Présentation, fonctionnement, réglage des principaux type d'essieux de voitures hippomobiles.

Vous avez été nombreux à apprécier l'article technique sur les timons et brancards de voiture.

En m'appuyant sur des textes de formateurs et des catalogues de vente du tout début du XX° siècle je vous présente aujourd'hui quelques éléments sur la connaissance et le fonctionnement, des principaux types  d'essieux. 

L'essieu d'une voiture doit résister suffisamment aux efforts de flexion provenant du poids du véhicule et de la réaction des roues contre les obstacles. Il doit également posséder une élasticité suffisante pour ne pas se déformer sous l'influence de ces efforts combinés et des chocs accidentels auxquels il est sans cesse exposé. Le meilleur fer pour les essieux est doux et nerveux, ou un fer à grains qu'un travail ultérieur de forge devra rendre nerveux. La qualité d'un fer utilisable dans la fabrication d'un essieu se juge par sa charge de rupture et son pourcentage d'allongement. Les fers les plus propres à l'emploi présentent un allongement de 26 à 27 %  et d'une charge de rupture de 35 à 36 kg par mm.

Si un essieu n'avait à résister qu'aux efforts qui agissent sur lui dans l'état de repos, la détermination de son profil serait facile. Mais les efforts auxquels il est accidentellement soumis, par suite de son mouvement, des vibrations et des chocs incessants provenant des inégalités de la voie, qu'il n'est pas possible de déterminer même approximativement pour les faire entrer dans le calcul, ne permettent qu'une détermination empirique des dimensions à donner aux différentes parties de l'essieu.

En se basant sur les dimensions adoptées dans la pratique pour les voitures destinées aux voyageurs, les carrossiers, appliquaient une formule empirique de calcul donnant en kilogrammes le poids maximal pouvant être supporté par une fusée d'essieu :

 La formule est la suivante : P = d³/l, où P représente le poids recherché en kg, d le diamètre de la fusée en mm et l la longueur de la partie de la boîte frottant sur la fusée en mm.

Exemple: Un essieu ayant une section de 40mm à la fusée et une longueur de boite en contact avec la fusée de 180mm pourra donc supporter 40X40X40/180 ce qui donne un poids de 355 kg par fusée, soit 710 kg pour la totalité de l'essieu.

Les formes données au corps d'essieu dépendent du type de caisse, de son montage sur le train, les choix esthétiques du dessinateur de la voiture.

Les formes sont donc multiples. Si les grandes maisons de carrosserie ont leurs propres ateliers de forge, la majorité des carrossiers achètent leurs essieux chez des fournisseurs comme les très renommées forges Lemoine qui consacraient pas moins d'une vingtaine de pages de leur catalogue aux essieux.

Les autres caractéristiques essentielles sont:

-le "serrage" ; "On donne aux fusées une légère inclinaison en avant ou serrage, dans le but de contrebalancer la flexion horizontale du corps de l'essieu dans le sens de la traction et de placer les fusées et le corps de l'essieu dans le même plan vertical, quand la voiture roule au trot sur le pavé, c'est à dire quand elle est dans les conditions les plus défavorables."-Faverot de Kerbrech-

-le type de boite de roulement choisie.

Après avoir employé exclusivement de la graisse, on a perfectionné les essieux et l'on a progressivement privilégié l'emploi d'une lubrification à huile pour les voitures de luxe puis de service.

On trouve cinq catégories principales d'essieux: essieux patent à huile, système Collinge, essieux dits "ordinaires à graisse". essieux patents à graisse, essieux demi-patent à huile. Ces  différents types seront adaptés chacun de multiples façons en fonction de la spécificité d'utilisation du véhicule auquel ils sont intégrés.

Essieux patent à huile.

L'essieu patent à huile a été imaginé par l'anglais Collinge en 1887. La tête d'essieu se compose d'une fusée cylindrique avec un renflement ou collet, et d'une boite généralement en fonte, fer ou bronze. La boite cylindrique au plus grand réservoir possible est retenue sur la fusée par une bague et deux écrous taraudés l'un à droite pour le premier, l'autre à gauche pour pour le second. Il sont bloqués à l'extrémité de la fusée par une goupille  Un chapeau généralement en cuivre jaune ferme hermétiquement le tout. En mouvement, l'huile contenue dans le chapeau est projetée autour de la fusée lubrifiant ainsi l'ensemble.

La délicatesse du travail d'usinage réside en ce que la boite patent à huile possède trois surfaces de frottement (fig1).

-la surface annulaire pp qui frotte sur la rondelle.

- la surface cylindrique qui doit être en contact parfait avec la surface correspondante de la fusée.

-la surface conique b c qui frotte sur la bague. Si la face pp n'est pas exactement perpendiculaire à l'axe XY du cylindre alésé et si l'axe OX de la partie conique ne se confond pas avec l'axe du cylindre, le frottement pendant la rotation n'aura lieu que sur une partie de chacune de ces surfaces: il en résultera du bruit d'abord, et l'essieu pourra chauffer et enrayer. La majorité des accidents est due à ce vice de fabrication.

De nombreuses fusées de voitures de la fin du XIX° sont dotées de rainures censées améliorer la lubrification de la fusée, servir à récupérer les corps étrangers,... Au début du XX° cette pratique est fortement critiquée par certains carrossiers qui la considèrent inefficace et inutile, pouvant même à l'usage, par la production de méplat, porter atteinte aux parfait fonctionnement de l'essieu. 

 La bague et les écrous doivent être parfaitement ajustés et les rondelles de cuir ne doivent pas être trop épaisses. Au bout d'un certain temps l'effet des vibrations et des petits chocs incessants,  faisant progressivement prendre du jeu à la bague et aux écrous, ce qui peut faire apparaitre différents bruits . Le desserrement des écrous peut également provoquer l'usure de la bague et être quelquefois la cause d'accidents. Le contrôle régulier des essieux, de la remise à niveau de l'huile sont donc des opérations de sécurité indispensables et deviennent une obligation lors de la p remise en service d'une voiture ancienne.

Lorsque la force de la fusée atteint une certaine importance, par exemple dans le cas des omnibus et des voitures de commerce, on remplace les écrous en bronze avantageusement par des écrous en fer souvent un seul à entailles ce qui peut causer à l'usage des bruits, sinon du jeu et des fuites d'huile. (fig 3)

Les constructeurs vont apporter de nombreuses modifications sinon améliorations aux boites  patents à huile dont voici quelques exemples présentés par la maison Lemoine.

Essieux ordinaires à graisse.

Ces essieux sont principalement employés pour les voitures de commerce. Que les fusées soient cylindriques ou coniques elles doivent être parfaitement alésées afin que le contact avec la boite soit aussi exact que possible. Le réservoir à graisse le plus simple (fig5) est celui aménagé sur une certaine longueur de la partie supérieure de la fusée b Les deux extrémités de la fusée doivent rester intactes pour former deux portées. La fusée doit être reliée au corps de l'essieu par un congé cc car c'est un point où le risque de rupture est important. 

Les réservoirs à graisse obtenus par des évidements circulaires (aa fig6) diminuent inutilement la surface de roulement et les fusées sont donc allongées sans utilité ce qui nécessite des moyeux plus larges ce qui alourdit inutilement le véhicule.

La boite de l'essieu à graisse doit tourner très librement sur la fusée; un petit jeu sur le diamètre est utile. Les fusées d'un essieu sont taraudées l'une à droite l'autre à gauche, afin que le frottement de la boite contre les écrous ne tende pas à les desserrer, mais plutôt à les serrer ("Détail"l indispensable à vérifier quand on remonte un essieu à graisse sur une voiture). 

Voici quelques exemplaires extraits du catalogue Lemoine de 1902

Pour certains essieux (en particulier ceux des véhicules militaires), le boulon est remplacé par une clavette munie ou non d'un système de sécurité;  ressort, anneau,...

Ces essieux à graisse étaient également utilisés avec des roues à moyeux métalliques largement utilisées dans les véhicules militaires.

Essieux demi-patent à graisse.

Ce type d'essieu est généralement employé pour les voitures de luxe proprement dites, mais aussi pour celles qui nécessitent une certaine propreté et auxquelles les essieux à graisse ne sauraient par conséquent convenir. La boîte possède un réservoir, à l'instar des essieux patents à huile.

L'essieu demi-patent à huile.

Il n'a ni bagues ni écrou ; la boîte est retenue à la roue par un système de rondelles et de boulons. L'essieu demi-patent offre une grande sécurité, car la roue n'est pas à la merci d'un écrou pouvant se dévisser.

Pour cette raison, cet essieu a toujours été utilisé pour les diligences et les voitures devant parcourir de longues distances sur des routes désertes. 

Le réglage des boîtes demi-patent à huile est très simple : il faut que la contre-plaque a et sa rondelle en cuir b soient serrées à bloc sur le derrière du moyeu et que, dans ces conditions, la roue tourne très librement, en n'ayant pourtant que très peu de jeu dans le sens de la longueur. La difficulté réside dans la recherche de l'épaisseur adéquate de la rondelle de cuir h et dans le contrôle de sa qualité, car d'elle dépend le libre roulement de la roue sans pour autant laisser de jeu. Si le montage a été fait avec soin, il n'est généralement pas nécessaire de vérifier souvent les roues, mais seulement d'ajouter régulièrement quelques gouttes d'huile par le vis graisseur k.

Essieu à roulement à billes.

Dés la fin du XIX° différentes entreprises proposent d'intégrer des roulements à bille dans des essieux patents à huile. 

Les avantages de ce système sont précisés dans cette publicité de la société Velox qui en a déposé un brevet.

Ce dispositif sera adopté en 1894 par la grande maison de carrosserie Belvalette § Cie aussi bien pour ses voitures de ville que pour ses voitures de sport. 

Ce dispositif sera également développé sur des essieux de roues à moyeux métalliques dont l'utilisation se généralisera dans la construction automobile. 

Texte:

Patrick Magnaudeix

Documentation

Voiture hippomobile par Jean Louis Libourel

 Carrosserie moderne

L'art de conduire et d'atteler par Faverot de Kerbrech

Catalogue Lemoine

Publicité Velox dans GDC