"le Flot"
Fin juillet sur le centre de la France, une lumière aveuglante, insupportable, un silence vibrant comme un essaim, une chaleur à défaillir. Il n’y a personne autour des étalages de la brocante, en cette heure où il ferait bon se
dévêtir
et s’abandonner sur un lit, dans une chambre aux volets clos, en attendant que la fournaise cesse de vomir ses entrailles.
Sur le stand, de vieux cuirs achèvent de se racornir. Fontes, guides déformées, traits dépareillés, colliers éventrés, bottes
avachies,
éculées, selle d’armes durcie dont l’âge et le manque d’entretien n’ont pas amélioré l’inconfort de l’arçon, éperons
féroces, culeron craquelé et sellette armoriée… mors étincelants sous le soleil, Verdun, Chantilly,
Liverpool, buxton, quatre anneaux, coup de poing… quelques cravaches, un flot, des plaques de concours qui ne célèbrent plus rien, des fouets
cassés, un hackamore, des licols fanés, une longe et un chasse-mouche dont pas un souffle d’air n’agite plus les crins poussiéreux.
Mortel.
Et, soudain, une apparition.
Levant sous ses espadrilles un nuage léger, un enfant seul entre sur la place. Un garçonnet qui peut avoir sept ou huit ans. Entre ses
mains,
les baguettes d’un jeu de diabolo.
- Bonjour madame.
- Bonjour toi…
- Ça vous ferait plaisir, madame, que je vous fasse une démonstration de diabolo ?
- Bien sûr !
Après un grand salut, le gamin commence à jongler, faisant tournoyer, sauter, danser et grimper dans les airs le
diabolo, enjambant avec habileté la cordelette qui relie les bâtons jusqu’à ce que le diabolo lui échappe et rebondisse à ses
pieds.
- Oh, excusez-moi, madame,… vous voulez que je recommence ?
- Oui, oui.
Quand enfin il termine, il vient à nouveau saluer.
- Ça vous a plu, madame ?
- Beaucoup. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Tiens voilà de quoi t’offrir une glace.
- Merci madame… je peux prendre aussi les rubans ?
- Mais oui mon petit, tiens, ça s’appelle un flot. Tu l’a bien mérité et c’est moi qui te remercie.
D’un pas léger, alors, il disparaît.
C’est un début d’insolation, sans doute, un rêve peut-être ?
Non… le flot n’est plus là.
Julie Wasselin