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Lors d’une vente aux enchères à l’Hôtel Drouot, à Paris le 19 juin 2012, l’Association des amis du Musée Georges Borias à Uzès a fait l’acquisition pour ce musée d’une chaise à porteurs en excellent état. Achat judicieux à double titre : d’abord comme exemple de l’adéquation entre les arts décoratifs et l’art de la carrosserie, ensuite comme témoin de la vie à Uzès au XVIIIe siècle. Cette chaise à porteurs provient en effet d’une famille uzétienne à laquelle elle a toujours appartenu, la famille d'Amoreux dont un membre, Ange Etienne dit Saint Ange d’Amoreux, a été maire de la ville de 1816 à 1819 puis de 1825 à 1829. En outre, l’origine très probablement régionale de cet objet ajoute au bien-fondé de son acquisition.
La chaise à porteurs, ouvrage de carrosserie
La fabrication des chaises à porteurs relève des métiers de la carrosserie. Elles sont réalisées par les selliers-carrossiers et les menuisiers en voitures ; les peintres, doreurs et vernisseurs en voitures les peignent, les dorent et les vernissent ; les selliers-garnisseurs les habillent intérieurement de tissus ou de cuir. Ces métiers, très brillants à partir du règne de Louis XIV, ont fait de la carrosserie française une des premières d’Europe durant les XVIIIe et XIXe siècles.
Les chaises à porteurs sont construites selon les mêmes principes et les mêmes techniques que les caisses des voitures montées sur roues, carrosses, berlines, coupés, ou chaises de poste.
Elles sont constituées d’un bâti de menuiserie fait de pièces de bois verticales, les montants, et horizontales, les traverses. Ces montants et traverses « que l’on dore communément » (François-Alexandre de Garsault, Traité des voitures, 1756) sont appelés corps.
1- Chaise à porteurs en cours de fabrication dans un atelier de sellier-carrossier (L’Encyclopédie, article Sellier-carrossier, pl. I)
Ce bâti rigide maintient en place des panneaux de bois qui forment une enveloppe protectrice autour d’un espace intérieur étroit, garni d’un siège unique pour un passager.
Outre leurs dimensions réduites, les chaises à porteurs se différencient des caisses de voitures par une plus grande finesse de leurs corps pour les rendre moins lourdes. En effet, « comme ces chaises sont portées par des hommes, on doit avoir soin de les rendre le plus légères possible » (André-Jacob Roubo, L’art du menuisier-carrossier, 1771). Dans ce but les carrossiers ont souvent remplacé les habituels panneaux de bois par de la toile peinte tendue et clouée sur le bâti de la caisse, par des pièces de cuir ou par du cannage : « il y a des chaises à porteurs dont les bâtis sont remplis de cannes, ce qui les rend plus légères, & en même temps plus fraiches pour l’été » (Roubo, 1771)
2- « Elévations d’une chaise à porteurs avec ses développements » (André-Jacob Roubo, L’Art du menuisier-carrossier, 1771, pl. 218)
Un véhicule urbain
Si l’on excepte l’utilisation inaccoutumée qu’en ont fait quelques personnages originaux comme Madame la Dauphine Marie-Anne Christine Victoire de Bavière, femme du Dauphin Louis, fils aîné de Louis XIV, qui, pour se rendre de Versailles à Fontainebleau en septembre 1686, « marche en chaise et a quarante deux porteurs [et] va presque aussi vite qu'en carrosse » (Journal du marquis de Dangeau, vol. 1, 1684-1686), ou la duchesse de Nemours (morte en 1707) qui « allait tous les ans en chaise à porteurs, de Paris dans sa principauté de Neufchâtel ; quarante porteurs la suivaient dans des chariots et se relayaient alternativement ; elle faisait ainsi, en dix à douze jours, un voyage de 130 lieues sans fatigue et sans péril » (Dictionnaire de la conversation et de la lecture, 1834) l’usage des chaises à porteurs se limite aux déplacements en ville, comme l’indique Garsault : « La chaise à porteur est une voiture qui ne sert que dans les villes, où on est porté par deux hommes, comme on l’est dans une litière par deux mulets ». Et Roubo de préciser : « En général, les chaises à porteurs sont très en usage pour le public & pour les particuliers, qui en ont de très riches, tant pour ce qui regarde la décoration intérieure qu’extérieure. Elles sont aussi fort en usage à la Cour, où non seulement les dames, mais encore les hommes, s’en servent pour traverser une cour ou même une galerie ».
Utilitaire, certes, la chaise à porteurs est surtout un marqueur social. Si elle permet de se déplacer à l’abri des intempéries et sans crotter ses chaussures sur le pavé des rues, par la somptuosité de son décor elle est avant tout, comme les voitures, un moyen de paraître, d’être remarqué et de faire étalage de sa fortune et de son rang social.
La chaise à porteurs de la famille d’Amoreux
L’habitacle de la chaise à porteurs du Musée Borias présente des élévations rectilignes et planes. Malgré un léger décrochement de la face arrière au niveau du siège, la forme générale se caractérise par une grande raideur. Seuls l’appui et le couvrement des baies en arc en accolade renversée et la corniche cintrée épousant le contour supérieur des baies utilisent des lignes courbes qui adoucissent la rigueur de l’ensemble.
Cet habitacle est éclairé par trois larges baies ménagées sur la portière, qui est sur le devant, et sur les deux faces latérales. Ces baies sont fermées par des châssis coulissants garnis de quatre carreaux de verre séparés par un croisillon.
4- Portière constituant la face antérieure de la chaise à porteurs de la famille d’Amoreux (Uzès, Musée Georges Borias)
Il est surmonté d’une impériale fortement bombée, dont le pourtour est orné de plusieurs rangs de clous bordelets et de clous à la reine en laiton qui maintenaient autrefois une couverture de cuir, remplacée par du skaï lors d’une restauration récente.
À l’exception des feuilles d’acanthe stylisées sculptées en bas-relief sur les extrémités des deux traverses inférieures servant de bases aux élévations latérales, cette chaise ne possède pas d’ornements sculptés. La corniche et les encadrements des baies sont simplement moulurés.
Contrairement à la description du catalogue de la vente indiquant de façon erronée « panneaux gainés de cuir vert », des lés de toile tendus sur le bâti en guise de panneaux forment les parois de la chaise, ainsi plus légère.
Ces parois de toiles sont peintes à fond vert sur lequel se détachent de riches encadrements en trompe-l’œil. Composés de feuillages, volutes, coquilles, motifs d’amortissement, ils enserrent des cartouches de formes baroques.
Sur le panneau de portière et le grand panneau de dossier figure un écu ovale portant les armoiries de la famille d’Amoreux : de gueules au cœur d'or et au croissant d'argent en pointe, au chef d'azur à deux flèches d’or posées en sautoir accostées de deux étoiles. L’écu, sommé d’une couronne de marquis, a pour supports deux lions et deux personnages ailés. Il s’agit sans doute des armes de Gaspard d’Amoreux, décédé en 1764, qui avait été anobli en 1733 après avoir acheté la charge de Secrétaire du Roi.
À la base des quatre faces, de petits paysages sont peints en camaïeu dans des cartouches oblongs au contour supérieur sinueux.
Un velours moderne de couleur verte a remplacé la garniture intérieure d’origine.
Sa forme et son décor, typique, situent la construction de cette chaise peu avant le milieu du XVIIIe, dans les années 1740-1750.
Les chaises à porteurs « objets de goût et de caprice »
Objets ostentatoires et de représentation sociale, les chaises à porteurs sont, comme les voitures, sujettes « à des changements de modes et à des innovations d’autant plus fréquentes que ces sortes d’ouvrages ne semblent être faits que pour contenter le goût, lequel, dans les ouvrages dont il est ici question, n’a souvent d’autre règle que le génie de l’ouvrier et l’opulence, ou, ce qui arrive quelquefois, le caprice de celui pour qui ces sortes d’ouvrages sont faits ; ce qui fait qu’une voiture qui plaît et qui est à la mode dans un temps, n’est plus supportable l’année suivante, et cela parce que la mode est changée » (Roubo, 1771)
En ce milieu du XVIIIe siècle, la vogue pour les chaises à porteurs est aux décors peints en camaïeu, avec une prédominance très marquée pour les camaïeux à dominante bleue. En témoigne une lettre de Philippe-Laurent Joubert, datée du 15 septembre 1750, chargé de l’achat d’une chaise à porteurs commandée par un habitant de Béziers, Antoine-Henry de Sarret baron de Coussergues, à un menuisier-carrossier d’Avignon, Guiguet ou Guignet : « Le goût du jour : du camaïeu. On en fait du bleu, du vert, du jujube, du lilas et du pourpre. Ces deux dernières couleurs sont très peu durables. Vous pouvez choisir des trois premières ». Le goût pour le camaïeu bleu semble avoir dominé, à en juger par le nombre des chaises conservées peintes dans cette couleur.
Avignon, centre carrossier
En 1752 le choix des Sieurs Gamet et Morisset d’Avignon par le marquis de Calvisson pour sa nouvelle chaise à porteurs démontre qu’Avignon a été un foyer actif au XVIIIe siècle dans la production de chaises à porteurs, appréciées bien en-dehors de la cité des papes, à Montpellier, Béziers et même à Toulouse et Paris, villes renommées pour l’excellence de leur carrosserie.
Le 29 juin 1725, J.F. Guynaud, menuisier-ébéniste d’Avignon, s’engageait à faire une chaise à porteurs pour la présidente de Tournier à Toulouse. Dans son devis, il précisait que cette sorte de chaise était à la mode chez les bourgeoises et les marchandes de Montpellier, ses clientes. Il y décrivait d’autres chaises plus riches qu’il avait exécutées pour l’évêque d’Agde, la marquise de Toviax, madame de Montaut et d’autres dames de Montpellier. Antoine Vernet, né à Avignon en 1689 et mort dans cette ville en 1752, « peignait des fleurs sur les chaises à porteurs. Il y a à Marseille deux chaises peintes et signées de lui » (Alexandre Dumas, Mes mémoires 1802-1830).
La qualité des chaises avignonnaises était reconnue au-delà des frontières provençales et languedociennes. Le 19 juin 1777, par lettre écrite de Paris, le cardinal Dominique de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen, prie le commandeur de Villefranche, à Avignon, de vouloir bien commander à Guigues [le même artisan que Guiguet cité plus haut?] menuisier carrossier de cette ville, une litière pour sa nièce la baronne de Pradt « pareille à celle qu’il lui avait fait faire autrefois, avec une ou deux chaises à porteurs dont il avait été satisfait ».
Deux chaises à porteurs attribuées avec certitude à des ateliers avignonnais sont aujourd’hui connues : la chaise de monsieur de Sarret œuvre de Guiguet ou Guignet conservée à Béziers dans une collection privée, et une chaise à porteurs construite par le maître sellier Vincent, vendue aux enchères à Lyon le 15 juin 1993.
12- Chaise à porteurs de monsieur de Sarret baron de Coussergues par Guiguet ou Guignet à Avignon (Béziers, collection privée)
Si, comme c’est probable, Gaspard d’Amoreux a commandé sa chaise à porteurs à un atelier proche d’Uzès par commodité et souci d’économie, celle-ci pourrait avoir été réalisée à Avignon, foyer carrossier actif au XVIIIe siècle, ou à Nîmes, comme l’indique peut-être une chaise à porteurs de forme et de décor très proches, vendue dans cette ville le 12 août 2000.
Un domaine à explorer…
Objets utilitaires certes, mais avant tout objets de luxe et de distinction, les chaises à porteurs conservées témoignent des courants et des modes artistiques passés. Longtemps ignorées des historiens et des historiens de l’art, elles font depuis peu l’objet de recherches et de publications spécifiques.
En 1995 à Gênes, une exposition leur a été consacrée En 1993 et 2007, Nicholas de Piro a publié deux ouvrages sur les nombreuses et luxueuses chaises à porteurs conservées dans l’île de Malte. En 2007 Marie Maggiani a soutenu une thèse de doctorat sur les chaises à porteurs méridionales. En 2009, Jean-Pierre Ducastelle a organisé à Ath, en Belgique, une exposition sur les vinaigrettes, proches parentes des chaises à porteurs. Le Britannique Stephen Loft-Simson a entrepris un inventaire des chaises à porteurs en Europe où il en a déjà recensé plus d’un millier.
Les chaises à porteurs : un domaine qui reste encore à étudier.
Cet article a été publié dans Uzès Musée vivant, n° 46, décembre 2012, sous le titre : Une chaise à porteurs du XVIIIe siècle enrichit le Musée Georges Borias à Uzès,