Garrocha
pour Emeline
Un ciel anthracite plombe les eaux de la baie, mariant son encre délavée aux oyats et au sable où j’imprime des pas.
Je l’attends.
Á cru, vêtue seulement de cheveux d’ébène que prolongent les crins de son andalou, d’un air farouche elle s’avance, pointant la garrocha vers l’océan.
Dans le silence et la lenteur, sans un regard, elle célèbre une messe baroque née de la nuit des temps, enlacée dans les fils invisibles de la vara tourbillonnant au dessus de sa tête… lance fichée au sol comme
la pointe sèche d’un compas… véroniques éblouissantes que le cheval enroule et déroule, et dessus et dessous.
- Toro, toro !
Soudain l’apparition s’immobilise et déshabille la monture de son filet.
- Tu es libre, va…
Sans plus rien, elles dansent alors comme, dans un paso doble, ces cavalières au masque tragique avancent et virevoltent et de gauche et de droite en cinglant leurs jupons.
Abandonnant alors la garrocha, elle agenouille l’animal, l’allonge dans le sable, coule son corps le long de son flanc et, de ses lèvres, dans le tracé de la jugulaire, se repaît de son sang.
Julie Wasselin
Pour ne pas quitter de façon trop brutale le moment magique que vient de nous faire vivre Julie, voici quelques pas de Garrocha.