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Voitures et vie de château
Jean-Louis Libourel
Pas de vie de château sans chevaux et sans voitures. Jusqu’à l’apparition de l’automobile les voitures hippomobiles ont été indissociablement liées à la vie du château, à laquelle elles étaient indispensables. Voitures fermées pour l’hiver, découvertes pour les beaux jours, voitures destinées aux gentlemen, voitures pour les dames, voitures de chasse, de promenade, de service, de voyage, toutes participent activement à la vie des châtelains.
Des remises bondées
En 1736, l’inventaire après décès du duc du Maine livre une liste impressionnante de véhicules conservés dans les remises de son château de Sceaux : vingt voitures pour le transport des personnes, quatre charrettes et trois tombereaux. En 1779, le parc hippomobile de ce même château, devenu propriété du duc de Penthièvre, est riche d’une trentaine de véhicules : aux voitures à l’usage exclusif du duc, plus de quatorze, s’ajoutent celles des gens de sa Maison.
A sa mort, en 1814, l’impératrice Joséphine possède en son château de La Malmaison vingt-quatre voitures, parmi lesquelles cinq berlines, trois calèches, deux landaus, quatre cabriolets.
Ainsi, les remises des châteaux sont de véritables univers hippomobiles qui abritent un large éventail de modèles répondant à tous les besoins d’une existence à la fois brillante et champêtre, le château étant un édifice érigé à la campagne au cœur d’un domaine agricole ou forestier. Elles contiennent les diverses voitures utilisées par les châtelains et leur famille pour leurs besoins et leurs loisirs, et celles nécessaires au ravitaillement et à l’entretien du domaine.
Voyages, vie quotidienne, promenades…
Les plus imposantes sont les robustes et confortables voitures de voyage, le plus souvent des berlines et des coupés-dormeuses, spécialement conçues et équipées pour les longs trajets, avec lesquelles les maîtres des lieux sont venus depuis leurs demeures urbaines jusqu’à leur château campagnard pour y passer la belle saison.
Berline de voyage de Frédéric Sabatier d’Espeyran. Carrossier Jacques Rothschild à Paris (Château d’Espeyran, Gard)
Coupé-dormeuse du marquis d’Albon, provenant du château d’O, dans l’Orne. Carrossiers Berlioz & Gouillon à Paris. (Haras national du Pin)
Coupé de voyage d’Henri Viguier, attelé en demi-poste. Carrossier Henry Binder. Cette voiture est conservée au Château de Bouges, dans l’Indre (photographie ancienne)
Ces derniers, s’ils sont pressés d’arriver, ont voyagé en léger équipage dans une chaise de poste, la plus rapide des voitures de voyage, « un des plus beaux ornements du luxe des hommes, et un des chefs-d’œuvre de leur industrie » (Delisle de Salles, 1775). Il existe en Normandie un château qui possède encore deux chaises de poste du XVIIIe siècle, dont l’une, construite autour de 1700, est la voiture la plus ancienne conservée en France.
Abandonnées à la suite du développement du chemin de fer, ces voitures de voyage sont relayées par les commodes omnibus privés destinés au transport des passagers et de leurs bagages depuis la gare proche jusqu’au château.
La vaste maison s’approvisionne au bourg ou au marché voisins au moyen de breaks d’écurie, de wagonnettes et de voitures à deux roues : charrettes diverses, pourvoyeuses, guinguettes, surtouts. Selon Garsault (Traité des voitures, 1756) le surtout est une sorte de « charrette couverte, entourée d’osier et fermée de toutes parts », équipée de caves, et éclairée par des jours carrés ouverts sur les côtés ou derrière. C’est une voiture de service pour l’approvisionnement d’une grande demeure, principalement en denrées alimentaires. « Il n’est pas de ferme ou de château qui n’ait besoin d’une voiture légère pour le service d’alimentation ou de commissions » (Marin-Darbel, Nouveau manuel complet du charron-forgeron, 1890).
Pour l’entretien des jardins et du parc, les charrons ont inventé des fardiers spéciaux. Ils transportent les arbres en caisse de l’orangerie où ils sont protégés l’hiver jusque dans les allées et les parterres qu’ils embellissent l’été.
Fardier pour le transport des arbres en caisse, dessin aquarellé de Louis Julien Laisné, 1812 (Paris, CNAM)
La vie matérielle ainsi assurée, le séjour des maîtres s’organise en occupations et loisirs où chevaux et voitures sont toujours présents. Promenades, chasse, pique-nique, sorties diverses, sans eux rien n’est possible.
Le parc du château, les terres dont il est le cœur, la campagne et les forêts environnantes offrent un cadre idéal pour le plaisir de promenades au grand air et par beau temps, rythmées par le trot des chevaux. Pour ces agréables moments, le choix des voitures est quasi illimité : calèches, ducs, milords, victorias, vis-à-vis, sociables, chars-à-bancs, phaétons.
Conduire un attelage n’est pas qu’un plaisir masculin. La maîtresse de maison et ses filles, elles-aussi, mènent avec grâce des voitures légères attelées le plus souvent à des poneys : ducs, petits-ducs, paniers de toutes formes, voitures à deux roues, lady-cabs, morning-cabs, gigs. Les plus audacieuses dirigent des phaétons tirés par une paire de chevaux fringants.
Elisabeth du Luart menant son duc attelé à deux poneys. Ce tableau du peintre Bodoy ornait la sellerie du château de la Pierre à Coudrecieux (Sarthe)
Les jeunes enfants ont leur propre voiture de promenade conduite par leur nurse et spécialement conçue pour assurer la meilleure sécurité à ces petits passagers turbulents : le tonneau.
Lorsque le châtelain est un homme de cheval aimant conduire lui-même et pratiquant la discipline exigeante du driving, c’est-à-dire le menage en grandes guides, ses remises abritent un road coach ou un park drag, versions privées du mail coach, « voiture par excellence » selon le duc de Beaufort (Driving, 1889), et une voiture pour l’attelage en tandem, un grand dog-cart à deux roues ou un tandem-cart, et, sans doute, un mail-phaéton.
Le même Park-drag mené par le châtelain qui en était propriétaire. Aquarelle (France, collection privée)
La chasse et ses voitures
Parmi les activités et loisirs des châtelains la chasse tient la première place. Aussi, les véhicules liés à sa pratique sont-ils très nombreux. Chars-à-bancs et breaks, de tous modèles, notamment le grand break avec à l’arrière un siège de grooms surélevé, communément appelé break de chasse, conduisent les chasseurs aux lieux de rendez-vous.
Break de chasse. Petite voiture de chasse attelée de 2 chevaux anglais sortie des ateliers de M. Mühlbacher Frères, dessin de Baslez
On emmène les chiens dans les compartiments spécialement aménagés dans les dog-carts à quatre ou à deux roues.
Dog-cart. Carrossier Bourgeois à Paris (ancienne collection Becci de la Rivière, à Marolles, Calvados)
Exécuté vers 1776 un dessin d’Elie Janel représentant une voiture équipée à l’avant et à l’arrière de deux caisses percées de trous pour laisser respirer les chiens démontre que l’usage de mener les chiens à la chasse à bord des voitures remonte au moins au milieu du XVIIIe siècle.
Si les voitures de chasse évoquées ci-dessus sont bien connues, quelques autres plus rares, méritent attention. La première est décrite par Garsault en 1756 dans son Traité des voitures : le wourst ou vource « voiture inventée et usitée en Allemagne. Elle est commode pour aller à des rendez-vous de chasse […]. Chacun s’assied dessus, l’un devant l’autre, jambe deçà et delà ». Découvert et sans caisse, le wourst est constitué d’une flèche axiale supportant un long siège sur lequel les chasseurs sont assis à califourchon les uns derrière les autres, leurs pieds reposant de chaque côté sur un marchepied régnant tout le long de la voiture. Certains woursts ont à l’arrière, pour les dames, une caisse de cabriolet abritée sous une capote.
Au château de Sceaux, le duc de Penthièvre possède un wourst, mentionné en 1793 dans son inventaire après décès comme « voiture calèche pour la chasse peinte en vert, le siège de cocher en forme de cheval ». Ce siège « en forme de cheval » n’est pas aussi étrange qu’il y paraît. Guère connu aujourd’hui qu’à travers des gravures et dessins, le wourst était souvent orné d’une tête ou d’un protomé de bête sauvage, en ronde-bosse et grandeur nature, le plus souvent un cervidé, placé sur l’avant-train, illustrant la fonction cynégétique du véhicule. Originale et rare, la tête de cheval du wourst Penthièvre n’est cependant pas un cas isolé. On la voit sur un wourst du roi de Bavière, dessiné par le carrossier strasbourgeois Johann Christian Ginzrot.
Le duc de Penthièvre est aussi propriétaire d’une autre voiture de chasse, plus étrange, avec un « siège en forme de fauteuil tournant sur trois pivots peinte et garnie en vert aussi sur ses quatre roues », identique à une voiture dont la caisse est une sorte de cage circulaire, renflée dans le bas, contenant un siège tournant en forme de fauteuil, figurant sur une planche d’un album de voitures du duc de Chartres (vers 1775) intitulée « voiture de chasse sur pivots ».
Le musée des voitures du palais de Schönbrunn à Vienne conserve un wourst, construit pour le prince Léopold de Bourbon-Sicile, prince de Salerne (1790-1851), équipé d’un pareil siège mobile sur pivot, implanté entre le siège du cocher et la longue banquette axiale où les chasseurs prenaient place à califourchon.
Wourst avec siège pivotant construit pour le prince Léopold de Bourbon-Salerne (Vienne, palais de Schönbrunn)
Au nombre des voitures de chasse exceptionnelles, il faut inscrire une voiture à gibier en parfait état d’origine, conservée au château de Bouges (Indre). Construite par G. Duchatelle à Creil (Oise), elle est montée sur deux grandes roues à très larges jantes ferrées. Sa caisse entièrement à claire-voie est équipée à l’intérieur de 315 crochets pour suspendre les prises, comptabilisées par catégories « lièvres, perdrix, lapins, chevreuils, faisans, divers » dans les colonnes d’un tableau fixé au revers de la porte.
Voiture à gibier dans laquelle pouvaient être suspendues 315 prises. Fabricant Duchatelle à Creil (Château de Bouges).
Tableau de chasse au château de Voisins (Yvelines) : 500 faisans tués en une après-midi chez le comte Frisch de Fels. Au second plan, une charrette à gibier. (La vie au grand air, 8 décembre 1901).
Les remises de châteaux riches de tant de véhicules divers appartiennent aujourd’hui au monde des souvenirs, car peu de châteaux français ont conservé leur parc hippomobile, intégralement ou partiellement. Parmi eux, Bouges-le-Château (Indre), Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher), Lanessan (Gironde), Espeyran (Gard), Randan (Puy-de-Dôme), Apremont-sur-Allier (Cher)
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