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Fleuron de la Galerie des Carrosses à Versailles, la voiture de grand gala « Le Sacre », de plusieurs tonnes, est aujourd’hui connue comme la voiture du sacre de Charles X. De récentes recherches ont mis à jour l’intégralité de son histoire : dans cette berline se trouve le corps de la voiture du sacre et du mariage de Napoléon Ier. En 1850, cet état de fait notoire à la cour et dans les milieux spécialisés poussa Napoléon III à choisir cette voiture, dans une version rénovée, pour son propre mariage et le baptême de son fils. Cette ultime phase d’utilisation, qui dura une vingtaine d’années, marque encore aujourd’hui son aspect extérieur et intérieur.
Ci-après, la recherche établit que « La Voiture du Sacre » – ainsi appelée jadis – aurait été la voiture de cérémonie de trois monarques français. Cette conclusion se substitue à l’ancienne version, plus compliquée, disant que la première voiture de cérémonie de Napoléon Ier aurait disparu et que Charles X aurait fait transformer un autre carrosse plus ancien pour « Le Sacre ». Alors que jusqu’ici, son état à la Restauration dominait le discours, le présent texte prend les quatre étapes de l’« existence » de la voiture en compte. C’est par ailleurs ce qu’exigent les règles d’éthique : dans la « Charte de Venise » de 1964, le document clé pour la restauration de monuments historiques, il est notamment stipulé qu’il faut conserver l’ensemble des contributions de chaque époque sur un monument ou un objet. Cela oblige chercheuses et chercheurs à se consacrer à toutes les étapes d’un objet important.
Le présent texte est un résumé de l’ouvrage spécialisé bilingue « Chevaux et Voitures sous Napoléon III – Pferde und Wagen zur Zeit von Napoléon III », publié en 2020 (également disponible en version numérique sur furger.live).
SOMMAIRE
L’histoire est toujours en mouvement car elle est faite par les êtres humains. Cela est aussi valable pour l’histoire de nombreux objets de renom, et tout particulièrement pour celle du plus célèbre carrosse de France qu’aborde le présent texte. Selon l’article actuel de Wikipédia sur l’unique carrosse de sacre encore existant en France et pièce phare de la Galerie des Carrosses à Versailles (consulté le 8 août 2022, cité sans les notes de bas de page) :
« Le carrosse du sacre de Charles X est un véhicule hippomobile utilisé pour le sacre du roi Charles X de France, le 29 mai 1825. Il s’agit de l’unique carrosse du sacre d’un roi de France qui subsiste aujourd’hui. – Commencée en 1814 par le carrossier Duchesne selon les plans de l’architecte Charles Percier pour le sacre de Louis XVIII, la construction de ce carrosse est abandonnée lorsque le roi, en prudent politique, renonce à cette cérémonie rituelle, dans le contexte post-révolutionnaire et post- impérial français. D’après l’historien allemand Rudolf Wackernagel, trois propositions de plan furent soumises au monarque, l’une par J.B. Pérez, l’autre par Antoine Carassi, et la troisième par Percier. Seules les structures de la berline sont alors terminées, ainsi que sa caisse. Lors de son accession au trône, en 1824, le roi Charles X annonce sa volonté d’organiser son sacre, renouant ainsi avec la tradition de ses ancêtres. Le marquis de Vernon, écuyer commandant des écuries du roi, remet le carrosse en chantier. En moins de six mois, il est achevé, pour un coût de 325 000 francs1, grâce à l’intervention de nombreux artisans : les carrossiers Daldringen et Ots, le sculpteur Henri-Victor Roguier, les bronziers Denière et Matelin ou encore le peintre Pierre Claude François Delorme. »
Dans ce texte, tout tourne autour de l’utilisation de cette voiture dorée pour le sacre de Charles X et de sa brève histoire antérieure, à savoir un projet abandonné de son frère Louis XVIII. Une voiture des Bourbons donc ? Il n’est nullement précisé que, dans les milieux de la recherche, l’histoire antérieure évoquée n’est restée qu’à l’état d’hypothèse et qu’après 1850, la voiture a vécu une renaissance qui a laissé des traces flagrantes sur son aspect actuel, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ainsi, le carrosse y est réduit à un seul épisode de son existence mouvementée et variée.
Ci-après l’ébauche de l’article que l’on devrait lire dans Wikipédia, prenant en considération l’état actuel de la recherche :
La berline, jadis appelée le « Carrosse du Sacre », remonte très probablement à la berline construite par Auguste Getting en 1804 pour le sacre de l’empereur Napoléon Ier et également utilisée pour son mariage avec Marie-Louise en 1810. Par la suite, elle est transformée et réaménagée en 1824 pour la somme de 325 000 francs par plusieurs artisans et artistes pour le couronnement de Charles X, en premier lieu par le carrossier D’Aldringen (Daldringen). À cette occasion, toute la partie haute de la caisse est remplacée et agrémentée d’une riche décoration de figurines. Devenue ainsi plus lourde, il fallut renforcer plusieurs éléments du châssis. Sous le roi Louis-Philippe, la voiture de cérémonie est mise au musée et conservée à cet effet. Elle est ensuite réactivée à court terme à l’occasion du cortège nuptial du nouvel empereur Napoléon III en 1852, pour lequel ce dernier se réfère de façon programmatique au cortège nuptial de Napoléon Ier (sans groupe de figurines sur la galerie). Lors des préparatifs du couronnement de Napoléon III (qui n’a jamais eu lieu), l’ancien carrosse du sacre est transformé pour la somme de 80 000 francs or par Joachim Ehrler, qui lui donne son aspect extérieur encore actuel (avec de nouvelles peintures de Théophile Vauchelet). Tout l’intérieur d’aujourd’hui, y compris la housse, remonte également à l’époque de Napoléon III. D’après ce que l’on sait à ce jour, la berline a été la première voiture de cérémonie de France pendant plus de 50 ans.
(À noter à propos du nom successivement utilisé au féminin puis à nouveau au masculin: dans des documents du début du XIXe, la voiture est généralement appelée « La Voiture de la Cérémonie du Sacre » – souvent sans « de la Cérémonie » –, donc au féminin. Plus tard, elle devint le« Carrosse du Sacre » alors qu’en vérité, il s’agit d’une berline et non d’un carrosse. Plus récemment, la voiture a souvent porté le nom abrégé « Le Sacre », donc au masculin.)
Illus. 1 La berline aujourd’hui. Cette version correspond à la voiture de cérémonie remise à neuf par Ehrler en 1853 en prévision du sacre de Napoléon III, pour une somme équivalant au prix de plusieurs voitures de gala. Elle fut utilisée pour le baptême de l’héritier du trône en 1856. Le « N » sur l’écusson au centre de l’impériale sous la couronne de l’empereur évoque Napoléon III, tout comme les aigles ornant les coins. (Photo de l’auteur à la Galerie des Carrosses à Versailles)
B. Comment en est-on arrivé à ces versions divergentes sur la plus célèbre voiture de France ?
Pourquoi l’histoire est-elle en perpétuelle évolution, pourquoi n’est-elle que le miroir d’un certain présent ? Tout comme le présent change, le regard sur le passé change aussi : d’anciennes sources sont interprétées et vérifiées différemment, des époques révolues sont reconsidérées, de façon plus positive ou plus négative, de nouvelles sources viennent se greffer ou sont plus faciles d’accès. Cela est particulièrement valable pour notre ère numérique ; chacun peut accéder aux répertoires d’archives nationales via son ordinateur, de vieilles revues probantes sont numérisées, etc. En outre, des témoignages clés d’antan sont classifiés diversement selon l’angle d’approche du domaine de recherche – dans notre cas l’histoire de l’art et l’histoire, qui ont des perspectives différentes. Or, si l’histoire de l’art replace plutôt les objets étudiés dans leur cadre stylistique, l’histoire les remet plutôt dans un contexte historique général pour en tirer des conclusions.
L’article actuel de Wikipédia s’appuie surtout sur les recherches de mon ami Rudolf H. Wackernagel, historien d’art suisse décédé en 2017 (thèse sur les voitures de sacre françaises en 1965 et autres contributions). Ainsi qu’il le disait lui-même, son hypothèse datant de plus de 50 ans, comme quoi la voiture du sacre de Charles X pourrait « probablement » remonter à un projet inachevé de son frère Louis, n’a jamais pu être corroborée par des sources. Il ne se pencha plus sur l’histoire de la voiture après 1850, car il la considérait « presque comme une profanation » (Wackernagel 1966). Avec cette manière de penser, il s’inscrivait entièrement dans son époque. Jadis, et parfois même jusqu’à aujourd’hui encore, les styles du Premier Empire et de la Restauration étaient considérés comme nettement supérieurs à l’éclectisme du Second Empire de Napoléon III – dont l’action, on le sait, est jugée de manière assez critique aussi de nos jours. Ce qui a eu pour conséquence dans notre cas : les deux décennies de 1850 à 1870 sont quasiment passées à la trappe, alors que « Le Sacre » servait plus que jamais de première voiture de cérémonie et avait été transformé à cette fin.
En ignorant l’histoire plus récente de la voiture, la recherche a abjuré en quelque sorte les changements à l’époque de Napoléon III, ce qui a entravé un éclaircissement de l’histoire antérieure de la voiture. Ainsi, le fait que vers 1850, on savait encore que la voiture de Napoléon Ier était, pour ainsi dire, incorporée dans celle de Charles X a été occulté voire refoulé. Les sources le démontrent de façon implacable (voir plus bas). Le point faible de l’ancienne datation, Napoléon III aurait choisi pour sa première voiture de cérémonie le corps d’une voiture des Bourbons, est donc écarté. Il s’agit d’un point faible dans la mesure où il est bien prouvé que le nouvel empereur voulait imiter les cortèges de gala de son oncle pour souligner son appartenance programmatique à la nouvelle dynastie napoléonienne. – Dans le contexte européen, le destin mouvementé de cette voiture de sacre ne fait pas exception :nombreuses sont les monarchies qui ont souvent fait réviser et transformer les voitures de grand gala (extrêmement coûteuses). À l’instar du plus célèbre char funèbre français, dont le corps remonte aussi au Premier Empire. Il fut même utilisé pour les dirigeants républicains, ainsi qu’il est décrit à la fin de cet article.
C. L’existence de la « Voiture du Sacre » en quatre étapes
Depuis les temps modernes, les apparitions de monarques en carrosse jouaient un rôle capital, dont la portée sociétale est à peine palpable aujourd’hui. Les voitures de cérémonie (ou de grand gala), ainsi qu’on les appelait, étaient des trônes ambulants. Surmontées de la couronne du monarque sur l’impériale, elles étaient pratiquement entièrement dorées et tirées par huit chevaux aux harnais de cuir rouge et ferrures dorées. Pour tout le cortège, on dépensait des sommes vertigineuses, qui équivalaient à des centaines de voitures neuves normales, et les meilleurs artistes et artisans du pays étaient impliqués.
De telles voitures de cérémonie étaient conservées avec les harnais correspondants dans les écuries, que l’on pouvait généralement visiter – dans le cas de la voiture de grand gala, longtemps dans un bâtiment d’exposition initié par le roi Louis-Philippe et concrétisé par Napoléon III en 1851 à Versailles entre les deux Trianons. « La Voiture du Sacre » en était toujours la pièce phare. Le nom quasiment ancestral de cette berline se rapporte à sa fonction de voiture de couronnement ; celui-ci, fait au nom du pape, impliquait une sorte de sacralisation du monarque qui, dès lors, signait ses édits « au nom de Dieu » ; « par la grâce de Dieu » pour Napoléon III.
Les voitures de sacre d’avant la Révolution ont toutes été intentionnellement détruites. Napoléon Ier fit alors appel aux meilleurs carrossiers parisiens pour construire toute une série de voitures dorées et, en premier lieu, à Auguste Getting à Paris à qui fut aussi commandée la voiture du sacre. À l’inverse de la plupart des autres voitures dorées de son cortège de gala, cette première voiture de cérémonie du début du XIXe siècle n’a pas été conservée d’un seul bloc. La voiture aurait été démontée, dit une source de 1851 ; c’est aussi pourquoi on la supposait disparue jusqu’ici. Ci-après est expliqué que Charles X l’aurait fait incorporée pour sa propre voiture de sacre, le tout sous l’égide du célèbre architecte Charles Percier qui avait déjà dessiné l’ancienne voiture de couronnement. Conscients de cette métamorphose, Napoléon III et son grand écuyer de bonne famille, Émile-Félix Fleury, redonnèrent un aspect antérieur à la prestigieuse voiture, et à d’autres voitures napoléoniennes plus anciennes, pour le cortège nuptial de l’empereur en 1852. Puis le rythme s’accéléra avec plus de temps et d’argent. En 1853, l’un des plus grands carrossiers de Paris, Joachim Ehrler, fut chargé de redonner son éclat à l’ancienne voiture du sacre pour le couronnement du nouvel empereur – cette fois, à nouveau avec les figures de l’époque de Charles X sur l’impériale, mais également de nombreux ajouts napoléoniens. Le dernier acte fut l’utilisation de la voiture pour le baptême de l’héritier du trône en 1856. Ensuite, la berline retourna pour longtemps dans le bâtiment d’exposition à côté des Trianons. – Les nouvelles recherches démontrent donc que la berline dorée a vécu quatre étapes majeures. Il s’entend que les éléments les plus anciens ne sont conservés qu’à l’intérieur de la voiture et que les plus récents dominent à l’extérieur.
D. Première étape – Voiture du sacre et du mariage de Napoléon Ier
Illus. 3 En haut : article dans la revue « Le Publiciste » du 21 août 1804 sur la construction de la voiture du sacre de Napoléon Ier. Y sont mentionnés Auguste Getting comme carrossier et Charles Percier comme créateur de la voiture. Au milieu et en bas : la meilleure représentation individuelle de la voiture du sacre de Napoléon Ier d’après une gravure de Brion, ici en deux colorisations.
Les représentations ci-dessus donnent une image précise de la voiture du sacre de Napoléon Ier. Selon des sources sûres, la voiture de cérémonie de 1804 a été réutilisée en 1810 pour le second mariage de l’empereur avec Marie-Louise, en compagnie d’autres berlines similaires légèrement plus petites. Certaines d’entre elles existent encore. Elles affichent une conception technique très similaire : des caisses de berline à double fond, abritant un marchepied à tiroir, accrochées dans des ressorts en C. La voiture du sacre était de même construction ; sur le dessin ci-dessus, on distingue très bien sous les armoiries impériales la poignée en forme de tête de lion du mécanisme permettant de sortir le marchepied à tiroir. D’un point de vue stylistique, la voiture adopte le nouveau style sobre du Premier Empire. Toutefois, la caisse présente encore au-dessus du pourtour des vitres incurvées sur les côtés, une ligne typique de la fin du XVIIIe siècle. Par ailleurs, selon des représentations fiables et contrairement à ce que veut laisser croire le tableau de l’illus. 12, la voiture n’était pas entièrement dorée. Ces représentations divergentes, pas si inhabituelles à l’époque, ont contribué à reconstruire l’histoire de plusieurs de ces voitures – avec une certaine marge de liberté.
Il y a un argument central jusqu’ici ignoré qui parle en faveur de la thèse présentée dans ce texte, à savoir la voiture du sacre et du mariage de Napoléon Ier serait le point de départ de la voiture du sacre de Charles X : de 1850 au début du XXe siècle, « Le Sacre » était considéré comme la voiture ayant été utilisée pour le sacre de Napoléon Ier. Les sources, dont certaines proviennent officiellement de la cour, évoquent une tradition perpétuée. Vers 1850 vivaient encore des contemporains ayant assisté aux cortèges de gala de Napoléon Ier (notamment Jérôme Bonaparte, 1784-1860) – ce n’est donc pas une affirmation chimérique. Il existe également des indications claires prouvant que le carrossier Ehrler aurait précisément connu la première voiture de couronnement créée par son collègue Getting (voir plus bas). Dans le portfolio de phototypies de qualité « Matériaux & Documents d’Art Décoratif », édité au début du XXe siècle, « Le Sacre » est partout désigné comme le « Carrosse du Sacre de Napoléon Ier », ainsi que le montre l’illustration suivante. Cet avis était aussi partagé par les spécialistes à l’étranger. En 1927, le vieux maître allemand des voitures historiques, Heinrich Kreisel, désigna dans son ouvrage de référence « Prunk wagen und Schlitten » la berline « Le Sacre » comme la « première voiture d’apparat de l’empire » et « voiture de sacre de Napoléon Ier » ! Certes, il loua en page 121 la « qualité technique de la voiture », mais critiqua la disparition de « l’élégance légère de la fin du XVIIIe siècle ». Il toucha ainsi le cœur du problème, apparemment sans savoir que la lourdeur pointée n’était apparue que du temps de Charles X. Comme d’autres auteurs, il est probable qu’il ne connaissait la voiture qu’à travers ses représentations, ne l’ayant vue tout au plus de loin au cours d’une visite. Il n’a vraisemblablement pas pu l’examiner lui-même de plus près. Et il n’était pas le seul. À ma connaissance, il n’existe aucune publication spécialisée détaillant la voiture et prenant en compte son intérieur caché. Alors que tout historien compétent sait que la réponse à de nombreuses questions se trouve justement dans l’analyse précise de l’objet. Après que l’étude des sources m’ait mené en 2020sur les traces du Premier Empire, la directrice de la Galerie des Carrosses, Hélène Delalex, a permis des études plus approfondies sur la voiture originale. Elle-même avait déjà antidaté la seconde voiture de cérémonie « Le Baptême » à l’époque de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie.
Illus. 4 « Le Sacre » était considéré jadis comme la voiture du sacre de Napoléon Ier, comme le montre cette image du portfolio « Carrosses & Traîneaux de Gala » du début du XXe. La légende en dessous : « Carrosse du Sacre de Napoléon Ier ».
E. Le ventre de la caisse, témoin clé pour l’antidatation au Premier Empire
En mars 2021, des examens ont été effectués directement sur la berline, dans le but de vérifier le postulat comme quoi le corps du « Sacre » remonterait à la voiture du sacre et du mariage de Napoléon Ier. L’objectif principal était d’observer plus précisément la partie basse de la caisse qui avait été réutilisée à l’époque de Charles X et de Napoléon III pour la construction et la transformation du « Sacre ». À cette occasion, les marchepieds à tiroir glissés à droite et à gauche dans le double fond de la caisse ont été étudiés et comparés à ceux de la berline de grand gala « Le Baptême » qui, selon des sources sûres, a été construite vers 1810 par Auguste Getting pour Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie. Les marchepieds à tiroir ont été choisis comme témoins clés car ces éléments de fabrication complexe mais peu sollicités n’eurent pas à être remplacés à la Restauration et au Second Empire. Les rapports détaillés d’Ehrler sur la remise en état du « Sacre » dans les années 1850 n’évoquent pas le renouvellement des marchepieds.
Quasiment toutes les berlines de l’époque de Napoléon Ier encore à Versailles affichent la particularité de deux marchepieds glissés dans un double fond. D’après les planches existantes, cela était aussi le cas pour la voiture du sacre de Napoléon. Cette construction fut un phénomène passager ; plus tard, la plupart des voitures de gala ultérieures ont des marchepieds portefeuilles repliés à l’intérieur, une technique longtemps utilisée pour ce genre de voitures.
Pour ce qui est du « Sacre », l’accès au marchepied était intégré depuis Charles X dans le tore de laurier qui suit la forme du sol et est purement décoratif. (La structure porteuse en fer semi-circulaire, vissée dans l’axe du châssis en bois de la caisse, se trouve derrière.) En tournant les poignées placées au milieu, il est possible de sortir le marchepied à droite et à gauche. La partie centrale creuse du tore se rabaisse alors à 90°, et quatre marches reliées se déplient entièrement. Très sophistiquée, cette structure en fer à sept tringles est dorée ; tendu entre les marches tapissées d’une moquette rouge bordée d’or, le cuir rouge doré à la manière des relieurs a été renouvelé en 1853. Hormis quelques petites marques de frottement, la construction semble neuve.
La comparaison avec les marchepieds du « Baptême » révèle la même construction ; cette similitude est si flagrante que tout porte à croire qu’ils sortent du même atelier, celui d’Auguste Getting. Même l’épaisseur du métal du barreau supérieur est égale, à savoir 60 mm. Seule la construction du marchepied est un peu plus large pour le « Sacre » (592 mm) que pour le « Baptême » (562 mm). Cela s’accorde au fait que la voiture du sacre était dans son ensemble un peu plus grande que le« Baptême ». – Ces pièces très protégées à l’intérieur de la caisse de la voiture parlent donc en faveur d’une fabrication des deux caisses quasiment au même moment et dans le même atelier et corrobore l’antidatation de la partie basse de la caisse du « Sacre » au Premier Empire. (D’autres arguments importants sont listés dans l’ouvrage mentionné de 2020 aux pages 80-83.)
Illus. 5 Détail de la berline « Le Sacre » : la ceinture de caisse de la forme d’un puissant tore de laurier dissimule sous les portières le marchepied à tiroir. (Photo de l’auteur)
Illus. 6 L’escalier ouvert du marchepied à tiroir du « Sacre ». Ce travail raffiné de serrurerie remonte vraisemblablement à l’époque de Napoléon Ier. Une fois l’escalier sorti, la partie avant avec la moulure en forme de bourrelet du tore est rabaissée à 90° et chacune des quatre marches peut être dépliée à 270° puis à 90° vers le bas pour être bien placée. Un texte contemporain a décrit la construction ainsi : « Il se replie sur lui-même par sept plis et rentre dans le double fond de la caisse en glissant sur une coulisse comme un tiroir de meuble. » (Photo de l’auteur)
Illus. 7 Comparaison entre un marchepied à tiroir du « Sacre » de 1804 (à dte) et celui du « Baptême » de 1810 (à gche) : le type de construction est identique. Le mécanisme raffiné du marchepied du « Sacre » a déjà été admiré dans des textes de l’époque et décrit comme un « chef d’œuvre ». (Photos de l’auteur)
F. Seconde étape – Voiture du sacre de Charles X en 1825
Illus. 8 État de la berline « Le Sacre » en 1851, encore avec les armoiries de Charles X. (L’Illustation, Journal universel 1851)
La transformation de la « Voiture du sacre » napoléonienne en celle du sacre de Charles X est la phase la mieux documentée de toutes ces étapes. Et ce, car le vieux roi voulait laisser une trace précise du faste de son sacre en 1825. Cette volonté d’afficher la splendeur a toutefois conduit à une voiture d’aspect fort différent, au sujet duquel les avis divergent, surtout pour ce qui est des figurines sur l’impériale surchargée. Dans l’esprit du nouveau style, les vitres furent redessinées, remplaçant l’élégance de celles élancées datant de Napoléon Ier et évoquant le style de Louis XIV.
Le décor de sculptures attire désormais à lui tous les regards. La partie supérieure de la caisse devint en quelque sorte le porteur du décor en relief, perdant son élégance d’antan qui soulignait avec délicatesse et harmonie le décor de la voiture.
Apparemment, le très réputé architecte Percier a pour ainsi dire coupé l’ancienne caisse au milieu et dû poser dessus un haut de corps plus lourd, plus linéaire et donc plus solide pour Charles X. Il lui fallait ainsi répondre au souhait du monarque et au goût de l’époque pour plus de faste. Ce qui veut dire ici que les sculptures d’angle élancées et insérées avec raffinement furent remplacées par des caryatides en relief apposées relativement grossièrement et qu’un groupe de près de deux mètres de haut avec une couronne colossale fut déposé sur l’impériale.
Cette transformation au style de la Restauration alourdit tant la berline que les roues et le train durent être adaptés et entièrement repensés pour en supporter le grand poids. Une flèche plus solide devint indispensable, ce qui explique la présence de la signature de D’Aldringen.
Après le court règne du roi, la voiture resta intégralement en l’état, fut mise au musée sous le roi Louis-Philippe et conservée avec un certain budget.
Illus. 9 On voit encore aux figures d’angle en forme de caryatides qu’elles ont été rajoutées après coup à la caisse en 1824/1825. Ce fut le prix de la transformation de la berline, passant du style sobre du Premier Empire à un carrosse de cérémonie très décoré pour le roi Charles X qui affectionnait la grande pompe. (Photo de l’auteur)
Illus. 10 Le bâtiment d’exposition entre les deux Trianons à Versailles, inauguré en 1851 et dédié aux voitures et traîneaux historiques. L’intérieur avec deux chevaux devant la berline « Le Sacre ». Devant à droite, le traîneau « Le Baptême ».
En 1851, la berline fut décrite avec ses harnais dans la revue « L’Illustration, journal universel » :
« Le Sacre est une voiture monumentale : c’est, à n’en pas douter, le chef d’œuvre le plus parfait et le plus riche de la carrosserie française. Elle a servi au sacre de Charles X, et a été construite sous les ordres de M. le duc de Polignac, premier écuyer du Roi, et sur les dessins de Percier, par Daldrigen, qui a fourni le train et les garnitures. La menuiserie a été faite par Ots. Les peintures sont de Delorme, élève de Girodet ; les sculptures de Roguier ; les bronzes d’ornement, ciselés par Persilli, sont sortis des ateliers de Denières, la dorure appartient à Gauthier, peintre des équipages du Roi ; les broderies par Delalande, et la passementerie par Gobert. L’exécution de ce magnifique carrosse a demandé deux ans de travail. La caisse est d’un aspect agréable ; elle est arrondie en dôme à la partie supérieure, et, dans sa partie inférieure, posée sur quatre cornes d’abondance, d’où sortent quatre caryatides en bois qui supportent le dôme. Quatre belles figures de Renommées, assises sur l’impériale, soutiennent un double écusson qui porte les initiales royales. Le fond est tendu de velours cramoisi semé de roses et d’étoiles d’or. Les écrous et les essieux sont recouverts par quatre têtes de lion en bronze doré. Le siège du cocher, supporté par deux chimères, est d’une éblouissante magnificence et couvert de broderies et de riches crépines en or. Les peintures de la caisse représentant des sujets allégoriques. Enfin, le marchepied est à lui seul un chef d’œuvre de serrurerie. Il se replie sur lui-même par sept plis et rentre dans le double fond de la caisse en glissant sur une coulisse comme un tiroir de meuble. …. »
G. Troisième étape – Voiture nuptiale de l’empereur Napoléon III et d’Eugénie en 1853
Illus. 11 « Le Sacre » comme voiture du mariage de Napoléon III avec Eugénie en 1853. Sur l’impériale, le groupe de figurines a disparu, on y voit la nouvelle couronne de l’empereur. Les initiales N et E ornent désormais la housse et les panneaux des portières. (Gravure sur bois tirée de l’« Illustrated London News » de 1853)
Jusqu’ici, on supposait que pour son mariage avec Eugénie, Napoléon III était assis dans la berline napoléonienne « Le Baptême ». Dans l’ouvrage de 2020 déjà cité, j’ai pu prouver grâce à de nouvelles sources que cette voiture a été utilisée à cette occasion par son ancien propriétaire, le prince Jérôme, et que la voiture principale du cortège était justement la « Voiture du Sacre ». Le groupe du dôme, démonté à court terme et remplacé par une nouvelle couronne, a contribué à cette confusion. La voiture devait de nouveau resplendir telle qu’elle était restée dans les esprits vers 1810. Au lieu de l’armoirie de Charles X, les initiales « N » et « E » ornaient désormais le panneau central. La housse fut aussi adaptée. Symbole des Bourbons, les lys avaient disparu de l’impériale alors qu’aux angles, de nouveaux aigles avaient fait leur apparition. La couronne impériale a été réalisée plus grosse et plus lourde que l’ancienne couronne royale.
Il est connu que Napoléon III souhaitait un cortège nuptial ressemblant à celui que son oncle avait présenté naguère lors de son second mariage en 1810. Le Grand écuyer et confident de l’empereur Émile-Félix Fleury organisa les festivités. Il parvint à faire restaurer plusieurs anciennes voitures de gala en un temps record et, de fait, avec les nouvelles armoiries, le cortège de voitures fut assez similaire. – Les nouveaux souverains s’efforçaient toujours de souligner que leur légitimation n’était pas uniquement une abstraction divine, mais aussi due à des prédécesseurs talentueux ; d’où la réutilisation d’anciens symboles du pouvoir comme les voitures de cérémonie. Napoléon III y aspira également.
Illus. 12 Le cortège de gala de Napoléon Ier, modèle programmatique pour Napoléon III. En haut : 1810 – entrée dans Paris de Napoléon Ier avec Marie-Louise dans la berline de son sacre en 1804. En bas : 1853 – Napoléon III et Eugénie dans la berline nuptiale (Le Sacre) sur la Place de la Concorde. (Tableaux d’Étienne-Barthélémy Garnier et d’un anonyme au Château de Versailles et au Musée de la Voiture et du Tourisme, Compiègne)
Napoléon III se référait donc avec ostentation à son oncle légendaire pour ses apparitions en public. Le cortège de son mariage avec les anciennes voitures napoléoniennes ne fut pas seulement le fruit d’une urgence, mais aussi un choix programmatique délibéré. Son message implicite : ici arrivent le nouveau Napoléon et la nouvelle Marie-Louise, la dynastie napoléonienne et impériale continue d’exister !
Le vicomte de Beaumont-Vassy décrivit le cortège nuptial fin janvier 1853 :
« On avait … cherché autant que possible à imiter celui du mariage de Napoléon Ier. Le nombre des voitures était le même : trois carrosses à six chevaux étaient occupés par les titulaires des grandes charges de la cour, la princesse Mathilde, la comtesse de Montijo, le prince Jérôme et son fils. Un intervalle de trente pas les séparait du carrosse impérial, le même qui avait servi au sacre de Napoléon Ier, voiture splendide de dorures et d’ornements, traînée par huit chevaux de robe pareille, escortée aux portières de gauche et de droite par le grand écuyer, le grand veneur, le général commandant la garde nationale de Paris et le premier écuyer. »
Toutes ces sources du temps du Second Empire montrent combien, dans l’esprit de la « Charte de Venise » évoquée en entrée, la prise en compte de toutes les phases de vie d’un objet est essentielle pour le comprendre, y compris les recherches et études de sources nécessaires à cette fin.
H. Quatrième étape – Préparatifs pour la voiture du couronnement en 1853
Peu après son mariage, Napoléon III lança les préparatifs pour son couronnement (qui ne devait d’ailleurs jamais avoir lieu). À la direction des écuries, Fleury se chargea des tâches indispensables pour le cortège somptueux. C’est alors qu’eut lieu la plus grosse intervention sur la « Voiture du Sacre » depuis 1824/25, dont fut chargé Joachim Ehrler, l’un des plus grands carrossiers de Paris. L’été 1853, la voiture fut d’abord entièrement désassemblée, y compris les figures du dôme. Même chose avec l’avant-train qui fut renforcé par de nouvelles pièces en fer. Un nouveau bandage fut posé sur les roues et 52 « rosaces » en bois sculpté et doré furent appliquées. Les nombreuses anciennes pièces de bronze donnèrent lieu à un gros travail. Une nouvelle housse fut fabriquée et l’intérieur entièrement regarni. Les insignes royaux sur le ciel d’impériale furent recouverts de broderies et un nouveau « rond du milieu » brodé au fil d’or fut inséré. La plupart des ornementations sur les frises et leurs embases dorées furent nouvellement confectionnées, tout comme les poignées de portière. Ehrler fit un protocole détaillé de ses travaux qui s’élevèrent au total à 83 899 francs or. Directement facturés furent les huit panneaux de la caisse redorés puis peints par l’artiste-peintre Vauchelet ainsi que les travaux d’envergure sur les harnais, réalisés par la sellerie Roduwart.
Illus. 13 Vue arrière de la berline avec les nouvelles peintures de ThéophiLe Vauchelet et au-dessus, la frise restaurée et en partie refaite par Joachim Ehrler. (Photo de l’auteur)
En France, on s’affaira aux préparatifs du sacre tout au long de l’année 1853. Le rapport suivant sur la voiture en devenir parut dans plusieurs revues :
« Le char qui doit porter l’Empereur et l’Impératrice le jour de leur sacre est fait. Il est logé dans les bâtiments du parc de Monceau, au faubourg du Roule. C’est l’œuvre du carrossier Ehrler. Il est tout à jour, et sur les panneaux sont peintes avec un art infini les armes de l’empire et des figures allégoriques. Sauf ces panneaux, le char est tout or. Les moyeux des roues sont terminés par des têtes de lions d’or. Il est entré dans le carrosse impérial pour 100 000 fr. de bronze. Il pèse 16 milliers. Il est fait pour être traîné par huit chevaux blancs qui seront magnifiquement caparaçonnés. Huit autres grands équipages artistement décorés accompagnent le char impérial. Ils porteront les princes et princesses et les grands dignitaires de l’empire. Ces équipages vont partir pour Trianon en attendant les ordres de l’Empereur sur l’époque de la cérémonie. »
L’intervention d’Ehrler, le nouvel équipement et la transformation en profondeur de la lourde berline entièrement dorée furent si conséquents qu’en 1853, on finit par la percevoir comme une nouvelle voiture. Tous les signes des Bourbons avaient été éliminés. Les nouveautés dans le style du Second Empire étaient les panneaux peints, les emblèmes du nouvel empereur et, sur le dôme, la couronne impériale. Les interventions pratiquées sur la voiture équivalaient jadis à la valeur de plus de deux nouvelles berlines de gala. Ce rapport montre combien de changements il y eut sur la voiture.
Ce faisant, Ehrler fit preuve d’un traitement étonnamment soigneux de l’ancienne substance de la voiture, il savait la première phase de l’existence de cette dernière. (Par ailleurs, aussi par respect pour les autres carrossiers et peintres ayant travaillé sur la berline, il conserva les anciens panneaux de l’époque de Charles X, qui existent encore aujourd’hui.) Ehrler, en étroite collaboration avec Fleury, a dû se pencher de manière approfondie sur l’histoire de la voiture. Ce qui n’a pas été difficile apparemment, d’autant plus qu’il existait un lien avéré entre les deux dynasties des carrossiers, d’origine allemande, Ehrler et Getting (aussi appelé Götting). Le fils d’Auguste Getting, carrossier également, avait à peu près l’âge de Joachim Ehrler. Un retour volontaire de la voiture à l’époque de Napoléon Ier est même détectable dans un détail : Ehrler replaça sur le « Sacre » un aigle napoléonien à l’endroit où Getting l’avait déjà fait vers 1804/10. Ce que montrent les détails suivants de l’avant-train.
Ehrler renonça, apparemment aussi en respect de l’histoire prestigieuse de la voiture, à une modernisation, notamment des ressorts. Depuis l’époque de Charles X, il était devenu habituel d’équiper les voitures de haut rang avec huit ressorts (ressorts à pincettes sous les anciens ressorts en C). Avec ses anciens ressorts en C, la voiture était déjà considérée à la moitié du XIXe siècle comme une voiture historique.
Illus. 14 L’aigle de Getting du temps de Napoléon Ier fut replacé en 1853 par Ehrler, après qu’il ait été ôté durant l’époque des Bourbons. En haut : aigle aux ailes ouvertes sur l’avant-train de la voiture du sacre et du mariage de Napoléon Ier d’après Brion (détail du tableau illus. 3). En bas : en 1853, Joachim Ehrler replaça un aigle similaire au-dessus des roues avant de la « Voiture du Sacre ».
Illus. 15 En 1853, Joachim Ehrler toucha 164 733 francs or pour les travaux préparatifs sur la « Voiture du Sacre » et huit autres anciennes voitures napoléoniennes. À gauche : portrait contemporain du carrossier, tirée d’un album de 1867. À droite : récapitulation des coûts de Joachim Ehrler. La somme dépensée pour le « Sacre » équivalait jadis à la valeur de plus de deux nouvelles berlines de gala.
Certes, Napoléon III commanda aussi auprès d’Ehrler deux voitures de grand gala entièrement neuves (conservées à Bruxelles et détaillées dans l’ouvrage de 2020), mais le « Sacre »et le « Baptême » restèrent les premières voitures de cérémonie. Cette dernière fut utilisée par la reine Victoria d’Angleterre ou pour le baptême du fils de l’empereur en 1856. Mais le couple impérial, lui, utilisa à nouveau la voiture du sacre.
Illus. 16 Cortège du baptême devant la cathédrale Notre-Dame pour le fils de Napoléon III et d’Eugénie le 14 juin 1856 avec la berline « Le Sacre ». (L’Illustration, journal universel 1856)
Illus. 17 Joachim Ehrler et son équipe intervinrent à nouveau pour l’utilisation en 1856 à l’occasion du baptême de l’héritier du trône. Le ciel d’impériale a dû être refait à l’époque, avec le « N » au milieu. (Photo de l’auteur)
« Le Sacre » est apparemment ressorti en 1867 pour la visite du sultan Abdül-Aziz Ier (souverain du puissant empire ottoman de 1861 à 1876) lors de l’exposition universelle ; l’impériale fut de nouveau légèrement modifiée. C’est du moins ce que conta dans sa biographie « Vom Wanderstab zum Automobil » (1921, 67) le carrossier allemand NiklasTrutz, travaillant alors à Paris et témoin de l’événement :
« En l’honneur du sultan, on amena de Versailles l’antique carrosse officiel doré de toutes parts. Il avait servi au mariage de l’empereur et au baptême du prince impérial. Cette fois, la croix de la couronne était remplacée par le croissant de lune. Huit chevaux d’un blanc éclatant, à la crinière tressée de fils d’or et coiffés de panaches ondulants, tiraient au trot le carrosse dans les rues – et semblaient conscients de leur dignité. »
Par ailleurs, Ehrler s’est occupé jusqu’à la fin du règne de Napoléon III des révisions de la voiture du sacre. En 1870 encore, des soupentes de la caisse étant endommagées, des boucleteaux neufs furent fabriqués selon le modèle existant avec un cœur de cuir fort, gainé de maroquin orné de piqûres blanches « à dessin compliqué ».
I. Conclusion et deux comparaisons
Quatre étapes et trois styles déterminent l’aspect actuel de la voiture : le Premier Empire avec une caisse de berline à double fond, suspendue dans des ressorts en C (encore sans les huit ressorts), la période de la Restauration avec les nouvelles vitres et surtout la décoration de figurines et le Second Empire avec toute la surface, la grande couronne et l’intérieur entier.
Marqué par les trois carrossiers Getting, D’Aldringen et Ehrler, l’aspect de la voiture, telle qu’on peut l’admirer à Versailles, est avant tout le résultat des directives de leur mandant respectif, l’empereur Napoléon Ier, le roi Charles X et l’empereur Napoléon III. La voiture est donc aussi le miroir parfait de l’histoire mouvementée du pays : une révolution avec la destruction des anciennes voitures de cérémonie, le règne d’un nouveau monarque avec des exigences impériales, une courte « rechute » dans la dynastie des Bourbons, un second empire et seulement alors, la République jusqu’à aujourd’hui.
Certes comparable dans ses fonctions, le destin de la voiture de cérémonie du Royaume-Uni fut tout autre. Le carrosse, de 3,7 m de haut et de plusieurs tonnes également, a été construit de 1760 à 1762 à Londres en tant que voiture de mariage et de couronnement de George III. Il est depuis utilisé régulièrement jusqu’à aujourd’hui comme première voiture de cérémonie pour les couronnements, les mariages et les jubilés des têtes gouvernantes. Son évolution plus linéaire suit l’histoire moins turbulente de l’Angleterre. Bien sûr, la voiture a été régulièrement révisée, surtout par Hooper en 1902 pour le couronnement d’Édouard VIII, mais l’extérieur fut conservé de façon plus intégrale. Voilà pourquoi, encore aujourd’hui, on voit un carrosse du style du XVIIIe siècle parcourir au pas les rues de Londres.
Mais en France, il existe une berline ayant eu un destin similaire à celui de la voiture de sacre. Le premier char funèbre du pays, aujourd’hui encore appelé le « char funèbre de Louis XVIII », subit d’abord une métamorphose semblable à celle de la voiture de sacre : construction en 1809 à partir d’une ancienne berline de Prelot (signature sur la flèche) et de pièces de Devaux (signature sur l’avant-train), ajout de roues du carrossier D’Aldringen à une époque inconnue, soit déjà à l’occasion de la réutilisation en 1820 – les funérailles du Duc de Berry – ou plutôt en 1824 seulement (travaux complexes transmis par écrit). Il fut de nouveau utilisé en 1830, 1835 et 1842. Au Second Empire, on y ajouta les insignes napoléoniennes pour le prince Jérôme Bonaparte (voir état ci-après).
L’histoire de la réception de ce char funèbre se déroule de façon très semblable à celle de la voiture de sacre. Jusqu’à aujourd’hui toutefois, il n’est pas perçu comme un produit de l’histoire dynamique du pays, mais est agencé comme la voiture de procession de Louis XVIII – on a donc ici aussi repris un épisode du temps des Bourbons.
On aurait tout autant pu présenter cette grande voiture, en raison des sources, comme le char funèbre de Jérôme Bonaparte, ex-roi de Westphalie. Il existe même, au-delà de dessins précis, des photographies historiques de son utilisation en 1860 – comme le montre la photo ci-après.
À l’inverse de l’Angleterre, aucune voiture de cérémonie ne roule plus aujourd’hui sur les pavés de Paris. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Le char funèbre, dont le corps date du Premier Empire, a encore été utilisé une dernière fois en 1894 et en 1899 pour deux présidents de la République !
Illus. 18 Funérailles du prince Jérôme Bonaparte en 1860. L’ancien char funèbre datant du Premier Empire et du roi Louis XVIII a été retrouvé les insignes napoléoniennes pour l’ex-roi de Westphalie, ainsi que le montre cette photo contemporaine.
Postface
Magnifiquement présentée dans la Galerie des Carrosses à Versailles, « La Voiture du Sacre » peut être comparée sur place avec la voiture « Le Baptême », qui est exposée en angle. Le char funèbre impérial et royal s’y trouve également.