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Les voitures de transport du lait ; laitières,….
Visitant dernièrement la collection de Patrick Kesteloot, siuée à Cadaujac en Gironde, j'ai découvert ce camion de laitier qui, comme de nombreuses autres voitures de commerce, est pratiquement introuvable de nos jours. De plus, il est dans un état de préservation, hormis la peinture, proche de l’état d’origine.
Avant de vous le présenter en détail, nous allons préciser sa fonction dans l’organisation des modes de transport du lait. Pour y parvenir, il nous faut remonter l’histoire de la consommation du lait et de ses caracteristiques de production et de commercialisation.
Jusqu’au XVIII° siècle, la production de lait était essentiellement utilisée pour la réalisation de produits transformés tels le beurre et le fromage. Le lait cru était prioritairement dédié à la consommation des enfants et des malades. Préconisé contre diverses maladies; typhus, typhoïdes, états nerveux,… , son utilisation fut accompagnée de nombreux débats pour le moins contradictoires et enflammés. Il faut dire que le champ de ses vertus thérapeutiques supposées était aussi varié et surprenant que ses modalités d’emploi; de l’absorption naturelle à l’injection sous- cutanée en passant par la compresse, le collyre,….
En tant qu’aliment, il était essentiellement utilisé comme un élément dans la préparation de certains plats; soupes, crèmes, sorbets,… En 1393, « Le ménagier de Paris » préconisait pour les repas de mariage la « fromentée », sorte de bouillie composée de lait non écrémé, de froment et d’orge.
Le développement de sa consommation va, en fait, résulter de l’arrivée d’un aliment exotique; le café. Arrivé en France, en 1660, sa consommation va exploser et se démocratiser dans la seconde partie du XVIII° siècle : « Les harengeres de la halle, les vendeuses de marée, ces femmes robustes prennent le matin leur café au lait comme la marquise et la duchesse… Je ne vois plus personne à Paris déjeuner avec un verre de vin. »-Mercier 1783-
La mode du chocolat et du sucre de canne participeront également au développement de cette consommation comme, sous l’Empire et la Restauration, la consommation de la chicorée.
Pourtant, ses qualités nutritives et hygiéniques étaient questionnées par les hygiénistes. Voici, en exemple, l’analyse faite, dans son édition de 1875, par « La grande encyclopédie illustrée d’économie domestique et rurale ».
« Excepté pour les enfants, le lait est un mauvais aliment, il ne convient ni aux adultes, ni aux vieillards,… ,il ne saurait entretenir les forces d’une personne vigoureuse »
Tout au plus, lui reconnaissait-on quelques qualités médicales comme, par exemple, ses effets calmants pour les personnes souffrant d’état d’énervement, d’anxiété,….
A la même époque, les hygiénistes trouvent ces qualités énergisantes et sanitaires dans le vin : « Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons » -Pasteur -
De fait, les conditions de production et de distribution du lait posaient de nombreux problémes ;
-Les conditions d’élevage provoquaient souvent un mauvais état sanitaire du cheptel, dénoncé au XVIII° et tout au long du XIX°, comme ici dans l’encyclopédie Diderot- Alembert.
Par exemple, la tuberculose des bovins, maladie transmissible à l’homme, contaminait 15% du cheptel, à la fin du XIX° siécle. Une réponse fut trouvée tardivement avec la pasteurisation du lait.
- La conservation du lait posait aussi problème car le lait pouvait rapidement tourner. La rapidité de sa consommation, et donc de sa distribution étaient des questions cruciales.
Une des solutions les plus anciennes fut de rapprocher la production de la consommation ce qui amena le maintien de fermes à l’intérieur ou à la limite des villes. Des troupeaux coexistaient donc avec les citadins jusqu’à une période assez tardive.
Le transport du lait sur pattes
En s’agrandissant, les villes ont intégré des fermes et on en retrouve la trace dans la dénomination même de certains lieux comme, à Paris: le "Pré catelan", le "Pré Saint Germain",… Les fermiers conduisent leurs troupeaux de vaches, chèvres et ânesses devant la porte de leur client où ils procèdent à la traite. Si les troupeaux de vaches ne circulent pratiquement plus dans Paris au début du XIX°, cette vente « au pis » pour les chèvres et les ânesses persiste jusque dans les années 1910. Les Parisiens sont fournis par différents établissements. Par exemple, la maison Pasquier jeune Louis qui « loue et vend, pour Paris et la campagne, des ânesses et des chèvres laitières, les conduit à domicile à toute heure pour distribution de leur lait. »
C’est, cependant, une production relativement réduite orientée vers la nutrition des enfants et les soins thérapeuthiques. En 1875, « l’annuaire » recense 4 laitiers nourrisseurs (regroupant, chacun, plusieurs lieux d'exploitation), fournisseurs de lait de chèvre et d’ânesse.
L’augmentation de la consommation de lait, liée à la mode du café, du chocolat et de la chicorée, concerne le lait de vache et est beaucoup plus conséquente. Pour des raisons d’hygiène et de sécurité, la circulation sur la voie publique des troupeaux de bovins est limitée et disparaîtra totalement à Paris, en 1830. Les bovins sont cantonnés dans les vacheries dont l’exploitation, bien qu’encadrée dès 1801, pose différents problèmes liés aux nuisances, à l’état sanitaire des troupeaux et aux risques de propagation de maladies transmissibles.
Il faut dire que leur nombre est conséquent. En 1886, on compte pas moins de 464 vacheries dans Paris in muros, complétées par 612 dans les faubourgs.
La vente du lait, directement à la vacherie par les nourrisseurs, est plus ou moins importante suivant leur positionnement au sein des villes. Dès les années 1760, pour favoriser cette vente directe, des femmes de laitiers nourrisseurs commencent à ouvrir des boutiques; "les crémeries", pour y vendre la production familiale de lait, de beurre, de fromage et de crème mais aussi d'oeufs, voire de lègumes.
Ces premières crémieres, limitées par le niveau de production de la vacherie de leur mari, n'occuperont, du moins au début, qu'une part limitée du marché.
L’essentiel de la commercialisation est assuré par un personnage mythique, qui passionnera peintres et écrivains et exerce son activité dans la rue; "la laitière".
Les laitières et leurs moyens de transport
Ce type artisanal de commercialisation est déjà présent au moyen âge où, chaque matin, les laitières "crient" leur lait dans la rue comme le précise ce texte de Anthoine Turquet, en 1575, dans « Les cent sept cris que l’on crie journellement à Paris »
« La laictière au matin »
« Au matin pour commencement
Je crie au laict pour les nourrices
Pour nourrir les petits enfants
Disant, ça tost le pot nourrice »
Les accortes laitières doivent faire de longues routes pour s’approvisionner, ce qui les amène à utiliser plusieurs techniques de transport. L’image d’Epinal de la laitière portant son lait sur la tête ne relate guère la dureté de ce petit métier de rue. Le bidon à lui seul pesait plusieurs kilos et avait une contenance de 5 à 10l.
Certaines allaient chercher leurs lourds bidons dans les vacheries à la manière des portefaix.
Certaines poussaient des charettes.
Les "plus aisées" utilisaient pour ces longs transports un âne, soit bâté, soit attelé.
Mais le plus souvent, la bête de somme était le chien, compagnon de labeur et de misère des pauvres durant des siècles. Le chien, attaché à un crochet positionné sous une charette à bras, pouvait ainsi aider le laitier dans sa traction.
Mais ils étaient souvent attelés à de petites voitures et transportaient ainsi des poids considérables composés de plusieurs bidons de lait et...de la laitière!
En France, on utilisait majoritairement des voitures légères à deux mais aussi à trois roues comme cette voiture de ma collection.
En terme de poids, les attelages des laitières flamandes étaient les plus impressionants. Ces trés lourds mini tombereaux, de construction trés massive, étaient lourdement chargés et necessitaient souvent l'utilisation de nombreux chiens. En voici quelques exemples dans cet album.
L'activité de ces laitières était mise sous haute surveillance par les pouvoirs publics. On leur reprochait leur manque d’hygiène, l’encombrement de la voie publique, mais surtout de vendre du lait frelaté comme le montre cet extrait du rapport du chimiste Anselme Payen, en 1854.
« Le lait qui est livré aux consommateurs par les laitières…provient en général des vacheries ordinaires situées dans Paris et sa banlieue. On vend ce lait 20c le litre; il contient une proportion d’eau entre 25 et 33 et jusqu’à 40%; en général, on l’a écrémé en partie avant d’ajouter l’eau, et l’on vend à part la crème délayée avec moitié de son volume de lait pur. »
Confronté à cette situation, les producteurs de lait cultivateurs (nommés aussi grossistes), situés aux alentours des villes, imaginèrent un mode de commercialisation permettant de contourner l’hégémonie de la vente par les laitières et d’augmenter leur capacité de vente directe.
Les voitures d’abonnement au lait
Présente en périphérie de Paris, à Gentilly, depuis 1819, la ferme Sainte Anne augmente, en 1825, son cheptel pour pouvoir assumer un service de vente directe aux particuliers. Pour cela, ce laitier cultivateur installe, dans Paris, un réseau de 28 dépôts sous la même enseigne de « Laiterie Saint Anne » Là, les clients ramènent leur bouteille vide en échange d’une bouteille neuve, cachetée garantie comme contenant du lait pur et frais. Les produits non vendus par les dépôts sont retournés à la ferme, où ils seront transformés en beurre, fromage,… Mais il va plus loin en mettant en place un système de livraison à domicile par abonnement. En voici la description, présentée par Bocquet dans son ouvrage « Les vacheries, aspect zootechnique,… »
« Des voitures suspendues avaient été disposées, pour faire le nouveau service, dans les divers quartiers de la ville, et sur une seule annonce, beaucoup de personnes se firent inscrire. Les abonnés, alertés par le bruit de la crécelle du conducteur, descendaient de chez eux et procédaient à l’échange des bouteilles. »
A l'origine métalliques, les flacons furent remplacés par des bouteilles en verre.
Ces deux modes de distribution; le dépôt de lait et la vente par abonnement intégrant le transport, firent des émules parmi les autres producteurs et entraînèrent la construction de voitures suspendues spécifiques, adaptées au transport des casiers de bouteilles. Ces voitures ont du sûrement évoluer au fil du temps et des avancées techniques. Dans la deuxième partie du XIX°, ce sont de petites voitures de commerce suspendues, assez maniables et légères pour pénétrer dans les rues, souvent étroites, de grandes villes. Attelées à un seul cheval, on trouve des modèles à deux roues,
mais aussi de petits camions légers, à quatre roues, qui ne posaient pas les problèmes d'équilibre (liés aux casiers vides et pleins).
Comme vous pouvez le voir sur la dernière photo, les conducteurs des voitures, en uniforme de leur maison, portaient une sacoche en bandoulière pour encaisser les paiements.
Dans le même temps que se construisait ce nouveau type de commercialisation, la création de crémeries se développait. Les crémières ne sont plus seulement des femmes de producteurs mais des revendeuses de lait se servant dans des vacheries et aussi dans des laiteries et grossistes plus éloignés.
L'adaptation de la commercialisation à la demande des différentes clientèles ne résolut pas le problème principal qui était: l'accès à la matière première; un lait de bonne qualité.
En effet, l'explosion démographique des villes, au XIX° siècle, entraînait un accroissement de la consommation, dépassant largement les capacités de production des villes et de leurs faubourgs.
Poursuivie par une urbanisation galopante et une administration tatillonne, tant les problèmes d'hygiène sont importants, les vacheries sont concurrencées par les grosses fermes des laitiers cultivateurs et, dès la moitié du siècle, par les laiteries industrielles pour qui l'accés au centre des villes est facilité par le chemin de fer.
Ces laiteries purifient, pasteurisent et vendent le lait, assurent sa transformation; beurre, fromage,... et accessoirement alimentent d'énormes porcheries avec les résidus.
Grâce au chemin de fer, ces laiteries, n'ayant plus de contraintes de transport, peuvent assurer la collecte au centre des zones de production assez éloignées des villes et organiser rapidement leur acheminement dans leurs dépôts de distribution urbains. Elles vont utiliser deux types de véhicules hippomobiles; l'un rustique et adapté aux chemins ruraux, destiné à la récolte du lait chez les producteurs, l'autre, plus élégant, support d'image de la laiterie, destiné à sa distribution dans les villes.
Les charettes de récolte du lait
Les laiteries organisent deux fois par jour le ramassage du lait dans les fermes. Le parc hippomobile se compose de charettes agricoles à deux roues, bachées ou non.
Voici leur parcours reconstitué grâce à ces cartes postales.
Dans les grandes laiteries, les rails arrivent jusqu'aux quais où les wagons sont chargés. Comme nous le voyons sur la carte ci-dessus, la traction du wagon vers la gare était assurée par des chevaux.
Arrivés à destination, les bidons de lait (pesant 7 kg et contenant 25 litres) étaient transportés par des voitures de distribution adaptées vers les dépôts puis, avec les mêmes véhicules, vers les différents lieux de vente; crémeries, commerces de vente d'épicerie et succursales (un des plus connus étant Felix Potin, créé en 1844),...
Le parc hippomobile était donc trés important. Par exemple, la "Compagnie générale de laiterie parisienne", qui commercialisait autour de 100000 litres de lait par jour à Paris, possédait 435 voitures et autant de chevaux. Elle possédait 70 centres de collecte de lait et 6 dépôts de distribution dans la capitale. La compagnie disposait, sur Paris, d'environ 130 voitures.
Progressivement, il y eut regroupement de ces laiteries comme la Société des fermiers réunis, la Société laitière métropolitaine, et, plus tard, de gros consortiums comme Nestlé, Maggi,...
Toutes ces maisons utilisaient les deux mêmes types de véhicules, à deux ou quatre roues, dont voici quelques exemplaires, circulant dans Paris.
Camions et voitures de distribution de lait
Ces véhicules camions à quatre roues et charettes à deux roues se différenciaient par leur contenance mais avaient une présentation similaire.
Ils étaient entourés de ridelles ajourées de rond. Sur le devant, en hauteur, était positionné en hauteur le siège du conducteur. Ces véhicules possédaient deux niveaux de rangement des bidons. Si les bidons de l'étage supérieur étaient directement accessibles, on ne pouvait accéder à l'étage inférieur que par une petite porte située à l'arrière du véhicule et par un accès ouvert, situé à gauche, sous le siège du conducteur.
Les bidons vides étaient disposés à l'envers, couchés sur les bidons de l'étage supérieur ou accrochés le long des ridelles comme également les pots plus petits servant de mesures.
Dès le début du XX° siècle, ces voitures de livraison vont être remplacées, progressivement, par des camions dont la caisse est la copie conforme des voitures précédentes.
Il y eu d'autres modèles de voitures ne convenant que pour de petites tournées. Ainsi le guide du carrossier du 15 Octobre 1899 fait état de la réalisation par Mr Cubayne, carrossier à Bordeaux d'une voiture fermée nommée "petite voiture de laitier". Elle ne pouvait contenir que 6 bidons de 30 kg que l'on faisait entrer par groupe de deux grâce à 3 portes situées à l'arrière du véhicule.
Certains esprit chagrins me diront que, jusqu'à présent, nous n'avons pas vu de voiture semblable au véhicule sujet de cet article. En fait, la construction de ce type de véhicule est plus tardive car le parc hippomobile des laiteries coexista avec le parc automobile jusqu'à la seconde guerre mondiale. Un des rares exemplaires du même type, que j'ai pu retrouver, date des années 1930. II s'agit d'une voiture appartenant à la laiterie Genvrain, photographiée par le photographe Brassai.
En 1933, Charles Genvrain avait repris l'entreprise "La société des fermiers réunis" qui était un des plus gros fournisseurs de lait de Paris avec la fourniture quotidienne de 250000 litres de lait en 1902 et 550000 en 1913. En 1935, l'entreprise avait plus de 200 usines de traitement du lait et de fabrication de produits laitiers. La société fournissait la plupart des hôpitaux et 11000 magasins de détail.
Nous sommes donc arrivés dans un autre monde, loin de nos laitières ou même de l'organisation des grossistes en lait. C'est l'époque de la rationalisation. Cette voiture, plus légère que les précédentes, en est un exemple; les ridelles ne sont plus un travail de menuiserie mais seulement des montants traversés par des tiges métalliques.
Le même modèle était déjà utilisé par les "fermiers réunis".dans les années 1920.
La voiture de Patrick Kestelot ayant été repeinte, il est difficile de savoir si elle appartenait au groupe Genvrain ou à une de ses filiales, comme les fermiers réunis, mais elle présente les mêmes caractéristiques et doit dater des années 1920-1940. On y note, cependant, des améliorations au niveau du mode de chargement.
Il existe, comme dans les anciennes voitures, une ouverture de chargement par l'avant, toujours à gauche du siège du conducteur, et une ouverture à l'arrière. A noter que la porte est remplacée par une chaine et une barre à crochet.
La capacité de chargement est améliorée par la possibilité d'accéder au plateau du bas par des ouvertures latérales équipées, elles aussi, d'une barre amovible à crochet.
Cette présentation des voitures de collecte et de distribution de lait pèche par le manque d'informations sur les constructeurs de ces voitures. Nous accueillerons avec plaisir toute information et documentation que nos lecteurs pourraient nous apporter.
Texte
Figoli
Photos
Collections privées de lecteurs d'attelages patrimoine, collection d'Etienne Petit clerc, blog de balladine, BNF /Gallica, Figoli,...
Documentation
"Le lait à Paris" Delonde 1881
"L'approvisionnement de Paris en lait" R Dubuc édité par Persée 1938
"Le lait, la vache et le citoyen" de Pierre Olivier Fanica 2008
Le pieton à Paris
Le laitier...vendeur et ramasseur de lait
Le guide du carrossier d'octobre 1899 (Coll Jean Louis Libourel)
.......
Merci aux attelages Kesteloot pour leur accueil