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LE MUSEE NATIONAL DE LA VOITURE, REPRESENTATIONS D’UNE SOCIETE ET DES MUTATIONS TECHNIQUES, CULTURELLES ET ARTISTIQUES

GENEALOGIE ET HISTOIRE DES COLLECTIONS DU PREMIER MUSEE AU MONDE DEDIE A L’HISTOIRE DE LA LOCOMOTION

Maria-Anne Privat

La consultation de quelques ouvrages sur la présentation ou l’enseignement de l’histoire des techniques permet de constater aisément qu’une approche uniquement technique des collections d’un musée tel que le Musée national de la voiture est très limitative.

A partir de sa création, les fondateurs de ce musée eurent pour ambition d’illustrer et de raconter un moment clé de l’histoire contemporaine, le passage de l’hippomobile à l’automobile et de ses impacts multiples aux dimensions autant humaines, que sociales, économiques, scientifiques, historiques, artistiques, industrielles...

Dès le projet initial de cette institution, ses fondateurs ont eu à l’esprit la nécessité d’approches variées de l’histoire ou des histoires qu’ils envisageaient de relater et dont ils souhaitaient conserver des témoignages amenés à disparaître, ne limitant pas le discours de leur projet à l’approche uniquement technique. Ils ont très tôt pris conscience de la nécessité de préserver les témoignages d’une civilisation, celle de l’hippomobile, amenée à disparaitre, de conserver les artefacts du savoir-faire des carrossiers français ainsi que les premières automobiles qui furent si rapidement dépassées par l’évolution rapide de la technologie et de la vitesse.

Certes l’hippomobile n’a pas disparu soudainement et les carrossiers ont dû et su s’adapter face à ces évolutions. Dès les années 1890 est né ce sentiment d’une disparition prochaine et rapide, dont le travail de mémoire et de conservation à travers la création du Musée national de la voiture, est l’aboutissement. Premier musée dédié à la locomotion créé au monde, en France, berceau de l’histoire de l’automobile, il est nourri par l’ambition de ses fondateurs ; il « a pour mission de documenter sur l’histoire de la locomotion en conservant les principaux types de véhicules et tout ce qui peut renseigner sur l’évolution des transports et du tourisme []. Les progrès réalisés par l’homme dans la conception et la réalisation des instruments facilitant les déplacements qu’il effectua de tout temps, d’abord par nécessité, puis pour son plaisir, reflètent exactement les progrès de son intelligence et de son évolution mentale »[1].

 

[1] Archives du MNV, Note de la Société des Amis

Présentation des véhicules dans la cour des cuisines sous la verrière édifiée en 1934 par M. Bitterlin (archives du Musée national de la voiture)

Présentation des véhicules dans la cour des cuisines sous la verrière édifiée en 1934 par M. Bitterlin (archives du Musée national de la voiture)

  1. Les événements précurseurs

Dans son ouvrage La Fin du Cheval édité en 1899, Pierre Giffard prévient dès la première page : « Nous voici au seuil d’un siècle qui verra l’homme se séparer du cheval. Ce sera la fin d’une collaboration vieille de plusieurs milliers d’années. Dire que d’un seul coup, partout à la fois, le moteur mécanique va remplacer, devant ou derrière nos véhicules routiers, le quadrupède à la crinière flottante [] serait exagéré ».

 

11- Comment les contemporains ont-ils perçu cette mutation ?

111- Par le développement extraordinaire de l’hippomobile dans le dernier tiers du XIXe siècle

Différentes études ont montré l’essor extraordinaire du cheval et de l’industrie hippomobile pendant le dernier tiers du XIXe siècle. Les premières automobiles apparaissent dans les années 1870 et leur naissance n’a pas eu pour conséquence immédiate la fin de la voiture hippomobile. La demande de transport est telle, que l’industrie hippomobile y fait face : elle connait en effet de nombreuses innovations que les expositions universelles mettent en valeur, innovations stimulées par une demande croissante et une certaine démocratisation du véhicule hippomobile, plus léger, plus solide, plus pratique et moins cher. Aux innovations s’ajoutent de nouveaux modes de production, comme au demeurant dans d’autres domaines des arts décoratifs, que nous pourrions qualifier d’artisanat de série : préfabrication d’un certain nombre de pièces, développement des voitures en blanc, rationalisation de la production[1].

De nouvelles races de chevaux sont par ailleurs apparues surtout dans le domaine agricole pour faire face au développement de la mécanisation des campagnes, telles que les Percherons et les Boulonnais, ces « monstres puissants qui ne sont plus des animaux mais des machines » pour citer Studeny dans ses recherches sur l’avènement de la vitesse.

Gijs Mom dans plusieurs articles note par ailleurs comme Ghislaine Bouchet que le nombre de chevaux augmente fortement jusques dans les années 1880, quand ils remarquent une baisse notable de la population équine, donc avant le développement de l’automobile à la fin des années 1890. Gijs Mom met en avant certes l’apparition d’une nouvelle technologie, mais aussi le besoin croissant de mobilité que connait la seconde moitié du XIXe siècle, phénomène qualifié de « voilier » ou de stimulant. S’il note que le nombre de chevaux a été relativement constant en France entre 1830 et 1940, comme le nombre de véhicules hippomobiles, il souligne combien ces évolutions diffèrent d’un point de vue géographique : les chiffres diminuent dans les villes, mais augmentent dans les zones de moins de 10 000 habitants. Les pratiques ont aussi évolué : le nombre de propriétaires de chevaux et de voitures diminue dans les métropoles ; on leur préfère des voitures et des chevaux de louage dont les entreprises connaissent un franc développement dans les dernières années du XIXe siècle. Après 1870, principalement dans les grandes villes, le cheval et les voitures prennent trop de place, le cheval devient encombrant et malodorant surtout dans les quartiers élégants qui s’agrandissent dans les grandes cités européennes.

 

[1] J.-L. Libourel, « Carrosserie hippomobile et premières automobiles : une histoire commune », n.p.

Bouase-Lebel, 82 modèles de voitures particulières, lithographie aquarellée, Musée national de la voiture, CMV.659 (cliché MNV)

Bouase-Lebel, 82 modèles de voitures particulières, lithographie aquarellée, Musée national de la voiture, CMV.659 (cliché MNV)

Deventer C., Boulevard du Régent, vers 1850-1860, Musée national de la voiture, CMV.1092 (cliché MNV)

Deventer C., Boulevard du Régent, vers 1850-1860, Musée national de la voiture, CMV.1092 (cliché MNV)

12- Perplexité et incrédulité face à ces développements

Quand naît l’automobile, les carrossiers d’hippomobiles sont les seuls compétents pour réaliser les carrosseries à disposer sur les châssis des véhicules « sans chevaux » : Belvalette frères, Georges Kellner, Labourdette ou Million-Guiet notamment réalisent des carrosseries automobiles dès les années 1890. L’Almanach du commerce de la Ville de Paris cite cinquante-trois fabricants hippomobiles construisant des carrosseries automobiles entre 1890 et 1910[1].

En 1910, Binder envisage déjà l’évolution de l’industrie de la carrosserie vers l’automobile, il employait à cette date plus de deux cents ouvriers et il s’était déjà reconverti dans la carrosserie automobile[2] en affirmant que « le cheval n’est plus aujourd’hui un objet de nécessité mais l’occasion d’un sport, et la voiture attelée doit suivre les besoins d’une clientèle qui fait encore usage de ce moyen de locomotion »[3].

Mais, d’autres, comme Maurice Bixio en 1897, alors directeur de la Compagnie Générale des voitures (CGV), la plus importante compagnie de fiacres à Paris, estime dans le London Mall Gazette[4] que « la voiture à pétrole n’a absolument aucune chance » tandis que « à mon avis ni les voitures électriques, ni les voitures à pétrole ne connaitront un usage universel. L’automobile est seulement susceptible de remplacer les chevaux dans les transports publics et dans les livraisons. Les classes possédantes garderont toujours leurs chevaux ». Plusieurs exemples viennent en effet étayer l’analyse de Maurice Bixio, comme la baronne Hélène van Zuylen ou la duchesse d’Uzès. Dans la haute société, les mondes du cheval et de l’automobilisme se côtoient au cours des années 1880-1900, qui furent des années cruciales et charnières du sentiment de l’effondrement de l’hippomobile et de la rupture vers l’automobile. Il ne s’agit pas de la disparition de la voiture à cheval, ce qui prendra plusieurs décennies, mais d’une prise de conscience de la fin irrémédiable de la civilisation hippomobile.

Baudry de Saunier l’exprime clairement dans la Locomotion Automobile[5] : après le succès de la première course Paris Rouen en 1894, organisée par Pierre Giffard et le Petit Journal, il s’exclame « que le public, de jour en jour plus épris de voyages, a nettement vu les avantages de ce nouveau mode de locomotion, et que le grand avenir est là ! ».

Frédéric Regamey ne dit pas autre chose en 1898 dans Vélocipédie et automobilisme[6] : « l’avenir est à l’automobilisme ; les routes se présentant maintenant faciles devant lui ; s’enfonçant à l’infini dans un horizon dont on ne peut deviner les limites ». Même les plus sceptiques comme L. Lagard dans la Carrosserie française[7], l’admettent : « Cependant, comme la science nous réserve toujours de nouvelles surprises, il est fort possible qu’on arrive à produire un système suffisamment pratique » pour que l’automobile triomphe notamment du rail « mais selon nous jamais la voiture automobile ne remplacera nos équipages de luxe ».

Davin de Champclos dans un article dédié au cheval à Paris dans la Vie au Grand Air de mai 1899[8] est plus lucide : « Mais je doute fort, dit-il en introduction de son article, pour ma part, que le cheval parisien, même devenu intelligent à l’égal de ses dominateurs d’aujourd’hui, ait bien longtemps à faire valoir ses revendications. L’automobile est en train de le tuer et la boucherie hippophagique le guette pour le débiter en entrecôtes et en faux-filet. L’automobile ! La voilà bien la banqueroute du cheval ! Les véhicules de luxe, de promenade, de plaisir, de sport, la voiture de commerce, de livraison, tout marchera demain à la vapeur, au pétrole ou à l’électricité []. Le moment me semble donc opportun pour fixer, en une courte monographie, la silhouette de ce canasson de Paris qui demain ne sera plus qu’un souvenir ».

L’automobile, qui est encore de « production bâtarde », pour paraphraser le même Lagard, tient encore autant de la voiture que de la machine. Elle connait des évolutions très rapides au cours des années charnières de la fin du XIXe siècle, alors qu’elles sont plus lentes dans le monde du cheval. L’augmentation fulgurante de la vitesse dans les années 1890-1900 en constitue une illustration.

 

[1] Ibid.

[2] G. Bouchet, Le Cheval à Paris de 1850 à 1914, p. 145

[3]  Rapport sur l’exposition universelle de 1910 à Bruxelles, p. 111 cité par Ibid.

[4] G. Mom, « Compétition et coexistence : la motorisation des transports terrestres et le lent processus de substitution de la traction équine », p. 25

[5] L. Baudry de Saunier, « Les voitures actuelles. Leurs agréments et leurs désagréments », p. 8

[6] F. Regamey, Vélocipédie et automobilisme, p. 193

[7] L. Lagard, « Chronique », p.424

[8] G. Davin de Champclos, « Le Cheval à Paris », p.400

Voiture sans chevaux, Town, lithographie colorée, Musée national de la voiture, CMV.1661 (cliché MNV)

Voiture sans chevaux, Town, lithographie colorée, Musée national de la voiture, CMV.1661 (cliché MNV)

Prince de Sagan, Forme de voiture sans chevaux, 1895 (concours organisé par le Figaro), Musée national de la voiture, CMV.1246.3 (cliché MNV)

Prince de Sagan, Forme de voiture sans chevaux, 1895 (concours organisé par le Figaro), Musée national de la voiture, CMV.1246.3 (cliché MNV)

13- Résistance du monde hippomobile

Face à cette évolution fulgurante, le monde hippomobile tente une résistance : il fonde la Société hippique française, la France hippique ou l’Union hippique de France, tandis que la Société du cheval d’attelage est créée en 1910 pour soutenir le monde hippique. On tente de rationaliser l’économie du cheval, on organise des courses de ville à ville en fiacres attelés ou en araignées à deux roues comme pour les premières courses automobiles (entre Paris et Bordeaux par exemple)[1]. Tout est mis en œuvre pour résister à l’inéluctable effondrement de la civilisation du cheval : le Journal des Haras par exemple en 1900[2] souligne combien le cheval constitue une importante partie de la richesse économique, ce qui est encore vrai : « En dépit des machines, des moyens de locomotion dont la mécanique perfectionne chaque jour le fonctionnement, l’homme ne saurait se passer de cet utile auxiliaire ».

  1. Les années 1895-1900, des années cruciales et charnières

Pourtant les chiffres sont cruels[3]: à Paris en 1880 on recense 78 908 chevaux, 55 418 en 1912, soit une baisse de 29,7%. En 1908, on compte dans la capitale 7296 voitures hippomobiles et 7188 chevaux taxés pour 7207 automobiles. Les Parisiens ont organisé les funérailles[4] des omnibus à chevaux le 1er janvier 1913, le Place Saint-Sulpice-La Villette marquant ainsi « la victoire définitive de l’automobile et la fin de l’esclavage chevalin, au moins dans les services publics » si on en croit l’Auto du 12 janvier 1913.

En 1914 était aussi remisé le célèbre Madeleine-Bastille, il sera confié au Musée national de la voiture en 1928[5] en mémoire de la belle époque des omnibus attelés à trois chevaux de front dont la littérature comme la peinture ou la photographie ont si fréquemment fait l’écho.

De nombreux auteurs célèbrent l’effondrement de l’hippomobile en en louant tous les avantages : Frédéric Regamey met en avant le bien-être animal[6] : « Il est un autre bénéfice de l’automobilisme, aussi précieux qu’imprévu [] Il n’est pas un de nos lecteurs qui n’ait eu le cœur serré à la vue de ces pauvres haridelles meurtries par le collier qui faisait saigner les plaies vives de leur cou, fléchissant sous le cinglement du fouet, et rassemblant leurs dernières forces pour traîner de lourdes voitures ». Baudry de Saunier s’en réjouit aussi tout en promouvant l’automobile salvatrice[7] : « Une voiture qui avance sur route par ses propres forces, sans cheval à nourrir, à soigner, à ménager, plait autant aux chercheurs des moyens pratiques d’existence qu’aux sensibles à qui répugne très justement le surmenage des animaux ». Autre bénéfice de l’automobile, son coût : certes le prix d’achat demeure élevé, mais l’investissement serait rentable[8].

Les deux auteurs tournent la page de l’hippomobile en souhaitant une bonne reconversion au cheval et aux gens du cheval : « que deviendra cette population, nous dit Régamey, nombreuse et variée des gens de cheval qui vivait grassement gravitant autour du majestueux et piaffant carrossier, de la brillante voiture écussonnée ? [] nous croyons qu’ils auront le temps d’orienter dans d’autres directions leurs talents et leur habileté » (fig. 4 : Cocher embrassant son cheval, estampe, dernier tiers du XIXe siècle, CMV.1677).

L’hippomobile appartient donc au passé : « Comment ! Vous avez encore un cheval ! Mais mon cher, nous dit Giffard[9] cela ne se fait plus. J’ai vendu le mien. J’ai maintenant une automobile ». Le Guide du Carrossier publie d’ailleurs son premier dessin automobile dans son édition du 15 décembre 1898[10] avec le commentaire suivant : « A tout seigneur tout honneur ; nous commençons la série de nos dessins de voitures automobiles par une wagonnette étudiée de manière à s’appliquer à un châssis muni d’un moteur Phénix de la maison Panhard et Levassor». Cette wagonnette peut être rapprochée de celle produite par Delahaye en 1897-1898, qui fut la propriété de la duchesse d’Uzès aujourd’hui conservée au Musée national de la voiture, qui par sa carrosserie appartient encore à l’esthétique de l’hippomobile. Les deux carrosseries sont encore très similaires comme le montrent les photographies de plusieurs albums provenant des archives Kellner également conservées à Compiègne.

 

[1] M.-A. Privat, « La passion de la vitesse aux XVIIe et XVIIIe siècles », p. 58

[2] Journal des haras, juillet 1900, p. 329

[3] Ghislaine Bouchet, Le cheval à Paris de 1850 à 1914, p. 290

[4] Ibid., p. 214

[5] Don du Musée du cheval de Saumur au Musée national de la voiture en 1928

[6] F. Regamey, Vélocipédie et automobilisme, p. 209

[7] L. Baudry de Saunier, « Les voitures actuelles. Leurs agréments et leurs désagréments », p.8

[8] G. Bouchet, Le cheval à Paris de 1850 à 1914, p. 199

[9] P. Giffard, La Fin du cheval, p. 161

[10] Le Guide du Carrossier, 15 décembre 1898, p. 189, cité par J.-L. Libourel, « Carrosserie hippomobile et premières automobiles : une histoire commune », n.p.

A l’automobilisme, les pauvres chevaux reconnaissants, Frédéric Régamey, 1898

A l’automobilisme, les pauvres chevaux reconnaissants, Frédéric Régamey, 1898

Cocher embrassant son cheval, estampe, Musée national de la voiture, CMV.1677 (cliché MNV)

Cocher embrassant son cheval, estampe, Musée national de la voiture, CMV.1677 (cliché MNV)

Omnibus Madeleine Bastille, Musée national de la voiture, CMV.39 (RMN-GP, Daniel Arnaudet)

Omnibus Madeleine Bastille, Musée national de la voiture, CMV.39 (RMN-GP, Daniel Arnaudet)

Eugène Atget, Omnibus La Villette - Saint-Sulpice, tirage photographique, Musée national de la voiture, CMV. 2012.0.9 (RMN-GP, Daniel Arnaudet)

Eugène Atget, Omnibus La Villette - Saint-Sulpice, tirage photographique, Musée national de la voiture, CMV. 2012.0.9 (RMN-GP, Daniel Arnaudet)

Album photographique, Course de poids lourds 1897-1899, Omnibus de Dion Bouton et Omnibus Serpollet, Musée national de la voiture,CMV.51.057 (RMN-GP, Tony Querrec)Album photographique, Course de poids lourds 1897-1899, Omnibus de Dion Bouton et Omnibus Serpollet, Musée national de la voiture,CMV.51.057 (RMN-GP, Tony Querrec)

Album photographique, Course de poids lourds 1897-1899, Omnibus de Dion Bouton et Omnibus Serpollet, Musée national de la voiture,CMV.51.057 (RMN-GP, Tony Querrec)

Archives du carrossier Kellner, début du XXe siècle, Musée national de la voiture, CMV. 62.002

Archives du carrossier Kellner, début du XXe siècle, Musée national de la voiture, CMV. 62.002

2) Patrimonialisation de l’hippomobile, reflet de son effondrement : l’importance des expositions rétrospectives des moyens de transport

Son entrée dans l’histoire s’accompagne dès 1889 d’une patrimonialisation de ses témoins. Certes une seule voiture à moteur est présentée lors de l’exposition universelle de 1889 qui comprend aussi une exposition rétrospective des moyens de transport placée sous la direction de Maurice Bixio. Elle inclut cinq sections dont une est consacrée aux transports terrestres[1]. L’exposition des voitures sans chevaux de Londres en 1896 inclut une partie historique de véhicules hippomobiles et de harnais. Les organisateurs ont mis en parallèle les productions du passé et les réalisations contemporaines.

La véritable rupture se situe toutefois à l’exposition universelle de 1900[2]. Patrick Magnaudeix souligne l’évolution significative de la composition des jurys de l’exposition de 1889 et de 1900 : celui de 1889 comprenait sept carrossiers, un représentant des transports publics, deux producteurs de pièces détachées, deux selliers, un constructeur de cycles ; celui de 1900 n’inclut que trois carrossiers, mais aucun sellier, trois producteurs de pièces détachées, quatre de cycles et quatre constructeurs automobiles.

L’Exposition universelle inclut une section Carrosserie, charronnage automobiles et cycles et une exposition centennale des moyens de transport, placée notamment sous la direction du carrossier Georges Kellner.

Après avoir rappelé l’histoire de la carrosserie et les principales innovations du siècle, les auteurs du rapport des classes 30 et 31 remarquent l’importance économique encore réelle de l’industrie hippomobile et surtout l’excellence des carrossiers français[3]. Les auteurs mettent aussi en exergue la contribution remarquable des industriels français aux progrès de l’industrie automobile grâce notamment à De Dion-Bouton, Serpollet, Panhard et Levassor[4]. Les auteurs du rapport pour la classe 30 soulignent en outre les liens qui unissent carrosserie hippomobile et automobile : « l’esprit inventif des carrossiers a trouvé, en ces dernières années, un nouvel aliment dans la construction des caisses destinées aux voitures automobiles []. Ce succès est dû à la collaboration des mécaniciens et des carrossiers qui se fera de plus en plus complète au fur et à mesure du développement de l’automobilisme » [5]. Peugeot présente en effet un cab et un landaulet carrossés par Kellner, Gardner-Serpollet offre un char à bancs et un duc réalisés par Jeantaud (successeur de Ehrler), Panhard-Levassor, une wagonnette blanche fabriquée par Jeantaud…lequel ne présente qu’une voiture hippomobile et quatre voitures électriques[6]. Belvalette propose quatre hippomobiles et une automobile, dotée d’une caisse cannée à jour de type poney chaise. Kellner et ses fils expose par exemple outre un mail-coach, une victoria, un mylord, une automobile de voyage (8 chevaux). Hippomobiles et automobiles se côtoient donc sur plusieurs stands de mêmes fabricants.

Force est toutefois de constater que la partie « moderne » de l’exposition est en majeure partie occupée par les cycles et les automobiles, les véhicules hippomobiles sont principalement présents au sein de l’exposition centennale. La carrosserie automobile est née de l’hippomobile à laquelle son excellence est intiment liée, mais la seconde appartient désormais au passé et devient un patrimoine à préserver. Georges Kellner, grand carrossier parisien autant hippomobile qu’automobile, appelle dans les lignes de sa notice sur l’exposition centennale plusieurs fois à la création d’un musée des moyens de transport : « Nous avons entendu maintes et maintes fois exprimé le regret qu’on n’ait point organisé un musée permanent qui pourrait être si intéressant»[7]. Il en souligne l’urgence, car ces carrosses et autres berlines pourraient disparaitre ou être dispersés[8]. Il propose plusieurs lieux pour ce projet dont les grandes écuries du château de Chantilly.

 

[1] G. Forestier, M. Cottenet, M. de Chasseloup-Laubat, M. Bovet-Japy, Rapport de l’exposition universelle. Classes 30, Carrosserie, charronnage, automobiles et cycles, p. 682-687

[2] P. Magnaudeix, « La présence de la carrosserie française à l’Exposition universelle de 1900 », n.p.

[3] Catalogue général officiel de l’exposition universelle de 1900, Groupe VI. Génie civil. Moyens de transport. Classes 28 à 34, p.3

[4] Ibid., p.5

[5] G. Forestier, M. Cottenet, M. de Chasseloup-Laubat, M. Bovet-Japy, Rapport de l’exposition universelle. Classes 30, Carrosserie, charronnage, automobiles et cycles, p. 588

[6] P. Magnaudeix, « La présence de la carrosserie française à l’Exposition universelle de 1900 », n.p.

[7] G. Kellner, « La carrosserie à l’exposition rétrospective de 1900 », p. IX

[8] Ibid., p. I

Vues de l'exposition centennale des moyens de transport à l'exposition universelle de 1900. On reconnait la chaise de poste (CMV.11) et la diligence du marquis de Broc par Amédée Bollée père aujourd'hui au Musée national de la voitureVues de l'exposition centennale des moyens de transport à l'exposition universelle de 1900. On reconnait la chaise de poste (CMV.11) et la diligence du marquis de Broc par Amédée Bollée père aujourd'hui au Musée national de la voiture

Vues de l'exposition centennale des moyens de transport à l'exposition universelle de 1900. On reconnait la chaise de poste (CMV.11) et la diligence du marquis de Broc par Amédée Bollée père aujourd'hui au Musée national de la voiture

La présentation des voitures hippomobiles dont certaines sont attelées, à l’exposition centennale, est attrayante. On y retrouve de nombreuses œuvres aujourd’hui au Musée national de la voiture comme le coupé du Maréchal Mortier, duc de Trévise qui a aussi appartenu au duc d’Angoulême et qui était alors la propriété du carrossier Duchesne[1] (vers 1820-1825). Le coupé de voyage de la princesse Tyskiewicz prêté par M. Vagner de Metz, celui du général-comte Lamarque par Bergeron (1830). La berline de demi-gala réalisée par Ehrler pour Napoléon III en 1867, est alors la propriété du prince Murat, qui l’offrira avec ses harnais au MNV (fig. 9 : Ehrler, Berline de demi-gala de Napoléon III, 1867). Elle est le numéro 1 de l’inventaire. Le comité de l’exposition a fait le choix de la présenter attelée : le prince Murat a acquis chevaux et laquais et le tout figure exposé dans les « superbes remises du château de Chambly. Son Altesse conserve ainsi un précieux souvenir d’une brillante époque en même temps qu’un document complet dont la valeur deviendra de plus en plus grande »[2]. Citons encore la berline de l’ambassade ottomane par Binder frères qui figurait dans le cortège du baptême du prince impérial en 1856. Elle était en 1900 la propriété du carrossier Bail aîné. Le carrossier lyonnais Faurax a prêté un cabriolet hollandais et une fliguette qu’il donne au Musée des Tissus. Il aurait aussi été le propriétaire du traîneau de Joséphine, qui appartenait en 1900 au carrossier Mülhbacher. Il est aussi présenté à l’exposition centennale et fut acquis en 2021 par le Musée.

 

[1] Ibid., p. 8, pl. 10

[2] Ibid., p. 11

On reconnait le coupé de voyage du maréchal Mortier (CMV.50.009), le coupé de voyage de la princesse Tyskiewicz (CMV.6) et la berline de ville de Napoléon III par Ehrler (CMV.1)On reconnait le coupé de voyage du maréchal Mortier (CMV.50.009), le coupé de voyage de la princesse Tyskiewicz (CMV.6) et la berline de ville de Napoléon III par Ehrler (CMV.1)On reconnait le coupé de voyage du maréchal Mortier (CMV.50.009), le coupé de voyage de la princesse Tyskiewicz (CMV.6) et la berline de ville de Napoléon III par Ehrler (CMV.1)

On reconnait le coupé de voyage du maréchal Mortier (CMV.50.009), le coupé de voyage de la princesse Tyskiewicz (CMV.6) et la berline de ville de Napoléon III par Ehrler (CMV.1)

La présentation de documents graphiques côtoie celle des voitures et des harnais. L’auteur, qui commente les quelque cinq cents gravures exposées se désespère : « Et combien y-en-a-t-il de ces vieilles reliques cachées dans le fin fond de nos provinces et que l’on nous enverrait sûrement s’il y avait un musée pour les conserver ! », comme Labourdette et Kellner : « La bonne volonté des donateurs et des organisateurs est acquise. Hélas ! Ce n’est pas le plus difficile qui est fait. Il ne reste donc, mais c’est un monde, qu’à obtenir un local et la petite rente nécessaire pour le gardiennage et l’entretien»[1]. Le comte Maurice de Cossé-Brissac l’exprime avec réalisme : « Tout en écrivant ces lignes, nous ne pouvons-nous empêcher de dire tous nos regrets, à l’idée que vont disparaitre et retourner au loin, peut-être dans le néant, ces précieux objets qui ont été confiés à notre comité »[2]. L’hippomobile s’écrit au passé, Emile Bernard et Georges Roduwart le disent pour la section dédiée à la sellerie de l’exposition centennale : « Ô souvenirs de splendeurs passées, que ne pouvez-vous subitement animées, nous retracer votre existence, nous refaire l’histoire des événements auxquels vous avez été mêlées ! »[3]. Ils encouragent aussi les dons et la préservation de cette mémoire équine.

 

 

[1] Ibid., p. 24

[2] M. de Cossé-Brissac, « Selle et bride », dans Notice sur l’exposition centennale des moyens de transport, Paris, 1901, p. 34

[3] E. Bernard, G. Roduwart, « La Sellerie à l’exposition universelle de 1900 », p. 44

LE MUSEE NATIONAL DE LA VOITURE, REPRESENTATIONS D’UNE SOCIETE ET DES MUTATIONS TECHNIQUES, CULTURELLES ET ARTISTIQUES LE MUSEE NATIONAL DE LA VOITURE, REPRESENTATIONS D’UNE SOCIETE ET DES MUTATIONS TECHNIQUES, CULTURELLES ET ARTISTIQUES

Certes l’hippomobile n’est pas brutalement et systématiquement remplacée par l’automobile ; elle survit encore quelques dizaines d’années, mais à partir des années 1890-1900, on pressent la nécessité d’en préserver la mémoire, l’art de vivre et le patrimoine.

Dès l’exposition internationale de Lyon en 1894, Léon Faurax, carrossier lyonnais reconnu, propose une exposition rétrospective de la carrosserie où il présente divers documents et véhicules[1]. L’exposition centennale de 1900 marque une étape historique importante et il faudra attendre vingt-sept ans et quelques expositions rétrospectives des moyens de transport pour que ce projet aboutisse enfin le 1er juillet 1927.

A l’issue de l’Exposition universelle, Louis Vallet propose en effet avec le peintre Edouard Detaille à la Ville de Paris, la création d’un musée dédié à l’histoire de la voiture, mais sans succès. En 1904, il propose de regrouper au sein des Grandes Ecuries à Versailles les collections publiques hippomobiles, mais ces bâtiments sont occupés par le Ministère de la Guerre et aucune suite n’est donnée à ce projet.

Le chapitre suivant s’écrit à Milan en 1906 dont le Petit guide de l’exposition rétrospective française des moyens de transport rédigé par Henry d’Allemagne a gardé la mémoire. Plusieurs véhicules décrits dans cet ouvrage sont aujourd’hui conservés à Compiègne. Il détaille avec une attention particulière le char romain (CMV.46) qu’il a lui-même reconstitué à partir d’éléments antiques et qu’il a offert au Musée en 1929[2]. Le traîneau de l’impératrice Joséphine figure une nouvelle fois parmi les pièces fondamentales de l’exposition qui était alors la propriété du carrossier Mühlbacher[3]. Est également présenté le traîneau dit de la Reine Hortense « à l’extrémité du stand [] le train de devant se relève en une courbe gracieuse et est surmontée d’une sorte de dragon ailé »[4] prêté par Rheims et Auscher. L’exposition inclut également des modèles de carrosserie réalisés par Philippe Devilliard (1839-1917) comme « la reproduction au quart grandeur d’exécution du carrosse qui fut construit en 1856 pour le baptême du prince impérial. Cette voiture est non seulement une merveille de carrosserie, mais il y a également tout un travail de ciselure de bronze et de finition, dans la passementerie et la gainerie, sur lequel on ne saurait trop attirer l’attention du public »[5]. Elle est aujourd’hui exposée au Musée national de la voiture (CMV.82). L’auteur du petit guide mentionne aussi la maquette d’un cabriolet à six ressorts qui a demandé d’après l’auteur « une année de labeur » ; elle est l’œuvre de Charles Devilliard et est entrée au Musée en 1935 (CMV.94). Au centre du stand trône « la grande voiture » prêtée par Mme Martinat qui est « évidemment le véhicule de quelque riche bourgeois ; à l’exposition de 1900, il y avait quelques voitures de ce type qui correspondaient exactement aux voitures de ville à la mode sous le règne de Louis XVI. L’intérieur est garni de vieille soie et le plancher du siège est orné de riches peintures sur fond rouge se détachant au milieu d’un encadrement de bois sculpté »[6]. Elle fut déposée puis donnée au Musée en 1938 par J. Charpentier (CMV.3).

L’organisation de l’exposition en différentes parties incluant, comme celle de 1900 des voitures, des traîneaux, des voitures d’enfant, des harnais, des draisiennes et vélocipèdes, des panneaux d’armoiries et des documents graphiques ainsi qu’une section dédiée aux chemins de fer, constitue déjà une préfiguration du futur Musée national de la voiture tel qu’il sera pensé par ses fondateurs vingt ans plus tard.

 

[1] Figoli (P. Magnaudeix), « Quelques informations sur la carrosserie Faurax à Lyon », attelage-patrimoine, juillet 2019

[2] H. D’Allemagne, Petit guide de l’exposition rétrospective française des moyens de transport, Milan, 1906, p. 9

[3] Ibid., p. 4

[4] Ibid., p. 6

[5] Ibid., p. 7

[6] Ibid.

Vues de l'exposition de MilanVues de l'exposition de Milan
Vues de l'exposition de MilanVues de l'exposition de Milan

Vues de l'exposition de Milan

Vues de l'exposition, le traîneau dit de Joséphine, CMV.2021.007, le traîneau dit de la reine Hortense, CMV.59Vues de l'exposition, le traîneau dit de Joséphine, CMV.2021.007, le traîneau dit de la reine Hortense, CMV.59
Vues de l'exposition, le traîneau dit de Joséphine, CMV.2021.007, le traîneau dit de la reine Hortense, CMV.59Vues de l'exposition, le traîneau dit de Joséphine, CMV.2021.007, le traîneau dit de la reine Hortense, CMV.59

Vues de l'exposition, le traîneau dit de Joséphine, CMV.2021.007, le traîneau dit de la reine Hortense, CMV.59

Philippe Devilliard, Maquette de la berline de Ehrler pour le baptême du prince impérial, CMV.82 ; Charles Devilliard, Maquette d'un cabriolet, CMV.94 ; Coupé de ville, CMV.3; Voiture d'enfant, CMV.86Philippe Devilliard, Maquette de la berline de Ehrler pour le baptême du prince impérial, CMV.82 ; Charles Devilliard, Maquette d'un cabriolet, CMV.94 ; Coupé de ville, CMV.3; Voiture d'enfant, CMV.86
Philippe Devilliard, Maquette de la berline de Ehrler pour le baptême du prince impérial, CMV.82 ; Charles Devilliard, Maquette d'un cabriolet, CMV.94 ; Coupé de ville, CMV.3; Voiture d'enfant, CMV.86Philippe Devilliard, Maquette de la berline de Ehrler pour le baptême du prince impérial, CMV.82 ; Charles Devilliard, Maquette d'un cabriolet, CMV.94 ; Coupé de ville, CMV.3; Voiture d'enfant, CMV.86

Philippe Devilliard, Maquette de la berline de Ehrler pour le baptême du prince impérial, CMV.82 ; Charles Devilliard, Maquette d'un cabriolet, CMV.94 ; Coupé de ville, CMV.3; Voiture d'enfant, CMV.86

Le char romain, Musée national de la voiture, CMV.46Le char romain, Musée national de la voiture, CMV.46

Le char romain, Musée national de la voiture, CMV.46

Manquent encore les premières automobiles, qui sont valorisées par Léon Auscher au salon de l’automobile de 1907 à Paris. Léon Auscher préside à l’agencement de l’exposition rétrospective dont l’introduction du catalogue est rédigée par Baudry de Saunier. Elle est titrée : les Temps Héroïques, alors encore peu lointains des premières automobiles qui déjà appartiennent à l’Histoire : « Comment des humains ont-ils pu jamais monter là-dedans []. Beaux temps pleins d’angoisse et de charme ! Belles années de désespérance et d’acharnement. Aujourd’hui la bête est domptée ; on tourne la manivelle, et l’on s’envole », dit-il avant de conclure : « Chauffeur des Temps Héroïques, noir vagabond à roulettes, jeune père d’une génération qui coure la terre aujourd’hui, c’est toi surtout que j’ai admiré aux Invalides, pour ta patience, ton courage et ta débrouillardise »[1]. Les incunables de l’histoire de l’automobile sont reproduits dans le catalogue. Plusieurs sont aujourd’hui au Musée national de la voiture : citons la célèbre Mancelle d’Amédée Bollée père de 1878 (CMV.244) dont la présence est récurrente dans les expositions rétrospectives démontrant ainsi son importance historique[2], les automobiles Panhard et Levassor de 1891[3] (CMV.249), un modèle du tricycle à pétrole de Dion-Bouton de 1895 (CMV.258), ainsi que la première voiturette Léon Bollée, également de 1895 dont le Musée possède un exemplaire (CMV.254), une voiture d’Amédée Bollée fils de 1896[4] (CMV.246).

Plusieurs œuvres célèbres exposées en 1907 ont intégré les collections nationales comme la célèbre Jamais Contente[5](CMV.247), la voiturette Renault de 1898[6] (CMV.252), le petit break Delahaye de 1897 qui appartenait encore à la duchesse d’Uzès et qui fit son entrée dans les collections dès 1927 (CMV.242).

 

[1] G. Rives (dir.), Exposition décennale de l’automobile, du cycle et des sports, organisée par l’Automobile Club de France, Paris, 1907, p. 12

[2] Ibid., p. 34

[3] Ibid., p. 43

[4] Ibid., p. 57

[5] Ibid., p. 69

[6] Ibid., p. 73

Vues du salon de l'automobile de 1907Vues du salon de l'automobile de 1907
Vues du salon de l'automobile de 1907Vues du salon de l'automobile de 1907

Vues du salon de l'automobile de 1907

La section rétrospective des moyens de transport de l’exposition internationale de Lyon en 1914 est également précurseur du futur musée autant par les œuvres présentées que les sections proposées. Ainsi après une partie consacrée aux litières et chaises à porteurs, s’ouvre un chapitre dédié aux traîneaux et on y retrouve le désormais célèbre traîneau de Joséphine : « à l’avant, l’aigle aux ailes déployées, la caisse flanquée de deux griffons en bois doré à droite et à gauche du siège couvert de velours vert devant lequel s’érige une statuette drapée également en bois doré, le tout donnant un ensemble d’une élégance qu’on rencontre rarement aussi parfaite dans le style empire »[1] et celui dit de la reine Hortense prêté une nouvelle fois par le carrossier Rheims et Auscher, « très curieux avec son dragon ailé » (CMV.59). Suivent plusieurs voitures comme une voiture de voyage dite diligence qui a appartenu au bailli d’épée de Vitry-le-François, Thomassin (CMV.5) ou « un carrosse Louis XVI » attelé à deux chevaux avec un cocher : « le carrosse est d’une grande richesse, l’intérieur est garni de satin blanc avec des broderies merveilleuses de fleurs et de branchages, avec une draperie en satin brodé pour le siège de cocher. Ce carrosse aurait été utilisé par Napoléon 1er en 1804 pour son entrée à Milan »[2] (CMV.4). Se trouve aussi « une petite voiture enfants prêtée par Henry d’Allemagne, jolie petite coquille en bois sculpté et doré » (CMV.86). La présentation est complétée par des gravures et des lithographies mais aussi par une sélection de vélocipèdes, tricycles, automobiles, ainsi que par des artefacts témoignant de l’histoire des chemins de fer et de la navigation.

 

 

[1] G. Manceaux, Exposition de Lyon 1914. Section rétrospective des Moyens de transports, Lyon 1916, p. 2

[2] Ibid., p. 5

Vues de l'exposition de 1914. On reconnait notamment la berline dite boule, CMV.4Vues de l'exposition de 1914. On reconnait notamment la berline dite boule, CMV.4
Vues de l'exposition de 1914. On reconnait notamment la berline dite boule, CMV.4Vues de l'exposition de 1914. On reconnait notamment la berline dite boule, CMV.4

Vues de l'exposition de 1914. On reconnait notamment la berline dite boule, CMV.4

L’exposition décisive pour la création d’un musée dédié à la locomotion est celle de la Houille blanche à Grenoble en 1925 où figure un Pavillon du tourisme d’autrefois[1]. Les mêmes sections apparaissent : parmi les traineaux se trouvent quatre spécimens aujourd’hui au Musée : un traineau en forme de dragon que l’auteur du catalogue attribue à l’impératrice Eugénie (CMV.64 ?), « un autre qui fut à la reine Hortense avec un dragon ailé à l’avant » également dans la collection Rheims et Auscher, un troisième à tête de cygne (CMV.70 ?), et un dernier en forme de biche au galop (CMV.61). Trois de ces traîneaux ont été offerts au Musée par Léon Auscher.

Parmi les véhicules de transport en commun apparaissent « une diligence de 1880 faisant le service de Gap à Corps » donné au Musée par M.M. Repellin et Traffort de Grenoble dès 1926 (CMV.40), un char unilatéral à quatre roues alors propriété de Bernier frères à Tours (CMV. 30 ?), ainsi qu’une voiture dite demi-fortune dotée de baies vitrées et d’une capote mobile qui est proche de deux modèles de wourch de la collection, celui portant la marque Cantone Arizio Turin sur les ressorts (CMV.28) et celui du carrossier toulousain Blin (CMV.34). Figure aussi dans la liste « une chaise de poste utilisée par Napoléon 1er au retour de l’île d’Elbe entre Grenoble et Auxerre » qui est le coupé de poste de la princesse Tyskiewicz (CMV.6). Les premiers témoins de l’histoire automobile viennent compléter le récit : la Mancelle d’Amédée Bollée père représente la locomotion à vapeur, tandis que plusieurs automobiles à essence rappellent les premiers temps héroïques. Tableaux, gravures, malles et autres accessoires (bottes de postillon, selles…) viennent enrichir le propos de cette exposition dont le succès public est important, « par la variété, le nombre et la rareté des objets exposés, la classe 65 a constitué un des éléments les plus attrayants et les plus instructifs de l’Exposition Internationale du Tourisme de la Houille Blanche. Elle a retracé de la façon la plus vivante, comme un chapitre d’histoire illustrée, l’évolution de la locomotion au cours des âges. Elle occupe donc une place très honorable auprès des grandes manifestations de même nature, telles que la Centennale de l’Exposition Universelle de 1900 et l’Exposition de Milan en 1906 »[2].

Cette réussite permet à Léon Auscher de convaincre Paul Léon, alors directeur des Beaux-Arts, de créer un musée national dédié à la l’histoire de la locomotion, premier musée de ce type créé au monde[3].

Une note conservée dans les archives du Musée national de la voiture précise qu’il était logique qu’un tel musée soit fondé en France, où tant de véhicules ont été produits, avaient circulé et où les débuts de l’automobile eurent lieu.

 

[1] R. Blanchard, Exposition internationale de la Houille blanche et du tourisme. Rapport général, Grenoble, mai-octobre 1925, classe 65, p. 340

 

[2] Ibid., p. 344

[3] R. Rapetti, Musées et patrimoine automobile en France, Direction des Musées de France, 2007

Carte postale de l'exposition internationale de la Houille blanche, Grenoble 1925. On reconnait au second plan la diligence à l'anglaise du marquis deThomassin, CMV.5

Carte postale de l'exposition internationale de la Houille blanche, Grenoble 1925. On reconnait au second plan la diligence à l'anglaise du marquis deThomassin, CMV.5

Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925
Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925

Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925

Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925 (cliché MNV)Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925 (cliché MNV)
Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925 (cliché MNV)Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925 (cliché MNV)

Vues de l'exposition internationale de la Houille Blanche, Grenoble, 1925 (cliché MNV)

3) Création du Musée national de la voiture et genèse des collections

31) La création et les débuts de la collection

La question du lieu destiné à abriter cette future institution se pose dès la conception du projet. On songe d’abord à Fontainebleau, puis à Chantilly et enfin à Compiègne où une partie des locaux est encore occupée par l’administration dite des Régions libérées depuis la fin de la Première guerre mondiale. L’administration des beaux-arts cherche à récupérer ces locaux et l’installation du futur musée constitue un argument idéal pour évacuer ces services encombrants. Les locaux, à savoir quelques pièces des anciennes cuisines, sont mis à disposition des collections, mais ils sont modestes, insuffisants, inadaptés aux collections et d’un accès difficile.

Léon Auscher s’entoure de personnalités pour mener à bien son projet, telles que Maurice Leloir, décorateur de théâtre, historien du costume, fondateur du Musée du Costume (Galliera), le commandant Lefebvre des Noëttes, historien de l’attelage. Les pièces rassemblées par Léon Auscher dès février 1926 et présentées à Grenoble constituent l’embryon du futur musée. A ces œuvres s’ajoutent quelques pièces remarquables comme la berline de Napoléon III de 1867 par Ehrler donnée par le prince Murat. Le Musée est inauguré le 1er juillet 1927 par Edouard Herriot, alors ministre de l’Instruction Publique et des beaux-arts et Paul Léon. L’institution connaît alors neuf ans de croissance importante autant de ses collections que des espaces au sein desquels elles sont exposées. En 1927, le Musée dispose d’une douzaine de pièces, en rez-de-chaussée et en entresol, d’une superficie globale de 800 m². Et, par manque de place, cinq berlines sont présentées dans la salle des Colonnes, vestibule d’entrée du château.

 

Vues des salles du Musée national de la voiture, dont la salle des colonnes (cliché Hutin)Vues des salles du Musée national de la voiture, dont la salle des colonnes (cliché Hutin)

Vues des salles du Musée national de la voiture, dont la salle des colonnes (cliché Hutin)

32) Les enrichissements progressifs

Les espaces d’exposition vont peu à peu s’étendre, de plus de 200 m² en 1930 avec plusieurs pièces situées au rez-de-chaussée, que Léon Auscher consacre à des thématiques, comme la poste aux chevaux, les chemins de fer notamment. Dans ces mêmes années sont envisagés des travaux importants, notamment la couverture de trois cours, afin d’étendre les espaces d’exposition. Seule la cour des cuisines sera couverte d’une verrière par l’architecte Bitterlin en 1934, la surface d’exposition passe à 2100 m² : les véhicules alors stockés dans les locaux de Georges Kellner (à Boulogne Billancourt) arrivent à Compiègne pour être présentés dans la cour des cuisines tandis que les dons, dépôts et acquisitions se multiplient. Ainsi Louis Renault, le marquis de Dion, les familles Bollée, Jenatzy, le Touring Club de France, la maison Belvalette, Madame de Kersaint, Delahaye, André Citroën s’inscrivent dans l’histoire des collections de cet établissement par leurs dons importants, comme la voiturette type A Renault, la populaire de De Dion Bouton, la Mancelle ou la diligence à vapeur Bollée, la Jamais Contente, l’Autochenille de la Croisière Noire (don Société Citroën Michelin en 1936). En 1934 est affectée à Compiègne la collection des équipages de la République, qui étaient aussi en attente chez Kellner.

Le Musée connaît alors une renommée européenne et plusieurs pays contribuent à son enrichissement, comme le ministère hollandais de colonies, pour la section coloniale des moyens de transport, ou la direction générale des postes suisses qui en 1927 offre la diligence (CMV.38).

La collection s’enrichit également de dépôts notamment du Musée de Cluny dès 1936 ou du Mobilier national en 1935 : voitures, traîneaux, chaises à porteurs, harnachements et accessoires du XVIIIe siècle, berlines de gala italiennes de la fin du XVIIIe siècle arrivent à Compiègne.

L’espace manque déjà cruellement et plusieurs véhicules sont stockés en divers endroits de la ville, parfois à l’air libre, dans de mauvaises conditions ; c’est notamment le cas d’un autorail Micheline, donnée par les établissements Michelin qui est entreposée dans la cour de la Régie pendant de nombreuses années.

Le Musée comprend alors plusieurs sections thématiques : les origines de l’attelage, les transports en commun, la Poste aux chevaux, les voitures d’enfants princiers, les voitures jouets, les premières courses automobiles, et une section ferroviaire par le don de la collection Jouffroy en 1933. Ces sections sont suivies de quatre autres, la rétrospective des stations thermales et climatiques, une documentation sur les anciens relais et les vieilles auberges, la collection des bagages et la collection des guides et plans routiers. La cour couverte abrite comme le précise une note des années 1930 de la société des amis « les formes de carrosserie défilent sous les yeux du visiteur, évocations éprises et pleines de charme. La berline se tronque en coupé, se découvre en calèche, se recouvre en landau. La chaise de poste s’embourgeoise en cabriolet ou en coucou. L’antique patache se mue en omnibus de la TCRP. Puis ce sont les sociables, les victorias, les ducs, les hansoms, les phaétons, les spiders, aux lignes désuètes et gracieuses, les mail-coaches vétustes auxquels se rattache ce culte des grands guides, qui n’a pas tout à fait disparu aujourd’hui ». Un guide sommaire des collections édité par la société des amis dans les années 1930 précise le parcours qui débute par une section sur le chemin de fer, « galerie de l’histoire iconographique des premiers chemins de fer français », suivie de la grande salle des automobiles regroupées par ordre chronologique en valorisant « nos inventeurs et constructeurs français » suivent la présentation de harnachements, d’un palanquin japonais, de la roulotte de peintre, des traîneaux, des costumes et livrées, des cycles puis d’une salle complémentaire dédiée aux automobiles. Les salles de l’étage sont consacrées à l’iconographie, à l’histoire de l’attelage, des voitures d’enfants, des jouets, des transports en commun puis aux modèles de véhicules. La grande cour couverte est dédiée aux voitures hippomobiles avec quelques automobiles placées là par manque de place comme la Mancelle, le double phaéton Gorbon-Brillée de 1898 (CMV.241, don de M. Rousset en 1934), la limousine de Dion-Bouton de1905-1907 (CMV.240, don du marquis de Dion en 1935), l’Autochenille Citroën et l’omnibus Madeleine Bastille. Le parcours se termine par une section coloniale présentée par des maquettes.

Vues des ateliers Kellner, avant 1934, archives du Musée national de la voiture (cliché MNV)Vues des ateliers Kellner, avant 1934, archives du Musée national de la voiture (cliché MNV)
Vues des ateliers Kellner, avant 1934, archives du Musée national de la voiture (cliché MNV)Vues des ateliers Kellner, avant 1934, archives du Musée national de la voiture (cliché MNV)

Vues des ateliers Kellner, avant 1934, archives du Musée national de la voiture (cliché MNV)

Carte postale du Musée national de la voiture et de la cour des cuisines dotée de sa nouvelle verrière, archives du Musée national de la voiture (cliché Hutin)Carte postale du Musée national de la voiture et de la cour des cuisines dotée de sa nouvelle verrière, archives du Musée national de la voiture (cliché Hutin)

Carte postale du Musée national de la voiture et de la cour des cuisines dotée de sa nouvelle verrière, archives du Musée national de la voiture (cliché Hutin)

33) Les ambitions des fondateurs et leurs limites

331) Les ambitions initiales des fondateurs étaient élevées et posées dès la conception du projet :

Ce musée « a pour mission de documenter sur l’histoire de la locomotion en conservant les principaux types de véhicules et tout ce qui peut renseigner sur l’évolution des transports et du tourisme » car précise une note de la société des amis « les progrès réalisés par l’homme dans la conception et la réalisation des instruments facilitant les déplacements qu’il effectua de tout temps, d’abord par nécessité, puis pour son plaisir, reflètent exactement les progrès de son intelligence et de son évolution mentale » : dès le début, le Musée national de la voiture n’a pas pour vocation d’être uniquement un musée dédié à la présentation technique des collections. Cette approche est laissée au conservatoire des arts et métiers. Son ambition est plus large comme le souligne Pierre Soulaine dans un article du Figaro du 4 juillet 1927, quelques jours après l’inauguration du Musée : « les progrès fantastiques que notre génération a vus se produire, la rapidité des transports ont-ils amélioré le sort des hommes ? Ils enrichissent leurs sensations, leur font connaître des pays et des paysages qu’ils n’auront jamais vus, rapprochent les fils des nations les plus éloignées, les font se connaître, s’apprécier, les empêcher de se haïr ».

 

332) Les limites rapidement posées

Initialement, la notion de locomotion devait englober tous les types de locomotion pour se restreindre assez rapidement à la locomotion terrestre, voire uniquement routière dans les années d’après guerre au cours desquelles l’institution est confrontée à un relatif abandon. Des échanges de courriers de Max Terrier avec un collectionneur au cours de l’année 1956 sont particulièrement éloquents sur ce renoncement et sur le recentrage du Musée national de la voiture sur l’histoire de la locomotion terrestre uniquement.

Les années qui ont précédé le début de la seconde guerre mondiale sont marquées par un accroissement considérable de la collection et par un manque d’espace crucial. En 1930, un conservateur est dédié à la collection du Musée national de la voiture, Jacques Robiquet. Dès 1936, il se bat aux côtés de Léon Auscher pour que les collections soient déménagées dans un espace intéressant pour présenter des voitures aux dimensions importantes, les Grandes Ecuries du Roi, affectées aux haras nationaux depuis 1875. Les négociations sont bien engagées, mais la déclaration de guerre y met fin avant qu’elles n’aboutissent. Léon Auscher meurt en 1942, Richard Kellner est fusillé pendant la guerre, le Musée ne déménage pas pendant le conflit, il demeure même ouvert, mais certaines voitures sont détériorées.

Salle Auberge, archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)

Salle Auberge, archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)

333) Se recentrer sur les collections terrestres

Après la guerre, l’intérêt se porte sur les appartements historiques, le Musée national de la voiture est considéré comme encombrant, certains véhicules sont vendus dont la Micheline, d’autres sont déposés dans des musées, les arts et métiers, le Musée d’art et d’industrie de Saint-Etienne...l’inadaptation des lieux est maintes fois soulignée, jusque dans les guides et les avertissements formulés par les professionnels du tourisme : une note non datée de l’Office du tourisme de Compiègne, mais sans doute produite dans les années 1960, souligne l’inadaptation des lieux aux véhicules présentés. Elle précise aussi qu’il est difficile de bien cerner le sujet du Musée, ce qu’il présente et le discours qu’il faut y associer : ce n’est pas un musée archéologique analyse l’auteur de la note, ce n’est pas une remise pour d’anciennes voitures royales, ce n’est pas un musée technique, c’est un peu de tout cela !

 

34- Quelle présentation, quelles représentations ?

A partir de 1950, un nouveau conservateur, Max Terrier (1902-1987) arrive à Compiègne et manifeste un intérêt certain pour les collections du Musée national de la voiture, en particulier pour le patrimoine hippomobile. Il parvient à obtenir des espaces supplémentaires au premier étage, une galerie de 400 m² ce qui permet un redéploiement de la collection. De nouveaux aménagements sont réalisés dans les années 1960 qui sont ceux que nous connaissons aujourd’hui : plusieurs véhicules importants sont présentés dans l’entrée du Musée, la Mancelle d’Amédée Bollée de 1878, la Limousine de Dion Bouton des premières années du XXe siècle, la torpédo sigma de l’aviateur Guynemer de 1916, plusieurs voitures d’enfant dont la calèche du prince Impérial donnée par le carrossier Ehrler en 1857-59 et une voiture chinoise attribuée au prince impérial. Dans la cour des cuisines sont présentées les voitures hippomobiles, quelques voitures automobiles, la section des automobiles et celle des cycles, puis à l’étage, les traîneaux, les équipages, la poste aux chevaux et les bagages, les chaises à porteurs et les voitures portées, et une section dédiée aux voitures étrangères, de loisirs et de sport et d’enfants. Ces différentes sections sont enrichies de documents iconographiques, peintures, gravures, estampes, lithographies ou techniques qui permettent de contextualiser le véhicule.

 

Cette diversité des approches est reprise dans une fiche éditée dans les années 1960 par le secrétariat d’État à la Culture, direction des Musées de France : le but du Musée national de la voiture est de rendre compte du problème essentiel du transport des personnes dans tout ce qui touche à la locomotion routière, il faut certes mettre en évidence les « efforts techniques » , les grandes révolutions techniques qui ont permis de passer de l’hippomobile à l’automobile, mais il faut aussi valoriser les voitures dans leurs formes, dans leurs décors, qui apparaissent comme le reflet d’une époque, comme le souci de paraître, de répondre aux impératifs de la mode, tout en considérant le sens utilitaire, la recherche de confort, l’impératif de gagner du temps, le goût du sport.  A cela s’ajoutent d’autres problématiques, comme les modes de fabrication des voitures hippomobiles, travail collectif impliquant de nombreux métiers, donc abordant l’histoire du travail et l’histoire économique, la notion de luxe dans la réalisation de certains de ces véhicules mais aussi dans l’entretien d’un important équipage, reflet incontestable d’une position sociale.

L’immense variété des approches de l’histoire de la locomotion terrestre entraîne rapidement des renoncements. Plusieurs notes de Max Terrier des années 1955-1956 en font état : la notion de tourisme est progressivement abandonnée car son histoire ne pouvait être traitée que de manière insuffisante et artificielle, abandon de l’histoire des autres modes de transport et notamment de l’histoire des chemins de fer pour se concentrer sur la locomotion routière tout en développant des liens forts avec les autres musées de transport, consacrés au chemin de fer, à l’aviation ou encore à la marine. La diversité des approches rend également difficile la définition du Musée national de la voiture au sein des musées nationaux. Dans une lettre que Max Terrier adresse à Louis-Maurice Jouffroy le 24 juin 1956 il fait part de la difficulté à laquelle il est confronté dans le cadre administratif des musées nationaux pour inscrire le Musée de la voiture qui n’est pas un musée technique, mais qu’il considère comme un musée d’histoire, « la locomotion représentant un élément essentiel et fondamental de l’histoire de la civilisation », enrichi d’un propos incontournable sur l’histoire des arts décoratifs, sur l’histoire de la peinture et de la sculpture, sur l’histoire et les pratiques sociales, sur l’histoire du voyage, des rapports de l’homme à la vitesse, au temps, à l’espace, aux paysages, sur l’histoire de l’aménagement du territoire, des routes, des réseaux routiers, sur l’histoire des pratiques sportives, sur l’histoire de l’industrie, des personnalités économiques, des innovations et des collaborations industrielles, sur l’évolution des modèles de production, des matériaux mis en œuvre, des sources d’énergie et leur incidence sur l’environnement, sur l’histoire des femmes et de leur émancipation...

 

Inauguration de la verrière en 1934, archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)Inauguration de la verrière en 1934, archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)

Inauguration de la verrière en 1934, archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)

Arrivée des oeuvres au Musée national de la voiture, dont la Renault type D conduite par le marquis de Dion (1935), archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)Arrivée des oeuvres au Musée national de la voiture, dont la Renault type D conduite par le marquis de Dion (1935), archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)

Arrivée des oeuvres au Musée national de la voiture, dont la Renault type D conduite par le marquis de Dion (1935), archives du Musée national de la voiture (Cliché Hutin)

Certes nous dit encore Max Terrier dans le supplément de la revue La Route du premier trimestre 1968, « une voiture est faite pour transporter des personnes. Pourtant il s’agit de bien autre chose : vanité, mode, exigence sociale, goût du confort, recherche de magnificence, sens pratique et utilitaire, passion pour la vitesse, amour du sport..., histoire du progrès humain, évocation d’un type de société, d’une époque ». C’est dans ce « bien autre chose » que résident la richesse,  l’originalité et l’unicité du Musée national de la voiture.

Bibliographie

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F
Très intéressant plaidoyer pour une sauvegarde et un développement des collections du musée de la voiture de Compiègne. Merci.
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