Les gants
Ils sont là, dans cette boite où je les ai oubliés, noircis, fragiles, desséchés. Ils n’ont plus rien à voir avec ceux que j’avais achetés avec des strass au fond des yeux, pour
mon premier concours, il y a … oh, c’est si loin qu’il vaut mieux ne pas me retourner.
Ils ont vécu au moins trente années de compétition.
De loin, ma foi, on ne voyait pas que, de beurre tendre et frais qu’ils étaient, ils s’étaient petit à petit culottés comme les vieux fourneaux se calcinent au feu, tout
comme s’amincissaient, se noircissaient, se lustraient les rênes et les guides qui les usaient.
Ils ne me servent plus à rien, ne ressemblent plus à rien, mais je suis incapable de m’en séparer.
Ils sont encore le lien fragile qui m’a unie à Fandiouth, anglo, agitateur musclé s’il en fut, Primo de Solera, majestueux pur-sang anglais qui m’a presque tout appris, The Marvel, pur-sang
américain qui portait tellement bien son nom, Peanut Barrade, Welsh intrépide et fou qui, plus qu’aucun autre, m’a tout donné,
Falone, Franches-Montagnes, dont la noblesse et l’amour me consolent encore d’être à pied… et d’autres qui n’étaient pas à moi… le lien délicat entre leur bouche et ma main, entre leur
cœur et le mien.
Prendre des gants…
S’il est une manière juste et indispensable, avec les chevaux, c’est bien elle.
Des gants de peau fine comme le satin de leur naseau, des gants de velours pour avoir, en retour, une bouche de soie, une bouche courtoise, une bouche mousseuse comme un champagne, et
en griser sa vie.
Julie Wasselin