Il faut vivre dangereusement…
1992 “ Inter Haras ” à Cluny.
Evénement majeur qui chaque année met en concurrence, en tandem et en attelage à quatre, les chevaux et les gardes des Haras. Rassemblement
sensationnel d’étalons de sang, mais aussi des neuf races de trait françaises que le monde entier nous
envie.
Voitures prestigieuses, inventoriées au patrimoine national.
Fragile vitrine…
Que reste-t-il aux chevaux de trait pour prolonger leur existence, si ce n’est le débardage encore, dans quelques forêts, et les compétitions d’attelage où ils ne sont pas très nombreux ?
C’est à pleurer.
Que reste-t-il des Haras pour lesquels j’aimais à dire que les impôts, là oui, pour eux, je les payais de bon cœur ?
Peau de chagrin.
Formidables encolures nattées de tricolore, parées d’une queue de
renard attachée au frontal et cerclées de grelottières
empoilées de blaireau. Croupes alertes et rebondies, queues tressées de laine ou
de paille, souvent coupées afin que les guides ne se prennent
dedans.
Pratique révolue à présent. Fanons velus, pieds grands comme des assiettes, et
surtout, regards de velours, car ces gros sont des
tendres, des grands gentils.
Comme je m’attarde, en admiration devant un ardennais vêtu d’une incroyable robe isabelle, on me demande si je ne voudrais pas être
juge de voiture pendant le marathon sur un attelage à quatre comtois.
Evidemment, je saute sur l’occasion.
Equipée de mon casque de « compète », d’un chrono, d’un crayon
et d’une feuille de pénalités, je m’assois en touriste aux premières loges,à la gauche du meneur.
Je ne vais pas être déçue de l’expédition.
Nous sommes au début de l’ancienne voie ferrée, là où se donne le départ. Nous bavardons un
peu. Celui qui tient les guides
m’explique qu’il n’a pas bien l’habitude de mener à quatre,
- Ah bon ?
L’un des grooms en rajoute en me disant que le timonier gauche n’est attelé que depuis deux jours…
- Ah ?
Eh bien, on va faire avec, n’est-ce-pas ?
Personnellement il me manque au moins une « case » : j’affronte le danger. Un peu suicidaire peut-être, ou fataliste, on ne sait pas.
Nous partons... Pas loin.
Au bout de quelques pas, le timonier gauche qui est sous mon nez, se pointe, s’effondre, glisse sous le timon et fait tomber le timonier droit.
Là, quand même, on est mal…braves, les comtois ne se débattent pas.
Par chance, pas de bobo. Les grooms arrivent à les démêler de leurs traits, à les remettre debout et en place.
- Lààà, tout doux…
Nous repartons.
Le novice est calmé. Il a appris beaucoup en peu de temps.
En troupeau, il suit sans se poser de question. La phase de pas, n’en parlons pas, ils vont trotter tout le temps.
Pour les pénalités, ça fait mal !
Nous grimpons les côtes de Varanges. C’est raide, ça occupe les chevaux qui mettent tout leur cœur à l’ouvrage sous leurs crinières d’un blond d’enfant. Pas grands, les comtois,
mais avec de l’énergie et du sang. Puis, nous redescendons, c’est toujours aussi raide, et là, ça se gâte. Les volées cessent d’avancer, les timoniers continuent de tirer.
On se rentre dedans. Les volées s’échappent à gauche. Pour un peu ça ferait un
quadrige… l’ennui, c’est que la voiture commence à verser du côté du meneur, lequel avec
un flegme qu’on lui envierait Outre-Manche, se lève et s’assoit sur mes genoux !
Sauvés !
Au rappel, les quatre passagers remettent la voiture sur ses roues, les volées reviennent à leur place et nous débouchons enfin en terrain plat sur le champ de courses autour duquel sont repartis les
obstacles à négocier.
Le meneur me dit alors :
- Ça ne vous a pas dérangée que je m’assois sur vos genoux ?
- Oh non, pensez donc…
Alors, après avoir fait quelques nœuds dans les obstacles, nous irons jusqu’à l’arrivée, intacts, et tous ensemble.
Je ne savais pas qu’on avait autant l’esprit d’aventure dans les Haras.
Julie Wasselin