Vous trouverez une présentation très accessible des articles de vos "THEMES FAVORIS" dans le répertoire ci dessous.
Jean-Louis Libourel
Les voitures de ville, berlines, grands coupés, landaus, calèches, sociables, vis-à-vis, ducs, phaétons, victorias, et même les milords, se caractérisent par l’élégance de leurs lignes, le luxe et la richesse de leurs matériaux et de leurs garnitures, la distinction et le chic de leurs attelages. Dans cette quête constante de la beauté, une seule fait exception, le petit coupé carré.
Si le grand coupé de ville a tenu le haut du pavé dans les capitales européennes durant tout le XIXe siècle, son usage restait le privilège d’une élite fortunée qui seule pouvait s’offrir le luxe très coûteux de cette élégante voiture de grande maison, dont le service exigeait au moins deux beaux chevaux, souvent quatre, un cocher et deux valets de pied. Aussi l’utilisation du grand coupé, dispendieux et ostentatoire, était-elle limitée aux cérémonies et aux sorties officielles ou mondaines. Peu adapté aux déplacements quotidiens en ville, aux sorties matinales, aux rendez-vous d’affaires, il subira une transformation drastique qui le dépouillera des éléments essentiels qui faisaient sa beauté : le dessin arrondi de sa caisse, son train à flèche, ses magnifiques ressorts en C, et son siège de cocher monumental, drapé d’une housse aux passementeries somptueuses. Sous une forme simplifiée, plus petite et carrée, avatar disgracieux mais commode, il deviendra la voiture de ville la plus répandue en Europe, adoptée par tous, séduisant même les monarques bourgeois du XIXe siècle.
Petit coupé carré de l’empereur d’Autriche François-Joseph, construit à Vienne par le carrossier Carl Marius, 1887 (Vienne, palais de Schönbrunn, Wagenburg)
Habiles à satisfaire tous les caprices de leurs clients et commanditaires, et soucieux de diversifier leur production, les carrossiers imaginèrent un coupé plus petit, plus facile à manier, en un mot plus pratique, répondant aux besoins d’une bourgeoisie nouvelle que ses affaires grandissantes et les nécessités de la vie sociale obligeaient à de fréquents et rapides déplacements en ville.
L’astuce consistait à raccourcir la voiture, à l’abaisser et à l’alléger. Ce résultat était obtenu par la suppression de l’encombrant et pesant train à flèche et à ressorts en C, ou à huit ressorts, remplacés par les nouveaux ressorts elliptiques, dits à pincettes, ou à pression. Directement placés entre les essieux et la caisse, ils permettaient de raccourcir la longueur totale du véhicule, d’alléger grandement son poids, et d’abaisser considérablement sa hauteur : une marche fixe suffit, alors qu’il fallait un laquais pour déplier les trois ou quatre marches en cascade des marchepieds-portefeuilles des grands coupés.
Le qualificatif « carré » désignant le petit coupé lui vient du profil angulaire donné au fond de la caisse contenant le siège des passagers, et à la découpe de ses panneaux latéraux, dits de brisement. Cet évidement pratiqué sous la banquette permet de rapprocher la caisse et les ressorts, contribuant ainsi à raccourcir et à abaisser la voiture. Moins long, le véhicule était plus facile à manœuvrer. Plus bas, on pouvait y monter sans l’aide des valets chargés de déplier les marchepieds-portefeuilles. Allégé du poids du train, des grands ressorts et de celui des laquais, il pouvait n’être attelé qu’à un cheval. D’un prix plus raisonnable à l’achat, son entretien était moins coûteux, un cheval et un cocher suffisant à sa marche.
Les critères d’appréciation selon lesquels le jury de l’Exposition Universelle de 1878 devait classer les trente-huit coupés présentés, sont significatifs quant aux objectifs recherchés : légèreté d’aspect et de poids, accès à l’intérieur facile, caisse contenant sous le plus petit volume possible un siège confortable et tous les détails d’utilité et de luxe.
La tradition veut que lord Brougham ait fait fabriquer le premier véhicule de ce genre par la maison londonienne Robinson & Cook, en 1838. Un coupé carré, portant la marque de cet atelier et conservé au Science Museum à Londres, passe pour être ce premier coupé brougham. En réalité, le petit coupé était en usage à Paris comme voiture de louage semble-t-il, bien avant 1838, date à laquelle lord Brougham l’a seulement importé à Londres, l’y a rendu populaire et lui a donné son nom.
La plupart du temps, le petit coupé est monté à l’avant sur des pincettes, et à l’arrière sur deux demi-pincettes reliées par un ressort droit en travers, système appelé plate-forme française. Il peut aussi n’être porté que par des pincettes, devant et derrière.
Petit coupé carré construit à Paris par le carrossier Charles Vermot (Saint-Gilles-du-Gard, château d’Espeyran)
Des modèles plus luxueux, quelquefois appelés petits d’Orsay, sont sur huit ressorts. Cette formule aurait été utilisée pour la première fois en 1845, à Londres, par G. Hooper & C° sur un petit coupé du marquis de Donegal. La forme carrée de la caisse impose alors à la flèche reliant les essieux, un profil contourné et accidenté, peu esthétique.
Petit coupé carré huit-ressorts du prince régent Luitpold de Bavière, construit à Munich par le carrossier J.M. Mayer, 1883 (Munich, château de Nymphenburg)
Petit coupé carré huit-ressorts de la princesse Margarete Tour et Taxis, construit à Berlin par le carrossier Joseph Neuss, 1909 (Regensburg, château des princes Tour et Taxis)
En dépit de cette suspension sophistiquée, ces coupés restent inélégants. L’ajout de grands garde-crotte en cuir, de lanternes ciselées, de sièges de laquais, tente de leur donner un peu de majesté. En vain, le coupé carré ne retrouvera jamais la beauté perdue du grand coupé rond dont il dérive. Même monté sur un confortable train à huit ressorts, comme certains exemplaires des cours de Bavière ou d’Autriche, et malgré le soin apporté à sa réalisation par les meilleurs fabricants, malgré le luxe de ses accessoires, la richesse de ses garnitures textiles ou de cuir, il garde une apparence mesquine, étriquée. Sa caisse carrée, basse et pataude, le ravale irrémédiablement au rang de voiture d’usage, confortable et commode certes, mais privée de toute beauté. Ce que le petit coupé gagne incontestablement du point de vue pratique et économique, il le perd inévitablement en grâce et en élégance. Certains de ses accessoires, comme les garde-boue métalliques recouvrant les marchepieds ou ceux, en cuir noir, protégeant les glaces latérales et les poignées de portières, dénotent davantage le souci d’un confort cossu, qu’un réel goût du luxe.
Cependant, malgré son aspect inesthétique, le petit coupé carré connaîtra un immense succès grâce à ses qualités, commodité et économie, objectifs recherchés par ses inventeurs et exigées par ses utilisateurs.
En 1860, il est déjà très répandu à Paris, selon Brice Thomas, et « servait à tous les besoins ». Avec le milord, il sera la voiture de ville la plus utilisée pendant toute la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe.
Sa forme évolue peu. Dans les années 1840, ses lignes forment des angles droits. Autour de 1860, les angles des panneaux de brisement et de bas de portes s’arrondissent ; on le qualifie alors de coupé carré à coins ronds.
.Petit coupé carré à coins ronds construit à Paris par le carrossier Gorin (Pau-Gélos, Haras National)
A partir de 1862, réapparaissent des formes plus sèches marquées par des angles aigus. Vingt ans plus tard, vers 1882, la tendance s’inverse et les lignes courbes reprennent le dessus, adoucissent les angles des panneaux et se déploient majestueusement au niveau du coffre dont la hauteur et le profil s’affinent entre panneau de gorge et panneau de passage de roues largement incurvés. Cette mode persiste jusqu’en 1914. Il faut noter à partir de 1890, l’élargissement des frises de portières, qui se poursuivent parfois comme un bandeau, sur les panneaux de brisement et de dossier
Petit coupé carré trois-quarts à frise de ceinture, construit à Gênes par le carrossier C. de Martini, fin du XIXe s.(Italie, collection privée)
Court, bas, confortablement clos, pratique, le petit coupé carré se révéla très vite la voiture la mieux adaptée au trafic urbain des grandes métropoles. Mais les qualités qui lui valurent son succès impliquaient un grave défaut : sa petitesse ne lui permettait de prendre à son bord que deux personnes. Bientôt les carrossiers s’ingénièrent à agrandir son volume intérieur pour augmenter le nombre des passagers transportés. Naquirent ainsi le coupé trois-quarts, le coupé clarence, le coupé souverain.
Pour le coupé trois-quarts, que les américains appellent double brougham, la solution consiste à rallonger l’habitacle en avançant la fenêtre antérieure sur le panneau de gorge. On gagne ainsi l’espace nécessaire à « une ou deux petites places pour de jeunes personnes qui viennent s’asseoir sur une banquette assez étroite [ou sur un strapontin] placée en avant des portières » (Le Guide du Carrossier, 1892, n° 216).
Petit coupé carré trois-quarts construit à Toulouse par le carrossier Laporte et Fils : banquette étroite sur le devant (France, propriété privée)
Cette extension établie à l’avant de la caisse sur le panneau de gorge est appelée « avance ». L’avance carrée comprend deux glaces latérales étroites, en avant des portières, qui encadrent le vitrage de devant et forment avec lui deux angles droits. Elle est dite « à coins ronds » lorsque ces angles sont arrondis.
Petit coupé carré trois-quarts à avance carrée, construit à Paris par le carrossier Louis Rose (Pompadour, Haras national)
L’avance est dite « en coupe-vent », lorsque les petites glaces latérales ne sont pas parallèles, mais placées en biais vers l’axe de la voiture. Elle est dite « circulaire » lorsqu’elle est courbe en plan et ne comprend que deux glaces cintrées séparées par un montant central, ou coulissant latéralement l’une devant l’autre.
Petit coupé carré trois-quarts à coins ronds et avance circulaire, construit à Paris par le carrossier Hippolyte Delongueil (Saint-Lô, Haras National)
Selon Le Guide du Carrossier « trois-quarts signifie les trois-quarts d’une berline […]. Pouvant être attelé constamment d’un cheval, il convient à la fois aux petites fortunes et aux familles où il se trouve une ou deux jeunes personnes » (1892, n°216).
L’appellation clarence, en référence au duc de Clarence, futur Guillaume IV, est indistinctement appliquée soit à des coupés trois-quarts dont l’avance sur le panneau de gorge est circulaire, soit à des coupés trois-quarts dont l’avance circulaire et le bas de coffre ont des dimensions plus importantes que celles des trois-quarts ordinaires, et proches de celles d’une berline, permettant de placer une petite banquette dans le bas de coffre. Cette dernière variante, qui aurait été inventée en 1842 par les carrossiers londoniens Laurie & Marner, porte aussi le nom de « Sovereign ». Formule indécise entre le trois-quarts et la berline, plus volumineuse que le premier et plus courte que la seconde, le coupé Sovereign a peu de succès en France. En 1860, Le Guide du Carrossier déclare que « les ateliers mettent en chantier […] fort peu de clarences [c'est-à-dire de Sovereigns]», et constate son déclin en 1866 (1860, n° 12, et 1866, n° 60).
Dans un constant souci de clarté, et faute de pouvoir se fonder sûrement sur les documents anciens qui donnent des définitions imprécises et contradictoires, nous réservons l’appellation clarence au coupé trois-quarts à avance circulaire, et l’appellation Sovereign à la forme plus volumineuse et plus proche de la berline.
Plus pratique et moins onéreux que les autres voitures de ville fermées, tels le landau et la berline, le petit coupé s’imposera comme la voiture de louage idéale, sous le nom de fiacre. Cette appellation était indifféremment utilisée pour les voitures de louage, quelle que soit leur typologie. Les fiacres pouvaient être des coupés, des milords, des berlines, des landaus. Comme le mot taxi aujourd’hui, le mot fiacre désigne donc une fonction, mais en aucun cas une forme typologique. Les petits coupés seront les voitures les plus utilisées comme fiacres, ainsi que les milords, décapotés, aux beaux jours.
De forme identique, fiacres et coupés privés se distinguaient cependant par leurs finitions, leurs garnitures intérieures et leurs équipements, plus ou moins luxueux.
Dans une époque puritaine, où une femme mariée ne pouvait se rendre ni à l’hôtel, ni chez un amant, hermétiquement clos, stores baissés, rideaux tirés, volets remontés devant les glaces, les fiacres offraient aux belles infidèles, le temps d’une course prétexte, le plus sûr abri pour des ébats extraconjugaux, cadencés par le balancement de la voiture sur le pavé des villes. Intimement liés à certaines pratiques amoureuses de la bourgeoisie citadine, ils étaient mal famés, réputés sales et regardés comme des instruments de perdition. L’amour en voiture… une histoire qu’il faudra conter un jour !
Jean Louis Libourel
Où les voir ?
Partout !
Construits en très grand nombre, beaucoup sont conservés :nous avons recensé à ce jour 561 petites coupés (270 simples et 291 trois quarts)
Toutes les collections, tous les musées, publics ou privés, possèdent au moins un coupé carré, simple ou trois-quarts, et souvent même plusieurs.
L’un des ensembles historiques les plus importants et les mieux conservés est à Regensburg, dans les Ecuries du palais des princes Tour et Taxis.
Le musée de la Villa Pignatelli, à Naples, en possède quatre, dont un à huit ressorts.
Des exemplaires à huit-ressorts sont conservés à Munich (Palais de Nymphenburg), à Vienne (Palais de Schönbrunn), à Plaisance (Palais Farnèse), à Madrid (Palais royal), à Compiègne (Musée national de la voiture et du tourisme), à Apremont-sur-Allier (Musée des calèches).
Aujourd’hui encore, dans Londres, les dépêches de sa Majesté la reine Elisabeth II sont distribuées par des coupés carrés, sous la livrée grenat des voitures de la Couronne, attelés en simple ou en paire, aux Cleveland bais des Ecuries royales.