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Par figoli
Les chevaux de Saint Marc
Le mystère de leur origine reste entier
On ignore s’ils sont grecs ou romains, ni de quelles mains ils sont nés.
Évidemment, c’est tentant de penser à Phidias ( V° siècle avant J.C. ) qui sculpta ceux du Parthénon, mais leurs caractéristiques sont trop différentes de celles des chevaux de Venise.
On pense également à Lysippe ( tout début III° siècle avant J.C. ) cité par Pline parce qu’il créa pour Rhodes un quadrige renommé dont il ne reste pas trace — il ne subsiste à l’heure actuelle aucun quadrige excepté celui de Venise, et on ne peut plus les imaginer qu’au travers des peintures, mosaïques et bas reliefs qui ont été retrouvés, — ou bien encore à un sculpteur inconnu de l’époque de Néron, émule du naturalisme et de l’élégance achevée des chevaux de Lysippe, puisqu’un quadrige qui est peut-être celui de Saint Marc orna l’arc de triomphe de l’empereur pyromane ( il régna de 54 à 68 après J.C. ), avant que ces mêmes chevaux ne soient signalés à Alexandrie ( ? ) et, pour en finir, retrouvés à Constantinople ( Constantin IV° siècle après J.C. ).
Une certitude : ils décoraient le départ des courses de char sur le stade de Constantinople. C’est là que le doge Dandolo qui les connaissait pour avoir été ambassadeur de Venise là-bas, s’en empara en 1204 à l’issue de la quatrième croisade.
Traité à la manière hellénistique, leur style peut induire en erreur, mais les corps robustes et les encolures fortes sont un critère de la fin de l’empire romain ( I° ou II° siècle après le Christ ). Les pilosités des oreilles, les lunules creusées dans l’iris des yeux qui donnent cet aspect si vivant, les crinières courtes et les toupets noués d’un ruban, en sont des indications valables également.
Sont-ils plus récents qu’on ne l’imagine ?
En ce cas, les chevaux n’auraient « que » 1800 ans. Donc, à plus ou moins mille années près, tout de même, depuis Phidias ou Lysippe, on ne sait pas !
À Venise où Dandolo les fit transporter, ils furent entreposés à l’arsenal plus de cinquante ans, avec le risque d’être volés ou fondus.
C’est seulement en 1265 qu’ils furent placés sur le pronaos de la basilique Saint Marc tout spécialement construit pour eux par le doge Ranieri Zeno.
Ils sont le symbole de la gloire de Venise, un quadrige triomphant, certes, mais surtout des chevaux sans cavaliers, donc des chevaux, qui, tout comme Venise dominant le monde, ne sont pas dominés. Preuve en est la menace lancée en 1378 par Pietro Doria quand les génois tentèrent de soumettre la sérénissime :
- « Nous passerons la bride aux chevaux de Saint Marc… »
Volonté de briser la superbe des vénitiens et de les toucher dans ce qu’ils avaient de plus cher, leurs chevaux.
Napoléon ne s’y est pas trompé.
Non content d’avoir ravagé la ville, et anéanti sa puissance, il les a dérobés.
Le 13 décembre 1798, les chevaux prendront la mer via Ancône en direction de Toulon, remonteront le Rhône, la Saône, le canal du centre, la Loire, les canaux de Briare et du Loing et la Seine. D’Arles, ils ne mettront que trois mois pour arriver à Paris. D’abord entreposés aux Invalides, ils seront disposés sur quatre des piliers de la grille des Tuileries, puis en 1808, ils couronneront l’arc de triomphe du Carrousel édifié à la gloire des armées napoléoniennes.
En 1815 après la chute de Napoléon, le sculpteur Canova missionné par le pape Pie VII et l’empereur d’Autriche qui avait repris possession de la Vénétie, unirent leurs forces afin que les chevaux reviennent à Venise après quasiment dix-neuf années d’absence.
Le retour fut triomphal.
En 1828, pour les remplacer sur l’arc du Carrousel, Charles X fera appel au sculpteur François-Joseph Bosio. Grâce aux moules que Venise accepta de prêter, une première tentative fut réussie. Mais le roi décida de laisser son empreinte ; il exigea que les chevaux soient plus grands et les têtes orientées différemment. Les brides furent modifiées et directement bouclées sur les canons ! Les oreilles furent uniformément dirigées vers l’avant, les yeux vidés de leur expression et les veines où passait le feu des chevaux de Venise, effacées.
Le charme n’agit plus… c’est une bien pâle copie.
Lors de la première guerre mondiale, les chevaux de Saint Marc seront protégés à Rome au Château Saint-Ange et lors de la seconde ils seront abrités à l’abbaye bénédictine de Praglia puis dans les souterrains du palais ducal.
Ainsi que l’a écrit Jean Philippe Lecat « Les œuvres les plus belles sont souvent celles qui sont les plus menacées par les nuisances de notre monde moderne ».
L’un des chevaux, par la suite, sera exposé à Londres en 1979, à New york en 1980, à Mexico en 1981, puis à Paris au Grand Palais en 1981 également.
Nul ne sait si ce cheval souffrit d’être séparé de ses frères, ni s’il apprécia de revenir à Paris !
Quelques éléments descriptifs :
Les chevaux de Saint Marc sont pratiquement grandeur nature.
Hauteur : 233 cm, longueur : 253 cm, 171cm au garrot. Chacun d’entre eux pèse 900 kilos.
Ils ne sont pas ferrés, mais à l’époque romaine la ferrure n’était pas connue et a fortiori, chez les grecs non plus. Colliers, têtes et corps peuvent être séparés.
Ils sont zébrés de stries parallèles ou entrecroisées qui ne sont pas des actes de vandalisme, mais une sorte d’estompe, comme cela se fait en dessin, afin d’atténuer la brillance de l’or dont ils sont recouverts, sans doute pour ne pas ternir l’éclat du char qu’ils tiraient. Ces incisions sont emplies d’une patine noire faite de sulfure de cuivre et de fer.
Tels que nous les voyons, les mors ont été sectionnés au ras des lèvres. En bouche, ne subsistent que les canons. Les brides ont disparu mais leur forme reste visible parce que la dorure de l’ensemble a été faite après leur pose.
Les chevaux sont de bronze doré titré à 98% de cuivre. La prédominance du cuivre est grecque, mais les refontes et réutilisations successives des matériaux empêchent la datation ; des œuvres récentes peuvent ainsi avoir été réalisées avec des matériaux anciens. De surcroît, la fonderie d’art est la technique qui a le moins évolué au cours des siècles ce qui n’aide pas non plus à connaître l’époque à laquelle ils ont été coulés.
Les quatre chevaux possèdent quelques différences. Les analyses et diverses restaurations qui se sont succédées ont mis en évidence les cicatrices d’un certain nombre d’accidents ( jambes cassées, enfoncements, entre autres. )
Enfin, ils ont été dorés à la feuille d’or et à l’amalgame au mercure qu’utilisaient les romains parce que c’est une technique moins coûteuse en or.
Les grecs, eux, n’utilisaient pas la dorure à l’amalgame au mercure.
Alors… on aimerait penser que les chevaux de Venise sont grecs, mais ce seul argument devrait suffire pour affirmer qu’ils sont romains.
Dans les années 1990 il fut décidé de remplacer les chevaux du pronaos de Saint Marc par des copies, tant les originaux souffraient de la corrosion de l’air marin.
Des copies en fibre de polyester les ont remplacés. Voici leur photo, en attente de peinture, dans l’entrée de la basilique Saint Marc.
Restaurés, les originaux ont trouvé refuge à l’intérieur de la basilique où il est possible à présent de les approcher.
Les chevaux de Saint Marc sont l’une des plus pures merveilles nées du génie humain.
Qui a vu de près leur incroyable regard ne peut les quitter sans une insondable nostalgie.
Texte et photos Julie Wasselin
Photo du Carrousel : courtoisie
Vous trouverez un superbe texte et de nombreuses autres photos dans l'article:
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