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Chaise à porteurs;
Éléments d'histoire
Chaises du château de Versailles dans leur présentation à l'exposition "Roulez carrosses" organisée à Arras (2012-2013)."
L'étude des moyens de transport des périodes antérieures au XIX° siècle n'est pas toujours chose facile. Un des facteurs de cet état de fait réside, particulièrement en France, dans le nombre limité de véhicules encore conservés. La révolution de 1789, avec en corollaire la destruction ou la vente à l’encan des carrosses royaux et princiers, symboles de l'ancien régime, a entraîné la disparition de nombreuses voitures. Les difficultés de conservation, liées à la taille des voitures et à la fragilité de leurs composants; bois,tissus cuir... , ont largement participé à aggraver la situation.
Pourtant, un type de véhicule de transport, couramment utilisé du début du XVII° siècle à la fin du XVIII° siècle, est très présent dans de nombreuses collections tant publiques que privées. Il s'agit de la chaise à porteurs, paradoxalement un des moyens de transport de nos jours les moins étudiés.
Leur petite taille et leurs qualités esthétiques ont surement protégé les chaises à porteurs de la destruction totale, d'autant plus que nombre d'entre elles sont devenues, à la fin de leur utilisation première de véhicule utilitaire, des objets décoratifs à l'intérieur des demeures.
Au XIX°, certaines-mêmes, transformées en vitrines, vaisselier..., s'utilisent comme de véritables pièces d'ameublement.
Cette fonction d'objet décoratif, symbole "discret" de l'ancien régime, leur a permis d'être entretenues et sauvegardées dans de meilleures conditions que les voitures hippomobiles de la même époque.
Cette mode du détournement de fonction des chaises à porteurs inspira également la création de nombreux objets décoratifs à utilisation diverses.
Moyen de transport couramment utilisé au XVIII° siècle, élément de décoration au XIX°, la chaise est, paradoxalement, le sujet que de rares articles et recherches. Pourtant, elle est pour les férus de patrimoine hippomobile un objet d'étude interessant car sa construction et sa décoration mobilisent les mêmes compétences professionnelles; menuiserie, sculpture, peinture, dorure,... que les voitures hippomobiles. Elle est d'ailleurs construite dans les mêmes ateliers et son étude plus approfondie est porteuse d'informations complémentaires sur les techniques et les effets de mode de l'industrie carrossière. L'analyse de son utilisation peut, par ailleurs, donner de nombreuses informations sur le comportement et le mode de vie de leurs propriétaires.
Devant ce manque de références, cet article se limitera à regrouper quelques éléments d'informations générales. Nous compléterons cette première approche par l'édition, la semaine prochaine de deux textes de Jean Louis Libourel. Ce sont des monographies des chaises conservées à Uzès et à Marsillargue.
Origine et utilisation de la chaise à porteurs.
L'origine de la chaise à porteurs se perd dans la nuit des temps. Trônes munis d'anneaux en orient, litières en Grèce et à Rome. L'empereur Claude utilisait une sorte de fauteuil couvert de rideaux mobiles porté par quatre esclaves.
Après la chute de l'empire romain, les chaises à porteurs ne sont que sporadiquement utilisées. Au XVI° siècle, quelques souverains se réapproprient ce mode de transport; Charles quint, Catherine de Médicis, Marguerite de Valois...épouse d'Henri IV en font usage. Ces chaises des membres des familles royales ne sont souvent que de simples fauteuils portés.
La généralisation de leur utilisation par les personnes de haut rang ou de grande fortune commence au début du XVII°, encore faut il préciser que les premières ne sont pas fermées. Les chaises fermées, sujet de notre article, deviennent un usage courant dans les années 1630-1640 suivant, ainsi, une pratique déjà présente en Angleterre.
Leur service ne se limite pas au transport des personnes ayant des difficultés de déplacement mais s'étend à tous les membres de la haute société, hommes et femmes confondus. Les raisons de l'origine de cet effet de mode sont difficiles à formuler car, comme nous l'avons déjà précisé, elles sont peu étudiées.
Un des facteurs du développement du transport par chaise à porteurs est l'obligation de respecter les règles de bienséance et de présentation dans des villes à la propreté aléatoire. Au XVII° siècles, les personnes de haut rang doivent se présenter devant les princes ou leurs pairs dans des tenues impeccables. Dans les villes du XVII°, aux rues étroites poussiéreuses ou boueuses, l'art de rester présentable est difficile. Les bottes, indispensables pour circuler dans les rues, ne peuvent avoir leur place dans les salons.
"Comme l'on jette des immondices dans les rues, la vigilance des magistrats ne suffit pas à les faire nettoyer; cependant, les dames ne vont plus qu'en malles. Autrefois, les hommes ne pouvaient marcher à Paris qu'en bottines, ce qui fit demander à un Espagnol, les voyant en cet équipage le jour de son arrivée, si toute la ville partait en poste" -Archives curieuses de l'histoire de France-
La voiture hippomobile, moyen de se déplacer en toute "sécurité", est alors relativement rare et d'un coût d'achat et d'exploitation élevé. De plus, les coches, non encore dotés de passage de roues, sont peu maniables dans les rues étroites et encombrées. Le cheval reste donc le moyen de déplacement le plus couramment employé.
"Mode a voulu que les seigneurs et hommes de condition allassent à cheval par Paris, il estoit honeste d'y entrer en bas de soye sur une housse de velours et entouré de pages et de laquais." -"De la galanterie". Texte anonyme de 1644-
La chaise, qui protège son occupant des intempéries et lui évite de se souiller, se présente donc comme une réponse totalement adaptée. De plus, elle permet par le luxe de sa décoration et celui des livrées des porteurs de bien marquer sa bonne fortune ou son rang.
"Vous pouvez aussi pour le plus sur vous faire porter en Chaize, dernière et nouvelle commodité si utile qu'ayant esté enfermé la dedans sans se gaster le long des chemins, l'on peut dire que l'on en sort aussi propre que si l'on sortoit de la boiste d'un enchanteur,.." -"De la galanterie". Texte anonyme de 1644-
Ces avantages font rapidement accélérer la construction de chaises privées et, un peu plus tardivement, de chaises publiques.
Les chaises privées
Elles sont utilisées comme un véhicule principal ou comme véhicule d'appoint au parc hippomobile. Bien qu'ayant prioritairement une fonction utilitaire, les chaises à porteurs sont, également, "des indicateurs ostensibles du rang que l'on prétend occuper et de l'image que l'on veut donner de soi." --Marie Maggiani dans "Les belles oubliées de la carrosserie française".-
Il faut s'imaginer une fin de soirée festive où une kyrielle de chaises, plus luxueuses les unes que les autres, portées par des laquais habillés aux couleurs de leur maison, attendent que "l'aboyeur" appelle la chaise de madame la marquise de..., du comte de...,....
Le propiétaire prend soin d'y faire inscrire ses armoiries ou les attributs de sa fonction et de les faire décorer par les plus grands artistes à la mode esthétique du moment. Les grandes dames s'honorent d'en avoir plusieurs et s'en servent souvent comme de véritables "boudoirs ambulants".
Les gens de robe en sont également de fervents utilisateurs et nombre d'archevêchés sont propriétaires de chaises pour les dignitaires ecclésiastiques de haut rang.
Ce mode de transport essentiellement urbain est également communément utilisé pour les promenades.
Plus rarement, certains propriétaires, comme à la fin du XVII° la duchesse de Nevers, s'en servent pour voyager.
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A la cour, les grands, comme madame de Maintenon, la princesse palatine, n'hésitent pas à se faire transporter jusque dans leurs appartements du château de Versailles. Leur exemple est suivi par les autres membres de la cour si bien que les chaises envahissent le château comme le note cette "affaire de police" dans les "Bons du roi" de 1674:
"Anciennement, il y avait dans les galeries hautes et basses du château quelques boites à chaises à porteur aux princes et princesses de sang, mais depuis huit ou neuf mois, toutes les personnes ayant des chaises ont mis indistinctement ces boites dans toutes les galeries et corridor, ce qui fait un très mauvais effet et incommode le public,..."
En 1677, en complément de la réglementation existante, le roi met en place à Versailles deux services de chaises publiques; les dorées et les bleues, à des prix imposés mais souvent non respectés par les porteurs. Ces deux services de location sont spécifique à la cour mais dans les grandes villes des prestations de chaises publiques existent déjà depuis 1617.
Les chaises publiques
Voici un petit historique de leur mise en place
1617. Un capitaine des gardes sollicite auprès de Louis XIII° l'autorisation d'organiser un service de location de chaises. Le roi lui accorde le privilège exclusif de leur location le 11 octobre 1617. Ce service, utilisant selon certains auteurs des chaises découvertes, n'eut qu'un succès limité.
1639. On attribue à Monsieur de Montbrun l'utilisation régulière d'une chaise couverte avec laquelle il se déplaçe régulièrement à Paris au retour de son séjour en Angleterre. Le privilège de leur exploitation comme moyen de transport du public lui fut attribué conjointement avec Monsieur de Cavoy, en 1639. Selon Tallemant de Réau, les chaises fournies par Monsieur de Montbrun sont numérotées et propriété du détenteur du privilège mais les "porteurs sont obligés de remplacer celles qu'ils rompent".
1719. Louis XIV renouvelle le privilège de l'exploitation pour 40 ans à Monsieur de Cavoy
Enfin, ce privilège de l'exploitation des chaises à porteur est définitivement concédé par lettre patente, en 1767, confirmé par arrêt du 7 février 1770, à la Comtesse de Bourdeille et à ses descendants.
Dès le début du XVII°, des personnes privées commandent la construction de chaises sur roues, tirées à bras d'homme, dites vinaigrettes ou brouettes. Elles sont tirées par un bricolier et peuvent être poussées par un haleur.
Considérées comme plus rapides et confortables, elles sont rapidement exploitées en location concurrençant ainsi le service des chaises à porteurs comme le note ce rapport de la convention de 1793.
En 1667, le privilège spécifique de l'exploitation des vinaigrettes passe à un certain Dupin puis, en 1715, à Bontemps, valet de chambre du roi, avant de revenir sous la même régie et réglementation que celle des chaises à porteurs.
Cette réglementation est cependant régulièrement contournée par des particuliers. Dès 1669, un arrêt du conseil donne pouvoir au lieutenant de police à contrôler tous les porteurs de chaise ou bricoliers de brouette afin qu'aucune personne n'étant en contrat avec le détenteur du privilège d'exploitation ne puisse exercer ces activités.
Un secteur professionnel est particulièrement visé; celui des selliers carrossiers car certains louent directement, sans en acquitter les droits, les chaises qu'il construisent. Signe de la permanence de cette pratique, alors qu'à la fin du XVIII° le transport par chaise, concurrencé par un parc hippomobile plus adapté, diminue, un arrêt rappelle la réglementation dans ce domaine.
Sans qu'il y ait eu d'interdits, la révolution va entraîner la désaffection du public pour ce mode de déplacement, devenu symbole de l'exploitation des classes populaires par l'ancien régime. Au XIX°, son utilisation se limitera progressivement au seul transport des personnes âgées ou à mobilité réduite.
Conception d'une chaise à porteurs
La construction d'une chaise à porteurs privilégie les critères de solidité et de légèreté. Sa réalisation nécessite la mobilisation de plusieurs corps de métiers; menuisiers pour l'ossature en bois, selliers garnisseurs pour la pose du cuir et des tissus, peintres doreurs et vernisseurs pour les finitions. Les selliers carrossiers coordonnateurs de ces différents métiers construisent donc, indistinctement, chaises et carrosses à la mode du moment.
Travaux de menuiserie:
La chaise est constituée d'une caisse et de brancards mobiles ou bâtons passant par des chapes métalliques fixées sur la caisse.
La caisse:
La forme générale s'identifie à une sorte de litière coupée contenant un seul siège dont la portière est située à l'avant. Un toit bombé doublé de cuir protège l'occupant des intempéries. Certains modèles sont dotés de glaces mobiles et, quelquefois, de jalousies.
Les caisses de chaise obéissent aux mêmes règles de construction que les voitures hippomobiles. Elles sont constituées d'un châssis appelé corps, fait de pièces de bois verticales et horizontales, qui maintient en place des panneaux de bois.
Par un souci de recherche de légèreté, ces panneaux sont quelquefois remplacés par des toiles peintes, du cuir ou du cannage, tendus et cloués sur le bâti.
Les bâtons
Les bâtons sont des pièces de bois aux deux bouts émincés pour favoriser la prise de main des porteurs. Afin de ne pas se heurter à la caisse lors du déplacement, le porteur de derrière à la partie la plus longue du bâton.
Des clous à tête plate ou autres petites proéminences permettent de régler la position des bâtons.
Ces bâtons peuvent être réalisés en différents bois qui ont chacun des qualités spécifiques:
"Les bâtons se font quelquefois de bois de noyer blanc, ce qui est très bon, ou bien en bois de frêne lequel, parfaitement de fil, donne à ces bâtons toute l'élasticité nécessaire pour rendre les chaises plus douces; cependant, les menuisiers en carrosses se servent plus volontiers de bois de hêtre pour faire ces bâtons, parce qu'il se conserve plus longtemps que ces derniers qui, venant à sécher, cassent facilement." - Roubo-
Ces bâtons continuellement manipulés font dire à certains auteurs que l'expression "vie de bâton de chaise" viendrait de cette utilisation intensive et de la vie de débauche des porteurs de chaises publiques. Ceux-ci gardaient leurs bâtons avec eux pendant leurs temps de pause limités, le plus souvent, à la fréquentation des estaminets et autres lieux de "perdition".
"Ces bâtons de chaises, ôtés, remis, pliant sous la charge et servant à l'occasion d'armes défensives et offensives avaient une existence tourmentée...Et les porteurs donc!" -Claude Duneton: La puce à l'oreille 1978-
Les Chapes
La chape est une sorte de collier métallique, solidement fixé à la caisse, dans lequel se glisse le bâton. En général, les caisses sont munies de quatre chapes. En vue d’améliorer le confort de la voiture, entre autre pour éviter que le passager soit projeté vers l'avant ou l'arrière lors de franchissement de côtes ou d'escaliers, certaines chaises sont munies de huit chapes. Ainsi les porteurs peuvent-ils incliner la caisse si nécessaire. Les chapes inférieures peuvent être remplacées par un système à cliquet.
Des exemplaires sont présentés dans un opuscule allemand de 1728.
Je ne sais pas si ces systèmes étaient couramment utilisés et n'ai pas, en tout cas, connaissance de chaises, ainsi équipées, encore conservées.
Pour l'anecdote, cette recherche de l'équilibre du passager amena diverses éphémères inventions dont, en 1707, celle de l'abbé Wilin qui permit au passager, grâce à un mécanisme, de régler lui même l'inclinaison de son siège.
Décoration ornementation
La chaise publique se présente comme une simple caisse vitrée. Il en est tout autrement pour la chaise privée qui, comme le carrosse, se doit de montrer au public la place sociale revendiquée par son propriétaire.
Garniture intérieure
Ces garnitures vont suivre le "goût du jour" des différentes époques, tant au niveau du choix des tissus que de leurs couleurs.
"Si l'on peut choisir un damas, du drap ou un brocard, ou encore de fines soieries, les velours dominent jusqu'à la fin du XVIII° siècle. Cette époque correspond à un éclaircissement de la palette, longtemps dominée par les rouges, en référencé lointaine à la pourpre impériale. Le jaune lumineux, le vert, l'orangé sont appréciés. Les grandes compositions symétriques laissent place à la miniaturisation des motifs: semis de fleurs, losanges, rayures,...Le coussin, les rideaux, la passementerie complètent l'ensemble souvent d'une même couleur." -Marie Maggiani-
Armature:
Les armatures prennent, suivant la mode du moment, des formes diverses. Les montants de la caisse sont agrémentés de moulures et sculptures qui sont très ouvragées jusqu'à la fin du XVIII°, époque à laquelle elles se simplifieront.
Ornementation des panneaux de caisse:
Signes hieraldiques
Le moyen le plus évident de faire reconnaître son rang est, bien sûr, l'apposition de ses armoiries sur la caisse.Par leur élégance, elles acquièrent une fonction ornementale. "...Blasons, cartouches simples ou doubles, écu en accolade ou médaillon ovale, couronne, lions ou angelots, devises sont autant d'éléments visuels qui, combinés, créent un motif parfois imposant, fièrement affiché sur la portière ou le panneau arrière." -Marie Maggiani-
Au fil des modes, les armoiries se fondent plus ou moins dans d'autres ornementations et, à la fin du XVIII°, peuvent être remplacées par des monogrammes aux fines lettres ouvragées et entrelacées.
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Peintures:
Tout en suivant les "goûts du jour", les peintures ornementant les panneaux représentent le plus souvent des scènes pastorales et champêtres, des fleurs.sous toutes leurs formes; guirlandes, bouquets,... Plus rares sont celles décorées de natures mortes ou de marines comme cette chaise datant de 1720-1730, conservée au musée de Versailles.
Ce petit film,, qui clôture cet article, vous permettra de découvrir les particularités de cette chaise et diverses informations sur les autres exemplaires conservés au château de Versailles.
Dans les jours à venir, nous éditerons deux monographies de Jean Louis Libourel. Elles concernent une chaise conservée à Uzès et une autre à Marsillargue.
Texte:
Patrick Magnaudeix
Documentation:
Marie Maggiani; Les belles oubliées de la carrosserie: les chaises à porteur dans Roulez Carrosses
Roubo; L'art du menuisier carrossier.
Texte allemand de 1728, Schulber.
Rapport convention
La locomotion à travers l'histoire et les arts.