Modèles et allures
Un froid soleil de mars éclaire la carrière immaculée du haras.
Engoncés dans leurs couvertures, les vieux chevaux et les vieilles
juments du jury piétinent et se frottent les sabots pour tenter se réchauffer.
Ce dimanche glacial accueille la finale des candidats que quelques
chevaux éleveurs promènent en longe entre les lices et les bâtiments.
Peu de spectateurs en cette heure matinale. Seuls quelques juments accompagnées de leurs poulains et quelques chevaux emmitouflés
ont eu le courage de quitter la chaleur de leur écurie.
Une quinzaine de possibles étalons sont en concurrence, un rien
nerveux et l’œil allumé, tous parfaitement toilettés. Commence alors
la présentation de ces messieurs, à l’arrêt, au pas, puis au trot et
pour en terminer au galop.
Les éleveurs, cravache à la main, ont parfois quelque peine à modérer l’ardeur de leur futur étalon.
Certains, visiblement ne sont pas dans les prérequis.
D’autres sont séduisants, voire même craquants. L’un d’entre eux
brille par sa douceur et le velours noir de ses yeux.
Après délibération, le plus ancien cheval du jury s’empare du micro et
entame sa litanie.
Ces messieurs, l’un après l’autre reviennent au centre de la carrière écouter le verdict, anxieux d’apprendre s’ils seront autorisés à la reproduction…
On apprend la taille du candidat, celle de son thorax et de son mollet.
Que cette encolure est bien sortie, mais celle-là, mal attachée et qu’il est long-jointé.
Que ce garrot est noyé, ce ventre levretté, ce dos,
- Ah oui, il est beau, mais les jarrets sont faibles, et l’épaule trop droite !
Que celle là, par contre promet un beau galop. Que ce pied est cagneux, mais,
- L’antérieur droit billarde et la phalange est cassée.
On hoche la tête… ce jury a bon œil.
Que l’expression est belle, le caractère heureux mais que les postérieurs n’engagent pas.
Tout y passe et, pour en finir quand tombe la note, tombe aussi le couperet, hélas… qui ressemble au bistouri du véto.
Seule une minorité est élue, car, bien entendu, il n’est possible de transmettre que les caractéristiques souhaitées, la beauté, la force, l’élégance
et la qualité.
6,9… ah, triste sort… il fallait 7 ! Il faudra donc s’en aller vers la foule des
« pas assez ceci ou des pas assez cela » qui parfois se révèlent,
heureusement, des individus de tout premier plan.
Allez comprendre !
7… ouf ! Pour un peu… mais bon, c’est un pis-aller. On y viendra sans-doute parce qu’il sera bon marché ou pas trop éloigné.
7,9 et même 8, évidemment c’est la rentabilité, la célébrité, un éleveur heureux et peut-être reconnaissant, puis… les plus belles à lui,
forcément !
Elles ? Elles aussi, sont sélectionnées de la même façon.
Elles ont sur eux, malgré tout, l’avantage de pouvoir rêver d’une clôture cassée !
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Texte: Julie Wasselin
Dessins du XIX° de Crafty (collection Figoli)