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A la rencontre des pailleux 3ème partie : témoignages

A la rencontre des pailleux

3ème partie : témoignages

 

 

Pour clore notre série sur les « pailleux », ("A la rencontre des pailleux; 1°un peu d'histoire" et "A la rencontre des pailleux2°; attelages") nous vous proposons dans ce dernier volet un texte compilant cinq témoignages  d’anciens charretiers,  acteurs ou témoins du commerce des fourrages avec Paris. Recueillir de tels souvenirs semblent aujourd’hui très improbable, collectés il y de nombreuses années, ils constituent désormais,  mis en regard des images dont nous vous avons livrés quelques exemples au fil de notre étude, un matériau ethnologique de premier ordre. Ils sont, malgré d’inévitables lacunes, les ultimes traces d’un métier aussi méconnu qu’étonnant.

 

12 à 15 heures de travail quotidien

L’heure de départ était bien sûr fonction du temps de trajet, il fallait de toutes façons se lever dans une nuit d’encre. Le pailleux ne couchant pas sur place venait à pied ou en vélo prendre son service. Il s’occupait d’abord des chevaux puis prenait son repas. Dans le meilleur des cas, un valet de la ferme ou un apprenti charretier de garde, couchant dans l’écurie, prêtait la main pour atteler.  Trois, quatre, cinq chevaux à mettre à la voiture, en pleine nuit, à la lumière vacillante d’une lampe de cour voire d’une  lanterne. Pour prendre la route à deux du matin, il fallait se lever à minuit ! 

 

Le chariot, savamment chargé, est mis en place à la porte de l’exploitation. Demain, le pailleux prendra la route bien avant que le soleil commence à éclairer la campagne.

Le chariot, savamment chargé, est mis en place à la porte de l’exploitation. Demain, le pailleux prendra la route bien avant que le soleil commence à éclairer la campagne.

Hommes et chevaux connaissaient la route dans ses moindres détails pour la pratiquer presque quotidiennement. Pas de temps à perdre, la marche était assurée, le rythme soutenu malgré la charge : quelques 800 bottes de foin ou de paille à 5 kg l’unité, plus de poids du grand chariot (environ  2.000 kg), soit un peu plus de 6 tonnes,  à peine  moins pour les grandes gerbières.  A raison de 4 à 5 kilomètres par heure en moyenne, il fallait 6 heures aux charretiers des exploitations les plus éloignées pour rallier les portes parisiennes et parfois plus d’une heure encore pour gagner le lieu de la livraison. Les voitures des pailleux passaient généralement l’octroi entre 6 et 8 heures.

Arrivé à destination, le déchargement s’opérait rapidement, porté par l’objectif de repartir au plus vite, repasser la « barrière » avant midi et entamer  le chemin du retour, sur lequel se trouvait une halte où les pailleux avaient l’habitude de se retrouver pour déjeuner et vider une « chopine ». Les chevaux s’arrêtaient d’eux-mêmes devant le bistrot ! La pause ne devait pas s’éterniser, l’imposante voiture était attendue en fin d’après-midi. A peine rentrée, dételée, une équipe de journaliers s’activait déjà à recharger. Après s’être abreuvés, les chevaux regagnaient leur écurie pour un méticuleux pansage.  L’heure du diner arrivait tôt pour le pailleux, qui s’endormait bien avant ses collègues ! Parfois, un ou deux jours espaçaient les convoyages, le pailleux assurait alors lui-même le savant empilement et le tassement des bottes.

 

la pause du midi, un bistrot où les pailleux ont l’habitude de se retrouver pour casser le croute et vider une chopine !

la pause du midi, un bistrot où les pailleux ont l’habitude de se retrouver pour casser le croute et vider une chopine !

– Sur la route du retour. La région de Brie-Comte-Robert constitue l’extrême sud de l’aire où se trouvaient les pailleux. Au-delà, l’acheminement des fourrages vers Paris se faisait par le rail ou la navigation intérieure.

– Sur la route du retour. La région de Brie-Comte-Robert constitue l’extrême sud de l’aire où se trouvaient les pailleux. Au-delà, l’acheminement des fourrages vers Paris se faisait par le rail ou la navigation intérieure.

Telle était la journée-type d’un pailleux… quel que soit le temps. L’hiver, quand la route devenait glissante, il fallait visser quatre crampons aux fers spécialement taraudés (2 en pince et 2 en talon) et redoubler de vigilance, le vent froid pénétrait jusqu’aux os, les pluies glaçantes endolorissaient les articulations et il fallait se prémunir des refroidissements qui causaient tant de maladies graves. L’été, la même route virait à l’enfer, la chaleur, la poussière étaient suffocantes, la déshydratation et l’insolation menaçaient (les chevaux ne buvaient pas pendant le travail, ils devaient en revanche être rafraichis par des éponges ou des linges mouillés en cours de route).

La pluie était « l’ennemi n° 1 ». Dans le meilleur des cas, le chargement se faisait à l’abri d’un hangar ou d’une avancée du toit de la grange. On prenait toujours grand soin à brêler la voiture à l’aide d’une forte corde en forme de Y (fixée à l’avant, les 2 branches étant prises sur le moulinet arrière) mais quand le temps était humide, il fallait impérativement couvrir la précieuse marchandise d’une imposante bâche de toile huilée. Le charretier emmenait avec lui, une bonne partie de l’année, des vêtements chauds, imperméables, consistant la plupart du temps en une sorte de  grande « limousine ». Assis sur le siège rudimentaire dont était pourvus certains grands chariots (voir le précédent article), le pailleux était relativement protégé des intempéries par son chargement mais, à vide, il s’exposait aux caprices de la météo. Tous les recours étaient bons pour s’en protéger,  de simples sacs de grosse toile de jute lui assuraient, par exemple, une couverture aussi économique qu’efficace contre le vent et les giboulées. Suspendue sous la voiture, une civière permettait de transporter ses « effets » vestimentaires ;  toutes sortes de petits matériels y côtoyaient aussi les rations des chevaux et le casse-croute.

 

Des chevaux sélectionnés et surveillés

Les chevaux étaient choisis avec soin. Des entiers, achetés à 4 ou 5 ans, Percherons, Boulonnais, « Normands » (en fait des chevaux Percherons ou Boulonnais purs ou métis élevés hors berceaux), ramenés par les marchands des foires de Normandie, d’entre-Beauce-et-Perche, du Berry. Généralement  de grande taille, réputés bons marcheurs, énergiques et puissants, ils pesaient 700 à 800 kilogrammes, avec une tolérance à 850kg pour les limoniers ou les timoniers qui assuraient le contrôle de la voiture : « au dessus, les chevaux trainent leur poids, non plus la charge » ! Pour ce travail d’une grande dureté, il les fallait exempts de toute tare. L’unité de robe (plus que de race), l’entretien des harnais (également gage de sécurité) et l’allant des chevaux faisait la fierté du charretier. Les attelages des pailleux étaient en représentation permanente, traversant de nombreux villages, circulant dans Paris au milieu des attelages des Maisons de renom, ceux des grands magasins, des entrepreneurs, des Compagnies de chemin de fer,  certains primés au prestigieux Concours central hippique du Grand Palais. Un cheval réformé était immédiatement remplacé, le départ et les premiers kilomètres du nouvel « équipage » pouvaient être agités mais il était finalement rare de devoir renvoyer le nouvel arrivant chez le marchand : « il n’y a pas de mauvais chevaux, il n’y a que des mauvais charretiers » pouvait-on alors entendre ! 

Ces chevaux étaient entretenus avec soin : les rations du matin, du midi et du soir étaient composées chacunes de 5 litres d’avoine, une demi-botte de foin et, le soir d’aliments rafraichissants comme les carottes, les betteraves, le son humecté, le tourteau de lin.

Une attention particulière était portée aux pieds. Les fers qui s’usaient vite, étaient changés tous les 8 à 10 jours, malgré une épaisseur initiale supérieure à celle des autres chevaux. Il était courant dans les grandes exploitations de la région parisienne d’avoir un maréchal-ferrant à demeure qui ferrait les chevaux et les bœufs de travail, assurait les soins légers et entretenait le matériel de culture.

Lorsque le pailleux ne livrait pas le fourrage, il assurait d’autres charrois, de bois, d’engrais ou de grain. Ses chevaux ne devaient jamais rester inactifs une journée entière, une « promenade » était un minimum afin d’éviter des problèmes digestifs.

 

Des charretiers  à part

Les pailleux étaient des charretiers confirmés, occupant une place à part dans la profession, avec un salaire équivalent à celui d’un premier charretier. Habiles meneurs, capables de se fondre dans le trafic de la Capitale, de mettre au diapason des chevaux entiers copieusement avoinés, toujours prompts à en découdre avec un congénère ou à « flirter »avec les juments des livreurs dont les grelottières produisaient déjà à bonne distance un certain émoi.

Ils étaient aussi des hommes de confiance, prévoyants, ne devant pas s’attirer les foudres de la gendarmerie par quelque défaut d’éclairage (par un falot arrière notamment), de sécurité ou une dérogation au code de la route, sérieux pour se présenter en bonne et due forme aux guichetiers des octrois, aux préposés des marchés, à la clientèle, produire ou recevoir les récépissés et autres lettre de voitures…

 

Ambiance d’une cour de ferme en fin d’après-midi. Au fond, une équipe de journaliers s’emploie à recharger le chariot du pailleux.

Ambiance d’une cour de ferme en fin d’après-midi. Au fond, une équipe de journaliers s’emploie à recharger le chariot du pailleux.

Le pailleux devait avant tout épargner son attelage. A la bonne connaissance des déclivités du trajet, qui permettait de faire souffler les chevaux dans les descentes pour mieux les solliciter dans les montées, s’ajoutaient quelques « ficelles ». Les limoniers des grandes gerbières à 2 roues (voir nos précédents billets) devaient être particulièrement ménagés. L’unité de taille entre les chevaux, surtout entre le limonier et son chevillier (placé immédiatement devant lui), contribuait à une ligne de traction optimale (horizontale). Les traits  dits « de route », plus longs entre ces deux derniers qu’entre les chevaux de devant (le cheval « de fouet », appelé ainsi parce qu’il était accessible avec la mèche du fouet et le cheval de cordeau, en tête, qui dirige l’attelage et donne le rythme) permettaient de tourner court sans que la manœuvre entraînent brusquement le limonier au risque de le faire trébucher. Réglables, ils pouvaient être raccourcis pendant la marche normale de l’attelage. Une autre précaution soulageait ce forçat : le réglage de la dossière (qui repose sur la sellette et porte les limons), légèrement modifié selon le relief. En l’allongeant dans les fortes montées, on obtenait un meilleur angle de traction, à l’inverse en la raccourcissant dans les descentes on avait un meilleur « calage » du limonier dans son reculement.

Les « traits de route » : courts entre le devancier et le chevillier pour optimiser la traction, longs entre celui-ci et le limonier pour faciliter les manœuvres sans risquer de faire trébucher ce dernier.

Les « traits de route » : courts entre le devancier et le chevillier pour optimiser la traction, longs entre celui-ci et le limonier pour faciliter les manœuvres sans risquer de faire trébucher ce dernier.

L’harmonisation des allures était indispensable, autant  pour éviter l’épuisement prématuré du cheval le plus lent que pour contrarier une fatigue générale et rapide par excès de vigueur ou de dispersion. D’autres évidences prenaient ici tout leur sens : la retenue des chevaux dans les descentes alors que la mécanique de frein produisait son effet, quelques pauses opportunément choisies en haut des côtes, à l’ombre ne été…

Une partie de l’attelage d’un pailleux au travail, sans doute un jour sans livraison…

Une partie de l’attelage d’un pailleux au travail, sans doute un jour sans livraison…

Le faible nombre d’accidents rapportés conforte l’idée du professionnalisme des pailleux. Les glissades, les ruades qui entrainaient le passage des postérieurs par-dessus le timon des chariots, les bagarres (surtout des morsures) avec les chevaux d’autres attelages croisés d’un peu trop près, quelques accrochages généralement dus à des assoupissements, constituent les anecdotes les plus marquantes. Le plus grand des dangers pour les pailleux fut la densification du trafic routier dans l’entre-deux guerres. Plus question de négliger sa signalisation, plus question d’accompagner l’attelage à pied sur les routes nationales, au risque de se faire renverser par un automobiliste pressé ou un routier appréciant médiocrement la largeur de la chaussée. En 1935, la route appartenait déjà à l’automobile ! On nous a aussi rapporté comment, pendant la guerre, des pailleux furent pris pour cible par les chasseurs de la Luftwaffe, et que plusieurs y laissèrent la vie…

Tandis que le commerce des fourrages avec le centre de Paris allait en diminuant, et avant que la traction animale ne disparaisse totalement de la « grande agriculture », les pailleux retrouvèrent le chemin des champs le temps d’une éphémère dernière attelée, quelques-uns continuèrent au volant d’un camion. Beaucoup quittèrent les chevaux pour l’usine, avec ou sans regret. S’ils ne gardent toutefois  pas de mauvais souvenirs de leurs années de route, ces charretiers d’exception témoignent invariablement de la dureté d’un travail qui n’épargnait pas plus les hommes que les chevaux.

 

 

Texte: 

Etienne Petitclerc

 

 

A la rencontre des pailleux  3ème partie : témoignages
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F
Évidemment merci pour cette belle rétrospective fort intéressante sur cette activité que l'on n'a pu connaître vu l'époque lointaine. 12/15 heures par jour, ça fait réfléchir; ils ne devaient pas avoir besoin d'une berceuse pour s'endormir. Au fait, pourquoi attelaient ils 4 chevaux en ligne au cordeau et non pas en team en grandes guides? c'est pas évident de tourner ou faire demi tour.
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F
En fait les deux existaient. Vous verrez dans le premier et deuxième article de cette série qu'il y avait aussi des attelages au timon. Mais cela demandait une voiture spécifique avec un siège de cocher (description attelages 2° partie) et même chose pour les harnais. Dans les fermes on utilisait plus couramment les voitures à deux roues donc l'attelage en ligne. C'était surement un gain économique de garder la même technique pour les livraisons. Hypothèse à approfondir.
F
Évidemment merci pour cette belle rétrospective fort intéressante sur cette activité que l'on n'a pu connaître vu l'époque lointaine. 12/15 heures par jour, ça fait réfléchir; ils ne devaient pas avoir besoin d'une berceuse pour s'endormir. Au fait, pourquoi attelaient ils 4 chevaux en ligne au cordeau et non pas en team en grandes guides? c'est pas évident de tourner ou faire demi tour.
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R
Merci pour cette belle page d'histoire ! Merci pour ce texte formidable, et ces photos d'un autre temps, j'ai apprécié ces trois articles sur ce sujet, ce métier d'autrefois, qui mérite de ne pas tomber dans l'oubli... Merci Figoli !
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