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Quelques équipages de
commerces parisiens en 1893.
Depuis l'antiquité, le cheval est un facteur de développement des différentes civilisations. Il prendra une place prépondérante dans l'explosion industrielle de la deuxième partie du XIX° siècle, tout particulièrement dans l'émergence des différentes industries et entreprises commerciales.
Ainsi, que ce soit pour son approvisionnement, ses livraisons ou son usage personnel, chaque commerçant possède un ou plusieurs chevaux. Cette cavalerie représente donc une part importante des chevaux hébergés dans Paris; près de 80000. La qualité de ces chevaux, des voitures auxquelles ils sont attelés, l'adaptation de leurs harnais dépend bien sûr de leur fonction spécifique mais surtout de la capacité financière de leurs propriétaires.
Dans les dernières décennies du XIX°, les équipages de service du secteur commercial dénotent d'une très grande diversité que l'on peut schématiser en deux grandes tendances liées aux types des entreprises:
-Les petits commerces traditionnels achetant leurs cavaleries au foires et marchés et leurs voitures de transport chez les charrons ou dans les carrosseries industrielles.
-Les grands magasins. La seconde partie du XIX° siècle est marquée par la création dans de nombreux secteurs de grandes marques industrielles et l'émergence d'un nouveau système de distribution; les grands magasins. Pour se démarquer de la concurrence, marques et grands magasins développent différents moyens publicitaires. Les équipages de livraison deviennent un support privilégié de l'image du magasin ou de l'entreprise et sont de grandes qualité. Nous avions abordé cette évolution dans un article sur la maison Felix Potin.
La qualité de des équipages des grandes maisons commerciales est soulignée par de nombreux auteurs contemporains comme Le Ham, journaliste au Figaro:
"Si depuis une vingtaine d'années, le grand luxe des équipages tend fâcheusement à diminuer, malgré les efforts des carrossiers modernes, en revanche, les voitures employées par le grand commerce parisien pour la livraison de ses marchandises deviennent de plus en plus grandioses et somptueuses." -Le Ham-
Au même titre que les équipages de voitures de luxe ou de coaching, une section spécifique leur est d'ailleurs attribuée au Concours hippique de Paris.
Ces photos des équipages, présentés à ce Concours de Paris par les grands magasins du "Louvre", soulignent l'importance également donnée à la qualité des chevaux et à leur dressage.
Nous avions déjà souligné la place centrale dédiée aux écuries des grands magasins dans l'article précédemment présenté sur les écuries des magasins "Dufayel".
Suivant la spécificité de leurs activités, chaque marque cherchait donc à personnaliser ses services de livraison en faisant de véritables supports commerciaux. Vous en trouverez quelques exemples dans ces extraits d'un article du "Figaro", supplément littéraire du 10 Juin 1893, intitulé:
"La cavalerie commerciale parisienne."
"...Si depuis une vingtaine d'années, le grand luxe des équipages tend fâcheusement à diminuer, malgré les efforts des carrossiers modernes, en revanche, les voitures employées par le grand commerce parisien pour la livraison de ses marchandises deviennent de plus en plus grandioses et somptueuses.
L'élan a été donné par les grands magasins de nouveauté, Louvre, Bon marché, Printemps, qui ont profité de l'occasion qui leur était offerte ou plutôt qu'ils offraient aux clients de porter les achats à domicile, pour faire circuler toute la journée dans Paris le titre de leur maison, réclame ambulante et fructueuse. Aujourd'hui, c'est un usage général, et toutes les maisons de commerce, de la plus grande à la plus petite, ont leurs voitures de livraison où les armoiries sont remplacées par la marque de commerce et la devise par le titre de la maison peint en gros caractères. Et c'est entre nous une lutte à qui montrera les plus beaux équipages, les plus beaux chevaux...
Nous avons trouvé interessant de donner, pour compléter les renseignements d'autre part sur la cavalerie parisienne, les portraits de ceux des équipages commerciaux qui sont aujourd'hui les plus remarquables et pour qui on peut employer justement l'expression classique qu'ils tiennent le haut du pavé.
Parmi les plus beaux équipages commerciaux de Paris, une place importante doit être réservée à ceux du Grand Dépôt de porcelaines et de faïences anglaises de la rue Drouot.
Le Figaro a déjà raconté dans un de ses suppléments l'histoire de cette maison qui, d'année en année, s'agrandit, crée des magasins nouveaux et absorbe peu à peu tous les immeubles de la rue dont elle n'occupait, au début, qu'une toute petite part.
Paris ne lui a pas suffit. M.Emile Bourgeois, le fondateur, a du établir des succursales en province. Aujourd'hui, c'est une des premières maisons du monde et tout Paris connait son bel attelage de quatre grands percherons noirs fournis par l'écurie de H Hostein, écurie qui a le monopole des équipages de luxe pour le haut commerce.
Egalement parmi nos voisins, nous avons à citer les voitures bien connues du Paris-Gourmet et dans lesquelles la maison Olida, n° 11, rue de Drouot, livre ses délicieux jambons d'York et ses conserves de comestibles si renommés. Fournissant tout Paris, les voitures de la maison Olida sillonnent la capitale en tous sens du matin au soir. Les amateurs de bonne chère les reconnaîtront facilement.
Toujours pour les gourmets, voici les colossales voitures du cacao Van Houten. Un récent procès a fait justice des allégations portées contre ce produit. Il en est sorti victorieux et plus que jamais les consommateurs le réclament, sachant qu'il est le véritable aliment des estomacs fatigués, des natures délicates, des enfants, plus salubre et plus digestif que tous les chocolats connus. Malgré leur grandeur et leur nombre, les voitures du cacao Van Houten peuvent à peine servir à leur livraison.
Voici, maintenant, une des voitures de la "Place Clichy". Tout le monde connait ces grands magasins dont le progrès a été si puissant et si rapide. En dehors des soieries, des étoffes, des dentelles, des confections et de tout ce qui concerne la nouveauté, les grands magasins de la "Place Clichy" se sont fait une spécialité des tapis d'orient pour lesquels ils n'ont pas de rivaux. Chaque année, ce sont eux qui meublent magnifiquement le palais de l'industrie pour le concours hippique, le salon, les différentes expositions qui se succèdent, et, chaque fois les tentures, tapis et mobiliers qui ont servi sont livrés ensuite au public à des conditions de bon marché incroyables.
Les voiture de la "Place Clichy" sont bien connues. Non seulement elles circulent dans Paris et les environs, mais tous les murs de la banlieue sont couverts des colossales affiches de Lunel qui les représentent.
Quittons pour un instant le grandiose pour faire place au coquet. Voici la voiture du "Cherry-Blossom", la parfumerie spéciale qui se trouve à l'angle du boulevard des Italiens et de la rue de Marivaux. Ce n'est plus le grand fourgon indispensable aux magasins de nouveautés pour y entasser leurs marchandises. Ce qu'on vend là, c'est le mignon flacon d'eau de toilette aux senteurs exquises dont l'Angleterre a fait cadeau à Paris; le Cherry-Blossom" qui prend de plus en plus la place de l'ancienne eau de Cologne dont il a toutes les qualités mais qu'il surpasse en douceur et en suavité. La voiture est un élégant carrosse dont les deux pur sang sont conduits par un cocher en grande livrée et derrière lequel, cramponnés aux étrivières comme du temps du grand roi, deux laquais se tiennent prêts à sauter à terre pour offrir aux clientes la boite nécessaire contenant le parfum, la poudre de riz et le savon "Cherry-Blossom".
Les dames nous en voudraient d'oublier le voitures de la "Maison nouvelle", qui viennent leur apporter chaque saison les jolis chapeaux qui sont l'un des plus beaux ornements de leur parure. la "Maison nouvelle" a presque le monopole du chapeau féminin, et à ce moment des départs pour la villégiature, pour les bains de mer, les pauvres chevaux, quelque soit leur vigueur, doivent se plaindre du surmenage, car il leur faut du matin au soir courir à travers Paris pour satisfaire aux désirs de nos élégantes.
D'une extrémité à l'autre, c'est à dire de la tête aux pieds, sans quitter le domaine de l'élégance, nous trouvons les voitures de la maison "Pinet" rue de Paradis. Celles là aussi ont fort à faire, car la clientèle de la maison "Pinet" est immense. Les progrès que cette maison et son propriétaire ont fait faire à la cordonnerie française sont trop connus pour que nous en reparlions ici. La chaussure Pinet a une réputation européenne. Ses voitures avaient donc leur place tout indiquée dans cette revue de la carrosserie et de la cavalerie commerciale.
Nous citerons enfin comme tout à fait remarquables les équipages de la "ville Saint Denis". Ces immenses magasins, créés pour fournir tout le Nord-Est de Paris, ont étendu leur domaine à la ville entière et à la banlieue."
Carel du Ham -Figaro 10 Juin 1893-
Les différentes entreprises ont utilisé également des voitures spécifiquement dédiées à la réclame. Elles étaient fournies par des maisons spécialisées comme la fameuse maison "Hostein § Cie" dont la qualité des chevaux et des voitures faisaient l'unanimité. Certaines voitures étaient si imposantes et spectaculaires qu'elles furent accusées d’effrayer les chevaux. Leur utilisation fut interdite en France en 1900.
De nos jours, ces voitures de commerce de luxe ont pratiquement disparue, du moins en France. Les rares voitures de commerce restantes dans les collections sont souvent plus tardives et de moindre qualité; voitures de foires et marchés des années 1900. C'est pour cela qu'il me semblait important de mettre en valeur ce type d'attelage et de rappeler l'importance donnée à la qualité des chevaux de trait; percherons, ... utilisés dans le commerce de luxe.
Patrick Magnaudeix.