les travaux, dans tous les terrains. C’est le cheval de la petite culture, de la petite bourse. On peut perfectionner les tracteurs, on peut déposséder le cheval de gros trait de son monopole dans les plaines et dans l’industrie ; le petit agriculteur, le viticulteur en terrain accidenté, dans les champs morcelés, dans les cultures ingrates ou restreintes, le modeste commerçant ne pourront jamais substituer la traction mécanique, ni même le gros trait, à ce serviteur qu’est le trait léger. Il le faut pour l’Italie, pour l’Espagne, pour l’Allemagne. Il faut s’occuper d’améliorer les chevaux de cette espèce, il faut développer leurs aptitudes en harmonie avec les services auxquels ils sont destinés, il faut en faire des vrais chevaux utiles à l’agriculture et à l’armée. Lorsque l’éleveur cessera de sacrifier là ses juments, de les conduire ailleurs au baudet, le jour où il se rendra compte que son intérêt bien compris est d’accord avec son patriotisme, le cheval de trait léger fera prime sur le marché » (de Robien, 1910).
L’Administration des Haras est elle-même égratignée. « La loi de 1874 a précisée la tolérance accordée à l’Administration des Haras de recueillir dans ses dépôts un maximum de chevaux qualifié de trait qui ne devait jamais dépasser le sixième du contingent. En 1911, il est de 3.500 étalons, il devrait donc exister dans les dépôts un maximum de 583 étalons de trait, or dans la réalité, l’effectif dépasse un millier de sujets de gros trait, et la courbe ne semble pas près de s’infléchir. Les dépôts nationaux ne devraient héberger dans la proportion des 5/6ème attribués par la loi Bocher que les animaux pouvant se réclamer d’une certaine exigence commerciale, à condition que ces exigences ne soient pas incompatibles avec les desiderata de la Défense nationale. Quant au 6ème accordé aux races de trait, ces 583 unités devraient être utilisées dans les régions où le concours de l’Administration ne peut être suppléé par l’initiative privée. Je voudrais le voir [ce 6ème] contrôlé par des épreuves d’aptitude de nature à confirmer l’avenir de nos races de trait, de toutes provenances régionales, en conformité avec l’ancienne et saine tradition qui faisait des chevaux de trait français des animaux actifs et doués d’une certaine réserve de trempe. Le culte du mastodonte et de la lymphe doit être rigoureusement proscrit de nos dépôts nationaux qui devraient être par essence le conservatoire de l’élite de nos races.
l’administration des Haras oubliant sa vocation militaire sacrifie à la demande commerciale du cheval de gros trait.
La Bretagne doit constituer aujourd’hui la région privilégiée de l’élevage du cheval d’artillerie. Mais nous sommes en droit d’attendre de régions distinctes une part contributive efficace. Les Ardennes, la Lorraine, le Morvan, une portion du Perche, le plateau central, le Gers, une zone concentrique à la Bretagne (une partie de la Manche, de l’Orne, la Mayenne, la Loire Inférieure, une zone du Maine-et-Loire, une bonne partie du bocage vendéen) paraissent les régions où l’avenir du cheval d’artillerie sera le plus promptement réalisable avec une orientation de l’élevage plus respectueuse de l’indigénat ».
Un cheval qualifié par l’épreuve
L’épreuve, c’est bien là le maître mot de l’action de la société, sa raison d’être. D’emblée, le règlement s’est imposé. Les chevaux seront sont soumis aux épreuves, indépendamment de toutes questions d’origines encore trop souvent suspectes et imprécises. Ces épreuves reposeront sur la cohésion de trois éléments : un modèle approprié à la fonction, l’aptitude à la traction en terrain varié sur un parcours long avec un poids déterminé, l’utilisation montée en terrain inégal (la moitié des chevaux d’attelage d’artillerie portent également un poids de 100 kg. et les règlements ont fixé la vitesse du trot à 200 mètres à la minute).
Les concours comprennent 2 catégories d’animaux :
1°) les hongres et les juments de service entre 3 à 7 ans, d’une taille de 1m57 au plus à 3 ans et 1m59 au plus à partir de 4 ans (sans minimum de taille).
2°) les pouliches et les juments de reproduction âgées de moins de 15 ans, d’une taille maximale de 1m57 pour les premières et 1m59 pour les secondes (sans minimum de taille). Elles ne devront pas être atteintes de tares héréditaires.
Pour la première catégorie, après un examen au simple point de vue de la conformation, on procède à des épreuves de traction et d’endurance en terrain varié, avec des voitures du pays, avant d’examiner les concurrents montés pour juger de leur aptitude à porter du poids.
Les pouliches et juments ne sont pas soumises à l’épreuve d’endurance, elles subissent un examen particulier où leur aptitude à la culture et à la souplesse de leurs allures sont évaluées. Dans chaque catégorie, des primes et des certificats doivent récompenser les meilleurs concurrents avec un versement différé pour les juments de reproduction, compris comme une prime de conservation et un encouragement à la saillie par un étalon réputé apte à améliorer le type.
Le premier concours s’est tenu à Loudéac le 27 octobre 1909 sous une pluie diluvienne qui ajoute encore aux difficultés attendues. La 1ère catégorie totalise 83 engagés et la seconde 104 (presque tous de l’arrondissement de Loudéac). Au programme pour la 1ère catégorie, un examen en main (au pas et au trot) puis un parcours attelé avec une charge d’au moins 500 kg pour les animaux jusqu’à 1m50 et dont le poids augmente avec la taille des concurrents (25 kg en plus par centimètre). Ce parcours attelé totalise 6 km, dont 3.400m de route (au trot), une partie en labour, un mauvais chemin empierré, des fossés, une pente vertigineuse à monter (le tout à négocier au pas). Pour l’épreuve montée, finalement la plus redoutée, aucune note n’est portée au dressage mais seulement à la manière de se comporter aux trois allures dans une lande inégale
Pour la 2ème catégorie, l’examen en main est suivi d’une épreuve d’attelage à la déchaumeuse.
Le succès de cette première est unanimement salué tandis que l’œuvre de la Société est officiellement confortée pour les années suivantes. Une simple évolution des primes allouées et du nombre de concours épreuves organisés suffit à le prouver. En 1910, trois concours se tiennent en Bretagne (à Loudéac, Callac et Gourin) et un à Vouziers (Ardennes). Alors que l’administration de Haras sacrifie à Callac au triple culte de l’ardennais belge, du postier lourd et du Normand (dédaigneusement qualifié de « bourdon »), c’est à un petit étalon gris de l’ancienne race autochtone des bidets qu’est revenu la victoire sur un total de 107 chevaux inscrits. On peut lire en 1911 dans le compte-rendu de l’assemblée générale de la Société (sous la présidence du général Langlois qui décèdera l’année suivante) que 10 concours seront ainsi répartis : 3 dans les Côtes du Nord (1 à Loudéac sur 2 jours, le 2ème jour destiné aux récompenses et à la foire), un dans le Morbihan, le Finistère, en Meurthe-et-Moselle, la Manche, dans le Cantal, l’Ain, les Ardennes (ces 3 derniers seront finalement ajournés). Le total des primes est passé de 3.000 fr. en 1909, à 6.500 fr en 1910 et 22.000 fr en 1911.
une autre référence déterminante dans l’argumentaire de la Société : DE SALVERTE (R.), Etude sur le cheval de trait léger, tant au point de vue commercial que de son aptitude à la guerre, sa vente en France, ses débouchés à l'étranger, Paris, Le Goupy, 1909.
L’action de la Société du cheval national de trait léger qualifié par l’épreuve s’est maintenue jusqu'à la première Guerre mondiale, où l’artillerie joua, on le sait, un rôle déterminant. Il est en revanche difficile de suivre son évolution dans l’entre-deux Guerre, période qui connut à la fois les prémices de la disparition massive des chevaux pour les transports et l’apogée des races améliorées de gros trait dans l’agriculture.
Texte et documents
Etienne Petitclerc
Article parru dans "attelage magazine" 2013
Nous terminerons cet article par quelques images des chevaux d'artillerie à l' l'entrainement
...puis leur engagement, moins de cinq ans plus tard, dans la guerre à laquelle ces chevaux payèrent un lourd tribut.