Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.

Anglomanie et voitures hippomobiles françaises 1760-1880

Dans ses Mémoires sur la vie privée de Marie-Antoinette[1], madame Campan raconte « les voyages continuels de ce prince [le prince d’Orléans] en Angleterre avaient amené l’anglomanie à un tel degré, que l’on ne pouvait plus distinguer Paris de Londres. Le Français, constamment imité par l’Europe entière, devint tout à coup un peuple imitateur, sans songer au mal que l’on faisait aux arts et aux manufactures. Depuis le traité fait avec l’Angleterre, à la paix de 1763 (paix de Paris), non seulement les équipages, mais tout, jusqu’aux rubans et aux faïences communes, fut de fabrique anglaise ».

La mode et le goût pour tout ce qui est anglais se répandent à Paris et en France dès les années 1760 surtout parmi la jeunesse. Sébastien Mercier dans le tome VII du Tableau de Paris (1783, p.44) au chapitre « le fat à l’Anglaise » décrit avec ironie cet engouement pour l’Angleterre : « C’est aujourd’hui un ton parmi la jeunesse de copier l’Anglais dans son habillement []. Cependant aucun d’eux n’a vu l’Angleterre et n’entend un mot d’anglais []. Ainsi nous n’avons plus tant peur de nos ennemis ». Sauf peut-être des voitures « imitées des Anglais » telle que le whiski : « Elles (ces hautes voitures imitées des anglais) sont sur le pavé de Paris, incommodes, dangereuses, meurtrières, même pour celui qui les mène car elles vomissent souvent leur conducteur à raison de leur forme et de leur élévation »[2]. Et on se moque aisément de « ces jeunes gens qui , en redingote angloise, en bottes angloises, avec un chapeau anglois, suivi d’un jockey anglois dans un wiski à l’angloise passent et repassent dans les rues de Paris et vont comme s’ils allaient à la conquête du monde »[3].

 

[1] Publiées en 1849

[2] Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, t. IX, 1788, p. 266

[3] Journal de Paris, Lettre anonyme, 15 juillet 1785

 

Highperch phaéton, Directoire, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.1941

Highperch phaéton, Directoire, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.1941

Le Journal de Paris du 8 août 1786[1] ironise aussi « qu’il plaisante [mon heureux Critiq] de nos sublimes cabriolets faits sur le modèle du char de la fée Concombre, de vains efforts de nos jeunes gens qui s’enflent la gorge et s’étranglent les cuisses et les poignets sans pouvoir acquérir l’air gauche et rogne d’un jeune Anglais ». Dans un article consacré à l’anglomanie, le Réveil de l’Aisne du 1er juillet 1904 rappelle l’anecdote rapportée par madame de Genlis dans ses Mémoires : « M. de Nedonchel trottait à côté du carrosse du roi et éclaboussait la tête du roi quand celui-ci la sortait par la fenêtre. Le roi dit à M. de Nedonchel « vous me crottez ». M. de Nédonchel répondit « Oui, sire à l’Anglaise ». Il avait compris « vous trottez ». Le roi aurait alors dit « Voilà un trait d’anglomanie qui est un peu fort ».

 

[1] Journal de Paris, 8 août 1786, p. 3-4.

Highperch phaéton, fin du XVIIIe siècle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.720

Highperch phaéton, fin du XVIIIe siècle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.720

Dans les années 1760, la carrosserie française est encore une référence, mais après la paix de 1763, de jeunes aristocrates prennent la route de l’Angleterre et y découvrent les voitures anglaises, légères, confortables, rapides. Les pratiques anglaises deviennent à la mode ; l’anglomanie est générale et touche l’hippomobile même si la production d'outre-Manche est moquée et critiquée. La Révolution française affaiblit considérablement l’industrie de la carrosserie française tandis que les innovations se multiplient en Angleterre parallèlement au développement industriel et commercial que connait alors ce pays. Malgré quelques résistances et rejets pendant les années impériales, la carrosserie anglaise domine alors le marché et le goût ; elle devient un modèle au-delà du dessin des voitures ou de leur technologie innovante pour tous les carrossiers français. Felton l’affirme d’ailleurs dès 1794 dans son traité tandis que les délégués français à l’Exposition Universelle de Londres de 1862 n’hésitent pas à déclarer que « la carrosserie anglaise effaçait (alors) la carrosserie française »[1], laquelle cependant, certes sous l’influence de l’Angleterre, connait une renaissance progressive, s’appuyant sur ses points forts. Le duc de Conegliano loue la réputation désormais irréprochable et universelle des Écuries Impériales de "suprême élégance", précisant que "le commerce parisien profitait largement de l'admiration des étrangers pour les équipages de l'Empereur Napoléon III. De tous les pays du monde, des commandes étaient faites aux carrossiers et selliers de Paris, et surtout aux fournisseurs de la Cour Impériale : les maisons Ehrler, Roduwart, Brune...Le Sultan, le Vice-Roi d’Égypte ne voulaient que des voitures françaises. Le Prince de Galles lui-même, à cette époque, commanda plusieurs voitures à Paris. La carrosserie et la sellerie anglaises avaient perdu de leur prestige indiscutable jusque-là, et c'était justice, car si le commerce londonien fait solide, les fabricants français font tout aussi résistant et avec une élégance que n'ont jamais pu égaler les carrossiers et selliers de Londres. Malheureusement, après 1870, les riches étrangers, et sans que cela fût justifié, reprirent les habitudes d'autrefois et firent de nouveau leurs commandes au commerce anglais ; on ne peut expliquer ce changement si regrettable pour nos commerçants et nos ouvriers que par l'absence d'une Cour, qui donnait par ses équipages des exemples du bon goût et de grand et pour style". Les rapports des expositions universelles et internationales comme les articles notamment du Guide du carrossier viennent cependant nuancer voire contredire cette dernière affirmation, la carrosserie et la sellerie françaises redevenant une référence dès les années 1870.

 

[1] Guide du Carrossier, 15 février 1879, p. 9, Rapport sur l’industrie de la carrosserie par M.M. les délégués de la Chambre syndicale des Menuisiers en voiture de Paris [par Maximilien Cars], Paris, 1878, citant le rapport des délégués de l’exposition universelle de 1862, p. 16.

Tauzin fils, N°2 Elévation du profil géométrl d'un vis-à-vis anglais, les brancards en ferre (sic). L'avant train à mouffle. Dessin original colorié de Tauzin, 1783. Encre de Chine, aquarelle. Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.711

Tauzin fils, N°2 Elévation du profil géométrl d'un vis-à-vis anglais, les brancards en ferre (sic). L'avant train à mouffle. Dessin original colorié de Tauzin, 1783. Encre de Chine, aquarelle. Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.711

  1. L’anglomanie saisit la France dès les années 1760

11- Un engouement affirmé pour les voitures anglaises

111- Des signes précurseurs dans les années 1760

La fureur anglomane s’empare des modes parisiennes dès la seconde moitié du XVIIIe siècle. La redingote des cavaliers ou riding-coat, franchit la Manche sous Louis XV, le frac et le chapeau rond arrivent sous le règne de Louis XVI[1]. Gravelot, un dessinateur français de retour de Londres à Paris en 1754 introduit la mode des robes à l’anglaise, et Louis-Sébastien Mercier en fait état dans son Tableau de Paris[2], tout en précisant qu’il ne faut pas imiter l’attitude anglaise. Le Cabinet des dames et des modes, première revue de mode à la diffusion régulière (1785-1786) consacre une planche à la mode anglaise et une autre aux voitures à la mode. Ainsi dans son numéro du 15 avril 1786, la planche II reproduit un vis-à-vis à l’Angloise avec le commentaire suivant : « Il est inouï avec quelle rapidité les voitures Angloises ont pris dans Paris. On en voit plus guère à la mode françoise. Il faut convenir que celles que l’on fait actuellement sont plus légères et d’une forme bien plus élégante. Mais un hommage que nous devons au goût des François, c’est d’avouer lorsqu’ils copient les Etrangers, ils les copient en maitres. Ils réforment, ils corrigent ce qu’ils adoptent. Les premières voitures Angloises, qui ont entré en France, étoient de grandes Berlines lourdes et pesantes, capables de contenir une nombreuse famille. Nos François, tout en prenant leur forme, les ont faites légères, déliées et propres à un usage journalier, c’est-à-dire, à contenir deux ou quatre personnes tout au plus »[3].

 

[1] La mode anglomane au XVIIIe siècle, Gallica, 11 mars 2020

[2] Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, t.VII, 1783, p. 44-47 et p. 272

[3] 11e cahier, cité par Catherine Rommelaere, Voitures et Carrosseries aux XVIIIe et XIXe siècles. La Belgique face à l’Angleterre et la France, Bruxelles, 2004, p. 49.

 

Duhamel, Cabinet des dames et des modes, 15 avril 1786, pl. II, Paris, BnF, Gallica

Duhamel, Cabinet des dames et des modes, 15 avril 1786, pl. II, Paris, BnF, Gallica

Les archives de Max Terrier recensent de nombreuses mentions de ces voitures à l’anglaise dès les années 1760. Dans ses Mémoires, le duc de Croy souligne en 1767 « le goût des voitures anglaises » et signale que « mon fils avait amené la première avant la paix » soit 1763 : « [En 1767] on remarquait les quantités de selliers et de nouveaux équipages, le goût des voitures anglaises, dont mon fils avait amené la première avant la paix ». Célestin Port signale également qu’entre 1763 et 1766, le duc de Choiseul avait acquis pour 4000 livres « une berline grise à l’anglaise ».  En 1767, le marquis de Marigny commande au sellier carrossier bruxellois Simons, une berline à l’anglaise (dessin conservé dans la collection Hermès). La dépense est approuvée le 20 novembre 1767 comme l’indique la mention du dessin : « approuvé le dessein cy-contre suivant le prix convenu entre nous, à condition que les deux brancards ne seront élevé de terre que de la hauteur de treize pouces de France »[1]. Rudolf Wackernagel attribue ce dessin à Jean-François Chopard[2] qui à son avis n’a pas intégré les caractères anglais des voitures puisqu’il met des marchepieds semblables à ceux des berlines à la française et les fixe à la caisse. Certes, dans les années 1760, la carrosserie française demeure une référence, mais la carrosserie anglaise commence à bénéficier d’une bonne réputation. Le Cabinet des Modes s’en fait l’écho.

 

[1] Archives de Max Terrier

[2] Rudolf Wackernagel, p. 213, note 654, pl. XXVId

112- Le Cabinet des Modes, diffuseur des modes anglaises

Dans son numéro du 20 août 1787[1], le Cabinet des Modes signale que la mode copie même les défauts des voitures anglaises : « Nous disions des François, lorsqu’ils adoptoient les modes de leurs voisins, les voitures par exemple, en corrigeoient le vicieux (si elles étoient lourdes, il les allégèrent) nous ne pensions qu’un jour viendroit où nous serions obligés de nous rétracter et de dire que souvent aussi ils copient jusqu’aux défauts et que même ils les chargent. Ces mêmes berlines, ces vastes berlines que les Anglais ont inventées et que nous pouvions dire alors que nos François avoient allégées en les copiant, nos François les ont adoptées dans leur étendue, avec tout leur poids, avec toute leur décoration. La Mode est capricieuse [] nous ne savions si c’est l’effet de ce caprice, mais aujourd’hui, cette grande forme des voitures que nous blamions, nous paroit belle, majestueuse. Nous y trouvons des beautés, ou qui ne nous avoient point frappés, ou que nous ne paraissions point en être. Nous sommes tout disposés à la louer ».

La berline Angloise semble recevoir une forme de validation par les arbitres du goût parisien.

 

[1] Cabinet des Modes, n°28, pl. II, p. 218.

Jean-Mart Will, Carrosses à la nouvelle mode anglaise, fin du XVIIIe siècle, gravure. Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3702.2 et 3
Jean-Mart Will, Carrosses à la nouvelle mode anglaise, fin du XVIIIe siècle, gravure. Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3702.2 et 3

Jean-Mart Will, Carrosses à la nouvelle mode anglaise, fin du XVIIIe siècle, gravure. Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3702.2 et 3

Le Cabinet des Modes consacre aussi de nombreuses pages à une autre voiture que Mercier condamne avec ardeur : le whisket. Les voitures anglaises nous apprend l’auteur de l’article consacré à ce véhicule,[1] sont plus élevées que les autres voitures : « Tant que les voitures Angloises ont conservé une élévation raisonnable, on ne les a point imitées. Du moment où quelques étourdis de Londres en ont imaginé de ridicules, on s’est empressés de les adopter. On a surtout donné la préférence aux plus meurtrières, aux plus incommodes, mais aux plus rapides de ces chaises, que les Anglois nomment whisket. Il est réellement triste de voir ces femmes guindées de mauvaise grâce sur ces coquilles, donnent la torture à leurs chevaux, à leur jockei et le faisant éprouver souvent à l’infanterie qui ne peut atteindre leur vélocité ». Les accidents sont donc nombreux. Le whisket se décline en version chasse et pavane à Longchamp en juin 1788 : « L’année dernière c’était les calèches (ancienne mode Françoise) ; celle-ci c’étoit les whiskhets de chasse (nouvelle mode Angloise) ». Il est de nouveau à la mode en 1789 si on en croit l’édition du 11 juillet 1789[2] : il présente encore « une hauteur démesurée. C’est une petite caisse sans impériale, suspendue à des ressorts très élevés, attelée à deux chevaux ». C’est à la promenade de Longchamp que sont exhibées les voitures nouvelles. Dans son numéro du 1er septembre 1789[3], le Cabinet des Modes cite un « phaéton-calèche » [] qui s’est fait voir à Longchamp, a paru si agréable qu’il a été adopté sur le champ ». Il est haut, léger, attelé à deux ou quatre chevaux. Une longue caisse d’une forme ovale est élevée très haut sur un très long train. « Des points d’appui s’élèvent très hauts des piliers qui portent une impériale, qui couvre, même au-delà toute la longueur de la caisse. On arrive à cette caisse par des marche-pieds à triple étage [] ou par des marche-pieds placés par devant sur les moyeux des petites roues et sur le train []. Toute élévation doit venir des ressorts. Il faut, comme on le fait, que la caisse se détache bien du brancard ». Louis-Sébastien Mercier les condamne sévèrement dans son Tableau de Paris[4] et estime que les whiskis et les cabriolets coûtent la vie « à près de deux cents hommes et la législation si volumineuse sur l’article des impôts, ne s’éveilleroit pas sur ces barbaries de quelques riches ». Il a même été lui-même témoin d’un accident mettant en cause un whiski qui a tué une femme et un prêtre le jour de Pâques 1788, « en un clin d’œil ».

 

[1] Cabinet des Modes, n°30, 10 septembre 1787, pl. III, p. 237-238.

[2] Cabinet des Modes, n°23, 11 juillet 1789, p. 177-178.

[3] Cabinet des Modes, 1er septembre 1789, p. 210, pl. II et III.

[4] Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, t. IX, 1788, p. 266 et 269.

Diligence ou coupé à l'anglaise, Cabinet des dames et des modes, 10 février 1787, Paris, BnF, Gallica ;  Le whisket et le phaéton calèche, Cabinet des dames et des modes, Septembre  1789, Paris, BnF, Gallica
Diligence ou coupé à l'anglaise, Cabinet des dames et des modes, 10 février 1787, Paris, BnF, Gallica ;  Le whisket et le phaéton calèche, Cabinet des dames et des modes, Septembre  1789, Paris, BnF, GallicaDiligence ou coupé à l'anglaise, Cabinet des dames et des modes, 10 février 1787, Paris, BnF, Gallica ;  Le whisket et le phaéton calèche, Cabinet des dames et des modes, Septembre  1789, Paris, BnF, Gallica

Diligence ou coupé à l'anglaise, Cabinet des dames et des modes, 10 février 1787, Paris, BnF, Gallica ; Le whisket et le phaéton calèche, Cabinet des dames et des modes, Septembre 1789, Paris, BnF, Gallica

La mode privilégie les formes légères, souples, le confort des suspensions à la richesse d’un décor ostentatoire ; les propriétaires veulent mener eux-mêmes et s’adonner à un plaisir sportif que les pratiques anglaises ont introduit en France. Les carrossiers anglais ont inventé de nouvelles voitures surtout à deux roues qui envahissent le marché dès le dernier tiers du XVIIIe siècle comme le gig, le whisky ou encore le tandem cart, le high flyer phaéton, le high perch phaéton, le craneneck phaéton sont de pures inventions des carrossiers anglais[1].

Les modèles anglais sont certes qualifiés de dangereux voire ridicules, mais ils sont appréciés et connaissent un franc succès de style et commercial, ce qui les expose à la règlementation et à la critique.

 

[1] Jean-Louis Libourel, Dictionnaire typologique et technique. Voitures hippomobiles, Paris, 2005, p.102, 133, 137.

Cabriolet, Cabinet des dames et des modes, Janvier  1789, Paris, BnF, Gallica

Cabriolet, Cabinet des dames et des modes, Janvier 1789, Paris, BnF, Gallica

12- Un accueil enthousiaste mais critiqué et condamné

121- Les voitures anglaises, une concurrence à juguler

Si dans le dernier tiers du siècle, les voitures françaises dominent encore le marché, la concurrence des voitures anglaises se fait plus importante et menaçante. On tente donc d’en limiter l’attractivité et la diffusion par de classiques mesures douanières. L’arrêt du Conseil d’Etat du Roi du 13 novembre 1785 qui fixe les droits qui seront perçus sur les voitures étrangères à leur entrée dans le Royaume[1] qui concerne particulièrement les véhicules importés d’Angleterre. Cet arrêt est modifié par celui du 5 juin 1786[2] qui affranchit de la consignation les voitures étrangères qui entrent dans le Royaume « sans indice qu’elles doivent y être vendues ».

 

122- Aux mesures douanières s’ajoutent des condamnations stylistiques et techniques

Il est d’abord reproché aux voitures anglaises leur manque de goût et de style. Roubo en fait une violente critique dans son traité de 1771, l’Art du menuisier en carrosserie, 3e partie. Il décrit la caisse de la diligence à l’Anglaise comme « presque carrée par le haut » et peu cintrée[3] sur les côtés. « Elles n’ont point de glaces de custode, ni même de montants de crosse apparents, et la glace de devant est ordinairement divisée en deux parties qui coulent indépendamment l’une de l’autre, étant divisée par un montant, derrière lequel est placé un coulisseau double ». Il ne comprend d’ailleurs pas pourquoi les voitures à l’Angloise sont à la mode car « elles n’ont ni belle forme ni aucune grâce, ressemblant plutôt à un coffre percé de plusieurs trous, qu’à une caisse de voiture ; mais il suffit que l’invention de ces voitures nous vienne d’Angleterre, pour que tout le monde en ait ou veuille en avoir, comme s’il existoit quelque loi qui nous obligeât d’être les serviles imitateurs d’une Nation rivale de la Nôtre, qui, quoique très respectable et imitable à bien des égards, ne pourra jamais l’être pour les ouvrages de goût en général et surtout pour la partie dont je traite. Ces voitures ne devraient, à mon avis, être d’usage qu’à la campagne, ou leur grande légèreté et leur peu de hauteur qui le rend moins sujettes aux coups de côté que les autres. Les trains de ces voitures sont toujours à flèche, soit simple soit doubles, ce qui oblige à les suspendre sur les ressorts et cela en augmente la douceur ».

 

[1] Paris, Imprimerie royale, in-4°, 3p.

[2] Paris, P.-G. Simon et N.-H. Nyon, in-4°, 3p.

[3] Roubo, L’Art du Menuisier en Carrosserie, Paris, 1771, p. 577-578 et voir l’analyse de Catherine Rommelaere, op. cit., p. 47 et suiv.

La Mésangère, Meubles et objets de goût : Cabriolet à tablier, début du XIXe siècle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3003.9 ; CMV.3003.5
La Mésangère, Meubles et objets de goût : Cabriolet à tablier, début du XIXe siècle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3003.9 ; CMV.3003.5

La Mésangère, Meubles et objets de goût : Cabriolet à tablier, début du XIXe siècle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3003.9 ; CMV.3003.5

124- A quoi ressemblent ces voitures que Roubo critique

Le Magasin des Modes nouvelles françoises et angloises donne une description de la berline Angloise[1]qui est reproduite dans le magazine : « La berline Angloise représentée est montée très haut, suspendue, par de très fortes soupentes piquées en fils de couleur, à très forts ressorts à ornemens, peints en rouge. Cette berline est très large, et capable de contenir aisément six personnes. La caisse, jusqu’aux points d’appui, est vernie et peintes à larges raies bleuâtres et roses à liserets blancs, enfermées dans de très larges bordures faites en or de couleur : depuis les points d’appui jusqu’au faîte, elle est couverte de cuirs noirs très luisans et ornée d’agraphes et de grandes S en argent []. Le train est tout entier en fer. Il est peint en rouge, de même que les autres ferrures, et que les roues. Les guindages pour tenir la voiture bien assise lesquels sont attachés au train et à la caisse sont d’un cuir très poli. Le siège du Cocher, élevé jusqu’à la hauteur du faîte de l’impériale, est porté sur quatre piliers en fer, dont deux sont recourbés. Ces fers sont aussi peints en rouge, comme le train, les roues et les ferrures. Ce siège est couvert d’un drap rouge, orné d’un double rang de longues franges roses et blanches appliqué l’un en haut du siège, et l’autre au bas du drap retombé. Le marche-pied du Cocher est peint en rouge et porté par deux pilliers de fer à demi renversés. Celui des laquais par derrière, est couvert d’un cuir très luisant. On enferme dans la voiture le marche-pied par lequel on y monte ».

Dans les mêmes années sont publiées par les dessinateurs, diverses planches dont certaines reproduisent des véhicules dits à l’Angloise. Ainsi le Cahier de six berlines à l’Angloise par Janel, P.-P. Choffard et Chéreau (1780) et le Cahier des voitures dessinées par Moreau et gravées par Juillet[2] qui inclut la représentation d’une diligence angloise montée à la Polignac (2e cahier, n°8), et une berline moderne montée sur soupentes à cric, dont la caisse présente toute l’angularité décrite par Roubo (2e cahier, n°10).

 

[1] Magasin des Modes nouvelles françoises et angloises, n°28, 20 août 1787, pl. II, p. 218 et suiv..

[2] BnF, département des Estampes, Ld.14. Citons également une diligence angloise montée à la Polignac s’ouvrant derrière et devant en forme de cabriolet (2e cahier, n°16) dont la caisse est moins massive, une autre diligence angloise montée à la polignac, au dessin en S sur les côtés (2e cahier, n°20).

Berline à l’Angloise, Cabinet des dames et des modes, 20 août 1787, Paris, BnF, Gallica

Berline à l’Angloise, Cabinet des dames et des modes, 20 août 1787, Paris, BnF, Gallica

Plusieurs caractéristiques se dégagent de ces descriptions : d’abord les carrossiers anglais privilégient le confort (« la douceur des ressorts »), les aspects pratiques comme les glaces coulissantes indépendantes à l’avant, les marchepieds à mouvements, repliables à l’intérieur de la voiture avant d’être encastrées dans le bas de la portière à partir du début du XIXe siècle. Les caisses ont en effet une forme plus évasée vers le bas, comme le montrent plusieurs planches gravées par A. Webley publiées en 1763, les impériales sont peu bombées, parfois courbées vers l’arrière, les corniches sont rectilignes, comme les ceintures, aux angles, un enroulement rappelle celui des gouttières du XVIIe siècle, tandis que les galeries sont absentes, remplacées par des pommes de petite taille.

Mais les voitures anglaises demeurent selon Roubo peu esthétiques. Il considère qu’elles ne peuvent être d’usage qu’à la campagne. Grâce à leur sens du commerce et de l’industrie, ainsi qu’à leur empire naissant et une politique efficace d’encouragement à l’innovation menée dès les années 1770 par la Society of Arts, la carrosserie anglaise domine dès la fin du XVIIIe siècle le marché et impose son style. La ruine de la carrosserie française suite à la Révolution favorise cette hégémonie grandissante. Felton l’affirme humblement dans les « Observations » de son traité en carrosserie (1794) : « By this time, London had become one of the most, if not the most respected centers of coachmaking in the world, with royalty from Europe ordering their finest vehicles from such well-known artisans as John Hatchett who was leader of the Coachmaking Company in the 1780s ».

Moreau, Juillet, Modèles de voitures, Paris, vers 1780, pl. 10,  Paris, BnF, Gallica
Moreau, Juillet, Modèles de voitures, Paris, vers 1780, pl. 10,  Paris, BnF, Gallica

Moreau, Juillet, Modèles de voitures, Paris, vers 1780, pl. 10, Paris, BnF, Gallica

13- A la fin du XVIIIe siècle, la carrosserie anglaise domine le marché et impose son style

131- Elle perd son principal concurrent

Certes, l’influence de la carrosserie anglaise avait progressé avant la Révolution française, et le caractère confortable et solide de sa production, s’imposait déjà pour certains véhicules. Mais, comme le précise Georg Kugler[1] : « L’exemple français eut des retentissements à travers toute l’Europe [au XVIIIe siècle], du Portugal à la Russie et jusqu’au fin fond de la plus insignifiante des principautés allemandes. Tout comme les meubles et les tapisseries, les carrosseries étaient commandées à Paris qui demeura longtemps sans équivalent pour ce qui est du goût et de la qualité ». La Révolution a ruiné la carrosserie française, jugée inférieure à ses principales concurrentes pendant les premières années du XIXe siècle ; Brice Thomas dans son Traité de Carrosserie de 1870 estime que la carrosserie française n’occupait que la 4e position derrière l’Angleterre, Bruxelles et La Haye[2], ces deux villes ayant encore en 1830, une plus grande renommée de Paris ».

 

132- L’ascension de la carrosserie anglaise fut certes facilitée par la chute de son principal concurrent, mais elle sut surtout innover autant techniquement qu’esthétiquement et commercialement. Dès les années 1770 en effet, les innovations sont encouragées par la Society of Arts et de nombreux carrossiers anglais furent à l’origine d’innovations qui offrirent aux voitures d’outre-Manche une excellente réputation. Dans son History of Coaches, G.-A. Thrupp (1877) explique qu’en 1769, la Society of Arts a donné 60 guinéas à M.T. Hunt pour l’amélioration qu’il a apportée au tyring wheels et 20 guinéas à M. Joseph Jacob pour ses improved coach springs. En 1772, la Society of Arts a octroyé 20 guinéas à M. W. Bailly pour avoir amélioré les locking of waggons et en 1773, elle récompense de 15 guinéas M. Cuthbert pour essai sur la hauteur des roues. Toutefois la principale innovation des années 1770-1790 est celle de John Hatchett qui fut largement copiée par les autres carrossiers. L’industrie anglaise adopta les ressorts en acier sous diverses formes dont les ressorts en S et en diversifia l’utilisation[3].

En 1805, Obadiah Elliot, carrossier à Lambeth met au point les ressorts à pincettes qui se généralisent dans les années 1830, même si Ackermann en diffuse le modèle dès 1816[4]. Ce ressort permet des combinaisons nouvelles et de transformer le montage. La même année, Edgeworth a conduit plusieurs recherches sur les hautes et petites roues, et sur les ressorts placés entre les axes. Le mécanicien Collinge remplace l’essieu à graisse d’un entretien coûteux et sale, par l’essieu à huile[5].

A ces innovations techniques, s’ajoutent des modèles inédits de voitures comme le briska, mise au point par T.-G. Adam vers 1818 et construite sur des ressorts à pincettes et en C. Ces nouveautés connurent un certain succès dans les années 1824-1840. Par ailleurs, l’usage des voitures à deux roues, pour lesquelles les Anglais se montrent particulièrement inventifs, se généralise.

Les carrossiers anglais sauront diffuser très largement leurs modèles. The Treatise on carriages (1794-1796) de William Felton en constitue un exemple significatif. Son traité succède à celui de A. Welbey de 1763, Nobleman and Gentlman’s Director and Assistant in the True Choice of their Whell-Carriages qui incluent une trentaine de planches de voitures et qui s’adresse autant aux carrossiers qu’aux fabricants de ressorts, ainsi qu’au traité de Thomas Chippendale de 1754 et du dessinateur George Hepplewhite de 1788 qui eurent aussi une influence significative sur la production carrossière. Le traité de Felton inclut de nombreux exemples de voitures de nature assez variée, dont plusieurs modèles de phaétons, de voitures à deux roues et un landau, modèle qui apparait pour la première fois dans un ouvrage dédié à la carrosserie[6]. Il est aussi le premier à publier le ressort à boudin, très à la mode sous l’Empire.

Rudolf Ackermann (1754-1834) qui s’installe à Londres à la fin du XVIIIe siècle (1795) connait une certaine renommée pour ses dessins de voitures. L’année suivante il publie un ouvrage riche de nombreux tracés techniques. Il dessine divers linéaments de voitures, comme en 1804 un projet pour la voiture du sacre de Napoléon 1er. Ce recueil inclut parfois des innovations, comme en 1800 un système de capote pour landau. Ackermann était en contact avec un réseau de carrossiers européens dont Joseph Lankensperger qui dépose à Munich un brevet en 1816 relatif à un système directionnel pour voiture. Ackermann se charge de sa protection à Londres en 1817 et diffuse cette invention par ses modèles de voitures. Ce système qui sera repris à la fin du XIXe siècle notamment par Amédée Bollée père pour l’Obéissante et la Mancelle[7].

A la fin du XVIIIe siècle, la carrosserie anglaise domine donc la production européenne. Felton l’énonce clairement : « The superior excellence of English Workmanship in the construction of carriages, has not only been the occasion of a very great increase in their number among the inhabitants of this country, but the exportation of them to foreign nationas, in time of peace, is become a considerable and profitable branche of British commerce »[8].

 

[1] Cité par Jean-Louis Libourel, op. cit., p. 36.

[2] Brice Thomas, Traité de carrosserie, 1870, t. I, p. 3.

[3] Max Terrier, « L’invention des ressorts de voiture », dans Revue d’histoire des sciences, 1986, 39-1, p. 30.

[4] Dans son modèle de landaulet sur des ressorts elliptiques.

[5] Belvalette et Quenay, Rapport sur la carrosserie et le charronnage, classe 62, groupe IV, Paris, 1880, p. 6.

[6] Figoli, « Image d’un siècle de carrosserie, 1756-1855 », attelage-patrimoine, partie I, 11 février 2013.

[7] Figoli, « Ackermann, Lankensperger, origine de la direction automobile, attelage-patrimoine, 18 février 2014.

[8] William Felton, A treatise on carriages…, Londres 1794-1796, p. I et II.

William Felton, Treatise on carriages, Londres, 1794-1796, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2022.001

William Felton, Treatise on carriages, Londres, 1794-1796, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2022.001

  1. La carrosserie anglaise inspire la carrosserie française pendant la première moitié du XIXe siècle

21- Malgré l’hostilité impériale

Les voitures anglaises inspirent les créations françaises malgré une certaine hostilité et la concurrence des berlines dites boule. Dans le numéro 43 du 5 floréal an X (1802)[1], le Journal des Dames et des Modes en souligne certes certaines commodités, mais en condamne la « mauvaise grâce » : « Ah ! Voici nos modèles, voici des voitures anglaises. Il est évident qu’on a voulu réunir les commodités de la chaise – à porteurs [] et du carrosse. Elles sont remarquables par un fini précieux que les Anglois mettent à tout ce qu’ils font, et par ma grande prévoyance pour imaginer tout ce qui, dans les détails peut être plus commode et plus utile ; mais ces voitures ont mauvaise grâce ; tout y est hors de proportion. Cette grosse caisse qui traine à terre, ces petites roues qui portent une énorme voiture, ces grands laquais qui pourraient jouer aux cartes, au domino sur l’impériale. Tout cela offre à l’œil une telle disproportion qu’il est impossible de n’en être pas choqué. Quelle différence entre ces grotesques équipages et nos élégantes diligences ! Quelles proportions ! Quelle légèreté ! ».

La forme plus anguleuse des voitures anglaises concurrence les formes plus arrondies des berlines boule. Max Terrier le souligne dans ses notes quand il analyse les livres publiés par Ackermann entre 1791 et 1804[2]. Il met en exergue la mode des voitures hautes et évasées pendant les années 1794 (2e livre) ; entre les 4e et 5e livres (1797 et 1799), Ackermann décrit une nouvelle forme : les panneaux supérieurs sont plus proéminents que les panneaux inférieurs. Il souligne l’abandon progressif des ressorts en S et l’adoption des ressorts en C ou à fouet, à la fois pour leur esthétique que pour la sécurité. Les caisses s’abaissent et basculent à l’arrière. Les couleurs sombres s’imposent alors même si le jaune et le rouge restent appréciés. Dans le 6e livre (1800), Ackermann précise que la dernière mode est aux voitures basses, dont la caisse bascule encore vers l’arrière, et dont le profil est légèrement convexe avec un élargissement de la caisse au niveau des accotoirs (the projecting elbows). Ackermann insiste sur le caractère très novateur de ces structures permettant de dégager un espace plus vaste pour les occupants dans la partie haute de la caisse.

Ces formes apparaissent après 1800 en France, concurrençant les berlines boule. Un article de l’Almanach des Modes de 1815[3] montre que les modes anglaises se sont finalement imposées mais l’auteur reste nuancé : « Les caisses de voitures sont moins rondes qu’autrefois, et plus élevées sur leurs ressorts ; les panneaux de portières sont aussi plus hauts. L’intérieur est doublé de drap blanc, bleu, bouton d’or, et quelque fois gris et entouré de galons de soie très-beaux. Il est garni et matelassé de manière à ce qu’on ne sente jamais la caisse. A l’extérieur, les caisses sont peintes en jonquille, gros bleu, vert d’eau et vert olive ; cette dernière couleur est la plus distinguée en ce moment. Les panneaux sont toujours unis. Ils ne reçoivent jamais d’autres ornements qu’un chiffre ou un écu armorié. Quelques carrossiers avaient essayé de ressusciter les anciennes galeries autour de l’impériale pour les voitures de cérémonie, mais cette tentative n’a point réussi : on a trouvé que cette galerie leur donnait un air gothique. En principe le train est toujours d’une couleur différente de celle de la caisse. Les sièges des cochers varient de forme. Quel que soit celle qu’on adopte, ils doivent être élégamment décorés. En hiver, on remplace la housse de drap par une housse de peau d’ours à quatre griffes d’argent ».

 

[1] Journal des Dames et des Modes, 1802, n°43, p. 342.

[2] BnF, département des Estampes, Ld.17 et Ld.17a, incomplète.

[3] De Contades, p. 125 et suiv.

Berline, Premier Empire, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.4 (copyrights RMN-GP, Michel Urtado)

Berline, Premier Empire, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.4 (copyrights RMN-GP, Michel Urtado)

La Mésangère, Voiture riche coupée, Meuble et Objets de goût, s. d., Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.697.6

La Mésangère, Voiture riche coupée, Meuble et Objets de goût, s. d., Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.697.6

22- Des produits innovants et qualitatifs

221- Pendant le premier tiers du XIXe siècle, la carrosserie française est peu dynamique. En 1800, Paris compte 163 selliers carrossiers, 177 en 1810, 235 en 1820 auxquels il faut ajouter 46 peintres en voitures[1]. La carrosserie n’apparait pas lors des Expositions des Produits de l’Industrie nationale avant celle de 1839[2]. Le rapport du jury de celle de 1849 le souligne d’ailleurs en introduction du chapitre consacré à la carrosserie : "il y a 40 ans à peine, la carrosserie française n’existait en quelque sorte pas ; on ne citait pas de voiture solide qui ne vint de Belgique, de voiture légère qui ne vint d’Allemagne, de voiture de luxe élégante et confortable qui ne vint de Londres []. L’Angleterre seule nous guide encore pour l’élégance des voitures de luxe, leur bonne exécution et le soin minutieux de leurs détails. Quant à la carrosserie ordinaire de ce pays, nous pouvons soutenir la comparaison, et nous sommes certains que le bon goût de nos constructeurs les préservera de l’imitation des excentricités dans lesquelles elle se jette aujourd’hui [...]. De plus, il [le carrossier français] est dans l’habitude de faire son voyage à Londres, il en rapporte des formes nouvelles, inconnues ou peu répandues, et, dans son intérêt, craint de donner à ses confrères l’exemple de ces dispositions, soit qu’il les doive à ses observations, soit que, inspiré par ce qu’il a vu elles lui appartiennent en propre »[3].

 

[1] Almanach du Commerce, 1800-1820, cité par Jean-Louis Libourel, op. cit., p. 38.

[2] Rapport du jury central, t.II, 1839, p. 146 et suiv.

[3] Rapport du jury central sur les produits de l’Agriculture et de l’industrie exposés en 1849, Paris, 1850, t. II, p. 192-193.

William Felton, A treatise on carriages, 1794-1796, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2022.001
William Felton, A treatise on carriages, 1794-1796, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2022.001
William Felton, A treatise on carriages, 1794-1796, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2022.001

William Felton, A treatise on carriages, 1794-1796, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2022.001

222- La carrosserie anglaise témoigne en effet au cours du premier tiers du XIXe siècle d’un dynamisme important ; le nombre de nouvelles voitures inventées en témoigne. Mises au point outre-Manche, elles sont devenues incontournables en France. Le landau, que Felton est le premier à décrire est ainsi décrié par l’Almanach des Modes en 1815[1] : « le landau qui tient à la fois de la berline et de la calèche, est une voiture de genre bâtard passablement ridicule []. Ce genre de voiture fait fureur à Londres en ce moment. Espérons qu’à Paris, nous saurons résister à ce mauvais goût ». Le Journal des Carrossiers du 15 juillet 1895[2] se penche quant à lui sur les origines du coupé (brougham). Thrupp, dit l’auteur de l’article, affirme que son origine est le cab. Lord Brougham en revendique comme le carrossier Robinson, l’invention. Le milord reçut sa forme définitive dans l’atelier du carrossier londonien David Davis en 1835[3]. Le mail-phaéton qui est apparu en Angleterre au début du XIXe siècle, est particulièrement apprécié des meneurs et amateurs de driving[4]. Le dog-cart, dont on doit chercher l’étymologie dans « l’usage que nos voisins font de cette petite voiture de chasse, destinée non seulement à transporter des chasseurs , mais surtout les chiens d’arrêt et de chasse au vol »[5] ; les derby-cars ou les cabs anglais appartiennent aussi à cet ensemble. Jacques Damase rappelle dans son histoire de la carrosserie la diversité des véhicules créés par les carrossiers anglais : « Many of the most popular carriages throughout Europe were English. Among them the tilbury, named after its inventor ; the dog-cart, used for hunting, with a space under the chest specially for the dogs ; the stanhope ; the break ; the buggy ; the ceremonial carrick ; the high-perch and the two-wheeled cart »[6].

 

[1] De Contades, op. cit., p. 125 et suiv.

[2] Journal des Carrossiers, 15 juillet 1895, p. 5.

[3] Catherine Rommelaere, op. cit., n°14, p. 4 et Jean-Louis Libourel, op. cit., p. 18.

[4] Jean-Louis Libourel, op. cit., p. 104.

[5] Guide du Carrossier, 1861, n°19, p. 134, cité par Jean-Louis Libourel, op. cit., p. 107.

[6] Jacques Damase, Carriages, New-York, 1968, p. 82.

Pierre de la Mesangère, Coupé de ville et de voyage, Meubles et objets de goût, 1802, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3003.7 ; Duhamel, Cabriolet à capote, gravure coloriée, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.712
Pierre de la Mesangère, Coupé de ville et de voyage, Meubles et objets de goût, 1802, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3003.7 ; Duhamel, Cabriolet à capote, gravure coloriée, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.712

Pierre de la Mesangère, Coupé de ville et de voyage, Meubles et objets de goût, 1802, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3003.7 ; Duhamel, Cabriolet à capote, gravure coloriée, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.712

223- Les succès commerciaux remportés par ces nouveaux types de véhicules agacent. L’Almanach des modes de 1815[1] s’en moque : « Les Anglomanes, les gens qui ne savent admirer que ce qui se fait sur les bords de la Tamise, nous vantaient singulièrement les voitures anglaises. Nous avons pu les comparer aux nôtres, et juger si en effet elles leur sont supérieures, ainsi qu’ils le prétendaient.  Examen impartial fait, il demeure constant que les voitures de Bruxelles et de Paris, fabriquées chez les premiers carrossiers réunissent toutes les qualités des voitures anglaises, beauté, bonté, solidité et légèreté. La forme des caisses est la même ; peut-être donnerais-je la préférence aux nôtres, comme étant plus généralement élégantes []. La seule différence notable qui soit à l’avantage des voitures anglaises est dans le vernis. Le vernis anglais est bien supérieur au nôtre pour l’éclat et la durée. [] ». L’auteur précise plus loin que les voitures anglaises sont supérieures à celles de Paris car « le nombre des voitures anglaises bien faites et bien soignées est beaucoup plus considérable que celui des voitures françaises ».

Et pourtant « la Grande-Bretagne reste le pays, nous dit Roger Boutet de Monvel[2] avec lequel de tout temps la France a eu des rapports de société les plus courants et les plus faciles » ; et il cite autant Chateaubriand que Mme de Boigne. Cette émigration consécutive à la Révolution n’a certes concerné qu’une minorité, analyse-t-il, « mais cette minorité n’en reste pas moins le monde et c’est dans ce monde que Wellington et ses compatriotes fréquentent Louis XVIII et Charles X ».

Les Londoniens ont accueilli les réfugiés français et ils jouèrent un rôle important dans les cercles à la mode après le retour des Bourbon sur le trône, certains s’installent même à Paris ! Lord Morgan[3] le confirme en 1820 : « il existe maintenant parmi les Français une forte inclinaison à essayer de tout, principalement ce qui est anglais []. Les modes anglaises sont en vogue parmi les merveilleux et les petites maîtresses ». La seconde vague anglomane atteindra son apogée sous le règne de Louis-Philippe, les attelages à la Daumont ou en tandem venus d’Angleterre s’imposent comme le sommet du chic parisien.

 

[1] De Contades, op.cit., p. 126.

[2] Roger Boutet de Monvel, Les Anglais à Paris 1800-1850, Paris, 1911, p. 11.

[3] Ibid., p. 164.

Duchesne, Landau Anglois, 1808, Compiègne, Musée national de la voitureDuchesne, Landau Anglois, 1808, Compiègne, Musée national de la voiture

Duchesne, Landau Anglois, 1808, Compiègne, Musée national de la voiture

Henri Alken junior, A sporting tandem going to cover, vers 1830, estampe en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.936

Henri Alken junior, A sporting tandem going to cover, vers 1830, estampe en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.936

Victor-Jean Adam, L.L. A.A. R.R. Mme la duchesse d'Orléans et le comte de Paris. Première aumône du jeune prince, vers 1843, estampe en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.858

Victor-Jean Adam, L.L. A.A. R.R. Mme la duchesse d'Orléans et le comte de Paris. Première aumône du jeune prince, vers 1843, estampe en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.858

224- Dans ce contexte, la carrosserie anglaise devient le modèle à suivre

Dans l’introduction historique de leur rapport de l’Exposition Universelle de 1878[1], Belvalette et Quenay énoncent que « Pendant nos périodes agitées, les Anglais avaient fait faire un grand pas à la carrosserie []. Les carrossiers anglais, poursuivent-ils, profitent largement des progrès incontestables qu’ils ont fait faire à notre profession. La période de l’anglomanie commence. Les écrits et les dessins de la Restauration et d’une partie du règne de Louis-Philippe témoignent de l’engouement du public pour les choses venues d’outre-Manche, particulièrement en ce qui concerne les voitures. Il faut reconnaitre néanmoins que, dans une certaine mesure, cet engouement était justifié, les types des fabricants anglais étaient bien supérieurs aux nôtres : c’est d’eux que les carrossiers français ont appris le goût des lignes simples et élégantes et cette habitude de faire confortable, qui distingue tout particulièrement aujourd’hui les fabricants parisiens. A cette époque, nos fabricants allaient à Londres s’inspirer des modèles anglais. Mais, ils s’affranchirent vite de leur tutelle ».

Les rapports du jury de la section carrosserie de l’Exposition universelle de 1851 à Londres estiment que pour les formes anciennes à trains simples ou à double suspensions, les carrossiers français ne peuvent qu’imiter les Anglais qui ont atteint un niveau de perfection ; en revanche pour les carrosseries nouvelles, c’est-à-dire sans flèche, les perspectives d’innovations et d’inventions sont immenses. Et selon les auteurs « le moment est venu, selon nous, où ils doivent, en s’appliquant à étudier les ressources de cette nouvelle disposition, saisir à leur tour, l’initiative, et mettre à profit notre supériorité dans cette industrie, où la pureté et l’élégance des formes jouent un si grand rôle []. A ces considérations, ajoutons que, grâce aux progrès de notre industrie, grâce au bon goût et à l’habilité de nos ouvriers, rien de nous manque aujourd’hui pour que notre carrosserie arrive au premier rang ». Ils concluent : « S’il nous a été difficile jusqu’ici de soutenir, du point de vue des formes et de la perfection, la concurrence anglaise, on voit que le moment est arrivé de prendre notre place »[2].

Catherine Rommelaere mentionne deux témoignages montrant l’importance de l’influence anglaise dans la production française des années 1830-1840. Le Journal des Haras de mai 1838[3] s’indigne qu’une voiture anglaise intègre la cour de France, troisième voiture étrangère qui, depuis un an se rendait aux Tuileries. Ces achats n’étaient guère de nature à encourager la production nationale. Elle cite aussi une publicité de Baslez, « architecte et dessinateur spécial pour carrosserie », précisant « Composition de voitures de fantaisie…dessins nouveaux arrivant de Londres ». Le document est sans doute postérieur à 1837. Brice Thomas par ailleurs si critique à l’encontre du duc parasol qu’il considère comme le témoignage de l’excentricité britannique[4], admet en 1868 que la taille réduite des voitures anglaises les rendait plus confortables et plus élégantes[5] ; il notait que « c’est seulement à partir de 1835 environ que notre industrie commence à reconquérir un peu du terrain qu’elle avait perdu ». Les années 1840-1850 voient la carrosserie française changer ; les véhicules sont moins lourds, moins contournés, moins surchargés d’ornements, moins grossièrement peints. Les leçons apprises en Angleterre sont désormais acquises. La comparaison des productions des deux industries concurrentes va alors pouvoir commencer. Le rapport du jury de l’Exposition Universelle de 1867 conseille aux carrossiers français de s’inspirer encore de la carrosserie anglaise sur plusieurs points et en particulier sur « les dispositions intérieures de la voiture », rappelant que les Anglais sacrifient volontiers l’élégance au confort tout en encourageant les carrossiers français à « concilier le confort avec l’élégance des formes »[6]. « En résumé, disent les auteurs, l’exposition de la carrosserie, en 1867, a révélé de sérieux progrès. La France et l’Angleterre y ont tenu le premier rang ».

 

[1] Belvalette et Quenay, Rapport de l’Exposition Universelle de 1878, classe 62, groupe IV, Paris, 1880, p. 6.

[2] Ibid, p. 18.

[3] Catherine Rommelare, op. cit., p. 180.

[4] Guide du Carrossier, 29 décembre 1861, p. 46.

[5] Guide du Carrossier, n°133, 15 février 1879, p. 10.

[6] Michel Chevalier(dir.) L. Binder et C. Lavollée, Rapport du jury, Carrosserie et charronnage, Classe 61, Paris, 1868, p. 327.

Cecil Charles Windsor Aldin, Hyde Park et Brighton, 1897, lithographie couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3218 et 3318
Cecil Charles Windsor Aldin, Hyde Park et Brighton, 1897, lithographie couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3218 et 3318

Cecil Charles Windsor Aldin, Hyde Park et Brighton, 1897, lithographie couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.3218 et 3318

Jonny Audy, Le prince président dans sa d'Aumont, 1851, vers 1850, aquarelle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.640

Jonny Audy, Le prince président dans sa d'Aumont, 1851, vers 1850, aquarelle, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.640

23- Renaissance de la carrosserie française

Les Expositions Universelles constituent des terrains tout à fait favorables à la comparaison et le rapport de celle de 1851 est particulièrement représentatif de cette tendance. Un article paru dans l’Illustration rédigé par Emile Beres du 8 novembre 1851[1] s’efforce de comparer les deux industries : « Assurément, pour la décoration intérieure et l’élégance de la passementerie, pour la forme extérieure de la voiture, pour le jeu facile et la douceur des ressorts, la simplicité du train, nous avons un réel avantage sur la facture de nos voisins ; mais pour la force et la légèreté des bois, pour le fini du travail de ferrure, pour l’éclat et la durée des vernis, les Anglais, nous devons le reconnaitre, sont d’habiles maitres. Nous croyons même juste de leur accorder, en ce moment, une véritable supériorité dans l’art de vernir les bois de voiture comme nous l’avons déjà constaté pour les bois de fusil ». Le rapport du jury va dans le même sens rappelant que la passementerie et le garnissage sont très supérieurs dans la carrosserie française mais « qu’Il est cependant deux points, secondaires si l’on veut, mais essentiels pour les voitures de prix []. C’est d’abord le fini des différentes pièces de quincaillerie qui entrent dans la voiture, soit comme ornement, soit comme utilité. Il est incontestable que tous ces mille petits objets sont mieux soignés, mieux ciselés, mieux polis chez les Anglais [] »[2].

L’auteur du rapport de l’Exposition Universelle de 1867 précise que les carrossiers français et anglais y ont tenu le premier rang et de rajouter : « il est permis de dire que, dans cette branche d’industrie, la France n’a plus à s’incliner désormais devant aucune supériorité ». Le rapport rédigé par Belvalette et Quesnoy va aussi dans ce sens, constatant les progrès sans cesse croissants de la carrosserie française aux expositions de Londres en 1851 et 1862 et de Paris en 1855 et 1867. La délégation ouvrière française à l’exposition de Londres de 1862 en a la certitude : « Nous sommes convaincus que si tous les fabricants français avaient exposé, la carrosserie française aurait occupé, avec justice, le premier rang ». Elle précise plus loin que si l’élite notre carrosserie avait été présente, « nous pourrions hardiment lutter avec le charronnage anglais, principalement dans les grandes voitures dites à flèches et à huit ressorts », avant d’établir une comparaison très technique entre les voitures anglaises et françaises.

En définitive « la carrosserie anglaise et la carrosserie française rivalisent d’action et de goût, ce sont deux athlètes qui luttent sans pouvoir se renverser faisant pencher la victoire tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Le degré de supériorité que nous reconnaissons à la carrosserie anglaise, c’est qu’elle produit plus d’innovation que la nôtre pour la carrosserie bourgeoise »[3].

 

[1] Publié dans attelage-patrimoine : Figoli, « Les carrossiers anglais et français de l’exposition de 1862 », atttelage-patrimoine, 9 septembre 2020.

[2] Rapport du jury de l’Exposition Universelle de Londres, 1851, 185, p. 17.

[3] Belvalette et Quesnay, op. cit., p. 17.

Ch.-C. Henderson, Going to the meet, estampe en couleurs, vers 1840-1850 (?), Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.1020 (gravure par Hunt)

Ch.-C. Henderson, Going to the meet, estampe en couleurs, vers 1840-1850 (?), Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.1020 (gravure par Hunt)

La France et l’Angleterre dominent donc l’industrie de la carrosserie, « une supériorité que la rivalité la plus jalouse ne peut contester ». Dans Souvenir de l’Exposition universelle de 1867, Brice Thomas imagine un dialogue entre un carrossier de Londres et un carrossier de Paris, le premier soulignant les « immenses progrès » réalisés depuis 1855 par cette branche de l’industrie et insistant sur le fait que les enseignements de l’Exposition Universelle de 862 ont bien été acquis. Le carrossier de Londres fait quelques comparaisons techniques et définit les marges de progrès que la carrosserie française peut encore faire : la carrosserie anglaise garde encore une supériorité dans l’art de la construction des voitures tandis que dans le domaine du goût, la carrosserie parisienne domine les productions anglaises[1]. « J’ai eu le rare privilège, dit Brice Thomas, d’entendre une discussion très animée entre un carrossier de Paris et un carrossier de Londres, où la critique était à peine voilée, tempérée par des efforts d’urbanité. J’ai retenu les idées les plus saillantes de cette discussion pour les placer sous les yeux de mes lecteurs, les voici : Le carrossier de Londres : Je vous félicite, mes chers confrères de Paris, vous une exposition splendide, depuis 1855 vous avez réalisé d’immenses progrès, grâce sans doute à la leçon que nous vous avons donnée en 1862 ; continuez dans cette voie, et vous contribuerez certainement dans un temps très prochain à l’amélioration de notre belle industrie.

Le carrossier de Paris : Je m’empresse, cher maître, de vous remercier en mon nom et au nom de mes confrères, qui, comme moi, seront très sensibles aux encouragements que vous voulez bien nous donner. Il n’y a qu’une chose qui m’embarrasse : c’est la manière de leur apprendre la nouvelle. Il me sera très difficile surtout de leur faire croire qu’ils sont en minorité sous la tutelle de leurs confrères d’outre-Manche. Ils conviendront des enseignements que vous leur avez donnés en 1862, mais ils démontreront par A plus B qu’ils vous les rendent bien en 1867, et …avec usure.

  • Oh ! oh ! je trouve que vous allez bien loin, j’admire votre carrosserie autant par sa variété que pour sa bonne exécution, mais je préfère encore la nôtre, et je suis d’avis que le maître de 1862 est encore le maître en 1867.
  • Il est possible, mon cher confrère, un bon père a toujours un penchant naturel pour ses enfants, de même un fabricant pour ses produits ; mais j’imagine que si la chose était jugée par un tribunal compétente et désintéressé, le verdict serait en votre faveur.
  • C’est une erreur, vous seriez battu complétement et si je craignais d’abuser de votre temps, je vous le prouverais tout de suite par des arguments irréfragables.
  • Mon temps ne peut trouver un meilleur emploi que celui qui consiste en l’audition d’une bonne critique ; je me plais à m’instruire et à faire la guerre à mes défauts, qui se cachent peut-être trop facilement à mes yeux. Si vous pouvez m’enseigner d’un côté et me montrer de l’autre ce que je n’aperçois pas, je vous en serai très reconnaissant. Parlez donc en toute liberté, je vous promets de ne point me fâcher.
  • Très bien, je vous autorise d’en user de même à mon égard ; je commence : je vous disais à l’instant que vous aviez réalisé d’immenses progrès depuis 1855, je trouve que vous ne traitez pas mal tous les genres : voitures de gala, de grand luxe, de demi-luxe et de services publics. Cependant je rencontre la moitié de vos produits qui ont un défaut capital : les trains sont trop rapprochés ; il en résulte une mauvaise suspension qui produit un roulis sur les côtés et un tangage de l’avant à l’arrière et vice-versâ. Presque toutes vos petites voitures ont ce défaut.
  • C’est vrai, j’en conviens et…j’avoue même qu’il nous sera difficile de nous réformer sur ce point, car le défaut que vous me signalez est le résultat d’un préjugé basé sur une fausse appréciation et fortement enraciné dans la tête d’un grand nombre de carrossiers et de consommateurs. Voici la source de cette fausse appréciation : Tout le monde sait que plus les roues sont hautes et moins les voitures donnent du tirage ; il suit de là que l’on chercher à faire porter le plus de charge possible aux roues les plus grandes en avançant l’arrière-train sous la caisse quand la voiture n’a rien qui s’y oppose, tels sont, par exemple, les omnibus, les phaétons, les breaks, les dog-carts…qui n’ont pas de portières sur les côtés et où l’on peut faire porter jusqu’au deux tiers de la charge par les roues de l’arrière-train [].
  • Je fais une réserve à l’égard de quelques grandes maisons qui comprennent parfaitement la construction ; mais si nous jugeons la carrosserie dans son ensemble, vous ne pouvez-vous refuser à reconnaitre que sous le rapport de la construction, et c’est là le point capital, la carrosserie anglaise est supérieure à la carrosserie française.
  • C’est là justement où nous différons d’opinion. Tout en reconnaissant les défauts que moi-même je vous ai signalés, je trouve encore notre carrosserie supérieure à la vôtre. Je distingue deux qualités chez le carrossier : le goût et l’art de construire, mais je place avec intention le goût en avant comme qualité supérieure, c’est un maître qui doit commander, le constructeur n’est qu’un esclave qui doit obéir. Nous avons jasé sur le constructeur, parlons maintenant de l’homme de goût []. »
 

[1] Brice Thomas, « Souvenir de l’Exposition Universelle », dans Guide du Carrossier, n°69, 15 décembre 1867, p. 41-42.

Kellner, Dog-cart, gravure en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.62.073.17 ; Rheims et Auscher, Dog-cart, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2011.0.013.4
Kellner, Dog-cart, gravure en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.62.073.17 ; Rheims et Auscher, Dog-cart, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2011.0.013.4

Kellner, Dog-cart, gravure en couleurs, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.62.073.17 ; Rheims et Auscher, Dog-cart, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.2011.0.013.4

La rubrique «  Peinture » du Guide du Carrossier du 15 août 1867[1] souligne pourtant la qualité de l’exécution des peintures des voitures anglaises. Si les carrossiers français « n’accordent que quelques jours pour l’exécution des peintures. En Angleterre, les carrossiers accordent deux à trois mois : tout le temps nécessaire pour faire des peintures parfaites. Ils emploient l’huile en grande quantité et donnent, sur les teintes, cinq à six couches de vernis qui forment à la surface des voitures une épaisseur suffisante pour remplir la porosité des bois et pour résister longtemps au lavage journalier ».

1878 marque, comme le souligne Catherine Rommelaere un tournant. Le Guide du Carrossier du 15 juin 1878 rapporte à propos de l’Exposition de Philadelphie que « la carrosserie parisienne, qui est grandement représentée, est incontestablement au premier rang. Cette suprématie que tous les carrossiers d’Europe reconnaissent, même ceux d’Angleterre, lui était encore contestée il y a onze ans, en 1867 []. Mais aujourd’hui les types même qui ont été créés en Angleterre et dont nous ne contestons point l’origine, sont mieux traités chez nous que chez eux. Nos caisses sont plus parfaites et comme composition générale et comme exécution de surface. Quant aux autres parties, trains, garnitures, peintures et tous les accessoires, tels que marchepieds, ailes, lanternes, poignées, ivoires…la composition et la fabrication sont chez nous infiniment supérieurs ». Mais les types de véhicules français n’ont pas pu être imités correctement en Angleterre ; la suite de l’article explique pourquoi la carrosserie parisienne domine désormais le marché. Les raisons invoquées sont la supériorité technique des artistes et des ouvriers comme les passementiers, les plaqueurs, les peintres d’armoiries. Ces ouvriers bénéficient d’un enseignement professionnel, notamment celui mis en œuvre par Brice Thomas. L’auteur de l’article conclut : « Cependant quelques carrossiers de Paris, auxquels on a donné à juste titre le nom d’Anglomanes, s’imaginent encore que les menuisiers en voitures de Londres sont plus habiles et plus instruits que les nôtres. C’est là une erreur capitale qui ne supporte pas le moindre examen. S’il en était ainsi, comme la menuiserie se trouve à peu près dans des conditions égales pour les deux pays, nous verrions l’exportation anglaise supérieure à la nôtre pour cet article ; tandis que c’est le contraire qui existe »[2].

Dans son rapport de l’Exposition Universelle de 1878, M. Hooper, carrossier londonien réputé, explique pourquoi désormais la carrosserie française domine le marché européen : « Le style des voitures a complètement changé en France depuis trente ans. Nous ne voyons plus aujourd’hui de ces véhicules lourds et contournés, surchargés d’ornements de métal brillant, grossièrement peints et encore plus grossièrement réchampis. Les premiers carrossiers, par de fréquentes visites à Londres, ont acquis le style tranquille de ce pays avec des dispositions de plaqués judicieuses et une garniture bien entendue, ce qui donne un bon fond pour faire ressortir les toilettes des dames occupant la voiture »[3].

Thrupp donne quatre raisons à cette évolution majeure dans le rapport qu’il rédige de l’Exposition Universelle dans le Saddlers Harness Makers et Carriage Builder’s Gazette dont le Guide du Carrossier se fait l’écho[4] : « Il y a vingt ans, les voitures anglaises étaient préférées, aujourd’hui le style français a la prédominance en Europe []. Il me semble, premièrement que les voitures françaises ont été finies particulièrement dans les garnitures intérieures et les accessoires, d’une manière plus acceptable pour les acheteurs de voiture du monde entier. Deuxièmement parce que l’art du dessin est arrivé à une telle perfection à paris, que les autres parties de la France et du contient ont pu s’y fournir de plans en grand de voitures françaises []. Troisièmement parce que les parties de voitures telles que les essieux, ressorts, avant-trains…ont été soigneusement préparées à Paris pour l’exportation []. Il y a vingt ans, les Russes, Portugais, Allemands, Italiens importaient beaucoup de voitures anglaises qui furent copiées par les carrossiers de ces pays ; tandis que maintenant ils importent des voitures françaises ou les copient de préférence. Quatrièmement un élément tendant encore à donner la préférence aux voitures françaises, c’est leur prix », qui est environ 15% moins élevé que les mêmes voitures anglaises.

 

[1] Guide du Carrossier, n°67, 15 août 1867, p. 26

[2] Guide du Carrossier, 15 juin 1878, p. 19.

[3] Guide du Carrossier, n°131, 15 octobre 1878, p. 57.

[4] Guide du Carrossier, n°188, 15 avril 1888, p. 18-19.

Voitures présentées par les carrossiers français à l'Exposition universelle de 1878, Guide du Carrossier, 15 juin 1878, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.62.085.1 et 3,
Voitures présentées par les carrossiers français à l'Exposition universelle de 1878, Guide du Carrossier, 15 juin 1878, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.62.085.1 et 3,

Voitures présentées par les carrossiers français à l'Exposition universelle de 1878, Guide du Carrossier, 15 juin 1878, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV.62.085.1 et 3,

D’une manière générale, la carrosserie française, poursuit-il inspire toutes les carrosseries d’Europe, pour tous les types de véhicules sauf pour le mail-coach et pour quelques voitures de chasse.

Force est en effet de constater que l’influence anglaise ne tarit pas, même si la carrosserie française s’affirme comme la meilleure du marché. Dans les années 1880, en effet, alors qu’elle devient la référence, l’art de mener à quatre chevaux est enseigné à Paris par le plus parisien des Britanniques, Edwin Howlett.

Derepas Frères, Coach d'Howlett mené par son fils, tirage photographique, 1894, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV. 62.012

Derepas Frères, Coach d'Howlett mené par son fils, tirage photographique, 1894, Compiègne, Musée national de la voiture, CMV. 62.012

 

Texte:

Maria-Anne Privat

 

 

 

 

Note d'attelage-patrimoine.com

 

L'iconographie de cet article essentiellement issue d'œuvres conservées au musée de la voiture de Compiègne souligne la richesse de ses exceptionnelles collections.

Anglomanie et voitures hippomobiles françaises 1760-1880

La politique de dynamisation mise en place ces dernières années vous fera découvrir des nouveautés à chaque visite : ouvertures de nouvelles salles, nouvelles restaurations, expositions dédiées, réorganisation de certains espaces de présentation, etc.
 La visite de ce musée, qui présente une vue d'ensemble unique de l'histoire des transports, de l'évolution technique et artistique des différents types de véhicules, est donc incontournable.

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
H
Félicitations pour ces recherches iconographiques et cette analyse des échanges au-dessus du channel. Quelle surprise aussi de revoir et d'identifier la planche III de la "Diligence ou Voiture coupée" tiré du Cabinet des modes du 10 février 1787 qui était accrochée dans l'appartement familial. Le rapprochement avec la mode vestimentaire pré-révolutionnaire me rappelle ma curiosité enfantine devant une voiture aussi bizarre.
Répondre
P
Vos articles sont exceptionnels et font découvrir un monde disparu insoupçonnable aujourd'hui de maîtrise du transport de luxe ou fonctionnel des époques pas si loin en arrière. Une industrie poussée au plus haut point de ses techniques et du raffinement. <br /> Des savoir-faire et des raffinements combinés à la recherche de toujours mieux faire en rivalités , les constructeurs n' ont cessé de perfectionner l'art de l'attelage, que seuls quelques passionnés et erudits tels que vous entretiennent d' une flamme vive à la disposition de curieux dont je fais partie.<br /> Merci de ces partages.
Répondre