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C'est un sujet dont on ne savait pratiquement rien avant que le Village de Billancourt ne s'y intéresse. Même les historiens Penel-Beaufin, Couratier ou Besançon semblaient ignorer son existence. Il a fallu tomber sur des documents du "carton Madoré" aux archives municipales. Au "Village de Billancourt", nous nous sommes donné pour objectif de les faire revivre.
Nous sommes en 1770. Le Comte d'Artois est le frère de Louis XVI, de Louis XVIII et le futur Charles X (entre 1824 et 1830). Il n'a que 20 ans lorsqu'il commande la construction d'écuries-relais à une centaine de mètres du vieux pont de sèvres, sur la rive de Billancourt.
Ces écuries donnent sur la route de Versailles (rue du vieux pont de Sèvres), une route très fréquentée par la cour et ses fournisseurs qui font des allers-retours entre Paris et Versailles. A l'époque la plaine de Billancourt n'est quasiment constituée que de prés et de champs.
A quoi sont utilisées ces écuries? Les documents parlent d'un "relais pour les équipages de Monsieur le Comte d'Artois". Ce n'est pas un relais entre Paris et Versailles car les deux villes ne sont distantes que de 20 kilomètres et à l'époque on ne change de chevaux qu'après 30 ou 40 kilomètres. Elles sont certainement utilisées pour les chasses royales. Le bois de Boulogne et la plaine de Billancourt constituent une capitainerie où des remises à gibier ont été placées. C'est au XVIII° siècle, apogée de la vènerie royale, que la cour connait le plus grand nombre d'équipages.
C'est d'ailleurs sur une des cartes des chasses royales que nous avons eu la surprise de localiser, pour la première fois, ces écuries.
Ecuries du comte d’Artois en 1807. Extrait de la Carte des Chasses Royales de 1807 -archives des hauts de seine-
On sait par ailleurs, que "Mesdames" les filles de Louis XV, propriétaires du chateau de Bellevue, peuvent suivre du haut du coteau de Meudon, à la longue vue, les chasses de Louis XVI avec ses deux frères (les futurs Louis XVIII et Charles X).
Les plans des écuries
Aux archives municipales, nous avons consulté la proposition de construction de ces écuries, rédigées en 1777 par un certain monsieur Richard, entrepreneur à Versailles, à l'attention de monsieur de Sainte-Foye, surintendant des finances et bâtiments de Monseigneur le Comte d'Artois. Dans ce document, Richard s'engage à "remettre les clefs dans le courant de Septembre de la même année et à se soumettre à l'examen et la visite des officiers des Bâtiments de Monseigneur" Le prix de 20 000 livres devra être payé sur trois années.
Ce document contient surtout cinq plans précieux qui nous donnent une idée précise du projet.
Le style est sobre et fonctionnel, sans volonté d'apparat. Le bâtiment se présente en forme de U, sur deux niveaux et sur une base carrée. Il mesure environ 16 toises de côté, soit un peu plus d'une trentaine de mètres. Les dimensions sont très modestes, au regard des écuries royales à Paris ou Versailles. Nous savons qu'il est complété par un jardin à l'est des bâtiments.
Les chevaux sont installés dans 24 stalles qui occupent trois salles dans le fond du bâtiment. Une fontaine alimente un abreuvoir dans la cour. Les remises, le chauffoir, la sellerie occupent le reste du rez de chaussée. Les logements du cocher et du postillon se trouvent à l'étage, à droite, et ceux des palefreniers, à gauche. Un concierge, lui, est logé prés de l'entrée.
Les autres plans présentent le premier étage, les toitures et une coupe.
Un autre document nous apprend que le terrain a été cédé par le sieur Louis Mosqueron de Préfontaine, preneur du bail à rente du domaine de la ferme de Billancourt, avec l'accord de Nicolas Claessen, son bailleur (oui c'est compliqué). Vendu pour 4500 livres, le terrain fait 80 pieds de long sur 80 de large. En outre, le comte d'Artois s'engage à verser annuellement à Claessen 10 livres de rente foncière, somme étrangement faible.
Une reconstitution en 3 D
Malgré nos efforts, nous n'avons pas trouvé de bonnes vues des écuries. Elles sont à peine esquissées, sur cette miniature de Louis-Nicolas Van Blarenberghe, ci dessous, peinte la même année depuis les hauteurs de Meudon. C'est l'un des rares bâtiments visibles, à gauche, sur la plaine de Billancourt, avec la ferme monastique.
Il n'existe pas de bonne vue des écuries du Comte d'Artois? Qu'à cela ne tienne, le Village de Billancourt en a fait une reconstitution en 3D. Ce long travail de modélisation a été rendu possible grâce aux plans de Richard. Non sans difficultés, toutefois, car les plans se contredisent parfois.
En voici le résultat:
La reconstitution est elle fidèle au bâtiment finalement construit? Ces plans ont ils été suivis à la lettre par les bâtisseurs? Impossible d'en être certain.
Que reste-t-il des écuries du Comte d'Artois?
La révolution française survient, abolissant les chasses royales. Le Comte d'Artois prend, en 1824, la succession de son frère Louis XVIII, sous le nom de Charles X, pour être chassé du trôné six ans plus tard. Que deviennent les écuries de Billancourt? Nous avons poursuivi l'enquête.
A la recherche d'indices
Le début du XX° siècle nous livre bien peu de documents. Billancourt passe d'un domaine agricole à un lotissement résidentiel sillonné de nouvelles rues. Le vieux pont de Sèvres est détruit, un nouveau pont est construit 200 mètres en aval. Les écuries ne sont plus sur la grande route de Versailles.
A défaut de textes, de gravures ou de tableaux, nous examinons les cartes à la recherche de ce bâtiment en forme de U. Bonne nouvelle, les écuries restent visibles durant le XIX° siècle. A mesure que Billancourt s'urbanise il est probable que les écuries changent de finalité.
A l'orée du XX° siècle, elles sont toujours là. Le bâtiment figure sur le plan cadastral de 1905. Mais faute de photos précises, nous n'en savons guère davantage.
L'examen du cadastre nous donne d'autres indications. L'adresse est au 123 rue du vieux pont de Sèvres puis au 151 puis au 231, après renumérotation de la rue. Les écuries sont passées de main en main. Il nous révèle également ce que nous espérions: Le dernier propriétaire est Louis Renault, encore lui! Nous nous rendons donc chez Renault histoire dans l'espoir d'y trouver les informations qui nous manquent.
De l'écurie à l'industrie
Chez Renault Histoire, nous prenons connaissance de l'acte de vente. Son examen nous révèle que les anciennes écuries passent, tout d'abord, entre les mains d'un certain Théophile Philéas Thibault, puis à ses enfants. En mars 1847, elles sont vendues par adjudication aux époux François Saint Salvi puis reviennent à madame François Saint Salvi à la mort de son mari, puis à leurs enfants.
A la fin du XIX°, l'industrie y fait son apparition. Le 19 avril 1845, elles deviennent la propriété de l'ingénieur céramiste René Edmond Lahaussois qui y installe une manufacture de porcelaine pour deux années seulement.
En décembre 1897, les écuries sont acquises par la société britannique Standard dynamite Manufactoring Company Limited. Nous avons trouvé, en 1897, une demande d'autorisation, adressée au préfet de police d'y exploiter une fabrication de cyanure de potassium et de chlorhydrate d'ammoniaque. Il est probable que la demande n'a pas abouti car la société entre vite en liquidation.
Les anciennes écuries sont acquises en Janvier 1901 par Joseph Alexandre Billerey. Les annuaires nous révèlent qu'il y fabrique des "conserves de fruits au naturel et confits, confitures, ananas, amandes et pistaches". ( nettement moins dangereux pour la santé)
Nous avons trouvé deux vues de cette époque Billerey, malheureusement trop lointaines pour être utiles:
C'est en 1919 que Louis Renault acquiert les anciennes écuries auprès de Josepf Billerey qui décèdera deux mois plus tard. L'acte d'achat décrit un bâtiment industriel de 3000 mètres carrés avec ses deux cheminées, un jardin et une "machine à faire de la marmelade de pomme".
Des photos, enfin.
En 1919, un état des lieux de toutes les propriétés Renault est confié au cabinet d'architecte Plousey. Ce très volumineux rapport contient des descriptions détaillées de l'usine et surtout, des centaines de photos. Parmi elles, nous découvrons cinq photos du 231 rue du vieux Pont de Sèvres: C'est enfin ce que nous cherchions!
Le bâtiment ne paye pas de mine. Il n'a pas grand chose de royal, mais ça, nous nous y attendions, surtout après un usage industriel. La question est: reste-t-il quelque chose des écuries de Charles X? Bonne surprise, une bonne partie du bâtiment de droite est nettement reconnaissable.
Les bâtiments ont été grandement modifiés. Ils ont été agrandis sur la rue, profitant de la réduction de la largeur de la rue du vieux pont de Sèvres. Ils ont également été surélevés. Le bâtiment de gauche étant d'un seul tenant, il ne peut être d'origine.
Autre belle surprise: les stalles semblent avoir subsisté et témoignent de l'usage originel.*
Par ailleurs, nous y découvrons une salle de classe. Que vient elle faire là? Des plans de l'usine Renault de 1922 nous révèlent que Renault a utilisé le bâtiment comme école d'apprentissage pour ses ouvriers.
L'usine Renault s'étend encore. Sur les photos aériennes de 1925, les anciennes écuries du Comte d'Artois ont disparu. Un grand ateliers sans intérêt prend sa place. Le cadastre ne semble pas s'accorder avec ces photos. Toutefois, on peut y lire la démolition d'une écurie et d'une remise en 1933 C'est probablement un enregistrement tardif.
Un siècle et demi après leur création, il ne reste plus rien des écuries du Comte d'Artois. L'automobile a supplanté la voiture à cheval. Le symbole est fort.
Et aujourd'hui?
Un autre mammifère ongulé a investi les lieux: une girafe au long cou. La crèche de la girafe n'est pas exactement au même endroit: les écuries étaient à une cinquantaine de mètres plus loin vers la Seine
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Note attelage-patrimoine
Cet article a été initialement publié sur le site village de Billancourt qui nous a autorisé à diffuser ces précieuses informations et que nous remercions. Vous trouverez l'ensemble de leurs travaux dans le lien ci dessous.
* Sur la photo, l'aspect esthétique des stalles atteste cependant d'une modification apportée au XIX° siècle.