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Litières, Basternes,
Chaises muletières,...
Dans l'antiquité, le terme litière désigne une sorte de lit, couvert ou non, porté à l'aide de deux brancards par des hommes ou des bêtes de somme. La litière est d'origine orientale; on en voit dans les peintures égyptiennes, les perses en faisaient usage et le "cantique des cantiques" cite la litière de Salomon.
Cette litière égyptienne est suivie par un serviteur qui tient une sorte de grand bouclier recouvert de peau de bête et destiné à servir de capote.
Dans les premiers siècles de la civilisation romaine, l'utilisation de la litière est un privilège réservé aux sénateurs. A Rome, seules les matrones (femmes des citoyens romains) et en particulier les femmes enceintes ou impotentes, ont le droit de se déplacer en ville dans de grossières charrettes; les "carmenta". Au III° siècle av. JC, le machisme des sénateurs romains les amène à interdire l'usage de la "carmenta" pour les femmes. En réaction, celles-ci se refusent au devoir conjugal tant que le sénat n'aurait pas instauré leur droit de voyager en voiture. Sous la pression des maris, le sénat revient sur sa position. Progressivement les voitures sont supplantées par des modes de transport plus confortables:
-la litière (leitica) portée par quatre ou huit hommes.
- la basterne (basterna) portée par des mules.
Ces véhicules, peints et dorés avec un intérieur tapissé de soie et de fourrures , deviennent des objets de luxe d'où l'on peut voir et être vu. Seneque s'inquiète de la moralité des actes que couvre ces cabinets fermés d'autant plus que les courtisanes, "les mérétrices", se les ont appropriés les transformant, d’après leur contemporains, en de véritables "lupanars" mobiles. Symbole du luxe et de la richesse, l'utilisation de la litière se réduit fortement à la chute de l'empire romain.
Les basternes sont moins présentes en ville que les litières et sont plutôt utilisées pour les voyages. Partant d'Italie, la mode des basternes s'étend à la Gaule et aux autres contrées dominées par l'empire. Par la suite, ce type de transport est nommé sous les vocables de basterne, de litière ou de chaise muletière. Je n'ai pu déceler les différences fondamentales entre les voitures désignées par ces terminologies, hormis les régions ou époques de leur utilisation. Aussi, pour faciliter la lecture, j'utiliserai le terme générique de "litière" dans la suite de ce texte.
Au moyen âge, le réseau routier romain se dégrade par manque d'entretien. Le cheval monté devient alors le seul moyen de transport des princes et de la noblesse. Pour les femmes, les malades ou les personnes âgées, la litière, portée par chevaux ou mules, permet de se déplacer de matière relativement confortable sur des chemins cahoteux.
Dans ces temps d'insécurité sur les pistes et chemins, la litière est toujours accompagnée de gens en arme. L' entrée dans les villes de ces litières richement appareillées, arrivant dans un si imposant équipage, permet d'affirmer la puissance de l'utilisateur malgré l'utilisation de ce peu glorieux moyen de transport. C'est ainsi que, le 3 janvier 1378, Charles IV de Bohème, souffrant de goutte, fit son entrée à Saint Denis pour y rencontrer Charles V roi de France.
Eluminure des "Chroniques de France" représentant l'arrivée de Charles IV de bohème à Saint Denis. (source BNF)
Le luxe de ces litières est décrit dans les mémoires d'Olivier de la Marche: " lors du mariage en 1468 de Charles le téméraire, le chevalier de Ravenstein parut dans une litière richement décorée de drap d'or cramoisi. Les panneaux de la dite litière étaient en argent aux armes de mondit seigneur de de Ravenstein, et tout le bois richement peint aux devises de mondit seigneur. La dite litière était portée par deux chevaux noirs, moult beaux et moult fiers lesquels étaient enharnachés de velours bleus à gros clous d'argent"
Au moyen âge, la forme générale de la litière, composée d'une caisse posé sur deux brancards, s'inspire encore de la litière antique. En Italie ou dans le sud de la France, elles sont ouvertes et simplement recouvertes d'une sorte de baldaquin. Le détail de l'enluminure précédente nous montre cette forme primitive.
Très utilisées tout au long des XV° et XVI° siècles, pour pouvoir passer dans les endroits impraticables aux voitures à roues, leur usage au XVII° siècle est pratiquement général en France, même dans les environs de Paris où, pourtant, les chemins sont moins mauvais que dans le reste de la France.
Les litières se sont écartées progressivement de la forme précédemment citée en s'adaptant à leurs différentes utilisations et en s'inspirant des progrès de la carrosserie.
Nous en discernerons différentes sortes; le brancard, la litière publique, la litière de maison.
Le brancard:
C'est un véhicule rustique que l'on retrouve plutôt dans les campagnes.
"Le brancard était la plus commune de ces voitures. Ce n'était autre chose qu'un grand panier d'osier entre deux brancards. Ces brancards, forts gros, avaient de quinze à seize pieds de long. Leur extrèmités étaient garnies de cuir, pour recevoir les dossières passant sur les sellettes des chevaux. Le brancard était ouvert par devant, sans pare crotte, ce qui en cas de faute du cheval de devant, précipitait aussitôt le voyageur en avant." -Comte de Contades-
Ce type d’accident est relaté dans le " Roman comique", guide précieux de la vie provinciale au XVII° siècle. Il relate, entre autre, l'accident de brancard survenu au curé de Domfront accompagné de sa nièce;
"Le cheval de devant....mit le pied dans une ornière et broncha si rapidement que monsieur le curé s'en éveilla, et sa nièce tomba du brancard sur la maigre croupe de la haridelle"
La litière publique.
En France, jusqu'en 1662, l'exploitation des litières est assurée par des voituriers qui ne payent rien au trésor pour l'exercice de leur profession. A cette date, le Roi donne un privilège exclusif d'exploitation des litières au Comte d'Armagnac. Ce système de fermage rencontre l'opposition de nombreux voituriers, particulièrement dans le Languedoc. Outre les tracas que lui causent les voituriers, le prince Charles de Lorraine, héritier du comte d'Armagnac, s'inquiète de la diminution de ses revenus liées à la désaffection de ce mode de transport dans le premier tiers du XVIII° siècle. Il demande au Roi de reprendre son privilège des litières dont la gestion est alors confiée aux services de la messagerie.
L'amélioration des routes favorise l'utilisation des services; de coches, carrosses et surtout chaises de poste. Devant cette concurrence, le transport par litières diminue mais perdure encore quelque temps. En 1778, il existait encore à Paris un bureau général des litières.
Ces litières de location sont assez rustiques et, de part leur conception, difficiles d’accès.
La caisse, à la forme d'une berline grossière, est une sorte de vis-à-vis à deux places dont l'impériale est couverte de toile cirée. Elle est supportée par deux brancards qui courent tout au long de la caisse et ne peut donc disposer de portes. C'est le voiturier qui "insère" les passagers dans la voiture:"Aux litières publiques, on est obligé de passer par dessus les brancards pour entrer dedans...le muletier vous prend à brasse-corps, vousélève au dessus des brancards, et vous fourre pour ainsi dire dedans" -Garsault". Pour faciliter cette manœuvre , une partie de l'impériale, appelée mantelet, peut se relever. Voici un autre exemple plus rustique de ce type de litière publique avec ses mantelets relevés.
Garsault présente les brancards comme assez forts et plus longs à l'arrière qu'à l'avant pour permettre "au mulet de derrière d'avoir assez de place pour voir à ses pieds".
Le portage des litières est en majorité assuré par des mulets. Cependant, la gente mulassière n'est pas présente dans toutes les régions et le cheval s'utilise alors comme animal de portage . Des races régionales supplantent souvent l'onéreux cheval de carrosse, aussi bien pour les litières publiques que les litières privées. Ainsi, les châtelains de la Motte-Fouquet emploient, à la litière, des petits chevaux de charbonnier d'origine bretonne.
Les muletiers avaient, en général, une tenue sobre grise ou marron et étaient chaussés de souliers ferrés et de guêtres appelées bottines.
La litière de maison.
Les litières appartenant à des propriétaires privés sont de meilleure qualité par; les matériaux utilisés, l'esthétique et le confort. Mais, surtout, elles sont plus facilement accessibles. Deux brancards à l'avant et deux à l'arrière permettent de dégager l'espace nécessaire à l'installation de portes.
Les litières destinées au voyage sont sobres dans leur présentation mais surtout robustes car destinées à couvrir de longues distances. Elles étaient construites pour répondre aux besoins spécifiques de leur propriétaire. Ainsi Vauban, qui voyageait couramment en litière, disposait-il d'espaces de rangement et d'une table pliable lui permettant de travailler pendant le trajet.
Voici deux autres modèles conservés aux musée des voitures de Compiègne.
Les litières de maison affichent la place sociale de leur propriétaire et, pour certaines, sont conçues dans un luxe les apparentant aux carrosses les plus somptueux.
Leur fonction de représentation est affirmée dans la délicatesse du travail de menuiserie et la décoration des panneaux extérieurs. Ceux-ci sont ornés de "paysages, fleurs, divinités, qui mériteraient souvent d'avoir place dans les cabinets curieux, auprès des plus beaux morceaux de peinture" -Garsault- De larges armoiries ou autres attributs complètent l'ornementation.
Elles sont souvent munies de glaces comme cette chaise muletière conservée au musée des voitures de Compiègne.
Les harnais sont de même qualité; sellettes garnies de clous dorés, d'écussons en cuivre, poitrail et reculement semblables à ceux des carrosses. Les brides des mulets sont le plus souvent surmontées d'un plumet à plusieurs étages.
Ces litières, à la faible vitesse de déplacement, donnent tout le temps à leurs passagers d'échanger confidences mais aussi de jaser, sinon de médire, sur leurs contemporains.
La pratique est si courante que le terme de litière fut utilisé au XVII° pour définir les tête-à-tête "babillards". La signification de ce vocable est affirmée par la marquise de Sévigné dans une lettre de 1680, à Guitaut; "...on me mande que l'intendant de M. de Luxembourg est condamné aux galères... Avez vous jamais vu des fins et des commencements d'histoire comme celle là? Il faudrait faire un petit tour en litière sur tous ces événements."
Voici une autre allusion du même auteur de la fonction de "boite de confidence" de la litière. Elle concerne les commérages" sur les déboires amoureux de Mme de Fontanges.
"Voilà ce qui entretient mes réflexions dans ces bois, où je rêve souvent; ce seroit bien une litière si nous y étions; j'ai des allées, où je défie aucun secret de ne pas sortir, entre chien et loup principalement."
Moyen de transport mais aussi espace de représentation et de discussions intimes, la lente litière ne pourra résister à la concurrence et au luxe des carrosses et autres berlines. Hormis dans certaines campagnes, l'utilisation de la litière privée disparaît dans le dernier quart du XVIII°. La France n'en a conservé que peu d'exemplaires;
-Litière de la famille La Motte-Fouquet (collection du chateau de Montgeoffroy)
Cette voiture est décrite par le Comte de Condates telle qu'il la découverte dans les greniers du chateau de la Motte Fouquet en 1896.
"Cette litière était une sorte d'étroite, à deux places en vis-à-vis l'une de l'autre. Elle était peinte en jaune pâle, le jaune de nos vieilles diligences françaises. La caisse était vernie. De grandes armories s'étalent sur les panneaux des portières, derrière la caisse et sous l’œil de bœuf du panneau de devant. Elles sont formées du blason de la maison Falconer: d'argent au sautoir, accompagné d'une aiglette de sinople en chef et de trois molettes de gueules aux flancs et en pointe et de celui de la maison de Bezons; d'azur, à trois couronnes ducales d'or. Une large couronne de marquis les surmonte, ayant pour cimier une main tenant un bâton de maréchal. L'impériale est recouverte de cuir noir, bordé de clous dorés...Aux quatre angles de la caisse sont attachées des baguettes moulurées du travail le plus fin, terminées par une chute du meilleur style Louis XVI; sur le devant de la litière, un oeil de boeuf ovale, entouré d'un gracieux cadre à noeuds, sert à éclairer l'intérieur.
La présentation de l'intérieur note un détail intéressant; la présence de coussinets chargés de protéger les tissus de la toison capillaire des passagers; qu'elle soit naturelle ou postiche.
"L'intérieur;... panneaux et coussins, est recouvert de velours d'Utrecht rouge ...Enfin des coussinets de taffetas cerise étaient appendus aux panneaux intérieurs pour les garantir de la crasse et de la graisse, qui proviennent des cheveux et des perruques poudrées"
-Chaise muletière conservée à la mairie de Cahors
-Chaise muletière de la marquise de Tourzel (collection privée)
Certaines sont encore conservées dans des musées étrangers. En voici quelques modèles:
-Litière du XVIII° de construction italienne, appartenant à la famille des Melos, Alvins, Velhos et Carrilhos, conservée au musée des carrosses de Lisbonne
"Caisse à deux places en vis-à-vis, peinte en vert, toit en cuir noir ornementé de quatre pommettes de bronze. Panneaux décorés de scènes mythologiques dans les encadrements de volutes et de coquilles. A l'arrière, le blason du propriétaire. L'intérieur est tapissé de damas rouge à grand motifs de fleurs."
-Litière du XVIII° siècle, de construction française, conservée au musée des carrosses de Lisbonne.
"Caisse fermée à deux places en vis à vis, composée de deux portes, de fenêtres aux rideaux en soie de damas rouge et d'un toit en cuir noir décoré de garnitures de clous et huit pommettes en bronze doré. Panneaux de la caisse décorés de scènes champêtres, au style Louis XV. Intérieur tapissé de damas rouge."
- Litière conservée à Villa Viscosa Portugal
-Litière conservée à Cordoue.
La litière fut utilisée sur tous les continents et nous terminons cet article en vous présentant quelques exemplaires plus exotiques.
Texte:
Patrick Magnaudeix
Documentation:
Comte de Contades; "L attelages d'autrefois"
Jean Louis Libourel; "Voitures hippomobiles"
Garsault; "Traité des voitures"
Patrick Marchand; "Le maître de poste et le messager".
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Photos:
Collection de l'auteur, Jean Louis Libourel, courrier picard, ...
Chateau de montgeoffroy (Ce chateau expose six autres voitures):
(contact: http://www.chateaudemontgeoffroy.com/)