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Jusqu'au 19 septembre prochain dans la splendide Galerie de Bal du Château de Compiègne une exposition regroupe une dizaine de voitures d'enfants appartenant aux collections conservées dans le château, principalement à celles du musée national de la voiture. C'est l'occasion d'évoquer ces charmants petits véhicules souvent réalisés avec un luxe égal à celui des grandes voitures dont ils sont des répliques plus ou moins exactes et auxquels le musée Achse, Rad und Wagen à Wiehl (Allemagne) avait déjà consacré une exposition en 1995 (1)
Des véhicules miniatures, en terre cuite, en céramique ou en bronze, ont été fabriqués dès l’Antiquité. Leur signification et leur usage, souvent indéterminés, sont sujets à interprétations diverses : objets de culte, offrandes votives, funéraires, ou simples jouets d’enfant ?
Au XVIIIe siècle et surtout au XIXe les voitures miniatures ont été très nombreuses. Beaucoup, notamment celles du XIXe siècle, sont encore conservées. Bien souvent il est difficile de déterminer leur véritable nature: jouets, maquettes, modèles ? Certaines, attelées à de petits poneys, des chiens, des moutons ou des chèvres, ou tirées à bras d’homme par des valets ou des gouvernantes, sont de dimensions suffisantes pour accueillir un petit passager. Ce sont elles que nous appelons ici « voitures d’enfants ». Répliques plus ou moins fidèles des voitures utilisées par les grandes personnes, ces voitures de promenade pour enfants sont faites à la taille de leurs petits passagers.
Voitures de princes
Les jeunes princes « enfants d’exception, possédèrent, de tous temps, des jouets d’exception, cadeaux d’anniversaire ou d’étrennes, cadeaux de prestige plutôt destinés à être regardés. On leur offrit aussi des jouets plus simples, donnés en récompense ou pour leur distraction (2) ».
Peu présentes et très rudimentaires au Moyen-âge, les voitures pour le transport des personnes ne sont guère en usage en France avant le milieu du XVIe siècle. Bien qu’elles soient encore peu nombreuses au début du XVIIe siècle, elles ont déjà des répliques de dimensions réduites destinées au divertissement d’enfants princiers, soit comme jouets, soit comme voitures de promenade.
En France, les plus anciennes mentions de ces voitures d’enfant remontent à la prime jeunesse du roi Louis XIII. Dans sa petite enfance, le jeune Louis XIII possède plusieurs véhicules miniatures pour son amusement. Il a un petit carrosse rouge tantôt tiré par deux valets de pied, tantôt attelé à « deux de ses bidets » ou même à « ses chiens, lui dedans ». Le 24 novembre 1610 « il fait atteler ses dogues à son petit carrosse». En 1603, on lui avait donné « un carrosse où il y avait quatre poupées ; l’une était la reine, les autres Madame et Mademoiselle de Guise et Mme de Guiercheville ». Entre 1603 et 1610, il a un carrosse-automate « qui marchait à ressort ». Il joue avec des chevaux et des charrettes de carton (3).
Au mois d’octobre 1731 « le comte de Saxe présente au Roy [Louis XV] sept petits chevaux noirs, tous d’une forme très agréable et d’une extrême vivacité, qui n’ont de hauteur que 26 à 27 pouces. Ils sont destinés pour Monseigneur le Dauphin. S.M. en parut très satisfaite. Elle les vit dans la grande cour du chenil à Versailles. Il y en avait six d’attelés à un petit phaéton, mené par le comte de Saxe, avec un postillon. Il les a fait venir expressément d’une île de la Mer Baltique (4) ».
Sous la Restauration, le petit duc de Bordeaux et sa sœur Mademoiselle d’Artois, enfants du duc de Berry assassiné en 1820, ont pour leurs promenades « une calèche peinte de blanc mat et recouverte d’une tente crème enguirlandée de roses et d’épis d’or ; les guirlandes descendent sur le coffre et dessinent le contour des panneaux. A l’intérieur, c’est un joli capiton de casimir épinglé gris argent, et le siège drapé à l’anglaise est bordé de galons en S avec de la soie blanche. Conduits par quatre petits chevaux blancs, ils vont aux Tuileries ou au Bois, le plus souvent en la compagnie de leur mère [la duchesse de Berry] qui les veut suivre à cheval (5)».
Les voitures d’enfants imitent en réduction, avec plus ou moins d’exactitude, la plupart des types hippomobiles en vogue selon les époques : carrosses, calèches, berlines, phaétons, coupés, vis-à-vis, landaus…
Les voitures royales ou princières par la richesse de leurs matériaux et de leur décoration symbolisent pouvoir et fortune. Comme elles, les voitures d’enfants destinées aux jeunes princes affirment par leur somptuosité et leur luxe la noble origine et l’appartenance dynastique de leurs petits occupants.
L’exemple le plus significatif est la petite calèche que tiraient deux moutons mérinos dressés par les frères Franconi célèbres écuyers du Théâtre équestre, offerte en 1812 par Caroline Murat reine de Naples à son neveu, le tout jeune roi de Rome fils de Napoléon 1er. Couramment appelée « phaéton du roi de Rome », cette voiture est conservée à Vienne au palais de Schönbrunn (Kunsthistorisches Museum, Wagenburg).
Aiglon en bois doré sur l’avant-train, attributs et trophées militaires — casques, cuirasses, boucliers, sabres, carquois, canons, drapeaux —, armes de l’empire avec le collier et la Grand-Croix de l’ordre de la Légion d’honneur, ciselés en bas-reliefs sur des panneaux de cuivre doré disposés tout autour de la caisse, semis d’étoiles et d’abeilles dorées aux portières, tout le décor fait référence à la puissance du père et annonce la grandeur du destin auquel est appelé son héritier.
Le raffinement d’exécution de cette voiture, la qualité et la préciosité de ses matériaux, le choix de son auteur, J. Fr. Tremblay, carrossier et charron parisien réputé, qui l’a réalisée d’après des dessins d’Antonio Carassi, dessinateur de voitures à Paris rue Neuve des Mathurins, démontrent l’importance de l’enfant auquel elle était destinée (6).
XVIIe et XVIIIe siècles : de rares rescapées
Peu d’exemplaires des XVIIe et XVIIIe siècles sont parvenus intacts jusqu’à nous. Le plus ancien est une sorte de petit carrosse découvert, construit vers 1690, qui a appartenu au fils aîné du prince électeur Frédéric III de Brandebourg, et qui est conservé à Potsdamau Stiftung Preussische Schlösser und Gärten Berlin-Brandeburg (7).
Phaéton du fils aîné du prince électeur Frédéric III de Brandebourg, fin XVIIe (Allemagne, Postdam, Stiftung Preussische Schlösser und Gärten Berlin-Brandeburg)
Autre rare merveille du XVIIIe siècle, une petite calèche, improprement appelée phaéton, qui associe dans une heureuse combinaison une forme et un décor sculpté pleinement rocaille à une ornementation peinte de style néo-classique. Provenant du château d’Arcangues, dans le sud-ouest de la France, elle a été acquise en 2015 par le Musée national de la voiture à Compiègne.
Au château de Versailles, la Galerie des Carrosses abrite deux petites voitures, émouvantes reliques de l’Ancien Régime, ayant appartenu aux enfants de Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette : le dauphin Louis-Joseph-Xavier de France (1781-1789) et le dauphin Louis-Charles de France, dit Louis XVII (1785-1795). Les petites voitures de ces enfants royaux, une berline et une calèche, construites entre 1780 et 1789, malgré leur taille réduite témoignent de la perfection et du luxe de la carrosserie parisienne à la veille de la Révolution (8).
Petite berline du dauphin Louis-Joseph-Xavier de France (1781-1789).(Versailles, Galerie des carrosses)
Petite calèche dauphin Louis-Charles de France, dit Louis XVII (1785-1795).(Versailles, Galerie des carrosses)
Chefs-d’œuvre du XIXe siècle
Le XIXe siècle est le siècle qui a produit le plus grand nombre de voitures d’enfants dont beaucoup sont de véritables chefs-d’œuvre. Parmi ceux-là, nous avons évoqué en premier lieu une pure merveille, la calèche du petit roi de Rome. Sa forme parfaite, en bateau à brancards à jour, reproduit fidèlement le modèle de calèche typique du premier empire, conforme au dessin donné en 1808 par D. M. Duchesne sellier-carrossier dessinateur en voitures dans son album « Voitures de luxe » qui influença durablement la carrosserie française durant la première moitié du XIXe siècle.
Outre le dessin de Duchesne, Tremblay, créateur de la petite calèche du roi de Rome, avait aussi pour modèle les calèches des écuries impériales, notamment la calèche dite « des impératrices », construite par le carrossier parisien Prelot, actuellement exposée dans les Grandes Ecuries du château de Chantilly.
Calèche dite « des impératrices », par le carrossier Prelot (Grandes Ecuries du château de Chantilly)
Cette petite calèche du roi de Rome a été l’archétype qui a inspiré bien des années après plusieurs voitures d’enfants princiers : la calèche du prince impérial, celle de l’archiduc d’Autriche Rodolphe de Habsbourg et celle de du prince Carlos de Bragance petits-fils du roi d’Italie Victor-Emmanuel II.
La calèche du prince impérial, fils de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie né en 1856, a été réalisée en 1857 par le carrossier Ehrler, fournisseur privilégié des écuries impériales. Son très raffiné décor de fleurs peint est un des rarissimes cas où nous connaissons la date d’exécution, 1857, et surtout l’identité de l’artiste, Arlot, peintre en équipages pendant onze années chez Ehrler, et auteur d’un Guide complet du peintre en voitures (1860-1861). Conservée au château de Compiègne, elle a été restaurée en 2010-2012 de manière exemplaire (9).
Deux calèches “jumelles” reprenant la caisse bateau à brancards à jour de la calèche du Roi de Rome ont été réalisées dans les années 1860 par Cesare Sala, carrossier de Milan très réputé.
La première, destinée au petit archiduc d’Autriche Rodolphe né en 1858 est conservée à Vienne au musée des carrosses du palais de Schönbrunn (10)
Calèche de l’archiduc d’Autriche Rodolphe né en 1858, par Cesare Sala à Milan (Vienne, Schönbrunn, Wagenburg)
La seconde, offerte par le roi d’Italie Victor-Emmanuel II à son petit-fils, le prince Carlos de Bragance né en 1863, futur roi du Portugal, appartient au Musée national des carrosses à Lisbonne (11).
Calèche du prince Carlos de Bragance, né en 1863, par Cesare Sala à Milan (Lisbonne, Musée national des carrosses)
Parmi les voitures d’enfants, le courant artistique néo-classique dont la calèche du petit roi de Rome est le chef-d’œuvre qui a inspiré plusieurs autres réalisations, n’est pas seul. Une somptueuse calèche d’enfant au très riche décor néo-rocaille offerte au petit prince de Naples né en 1869, futur roi Vittorio Emanuel III, appartenant aux collections du Palais du Quirinal à Rome, témoigne d’un goût diamétralement opposé au style néo-classique. Comme les calèches “jumelles” de Schönbrunn et de Lisbonne cette calèche a aussi été réalisée par Cesare Sala à Milan. Elle démontre le génie créateur de ce carrossier capable, simultanément, de la plus grande sobriété néo-classique et d’une réinvention éblouissante du style rocaille (12).
Calèche du prince de Naples, futur roi Vittorio Emanuel III, né en 1869, par Cesare Sala à Milan(Rome, Palais du Quirinal)
Voitures pour tous
Au XIXe siècle les petits princes ne sont plus seuls à posséder de petites voitures de parc. La classe bourgeoise dans son ascension sociable offre aussi à ses enfants des voitures de promenade. Nombreuses, elles rivalisent parfois avec les voitures princières, comme une très belle calèche de la collection Hermès, mais sont généralement moins luxueuses. Beaucoup sont même de facture sommaire, comme les populaires voitures à chèvres de location qui sont la grande attraction dans les parcs publics, au Jardin d’Acclimatation, au Bois de Vincennes, aux Buttes-Chaumont, dans les contre-allées des Champs-Elysées.
Le peintre Anthelme-François Lagrenée nous a laissé l’une des plus belles représentations de l’usage des voitures d’enfant dans son Portrait de l’architecte Andreï Voronikhine et de sa famille (Collection particulière) montrant un garçonnet, le fils aîné de l’architecte, tirant au côté de son père à cheval, un élégant petit landaulet monté sur d’immenses ressorts en C dans lequel sont installés son frère et ses sœurs plus jeunes. A lui seul ce tableau résume tout le charme des voitures d’enfants.
Lagrenée : Portrait présumé de l’architecte Andreï Voronikhine (1759-1814) et de sa famille. Collection particulière.
Texte:
Jean Louis Libourel
Notes:
1)Köppen (Thomas) :« Kostbarkeiten auf kleinen rädern. Kinderkutschen und modellwagen », Achse Rad und Wagen, 4/1996, p. 40-47 - « Auf Kleinen Rädern. Sonderschau im Museum in Wiehl / Des joyaux sur petites roues. Exposition spéciale au Musée à Wiehl », Achenbach, 1/1996, p. 29-33.
2)Lamboley (Claude) : « Les jouets des enfants de France », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 2005, n° 35, p. 118.
3)Journal de Jean Héroard sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1628), Paris, 1868, t. I,p. 43, 322, 363, et t. II, p. 5, 37, 39.
4)Le Mercure de France dédié au Roy, Octobre 1731, p. 2450
5) Bouchot (Henri) : Le luxe français. La Restauration, Paris, s.d. [1893], p. 100.
6)Kugler (Georg):Die Wagenburg in Schönbrunn, 1977, p. 61 et ill. 43- Moustier (Philippe de) : Souvenirs français à Vienne à travers les âges, Vienne, 1989, p. 156 - Kurzel-Runtscheiner (Monica) : Napoleons Hochzeit, Vienne, 2010, p. 100-105 et 125.
7) Göres (Burkhardt) : Berliner Prunkschlitten, Kutschen und Sänften des Barock, Berlin, Staatliche Museum, 1987, p. 7 et 20 – Köppen (Thomas) : « Die Brandenburgische Prinzenkutsche », Achse, rad und wagen, Wiehl, 1996, n° 4, p. 48-55 – Meckel (Claudia): « Carrosserie royale prussienne au XVIIIe siècle », La Prusse, Art et Architecture, Cologne, 1999, p. 258-261.
8) Libourel (Jean-Louis) : « Voitures d’enfant », Roulez carrosses ! 2012, p. 84-89.
9)Chabanne (Laure) : La calèche d’apparat du Prince impérial, histoire et restauration d’un véhicule d’exception, Compiègne, 2012. Dans cette publication une mauvaise interprétation des sources a entrainé la confusion entre la calèche Ehrler et une « petite calèche verte à rechampi rouge, montée sur huit ressorts et garnie de satin blanc » offerte en 1858 au prince impérial par Keller, carrossier à Paris, avenue Montaigne.
10)Kugler (Georg) : Die Wagenburg in Schönbrunn, 1977, p. 79 et ill. 69.
11)Bessone (Silvana), Le Musée national des carrosses, Lisbonne, 1993, p. 104-105.
12)Carrozze libri e corredi di scuderia del Quirinale, 1983, p. 55 - Carnelli (Elisabetta), Coppola (Elisa), Carrozze e livre, 1992, p 85-87.