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Pendant la seconde guerre mondiale, une initiative méconnue : les concours de charretiers
Une attelée de maître charretier dans les années 1930 en Soissonnais (chevaux Ardennais, attelage typique des grandes exploitations betteravières).
« L’agriculture française manque de bons charretiers. C’est un fait indiscutable, un fait désastreux alors que les chevaux, si peu nombreux, doivent être utilisés au maximum de leur puissance et jusqu’à l’extrême limite de leur âge. Mais il faut du temps pour former un charretier, beaucoup de temps ! Sans bons charretiers, l’agriculture court à sa ruine ».
Nous sommes en octobre 1943. Le Comte de Laurens Saint Martin publie dans leBulletin Officiel du Comité National Interprofessionnel des Chevaux et des Muletsune communication sur la pénurie de charretiers, le statut et l’avenir du métier. Sur un ton, tout à son époque, qui se veut bienveillant mais qui confine souvent à un paternalisme moralisateur, l’auteur se livre à une analyse critique.
La couverture du premier numéro du Bulletin du comité national interprofessionnel des chevaux et des mulets.
Si notre rédacteur conçoit la dureté du moment, il souligne à loisir une situation depuis longtemps prévisible (mais on peut déjà lire dans des publications de l’entre-deux guerres que les bons charretiers, ceux d’avant 1914 ont disparu !). Regrettant le peu de goût des jeunes pour la profession, il dénonce l’incompétence de beaucoup. Les cavaleries sont abandonnées aux mains de charretiers qui s’adonnent au métier par défaut. Marcel Mavré en témoigne ainsi: « en 1943, exerçaient des jeunes gens d’à peine 17 ans qui remplaçaient de façon médiocre les vrais charretiers souvent prisonniers en Allemagne. Peu motivés, ils rêvaient à tout sauf à devenir charretier. De toute façon, avec le matériel moderne qui est apparu dès la naissance du conflit, peu de jeunes hommes se voyaient encore derrière les chevaux dans les années d’après guerre ». Si la France des années 1930 compte 2 millions et demi de chevaux agricoles, la modernisation, c'est-à-dire sa motorisation, est déjà en marche. Les écuries dépeuplées par la mobilisation, les réquisitions, les commissions d’achats ou les combats ne seront que très partiellement reconstituées avec le retour à la paix. Les plans de reconstruction dits Monet (en France) et Marshall (au niveau international) sonneront vite la grande réforme des attelages. Notre auteur ne voit pas cette révolution se profiler. Tout au plus envisage t’il encore le tracteur comme le complément ponctuel et essentiellement routier d’une traction animale irremplaçable.
Intéresser les jeunes à un métier exigeant et peu reconnu, un objectif bien improbable en 1943.
Une hiérarchie professionnelle sans reconnaissance officielle, l’absence d’avantages matériels significatifs, de promotions, les médiocres salaires expliquent la désaffection pour un métier au demeurant exigeant. L’agriculture n’offre aux ambitieux aucun espoir de s’élever, et notre analyste de replacer cet horizon plat dans le contexte plus large de l’exode rural.
Il est frappant de constater qu’à 2 ans d’écart, en 1945, le Manuel du bon charretier de Lucien Brasse Brossard plaide lui aussi la nécessité de former et professionnaliser le métier. Seul ouvrage entièrement dédié au sujet, quand depuis longtemps les écrits consacrés au cheval de trait n’accorde à sa conduite qu’un chapitre au plus, il semble bien isolé et tardif. Son auteur, pas plus que le rédacteur du Bulletin, n’entrevoit pas la disparition programmée des attelages agricoles, envisageant même un avenir certain aux matériels perfectionnés hippotractés développés avant guerre.
Créer l’émulation, susciter des vocations
Une raison de se réjouir se dessine bientôt sous la plume du comte. Une heureuse initiative, engagée par les Haras nationaux, redonne quelques espoirs : la création de concours de charretiers. En voici la teneur :
Les concurrents sont inscrits par catégories et par tranche d’âge : apprentis charretiers (fils de cultivateurs de moins de 20 ans et ouvriers de moins de 18 ans), compagnons charretiers (moins de 25 ans, 25 à 45 ans, 45 ans et plus), maîtres charretiers.
Le programme, sur une journée, comporte cinq épreuves : une présentation, une épreuve théorique, une autre de conduite, un labour et enfin une épreuve montée. Pour débuter, un premier jury note la présentation générale de l’attelage (dont le règlement ne précise pas la composition), l’attitude du conducteur, la propreté de l’ensemble. Un second jury (dont un vétérinaire) interroge les candidats sur le signalement, l’extérieur du cheval, l’hygiène, les soins et la ferrure. Le troisième jury suit l’attelage sur un parcours en terrain varié (pentes, entrées de chemins étroites, mise sur une bascule, mise à quai), il note l’attelage, le démarrage, la conduite. Selon les types d’attelées propres à la région, il est stipulé qu’on recourt pour cette épreuve à un chariot, un tombereau ou une gerbière lourdement chargés.
Pour la suite, les attelages concourent simultanément. Le labour consiste à effectuer dans un temps donné le meilleur travail évalué sur la surface retournée, l’aptitude à régler le brabant (préalablement déréglé par le jury en l’absence des concurrents), la rectitude et la régularité du travail, l’ajustement et la conduite de l’attelage.
Enfin, pour l’épreuve montée, les compétiteurs doivent effecteur quelques exercices simples, aux trois allures et aux deux mains.
Les notes collationnées, une moyenne est réalisée qui peut être pondérée par une autre note donnée par le patron du charretier auquel on a confié à l’avance un questionnaire sur le dévouement, les aptitudes professionnelles, la sobriété, l’attachement à l’exploitation de son employé.
Des primes récompensent les meilleurs participants, auxquels on remet également un certificat, qui au troisième obtenu, se transformera en diplôme professionnel.
Belle attelée lors d’un concours (peut-être dans l’Oise).
Nous connaissons très peu d’exemples de ces concours. Il s’en est tenu en 1943, comme celui rapporté par l’article référent (organisé « dans un pays de grande culture », mais lequel ?). Dans le département du Cher, par exemple, 4 concours ont été organisés en 1943 et 1945, réunissant moins d’une dizaine à une vingtaine de concurrents. Si les archives préfectorales en conservent ici la trace, il n’en existe aucune mention dans la presse.
Les difficultés administratives du moment, la méfiance des chefs d’exploitation soucieux de ne pas afficher de trop belles cavaleries - on peut trouver au jury le président local du comité d’achat des chevaux pour l’armée - , la mobilisation des charretiers sont trois hypothèses pour avancer l’échec de l’initiative. On peut, dans une moindre mesure, rapprocher ce constat du destin en demi-teinte des Sociétés Hippiques Rurales et Urbaines, créées en 1934 afin de regrouper les éleveurs et les utilisateurs, entretenir le goût et la pratique du cheval sous toutes ses aptitudes pour en soutenir, voire augmenter la production (derrière des arguments économiques, la perte évaluée par l’administration de 600.000 chevaux de trait légers et mulets inquiète l’Armée). Malgré les appels insistants de 1936 et 1939 du Ministère de l’Agriculture aux préfets, via les directeurs de Haras Nationaux, pour soutenir et favoriser la création des S.H.R (et S.H.U), l’enthousiasme fut en bien des cas modéré.
Depuis 1934, les Société Hippique Rurales se proposent « par le caractère attrayant et publicitaire de leurs rencontres de maintenir la fidélité à l’égard du cheval d’utilité » et « d’aider l’armée dans la charge onéreuse d’assurer la constitution et l’entretien du stock de chevaux nécessaire pour les besoins de la guerre » tout en formant des « cavaliers dégourdis ».
Déjà, évoquait-on le manque de goût de la jeunesse d’alors pour le cheval de trait…
La tenue de ces concours de charretiers, cochers et palefreniers parait bien anecdotique. Où et quand ont-ils existé ? Des photographies, des archives personnelles sommeillent-elles ici et là ? Appel à témoin…
Texte et photos:
Etienne Petitclerc
Issu de la grande refonte administrative et économique de la France occupée, le Comité National Interprofessionnel des Chevaux et Mulets intervient notamment sur les questions touchant à l’élevage, l’utilisation et le commerce des équidés. Il publie à partir de juillet 1943 un Bulletin Officiel mensuel. D’un tirage vraisemblablement restreint et d’une diffusion assez confidentielle, ces brochures, dont la périodicité reste encore à établir vraiment (en 1944, on trouve par exemple un numéro unique pour les mois d’avril, mai et juin), s’avèrent régulièrement digne d’intérêt.