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Jean-Louis Libourel
Le mot coupé vient du verbe couper dont l’une des significations est « retrancher pour faire disparaître » (Le Petit Larousse). Appliqué à une voiture ce mot exprime l’ablation, l’amputation, le manque. Il désigne un véhicule tronqué.
Pour faciliter leur manœuvre et leur circulation dans les ruelles étroites et tortueuses du vieux Paris, les carrossiers imaginèrent, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, de raccourcir les carrosses, alors monumentaux et d’une conduite malaisée. Pour ce faire, ils supprimèrent la partie antérieure de leur caisse, en avant des portières, et le siège qu’elle contenait. Le même traitement fut par la suite appliqué aux berlines. Au terme d’une lente évolution, ces disgracieux carrosses-coupés et berlines-coupées ont donné naissance à la voiture fermée la plus élégante et la plus moderne du XIXe siècle : le coupé, appelé aussi coupé de ville, coupé à housse, coupé rond, ou grand coupé pour le différencier du petit coupé carré apparu au cours des années 1830.
Les carrosses-coupés conservés sont très rares. Aucun n’existe plus, semble-t-il, de la deuxième moitié du XVIIe siècle, époque où ils furent inventés. Les plus anciens arrivés jusqu’à nous, une dizaine seulement, datent de la première moitié du XVIIIe siècle :
Carrosse-coupé des Meninos de Palhava, bâtards du roi Jean V de Portugal, deuxième quart du XVIIIe siècle (Lisbonne, Musée national des carrosses).
Malgré leur richesse décorative, identique en tous points à celle des carrosses et des berlines dont ils procédaient, les carrosses-coupés et berlines-coupées souffraient sur le plan esthétique d’un effet de manque dû à l’amputation de leur caisse qui détruisait la symétrie habituelle aux voitures. Ils n’étaient que des formes altérées du carrosse et de la berline.
.Berline-coupée de la famille de Bragance, milieu du XVIIIe siècle (Bruxelles, Musées Royaux d’Art et d’Histoire).
Confusément conscients de « ce manque », les carrossiers avaient tenté d’y remédier par l’adjonction d’un renflement et d’une surcharge ornementale au niveau des pieds corniers antérieurs (montants d’angles), ou en bombant le grand panneau sous la glace de devant. Peu esthétiques ces tentatives s’étaient révélées insatisfaisantes.
Carrosse-coupé, avec grand panneau de devant bombé, 1er quart du XVIIIe siècle (Indonésie, Palais royal de Surakarta).
Carrosse-coupé à surcharge décorative sur la face avant. Cadeau de Frédéric II de Prusse à la Tsarine Elizabeth, 1746 (Moscou, palais du Kremlin, Musée des Armures).
Et cela jusqu’à ce que les carrossiers aient le génie de modifier leur face antérieure tristement plane, en l’incurvant dans le bas et en la relevant comme une étrave de navire, fendant l’espace et entraînant irrésistiblement le corps tout entier de la voiture dans un mouvement en avant. A ce désagréable effet de manque succédait soudain, grâce à ce simple relèvement et à cette forme aiguë, un effet dynamique, générateur de beauté et d’élégance.
Ce profil typique des pieds corniers antérieurs des coupés, auxquels on a donné le nom de « pieds de coupés », produit un effet esthétique si fort que les carrossiers l’ont appliqué aux caisses de nombreux omnibus privés pour leur donner plus de légèreté, de nervosité.
Pied de coupé. Grand coupé du prince Luitpold de Bavière, attribué au carrossier Aloys Schreiner à Munich, 1845 (Munich, château de Nymphenburg, Marstallmuseum).
Le mot coupé, utilisé seul désormais, consacre l’achèvement de cette évolution formelle au terme de laquelle va triompher ce nouveau type de voiture au profil unique. A partir de ce moment, le coupé se caractérise par une caisse relevée en étrave acérée à l’avant et pleinement arrondie à l’arrière, toujours montée sur un train à flèche. Dès la fin du XVIIIe siècle, les ressorts les plus souples et les plus élégants de forme, les ressorts en C, lui confèrent grâce et perfection. Après l’invention du train à huit ressorts en 1818, le coupé ne sera pratiquement plus monté que sur cette suspension, réputée la plus confortable. Il est très souvent paré d’une housse de siège de cocher, ample et fréquemment enrichie de magnifiques passementeries.
Le premier Empire a produit de très beaux exemples de ce nouveau type de voiture, comme les deux coupés des carrossiers parisiens Aubry et Deloche, conservés au Musée national de la voiture à Compiègne, ou le splendide coupé du général Dupas, construit à Strasbourg par le carrossier Ritter, le charron Mühlbacher et le serrurier Firer, conservé dans un château de Haute-Savoie.
.Grand coupé rond à ressorts en C, d’époque premier empire, construit à Strasbourg par le carrossier Ritter et le charron Muhlbacher (France, collection privée
Leur forme est si réussie, leur volume si parfait, leur lignes si modernes, qu’ils préfigurent avec un siècle d’avance le design de quelques unes des plus audacieuses créations du prestigieux constructeur d’automobiles, Ettore Bugatti.
Sa forme moderne fait préférer le coupé à la berline, lourde, encombrante et pompeuse. Sa grâce majestueuse l’impose et lui assure un succès immense durant tout le XIXe siècle. Il est si beau qu’il figure désormais dans les cortèges les plus protocolaires, comme « le type du luxe le plus brillant et le plus riche » (Guillon : Méthode de l’architecte en voitures, 1856). Sur les 36 voitures de gala composant le cortège du mariage du roi d’Espagne Alphonse XII, le 26 novembre 1879, seize sont des Grands Coupés.
.V. Sabater : Cortège du mariage du roi d’Espagne Alphonse XII avec l’Archiduchesse Marie Christine d’Autriche le 29 novembre 1879, détail : Coupé du Président du Conseil des ministres et du ministre de la guerre.
V. Sabater : Cortège du mariage du roi d’Espagne Alphonse XII avec l’Archiduchesse Marie Christine d’Autriche le 29 novembre 1879, détail : Coupé de la Maison du Roi.
Il a la faveur des élites fortunées et devient la voiture de ville la plus distinguée, « indispensable pour les visites et les cérémonies » (N. Belvallette et E. Quenay : Rapport sur la carrosserie, le charronnage. Exposition universelle de 1878 à Paris, 1880). Archétype parfait de l’élégance hippomobile il est choisi par Brice Thomas, fondateur et rédacteur du Guide du carrossier, pour illustrer durant dix ans, de 1863 à 1873, la couverture de ce périodique professionnel paraissant tous les deux mois.
Le grand coupé existe sous différentes versions, urbaines et routières. Les plus luxueuses sont les versions de ville et de gala, destinées aux sorties en ville de la haute-société, ainsi qu’aux cortèges et cérémonies de cour.
Grand coupé de gala construit en 1872 par les Frères Binder en prévision du couronnement du comte de Chambord (Château de Chambord
Grand coupé de gala des princes de Fürstenberg, construit à Vienne par le carrossier Lohner (Donaueschingen, Château
Leurs attelages sont à deux chevaux, à quatre en grandes guides ou à la d’Aumont, à six chevaux, et même à huit pour l’empereur d’Autriche à Vienne.
Coupé de gala de l’empereur d’Autriche attelé à huit chevaux. Gouache de Mariza Büngener, 1912 (Vienne, Schönbrunn, Wagenburg).
Conçus pour les longues routes, les grands coupés de voyage ou de poste, notamment ceux qui peuvent se transformer en dormeuses, se caractérisent par leur construction robuste, la recherche du confort, et les aménagements astucieux pour tirer le meilleur parti de l’espace afin d’emmener le plus possible de bagages.
Le petit coupé de forme carrée, apparu dans le courant des années 1830, dérive du grand coupé. Pratique et économique, mais dénuée de toute véritable beauté, cette voiture étriquée n’est en rien comparable à la fière allure de son aristocratique parent.
Les grands coupés de ville conservés en France sont peu nombreux : moins de vingt dans les collections et musées publics, une dizaine dans les collections privées.
Où les voir ?
Beaucoup de musées, de collections, de châteaux, conservent un grand coupé à ressorts en C ou à huit ressorts. Il est plus rare de pouvoir en admirer plusieurs dans un même lieu. On peut ainsi en voir plusieurs réunis :
* Treize à Vienne (Autriche), au Palais de Schönbrunn
* Douze à Compiègne (France), au Musée National de la voiture et du tourisme
* Neuf à Vila Viçosa (Portugal), au Palais des ducs de Bragance
* Huit à Munich (Allemagne), au château de Nymphenburg
* Six à Copenhague (Danemark), aux Ecuries royales du Palais de Christiansborg
* Cinq exceptionnels carrosses-coupés du XVIIIe siècle, à Moscou (Russie), au Musée des armures du Kremlin.
* Quatre à Madrid (Espagne), au Museo de carruajes du Palais royal
* Quatre à Arlington Court (Angleterre), au National Trust Carriage Museum