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Par figoli
Le Pompidou
Noël 1962, sur le plateau de Millevaches au fin fond de la Creuse.
L’hiver est installé depuis un mois déjà, terrible cette année là, semblant figer la campagne dans un silence duquel ne sort de temps à autre que le tintement des chaînes liant les vaches à leur crèche.
La neige est omniprésente, et recouvre l’unique route du hameau non encore goudronnée à cette époque, scintillante sous la lune alors pleine.
Au coin de l’âtre, à la lumière commune de l’unique ampoule électrique et de la lueur du feu est assise une famille, ma famille. Il y a là, ma grand-mère, la Mélie, petite femme toujours pliée en deux suite à un mauvais coup de corne reçu dans sa jeunesse mais toujours gaie, l’œil vif et malicieux, un avis sur tout, son amour pour tous. En fait , c’est elle qui mène la maisonnée, souvenir sans aucun doute des six années passées sans son Guste alors au service militaire puis vite enrôlé dans ce qui devait être la der des der. Elle ravaude les chaussettes de son homme dans la douce odeur des châtaignes qu’il pèle à ses côtés avant de les enfouir sous la braise.
A leurs côtés, taciturne selon son habitude, le René, leur fils, mon oncle, lit son journal, émettant de temps à autre un grognement dont nous imaginons tous qu’il se veut un commentaire, acide sans doute. Lui et moi ne nous aimons pas, du moins pas beaucoup. Nous ne savons pas trop pourquoi, c’est ainsi.
Il a fait celle de 39/45 et ne jurera jusqu’à sa mort que par un seul homme, De Gaulle. Il fut pourtant très vite fait prisonnier, alla « se promener » un temps en Allemagne d’où il réussi cependant à s’évader et rapporta en guise de souvenir une balle logée dans le gras de la fesse. C’est là son seul titre de gloire et notre voisin, ancien maquisard, du moins le prétend-t-il, communiste bon teint, ne se prive pas lors de leurs régulières prises de bec, de lui rappeler que son seul fait d’armes est d’avoir été blessé alors qu’il tournait le dos à l’ennemi. Je vous laisse imaginer la suite.
La Guitte, sa femme, petite belette affairée, trottine du fournil à la salle commune, une brassée de haricots secs dans son tablier. Elle n’arrêtera de les écosser que pour disposer au fond de la vénérable cuisinière à bois, la brique qui, après avoir été soigneusement pliée dans un vieux journal, chauffera délicieusement le creux de mon lit tout de laine et de plumes.
Enfin, dans un angle, silhouette hiératique et grisonnante, la chevelure soignée mais toujours une mèche rebelle, silencieuse, l’Henriette. A l’aide d’un pilon de buis passé dans le trou central du couvercle d’un pot de terre, elle s’occupe à battre la crème du matin.
Elle fabrique ainsi un beurre épais qui dés demain couvrira l’épaisse tranche de pain de quatre livres que ma bonne grand-mère aura préalablement fait griller près du feu ravivé dés l’aube.
Elle habite dans un hameau situé à quelques petits kilomètres de chez nous, est veuve depuis que la grande boucherie de Verdun lui a ravi son homme et vivote sur une petite locature en élevant une vache, quelques chèvres, diverses volailles et un âne. C’est avec lui et son éternelle gerbière déglinguée, qu’elle récolte le peu de foin nécessaire à la survie hivernale de la vache et des lapins ainsi que les pommes de terre dont elle fait son quotidien.
Elle doit à son statut d’épouse de l’infortuné camarade d’enfer du Guste ainsi qu’à son éternelle gentillesse, d’être ce soir de Noël au coin de notre feu comme elle y viendra très souvent tout au long de l’hiver.
Elle n’est pas venue seule. Pompidou, son âne, l’a amenée.
Eh oui, Pompidou, drôle d’idée, direz-vous, d’affubler son âne d’un tel nom alors que l’homme d’état originaire du Cantal voisin, est encore inconnu de la majorité des Français et ne sera nommé premier ministre que dans quelques mois, propulsant du même coup son nom en pleine lumière.
En fait, l’explication est simple. Le défunt mari de l’Henriette était originaire d’un petit village de la Lozère, Le Pompidou, et poussé par la misère d’alors, était venu s’embaucher comme valet de ferme dans notre Creuse pourtant pas beaucoup plus prospère. Il l’avait emmenée, une fois, aux fins des rituelles présentations à la famille.
Elle avait adoré ce nid d’aigle perché sur la corniche cévenole et à sa disparition avait appelé son âne ainsi. Drôle d’hommage !!!
Pompidou, donc, était venu tôt dans la soirée, poinçonnant de ses petits sabots noirs enfoncés droits dans la neige l’épais manteau glacé. Il goûtait un repos bien mérité, en « patience » sous un abri proche.
Il mastiquait avec application le délicieux foin arraché aux flans des Monédières limousines accompagné d’un copieux barbotage de « méteil », mélange d’orge et d’avoine que nous cultivions alors en couverture des prairies nouvellement installées.
La soirée s’écoulait, paisible, chaude, heureuse, rythmée par le crépitement des flammes et les quelques mots échangés par les femmes. Nous étions loin de la richesse mais n’ayant pas besoin de grand-chose, rien ne nous manquait.
Soudain, au dehors, perçu entre deux rafales de vent glacial, un crissement dans la neige.
Puis un autre, et encore.
Les bavardages cessent, les oreilles des hommes se font plus attentives. Les femmes, quant à elles se recroquevillent tout doucement sur leurs tabourets. Nous ne sommes pas si loin du Berry noir, de ses sorciers et autres farfadets et il n’est pas rare à cette époque de rencontrer, clouées sur les portes des granges, de malheureuses chouettes alors accusées de porter la mort. La Mélie quant à elle, en à vu d’autres et son œil noir fouille la nuit à travers la fenêtre gelée.
C’est alors qu’une langue immonde, rosâtre et rugueuse passe en un éclair sur la croisée, laissant dans le givre la trace gluante de sa visite démoniaque.
Les réflexes de l’ancien poilu reprennent alors le dessus et, silencieusement, Guste déplie ses longues jambes déjà engourdies. Il impose le silence aux douleurs qui depuis de longues années lui cisaillent les reins et se saisi de l’improbable escopette placée sur le manteau de la cheminée. Il s’agit là d’une arme dont un lointain aïeul lui a fait don.
Elle repose bien évidemment sur les inévitables pattes de sanglier elles-mêmes flanquées des deux non moins habituelles douilles d’obus martelées par un malheureux soldat en mal de permission.
La poudre noire est censée propulser un plomb d’un calibre approximatif et d’aussi loin que mes souvenirs remontent, je l’ai toujours vue ne faire tomber que des feuilles et voler la poussière.
Alors que pour la seconde fois le démon apparaît à la fenêtre, « le vieux » ouvre l’épaisse porte de chêne et se précipite dehors, la Mélie sur les talons. L’arme tonne.
Le monstre hurle, touché et disparaît dans un nuage de neige soulevée par son galop frénétique.
Eh oui, Henriette, ce soir là, il m’en souvient, vous êtes rentrée à pied et c’est en nage que vous avez rejoint le bon Pompidou, immobile depuis longtemps déjà devant son écurie, fouaillant rageusement l’air de sa queue afin de chasser ces infernales mouches hivernales qui lui dévoraient la croupe.
Peu s’en fallut que ce soir-là il perdit la vie.
Mais la robustesse légendaire des ânes et la piètre qualité de l’armement de mon aïeul le sauvèrent.
Nous l’avons vu par la suite et durant de longues années encore, tirer sa provende au long des chemins creux.
L’Henriette, décidément bien brave femme, n’eut pas le cœur de lui faire connaître le boucher.
Les seules blagues qu’il connût alors furent de ce tabac gris que lui tendaient les enfants et qu’il mâchonnait paisiblement au soir de sa vie.
Texte: Michel Meton
Photos: Courtoisie, Michel Meton.
La gerbiere de "Pompidou" est encore en service actuellement .
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