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La roulotte de monsieur Révil
Brice Thomas, créateur et rédacteur de l’illustre journal Le Guide du carrossier, définissait ainsi la roulotte : « voiture qui sert au transport de familles entières de commerçants, forains, comédiens ou montreurs de spectacles, qui vont de localité en localité exercer leur négoce ou leur métier. Cette voiture est une demeure ambulante ». Pour tous elle symbolise le monde des tziganes, des gitans et autres « gens du voyage ». Or elle a aussi connu des versions luxueuses pour excursionnistes nantis. Brice Thomas l’atteste : « Quelques amateurs riches qui en possèdent, dans un espace nécessairement restreint, prétendent tous au meilleur confort possible. C’est ainsi que le grand-duc de Russie en possède une qui comprend : salon, salle à manger, chambre à coucher, cuisine, Water-closet, poste d’observation, etc. ». C’est donc le véhicule idéal pour voyager en toute indépendance, sans être soumis aux contraintes des auberges et des hôtels et à leurs surprises, et pour s’assurer un confort permanent et « sur mesure ». Ces maisons roulantes eurent donc leurs adeptes, parmi lesquels Fernand Révil.
La roulotte de Fernand Révil attelée en arbalète
Un amateur de voyages et de chevaux
Cet aimable personnage, auquel une fortune solide autorisait un train de vie confortable et brillant, aimait les voyages, l’archéologie, l’architecture et la photographie. Il ramena de ses périples à travers l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, et l’Egypte, de nombreux clichés, aujourd’hui témoignages précieux d’une époque révolue. En dehors des voyages, il partageait son temps entre sa résidence parisienne et ses propriétés de Longval, près de Rouen, et de Villevieille, pittoresque village languedocien, près de Sommières, à mi-chemin entre Nîmes et Montpellier. Lorsqu’il ne sillonnait pas les mers à bord de son yacht, il parcourait les routes de France en voiture hippomobile. Car il était aussi un homme de cheval accompli, cavalier et meneur. Des photographies nous le montrent tantôt montant les chevaux de son élevage normand, ou son camargue Meleto, tantôt aux guides d’un Alexandra dog-cart (1880), de son phaéton, à Paris en 1881, de son américaine, à Longval en 1890, de sa bourbonnaise attelée en tandem, devant le château de Boissière dans le Gard, ou du park-drag de ses amis Béjot (1890). Traverser la France en attelage de Rouen à Sommières constitue encore à la fin du XIXème siècle une véritable expédition. En 1894 notre homme décide de faire le voyage en roulotte. Il organise tout, conçoit les plans de sa roulotte, en imagine le mobilier et les équipements et décide de leur agencement. Il en confie la réalisation à M. Gagneux, charron de Lorey, près de Montargis dans le Loiret, auquel un ami l’avait adressé. Curieux d’en savoir davantage sur cette entreprise originale, ses nombreux amis l’incitent à relater son aventure. Il finira par rédiger un article publié en août 1906 dans la revue Touring Club de France, dans lequel il décrit minutieusement sa roulotte. Celle-ci ayant disparu depuis longtemps, force est de lui emprunter de larges extraits pour évoquer cet original véhicule.
Madame Révil montant dans sa roulotte
Une roulotte de rêve
Elle mesure « 4 m. 80 de long, 2 de large. Elle est divisée en deux pièces, avec petit balcon sur le devant. Dans la pièce du fond, un grand lit. Sous le lit des tiroirs formant commode. Cette chambre à coucher a trois fenêtres. Dimensions 2 m. 20 de long, 2 mètres de large. La pièce de devant, 2 m.10 sur 2, deux fenêtres et une porte vitrée à deux battants donnant sur le balcon de 50 centimètres. A celui-ci, une porte de côté permet de monter en marche et, sur le devant, une porte double s’ouvre pour l’escalier. Les matériaux, sapin et chêne vernis, les murailles doubles. La toiture en zinc avec galerie. Le train en bon charronnage peint en rouge ; une mécanique. Derrière, un grand caisson sous la moitié du lit, s’ouvrant de l’extérieur. Les roues de derrière étant très hautes, s’emboîtent dans la caisse. La saillie intérieure qui en résulte disparaît presque entièrement sous les extrémités du lit…. Prix convenu 1250 francs. Je vous vois d’ici, lecteurs, dire en souriant : qu’a-t-on pu lui donner pour 1250 francs ? Eh bien, on m’a donné une voiture que j’ai depuis douze ans, qui a passé presque tous les hivers et les étés dehors, et qui, depuis deux ans, est exposée à toutes les intempéries du Causse Noir, à 900 mètres d’altitude. Extérieurement, je l’ai revernie trois fois, intérieurement une fois. Le train et les ferrures ont été peints deux fois, et la voiture est comme neuve. »
« Me voilà donc pourvu de la voiture rêvée. Il fallait la compléter. Une toilette était nécessaire. Aucune de celles du commerce ne pouvait aller. J’en inventai une que je pus placer dans l’angle de la chambre. Sur le toit de la roulotte, un grand réservoir de 60 litres fournit l’eau par un robinet articulé. Le haut de la toilette est réservé aux brosses, peignes, objets divers, et est fermé par une porte à glace se relevant. En dessous, la cuvette, très grande, les boîtes à savon et les verres à dents. Deux volets, sur lesquels sont fixés dans des gaines de cuir deux gros flacons et divers objets, ciseaux, limes, etc., se ferment sur la cuvette. En dessous, seconde cuvette de forme allongée, et les éponges suspendues aux volets. Tout en bas une petite armoire formant table de nuit. Par un mouvement de bascule, les deux cuvettes, pourvues d’un bec, versent leur contenu dans des entonnoirs en zinc s’écoulant sur le sol. Le haut des volets de la cuvette supérieure est muni de glaces qui, avec celle fermant l’armoire à peignes, forme un triptyque fort commode. A l’angle opposé, j’installai une penderie avec un rideau.. Dans le plancher, deux trappes : l’une pour la boîte à chaussures, l’autre pour prendre et remettre un seau hygiénique indispensable. »
« A chaque bout du lit j’installai deux petites tablettes à rabat, très commodes pour poser la lampe le soir. Sous les extrémités du lit, Gagneux avait ménagé au-dessus des caissons des roues deux petites armoires. » Dans le salon-salle à manger, de chaque côté de la porte ouvrant sur la chambre, « deux petits buffets d’angle, complétés par des étagères où les verres et les carafes engagés jusqu’à mi-hauteur dans une tablette percée de trous, supportent sans accident tous les cahots. Les tasses sont accrochées, les soucoupes maintenues par une patte en cuir. Sur le devant, un poêle en fonte minuscule, de l’autre côté une armoire à linge, aux murailles deux petites étagères pour les livres avec courroies transversales empêchant les volumes de tomber. Ce sont celles d’un de mes bateaux que j’avais gardées. De tous côtés sont fixés des crochets de cuivre retenant mes fusils, mes lignes. Dans les buffets, des provisions, des outils, des plats, des assiettes. »
La roulotte en bivouac à Laguiole (Photo F. Révil, archives Edith de Craene)
« Pour mes chevaux et mes hommes, j’ai une tente ronde de 5 mètres de diamètre avec un mât au milieu, 16 piquets de 2 mètres. Tout ce matériel se place facilement sous la voiture. On ne peut se figurer tout ce qu’on peut loger dans une roulotte. Une pioche, une pelle, un cric, une échelle pliante, des seaux, un fourneau à pétrole contenu dans une gaine en tôle où se place le matin, la marmite du pot-au-feu qu’on écume aux arrêts et que l’on trouve succulent en arrivant à l’étape. Dans le grand caisson arrière on arrime les provisions, la batterie de cuisine et un fourneau démontable au charbon de bois, avec coquemar plat à grande surface de chauffe, rôtissoire, etc. Sur le toit on peut mettre une malle de réserve, et aussi les couvertures, selles, brides et tout ce qui concerne les chevaux. Au besoin quelques bottes de foin et de l’avoine. »
En route vers le Midi
L’attelage en arbalète, conduit par William, le cocher écossais, à cheval sur le timonier gauche
« Tout étant bien installé, je suis parti des environs de Rouen au mois d’octobre 1894, ayant sur la roulotte trois chevaux de chasse : une jument du pays de Galles et deux chevaux de mon élevage, attelés en arbalète et conduits à l’allemande par un homme monté ; ceci, afin de n’avoir personne que ma femme et moi dans la voiture et de pouvoir, en toute liberté, ouvrir les deux portes du devant et nous installer à lire quand, par exception, nous étions dans la roulotte pendant la route ».
En effet, le maître et son épouse voyagent le plus souvent à bord d’une bourbonnaise attelée à « une jument irlandaise infatigable, Hilda » qui leur permettait « une entière indépendance de la roulotte, tantôt la rattrapant, tantôt la devançant, suivant l’intérêt du pays ». Egalement construite selon les directives de Fernand Révil, non sans fierté, puisqu’il écrit au dos d’une photo la représentant : « ma bourbonnaise. Garde-crotte et capote de mon invention, 1892 ».
Inscription de la main de Fernand Révil, au revers de la photo de la bourbonnaise
Cette voiture à deux roues est une sorte de charrette robuste, aux panneaux latéraux cintrés à leur sommet et divisés par des montants verticaux. Originaire du Bourbonnais, elle était utilisée à la campagne, notamment pour la chasse. En homme avisé et expérimenté, Révil avait fait équiper la sienne d’une capote de toile écrue qui le protégera, ainsi que sa passagère, de la pluie et du soleil durant les longues étapes du voyage, de deux lanternes carrées et d’une trompe dans son étui de cuir.
La bourbonnaise avec laquelle Fernand Révil et sa femme suivent la roulotte
Le goût que Fernand Révil portait aux chevaux et aux beaux équipages se manifeste dans le choix de l’attelage pour sa roulotte : une arbalète formée de trois demi-sang athlétiques et racés, à queues coupées, comme il était alors de règle pour les chevaux d’attelage. Garnis de harnais à colliers anglais, ils sont menés à l’allemande par William, le cocher écossais de la maison, devenu pour la circonstance postillon chevauchant le timonier gauche. « Il a mené à cheval pendant 800 à 900 kilomètres entre Rouen et Villevieille, cet attelage en arbalète très long et très difficile à conduire, sans le moindre accident. Nous avons eu la possibilité tous les soirs de lire, écrire, développer les clichés pris en route, exactement comme si nous étions dans notre maison. Travailler intellectuellement est un des charmes de la roulotte. Fort souvent, le soir, nous veillions jusqu’à onze heures ou minuit, écrivant, lisant, étudiant la route du lendemain ».
« La vitesse moyenne journalière a été de 35 kilomètres, mais certains jours nous en avons fait 50 et même plus. Aucun cheval ne s’est blessé et tous sont arrivés en parfait état…..Pendant la route, j’ai pesé la roulotte en pleine charge avec deux personnes dedans ; son poids était de 2500 kilos. Sur bonne route, mes trois chevaux faisaient facilement 10 à 12 kilomètres à l’heure et, bien que j’aie rencontré de fortes côtes, jamais je n’ai pris de chevaux de renfort ».
Pendant ce temps, les enfants Révil et leur nurse faisaient le voyage en train.
Dernier conseil, ô combien piquant, de notre voyageur : «Il est une chose contre laquelle je voudrais mettre en garde ceux qui seraient tentés par ce genre de voyage, c’est l’achat d’une grande voiture pourvue de nombreuses pièces et pesant un gros poids. Si l’on veut beaucoup de place et de confortable, il faut deux, trois, quatre roulottes de 5 mètres sur 2 mètres. Chacune sera suffisamment légère, courte et étroite pour passer partout et procurer le véritable plaisir de ce genre de voyage qui est de pouvoir aller où l’on veut. En réunissant les diverses voitures, que par des moyens très simples on peut faire communiquer, on compose un véritable appartement ».
Baptisée " The Wanderer" (le vagabond),une roulotte comparable construite dix ans plus tôt pour le docteur écossais William Stables ancien officier de marine, et qui a effectué son prmier voyage en 1885, est conservée par le Cotswolds Caravan Club dans le Worcestershire.
The Wanderer appartenant à William Stables
Achevée en 2007 aprés dix années de travaux, une restauration minutieuse lui a rendu tout son éclat originel et nous permet d'admirer le luxe de ces demeures nomades pour voyageur fortuné, ancêtres de nos modernes mobil home.
Pour cela rendez vous sur le site: link
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Jean Louis Libourel.
L’article « La roulotte de Monsieur Révil » a été publié par Attelages Magazine (n° 16, juin-juillet 2001)
Illustrations:
Photos prises en 1894 par Fernand Révil (archives privées Edith de Craene)
Nous complètons ces deux magnifiques articles par deux cartes postales représentant une autre roulotte de luxe; " comète", plus tardive, appartenant à M sennavoy, membre fondateur du "home car club"