Les colliers à
housse
L’étude des harnais anciens est une activité passionnante. Partie de ce « tout » indissociable qu’on appelle un
« attelage » [un attelage = un animal (ou plusieurs) + des harnais + un véhicule (ou un matériel) + un meneur], les harnais sont aussi, à l’image des voitures, l’expression de contextes
précis.
Les harnais de travail en particulier, traduisent si bien par leurs formes et leurs accessoires, les besoins
des utilisateurs et les goûts du moment que leurs variantes sont devenues au fil du temps complètement identitaires d’une époque, d’une région, d’une activité.
Avez-vous, par exemple, déjà détaillé les harnais de gros trait représentés par les artistes des
XVIIIème et XIXème siècles ? Avez-vous « disséqué » les attelages saisis par les premiers maîtres de la photographie ?
Vous avez donc probablement remarqué ces toisons qui recouvrent immanquablement les colliers : les
« housses ».
Chevaux de rouliers à
l’écurie, milieu du XIXème siècle
Aux origines
L’iconographie médiévale française n’en livre aucune trace. Portant sur environ 500 images choisies pour leur
représentativité typologique et chronologique (essentiellement des vitraux et des miniatures extraites de chroniques, d’hagiographies et de livres d’Heures entre le XIIIème et la fin
du XVème siècle) et présentant un certain réalisme technique, les recherches semblent vaines.
La période suivante, sensiblement moins documentée, ne semble pas apporter davantage d’éclaircissements. On
note cependant une tendance nette à l’alourdissement des harnais : le corps des colliers prend du volume et les attelles gagnent en hauteur et en largeur, les « oreilles » (partie
hautes et plus ou moins courbes des attelles) deviennent bien visibles.
La révélation d’un usage établi des housses de collier arrive avec l’illustration du « Discours sur le
conduite et l’emploi de l’artillerie » du capitaine Vasselieu - dit Nicolay - (BNF, ms français 388). Une série de 14 superbes planches colorisées montrent des attelages de 4 à 22 chevaux de
trait aux postures « vivantes » (traction, défense, ruade, morsure…), tirant sous la conduite de leurs charretiers (1 pour 4 à 6 chevaux) des pièces d’artillerie et leurs munitions, une
forge et divers « ustensiles », coffres et équipements chargés sur des charrettes et des chariots. Des housses d’une couleur crème à grisâtre, peu épaisses, coiffent tous les colliers,
sans aucune exception. L’ouvrage date de la première moitié du XVIIème siècle.
On peut regretter que les archives notariales contemporaines dans lesquels commencent à abonder les baux et
les inventaires de domaines agricoles, ne s’attachent pas à décrire le harnais comme ils le font d’autres matériels (mais l’objet est familier, son allure connue de tous). Si les chevaux
sont généralement estimés « enharnachés », selon leur âge et leur robe, parfois selon leur place dans l’attelage, la valeur du harnais, dont le collier reste la pièce majeure, n’est au
demeurant jamais précisée. Au mieux, une note du tabellion indique t’elle un collier abandonné dit « hors d’usage », « mauvais » ou « vieux ».
Extrait de
L’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (édition 1778)
Au XVIIIème siècle, les colliers sont systématiquement représentés couverts d’une imposante
toison. DansL’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (édition 1778), l’article consacré à l’art du sellier-bourrelier qualifiant l’usage de la housse
d’«ordinaire », la définit comme le terme professionnel pour désigner les « peaux de mouton garnies de leur laine qui ont été préparées par le mégissier et dont les bourreliers se
servent pour couvrir les colliers de chevaux de harnoys », précisant aussi que « quelques-uns les appellent bisquains ». Leur fonction est de garantir de la pluie et du froid le
dos et les épaules des chevaux.
Le volume des toisons est tel que l’argument ne fait alors aucun doute mais était-ce bien la motivation
première au regard de leur petitesse initiale ? Ne peut-on pas risquer une autre hypothèse (fondée sur la seule observation): l’envergure des colliers allant grandissante, il a fallu de plus
en plus de cuir pour en habiller la partie supérieure. Exposé aux intempéries, ce chapeau doit, en outre, être taillé dans un cuir de bonne qualité, donc cher. Une peau de mouton avec ses poils
(une laine généralement grossière) aurait pu fournir aux colliers rustiques un substitut valable, au demeurant facile à remplacer.
Du pratique à l’esthétique, le pas est rapidement franchi comme en témoigne un peu plus loin l’article
précité : la housse (…) sert en même temps « d’une espèce d’ornement ».
Attelage de gravatier par Victor Adam
(milieu XIXème siècle). Ces colliers sont assez semblables à ceux représentés dans le « Discours sur le conduite et l’emploi de l’artillerie » de Vasselieu à la fin du
XVIIème siècle. Le moindre volume des housses est quasi anachronique au temps de Adam (qui a par ailleurs représenté des housses bien plus amples)
Cheval de trait chez le maréchal-ferrant, lithographie
d’après Géricault.
Sans entrer dans le détail de la fabrication du collier de tirage, attardons-nous simplement sur le montage
de la housse ainsi rapporté par l’Encyclopédie : la peau de mouton avec sa laine est cousue de toile à petits points avec du fil poissé et bordée de cuir sur le devant. Pour la poser, on
pratique « deux fentes en long suffisantes pour y entrer les pattes des attelles. La housse est ensuite clouée devant, sur la bande de cuir et tombe librement derrière le
collier ».
Représentation du collier sans sa
housse
Le fameux Manuel du bourrelier et du sellier de Lebrun, en 1833, copiant l’essentiel du précédent texte, amène quelques précisions : « Il ne s’agit plus que d’un seul accessoire
pour compléter la confection du collier : cet accessoire est la « housse ». C’est une peau de mouton avec sa laine, généralement teinte en bleu. On la double entièrement de toile
blanche que l’on coud tout autour à petits points avec du fil poissé ; on coud de même une bande de cuir par-dessus la doublure le long du devant de la peau puis une pièce de castor au
milieu. Afin d’attacher cette housse au collier, la laine au-dessus, on pratique deux fentes en long à un pouce [27 millimètres] de distance des bords du devant de grandeur suffisante pour y
faire entrer les pattes des attelles jusque vers la couplière d’en-haut, et là on la cloue aux attelles au moyen de quatre clous par l’avant et de deux clous par derrière ; on en met aussi
au bas de la bande de cuir de chaque côté qu’on noue contre les attelles. Cette peau de mouton tombe librement derrière le collier qu’elle couvre ainsi que le garrot et les épaules du cheval
auxquels elle fournit une espèce d’ornement ».
En 1903, le Nouveau manuel Roret du
bourrelier-sellier-harnacheur de Jaillant donne encore les définitions suivantes : « Housse : peau de mouton passée, garnie de sa laine et teinte en bleu foncée que
les bourreliers emploient pour couvrir les colliers de chevaux de gros harnais. Houssée : peau de mouton que les mégissiers travaillent en laine et qui sert à faire des
housses ». Le texte sur le montage est totalement emprunté à Lebrun. Décrivant les « colliers de tombereaux et de gros transport »,
dont il nous dit la housse en vache grainée (avec un montage qui s’est complexifié), Jaillant propose judicieusement de disposer deux petites courroies lors du cloutage pour la maintenir roulée.
Il note, en outre, que le collier de labour n’ayant pas de housse - contrairement au collier de gravatier -, il faut que le piéçage soit très bien fait et d’une solidité à toute épreuve,
établi de telle façon que l’eau qui pourrait altérer la paille ne puisse y pénétrer.
L’année suivante, Gustave Bray* dans son Traité pratique et complet des ateliers de sellerie,
bourrellerie civils et militaires élargit la gamme des couleurs des housses (« peaux de mouton à longue laine commune simplement mégissée ») : bleu, noir, gris. Décrite au
chapitre des fournitures, la housse disparaît toutefois des instructions sur le montage des gros colliers.
Les propos Bray sont reproduits à l’identique par Pierre Leurot** dans son Livret du
bourrelier-sellier-harnacheur en 1924.
Ces deux ouvrages, en revendiquant une utilité professionnelle immédiate, témoignent sans aucun doute de
l’abandon progressif de la housse laineuse au profit du cuir.
Le collier des travaux de force
S’il apparait encore épisodiquement dans les scènes de labour vers 1910, le collier à housse est au début du
XXème siècle le collier des gros charrois agricoles, industriels et, parfois, de halage. Cette source inépuisable de renseignements que sont les cartes postales anciennes attestent de
son emploi, au début du XXème siècle, chez les rouliers méridionaux (de la Loire à l’Aude, porté uniquement par les limoniers), dans la Vallée du Rhône, et plus généralement dans le
Massif central, l’Ouest (Charente, Poitou), le Centre (Bourbonnais, Berry, Touraine), le Morvan et le Nivernais, en Bretagne (Morbihan, Ille-et-Vilaine), l’actuelle région Pays de Loire, dans le
Perche, de la Beauce à la Brie française et avec une infiniment moindre fréquence dans l’Oise. A Paris, les colliers à housse, communs à tous les gros camionnages et aux charrois pondéreux entre
1850 et 1880, se font déjà rare en 1900.
D’une manière générale, les housses « raccrochées » à toutes les formes régionales de gros colliers, perdent de leur
volume et tendent même à disparaître au fil du temps ; dès 1920, en Artois par exemple, elles ne sont plus qu’un souvenir.
Hurepoix, vers 1865-1867 (l’auteur de ce cliché - négatif
sur plaque de verre - est peut-être Guillaume Charles Théodore Jubert (1818-1890), commis de direction à l’école d’agriculture de
Grignon)
Morvan vers 1890
Loire, 1910, une
tradition méridionale : un « collier à planches » en limon, des colliers « sarrazins » pour le chevillier et le devancier. Les « varas » (peaux de bouc) sont
roulés et attachés au collier.
Brie française, vers
1910. Cet attelage avec ses « chabannes » semble tout droit sorti d’une toile de Veyrassat !
Dans l’entre-deux guerre, la France agricole (du moins celle des plaines du nord et du centre -ouest)
poursuit et accélère une révolution timidement entamée dans les dernières années du XIXème siècle : la mécanisation de ses travaux. Attelé à de nouvelles générations de moissonneuses,
de semoirs, de râteaux, de charrues, de herses, de rouleaux, voire de véhicules, le cheval de gros trait se pose plus que jamais comme le pilier du système cultural français. Son emploi, son
entretien et sa conduite appellent une rationalité inédite en milieu rural. Les manuels (notamment ceux publiés par les Editions Baillières) et les journaux agricoles (par exemple Vie à la
Campagne ou l’Agriculture Nouvelle) condamnent sévèrement les colliers à housse. Ces « parures inutiles », « instruments de torture », « provoquent la
sueur », « ajoutent au poids et à la fatigue », « propagent la vermine »…
Etudes de cas
Dans un ouvrage remarquablement illustré sur les
attelages des carrières de pierre du pays Chauvinois (Vienne), R. Pothet*** témoigne pour le début du XXème siècle de housses immenses qui faisaient la fierté des rouliers. Composées
de plusieurs peaux cousues ensemble, elles descendaient jusqu’aux genoux des chevaux et leur couvraient une partie du dos. Si le temps leur a fait perdre un peu de leur volume, la tradition
semble s’être maintenue aussi longtemps que dura l’utilisation des chevaux dans les carrières.
Collier à chabine berrichon « dans son
jus »
En Berry, le collier à housse est dit « collier à chabine ». D’après le Glossaire du Centre de
la France (par JAUBERT,1864) le « chabin » désigne la laine frisée, longue et grossière de la vielle race ovine bourbonnaise (selon une tradition populaire, le « chabin »
est l’hybride obtenu au XVIIIème siècle de l’accouplement du bouc et de la brebis !). Aujourd’hui élimées et poussiéreuses, les « chabines » ont perdu de leur superbe
mais les proportions affichées par les colliers restent surprenantes : taille d’encolure : 50 à 55 cm, 80 cm à 90 cm. d’envergure, un poids de 35 kg voire plus. Un ancien bourrelier
établi en Champagne berrichonne témoigne : dans les années 1950, venant au printemps rhabiller les colliers et vérifier les harnais dans les exploitations, il a souvent replacé des
« chabines » sur des colliers mais il n’en a jamais travaillé de neuves.
Collier berrichon en cours de
restauration
Jouissant d’un statut particulier, c’est, en Berry, le collier des moissons, des vendanges, des livraisons,
on ne l’utilise pas au labour, sauf pour « concours de charrues ».
Sortis des archives notariales, quelques inventaires d’ateliers laissent penser que vers 1910 les bourreliers
berrichons ne constituaient pas réellement de stock mais commandaient les housses - teintes, prêtes à être taillées - selon leurs besoins ; chose remarquable, leur prix est toujours
élevé : 5 francs, soit le prix d’un collier d’âne ordinaire !
Devanture d’un bourrelier à
Vierzon (Cher). On aperçoit 3 colliers à chabine sur la droite de l’image
Texte et iconographie:
Etienne Petitclerc
* rédacteur du Moniteur de la sellerie civile et militaire.
** sellier-bourrelier à Monceau-les-Mines, président de l’union amicale des patrons bourreliers-selliers de
Saône-et-Loire.
*** POTHET (P.), Le cheval et la pierre, Chauvigny, SRAC-MJC, Cahiers du pays Chauvinois, 1995,
1995, 64 p.
On prête à la couleur bleue des
housses le pouvoir d’éloigner les insectes…
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Méthode pour tanner et teindre les peaux de moutons
« Laver le cuir frais dans une émulsion concentrée de soude, enlevant d’abord de la laine toute boue qui en sort. La
paraffine, une cuillerée à bouche pour 13 litres et demi d’eau aide à faire disparaître les impuretés.
Continuer à laver la peau dans de la soude fraîche jusqu’à ce qu’elle devienne blanche et propre. Dissoudre ensuite une
demie livre de sel et d’alun dans 2 litres environ d’eau bouillante, verser de l’eau de manière à recouvrir la peau qui doit séjourner douze heures dans la solution et puis être étendue
pour sécher.
Frictionner la peau avec de l’alun et du salpêtre en poudre, 30 grammes de chaque, et si elle est large, doubler la
quantité. Frotter une heure ou deux. Retirer la peau, la pendre pendant trois jours, en la frictionnant chaque jour ou jusqu’à ce qu’elle soit bien sèche.
Ensuite, avec un couteau émoussé, débarrasser la peau des impuretés, la frotter avec de la pierre à tripoli et
mettre en forme.
Si la peau doit être teinte, on dispose un récipient peu profond aussi large que la peau, dans lequel on prépare
la teinture, de telle sorte que la peau puisse reposer sans faire de pli dans le récipient et que toutes ses parties plongent également dans la teinture. Celle-ci ne doit pas avoir
plus de 2 centimètres et demi de profondeur, sinon la peau pourrait être attaquée par la teinture chaude.
Après avoir donné la couleur, étendre de nouveau la peau pour faire sécher et la peigner avec un peigne à
coton. »
D’après le Traité pratique et complet des ateliers de sellerie, bourrellerie civils et militaires de
Gustave BRAY, 1904.