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Infractions pour excès de passagers sur la route de La Rochelle à Rochefort en 1835

Bien avant l'institution du Code de la Route en 1921, il existait une police du roulage
réglementant la circulation hippomobile sur les routes et chemins de France. Celle-ci témoignait du
souci des gouvernants, que ce soit sous le régime de la monarchie absolue, de la république ou de
la monarchie constitutionnelle, d'assurer des déplacements plus sécurisés sur des routes trop
souvent dégradées. Dans les années 1830, de même que les maîtres de poste, les gendarmes
signalaient les besoins d'entretien et relevaient les infractions aux ordonnances, notamment celle
de 1829.
Une contravention pour surcharge de passagers dans une voiture ? C'était, semble-t-il, une
observation fréquente au début du XIXe siècle, bien avant l'invention du Code de la route
(1). Des
procès-verbaux de gendarmerie font en effet état, en 1835, d'entrepreneurs indisciplinés qui
n'hésitent pas à enfreindre la loi pour rentabiliser au mieux leurs transferts par la « Grande route
de La Rochelle à Rochefort
(2) ».


La Grande route de La Rochelle à Rochefort
C'est en effet ainsi que cette voie est nommée sur le cadastre napoléonien de 1828. Après
avoir été appelée « route impériale n°157 » en 1811, devenue ensuite route royale de 3ème classe
n° 137, elle relie Saint-Malo à Bordeaux
(3). Or, bien que relevant du réseau privilégié des axes
royaux, les routes de 3ème classe sont moins bien entretenues et se dégradent en raison de
matériaux de moindre qualité, d'un entretien défaillant, d'un trafic accru et du poids des voitures
de plus en plus important
(4).
Le confort pâtit bien sûr de cette détérioration du réseau routier, mais, surtout, la sécurité
des voyageurs et des conducteurs risque d'être compromise. En 1827, en France, « 4000 diligences
des Messageries royales s'abîment dans les fossés, faisant plus d'un millier de morts
(5) ». D'ailleurs,
de nombreuses plaintes concernant les excès de chargement des voitures publiques sont
déposées, compromettant à la fois la viabilité des routes et la vie des voyageurs
(6). Sur la route de
Tonnay-Charente à Rochefort, un voyageur imprudent ayant agité son mouchoir attaché à un bâton
a ainsi effrayé les chevaux à cause de l'ombre. La voiture s'est brisée, une passagère a eu « le corps
fracassé
(7) ».
 

Carte de la route des Trois Canons à Rochefort au début du XIXe siècle (8)

Carte de la route des Trois Canons à Rochefort au début du XIXe siècle (8)

C'est à la maréchaussée qu'il revient de veiller au respect des normes de transport des
voyageurs en s'appuyant sur une ordonnance de 1829. Cette dernière enjoint les propriétaires de
voitures publiques allant à destination fixe de déclarer le nombre de places, le trajet, le jour et
l'heure de départ, d'arrivée et de retour
(9). De plus, sont inscrits à l'intérieur le nombre de places, le
numéro et le prix de chacune d'elles
(10). « Les propriétaires ou entrepreneurs de voitures publiques
ne peuvent y admettre un plus grand nombre de voyageurs que celui que porte l'indication ci dessus
(11)
», affichée dans l'habitacle selon les différents espaces constituant cette voiture, et le tarif
payé par les voyageurs.

 

___________________

1) Après divers décrets sur le partage des voies à double sens en 1808, et une ordonnance de 1828 sur la vitesse, une loi organique de 1851 codifie les différents textes en vigueur sur le roulage. Un premier code de la route réglemente la circulation automobile en 1899, avant le décret du 27 mai 1921, qui prend le nom de Code de la route.
2) AD17, Cadastre napoléonien, 3P5089/01, 1828, en ligne.
3 Circulaires, instructions et autres actes émanés du ministère de l'Intérieur, ou relatifs à ce département, de 1797 à 1825 inclusivement, seconde édition, tome V, 1829.
4) Guy ARBELLOT, « Les problèmes de la route française à l'entrée du XVIIIe siècle », Histoire, économie et société, 1990, 9e année, n°1, pp 9-17. Disponible sur Persée, consulté le 20/09/2024.
5) « Voyages et déplacements au XIXe siècle », Château d'Espeyran, Centre national du Microfilm et de la
Numérisation, Archives de France.
6) AD17, S102, 6 novembre 1833.
7) AD17, S102, 24 avril 1835.

8) « © IGN », 1822-1866.
9) Ordonnance de 1829, art. 1.
10) Ordonnance de 1829, art. 5
11) Ordonnance de 1829, art. 5.

 

Voyager de La Rochelle à Rochefort au début du XIXe siècle

Départ de la diligence du Puy (collection privée)

Départ de la diligence du Puy (collection privée)

 

Le voyage de La Rochelle à Rochefort est réalisé en trois heures, avec un relais au lieu-dit Le
Passage, à l'emplacement actuel du Marouillet
(12). La route étant reconnue comme difficile ou
longue, un cheval de renfort était accordé tant au départ de La Rochelle que du Passage pour
rejoindre Rochefort du 1er novembre au 1er avril
(13). Plusieurs entrepreneurs de voitures publiques
ont obtenu l'autorisation préfectorale de faire circuler leurs voitures sur ce trajet, ce qui en fait un
axe assez fréquenté.
Les diligences sont les véhicules les plus nombreux, disposant de 12 places comme celle de
Husard et Deromaigné, ou de 8 places pour celle de Guerry et Suire ; des berlines de la veuve
Mozan ou Antoine Joubert transportent de 7 à 9 personnes, une patache
(14) appartenant à Jean
Bouhaut contient 4 places. Les plus grandes sont les voitures appelées « jumelles », comportant de
13 à 14 places
(15).
Le rythme est en général journalier, ou tous les deux jours, avec retour dans la journée. Des
entrepreneurs proposent de circuler dans une voiture « neuve et élégante »
(16), et déploient des
efforts pour séduire la clientèle face à la concurrence. Deromaigné aîné et Cie, dont les bureaux
sont chez le chapelier Girard, rue Saint-Pierre, au coin de la place d'Armes (place Colbert) propose
un prix de 50 c « au-dessous des autres voitures »
(17) ; il s'agit d'une entreprise assez importante
possédant au moins sept voitures dont les plus grandes peuvent acheminer 8 à 12 voyageurs.
L'entreprise Ponty aîné et Cie, chez MM Ponty aîné et frère jeune, 56 rue Audry, près de la porte de La Rochelle, assure un tarif modéré et un souci de satisfaire le public. Métivier, mis en cause
dans un des procès-verbaux, est en place depuis 1835 au moins, et mobilise une seconde voiture
en 1837
(18) ; ses bureaux se trouvent chez M. Roux, hôtel de la Coquille, 44 rue Audry à Rochefort19.
En 1838, face à la concurrence d'une entreprise organisant le voyage de Nantes à Bordeaux,
Métivier se résout à baisser ses prix : 1,25 F en banquette, et 2 F dans le coupé.

Photographie d'une caisse de voiture correspondant à la description du procès-verbal, avec l'aimable autorisation de Franck Lacroix

Photographie d'une caisse de voiture correspondant à la description du procès-verbal, avec l'aimable autorisation de Franck Lacroix

 

Les voitures publiques allant à destination fixe se composent d'un coupé à l'avant surmonté
d'une banquette d'impériale, suivi d'une rotonde à l'arrière. Une banquette peut être placée sur
l'impériale pour le conducteur et deux voyageurs, parfois recouverte d'une capote flexible.
Derrière les sièges, une « vache » en une ou plusieurs parties est protégée par une couverture
incompressible pour recevoir les bagages20. Les voyageurs s'installent à l'emplacement
correspondant au tarif qu'ils ont payé, affiché au-dessus de chacune des places, à côté de leur
numéro : les plus aisés vont dans le coupé, la rotonde reçoit ceux qui le sont moins, et l'impériale
est pour les moins fortunés.

___________________

12) Les relais se situent tous les 8 à 12 km environ, avec une distance minimale de 8 575 mètres (Patrick MARCHAND, Le maitre de poste et le messager, les transports publics en France au temps des chevaux, Belin, 2006, p. 193). Voir la carte d'état-major 1820-1866.
13) Livre de poste, ou état général des postes aux chevaux du royaume de France.suivi de la carte géométrique des routes desservies en poste, avec désignation des relais et des distances pour l'an 1831, 1831, 314 pages.
14) Mauvaise diligence à deux roues, mal suspendue, et dans laquelle on voyageait à peu de frais (cntrl.fr).
15) AD17, S102.
16) L’Écho rochelais, 8 mars 1839, disponible sur le site Retronews.BnF, consulté le 15/09/2024.
17) L’Écho rochelais, 8 mars 1839, disponible sur le site Retronews.BnF, consulté le 15/09/2024.

18) Métivier est toujours présent dans l'annuaire de 1846, consultable à la médiathèque de Rochefort.
19) Médiathèque de Rochefort, Annuaire rochefortin pour l'année 1846.
20) Ordonnance de 1829, art. 13 à 15.
21) Le décret n°2018-795 du 17 septembre 2018, article R. 412-1-1, prévoit une contravention de 4ème classe pour surnombre de passagers en fonction de l'indication portée sur la carte grise.

 

Les procès-verbaux pour non-respect du nombre de passagers
Le 14 juillet 1835 et le 20 octobre de la même année, deux procès-verbaux sont dressés à
l'encontre des entrepreneurs Métivier et Bagner, de La Rochelle, disposant tous deux de bureaux à
Rochefort. Les deux voitures transportent trop de passagers au regard de l'ordonnance de 1829
(21).
En effet, le 14 juillet 1835, alors qu'ils reviennent de la correspondance des Trois Canons avec des prisonniers devant être conduits à la prison de Rochefort, deux gendarmes à cheval rencontrent
vers une heure de l’après-midi, entre Le Vergeroux et Rochefort, « une voiture publique peinte en
jaune attelée de trois chevaux faisant un service régulier de Rochefort à La Rochelle »
(22). Constatant
la présence « sur l'impériale [de] huit personnes, à côté du postillon deux et dans l'intérieur plein
et comme des harengs », les gendarmes somment le postillon de s'arrêter. Voyant ces derniers
empêchés dans leurs mouvements par l'escorte de leurs prisonniers, le postillon Baud refuse
formellement d'obtempérer, se sachant en contravention. Le procès-verbal est cependant envoyé
au juge de paix ; malgré deux jugements, le procès-verbal est finalement annulé et Bagner est
renvoyé de la plainte sans dépens. 

Procès-verbal rédigé par les gendarmes23
Procès-verbal rédigé par les gendarmes23

Procès-verbal rédigé par les gendarmes23

 

Par contre, le 20 octobre, l'entrepreneur est condamné à 1 F d'amende, soit la moins
élevée des contraventions de 1ère classe, selon le Code pénal de 1810
(24). La voiture devait être plus
petite puisque les gendarmes, revenant de la correspondance des Trois Canons, constatent la
présence de « huit voyageurs sur l'impériale, n'ayant le droit qu'à trois, y compris le conducteur seulement dans le cabriolet attenant à la vache
(25) ». Un procès-verbal est dressé à l'encontre du
conducteur de la voiture du sieur Métivier, « n'étant pas soumis aux lois comme le veut
l'ordonnance de 1829 et autre concernant le mode de conduite de voiture publique allant à
destination fixe ». Au terme de deux jugements, il est finalement condamné à 1F d'amende.

Infractions pour excès de passagers  sur la route de La Rochelle à Rochefort en 1835
Infractions pour excès de passagers  sur la route de La Rochelle à Rochefort en 1835

 

La première voiture incriminée est conduite par un postillon, le sieur Baud, la seconde est
accompagnée un conducteur. Le statut de ces deux personnes est lié à leur mission. Le conducteur,
employé par l'entrepreneur, est responsable de la voiture, des voyageurs et des paquets
transportés. Le postillon, quant à lui, est chargé de conduire les chevaux de son relais de poste au
suivant, et les ramène à son point de départ, après un temps de repos. Sa place était
traditionnellement sur le cheval de brancard de gauche ; mais, depuis le règlement de 1827
imposant un frein manœuvrable par le conducteur, il est dorénavant sur le siège, comme les
cochers
(26). Cependant, le nom de « postillon » reste encore associé à certaines voitures, même s'il
mène la voiture comme un cocher. Conducteurs et postillons sont supposés avoir reçu une
formation et ne peuvent se voir confier la conduite des voitures publiques que s'ils sont pourvus
de livrets délivrés par le maire de leur commune de domicile, ou d'une attestation de bonnes vie et
moeurs et de capacité à conduire
(27). Un livret mentionne leur état-civil en 1822, et cinq ans plus
tard, un registre centralise les informations relatives aux postillons, notamment « leur conduite, les
punitions encourues et les récompenses méritées, ainsi que les accidents
(28) ».
D'autres contraventions plus fréquentes concernaient, pour les voitures de transport public
allant à destination fixe, le défaut de la plaque de métal d'identification, mentionnant le nom et le
domicile de l'entrepreneur. Cette plaque représentait la certitude de la vérification de la voiture
par des experts préfectoraux, qui certifient que le véhicule ne présente « aucun vice susceptible de
compromettre la sûreté des voyageurs » ; le préfet transmet son autorisation à la Direction des
contributions indirectes
(29) . La taille des jantes et le poids des voitures de transport étaient
également surveillés ; supportant des poids trop lourds, des jantes trop étroites peuvent créer des
ornières et dégrader le réseau routier, déjà difficile à entretenir et mises à mal par le poids des
voitures surchargées. La préoccupation était de préserver les routes et par conséquent d'assurer la sécurité des voyageurs.
Si les grandes routes de 1e et 2e classes, construites au XVIIIe siècle, menant de la capitale
vers les ports et les frontières, sont encore en bon état, considérées comme les vecteurs des
privilégiés et du pouvoir, les routes de 3e classe souffrent d'un manque d'entretien. Depuis la
suppression de la corvée par Turgot en 1776, cette maintenance est supportée moitié par des
départements, moitié par l’État. L'institution de l'impôt sur le sel, puis de la taxe des centimes
additionnels permettent aux départements de contribuer à ces dépenses et d'améliorer le réseau.
Mais la sécurité des voyageurs et des véhicules relève de l’État, par le biais d'institutions telles que
la gendarmerie nationale.

22) ARO, VRAC 2H2, 14 juillet 1835.
23) ARO, VRAC 2H2, 14 juillet 1835.
24) Code pénal, 1810, art. 474.

25) ARO, VRAC, 2H2, 20 octobre 1835.

26) Élise FAU, « Le cheval dans le transport public au XIXe siècle, à travers les collections du musée national de la
voiture et du tourisme, Compiègne », In Situ, 2015, disponible sur OpenEdition, consulté le 05 septembre 2024.
27) Ordonnance de 1829, art. 31.
28) Patrick MARCHAND, Le maître de poste et le messager », op. cit., p. 266.
29) AD17, S102.

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M
Magnifique, avec vous j'en apprend à chaque fois davantage. Merci
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