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Avant-Train; "ronds à coulisse" du Clarence de Marcigny.
Quand nous observons une voiture, des petits détails nous font découvrir des inventions techniques qui nous étaient jusqu’alors totalement inconnues. Ce fut mon cas en observant le Clarence qu’expose Mr Lacroix dans son musée de Marcigny (voir l'article Musée de la voiture à cheval de Marcigny . )
Mais avant de vous montrer ce « détail », présentons ce coupé Clarence. Son nom viendrait du duc de Clarence, futur Guillaume IV, Roi d’Angleterre. Les carrossiers londoniens Laurie et Marner l’auraient inventé en 1842. Comme le note le Guide du carrossier en novembre 1860, c ’est une voiture de luxe. (« …une voiture de mode, qui tient le premier rang parmi nos équipages de luxe »), construite qu’en un petit nombre d’exemplaires dans les ateliers. Il en constate le déclin dans un autre numéro du GDC de 1866. De nos jours, nous en trouvons que très peu dans les diverses collections .
Ce type de coupé a des dimensions plus importantes que celles d’un coupé trois quart ordinaire. Elles sont proches de celles d’une berline.
Celui-ci a été construit milieu XIX° siècle par Mantoux à Lyon. Il est à barre de volée fixe et peut-être attelé uniquement à deux ou quatre chevaux.
L’intérieur est d’origine avec rosace au centre du plafond. Les vitres sont biseautées et bombées dans les angles.
Les poignées sont en ivoire à l’intérieur et en métal argenté et ciselé à l’extérieur (comme les lanternes)
Les marchepieds, placés sous la caisse, ont la particularité de se déployer à l’ouverture de la porte .
C’est en déplaçant la voiture pour prendre les photos, qu’un détail a attiré mon attention. Au lieu de tourner sur lui-même le train de la voiture se déportait.
Figoli, malgré son « léger embonpoint », prit donc des allures de reptile pour se glisser en dessous du dispositif et tomba, bien sûr à ce moment précis, en panne de flash, ce qui explique le peu de luminosité des photos.
Vous pouvez cependant discerner sur ces clichés, non pas une cheville ouvrière fixe, mais deux chevilles qui coulissent dans deux échancrures métalliques perpendiculaires l’une par rapport à l’autre.
Bien entendu, je recherchais l’origine et le nom de cet avant-train mais n’en trouvais pas trace dans la littérature contemporaine. C’est dans des ouvrages du XIX°, et grâce à l’aide de R. Senseby, que j’ai trouvé quelques réponses. Celles-ci ne sont, bien sûr, pas exhaustives. D'autre part, chaque auteur le définit sous un nom différents dans des textes où les dessins sont absents. Le titre reprend le nom donné par le GDC.
A ma connaissance, la référence la plus ancienne d’un dispositif, se rapprochant de celui ci, est présentée dans un brevet, déposé le 18 février 1851, par « sieur Anquetin à Paris ». Il s’agit d’un dispositif quelque peu différent, faisant coulisser une seule cheville ouvrière.
« pour diminuer la distance qui existe entre les roues de devant et celles de derrière, et faire que l’avant train puisse néanmoins tourner sans diminuer les places intérieures j’ai rendu la cheville ouvrière mobile….en appliquant un système qui fait décrire à l’avant-train lorsqu’il tourne l’évolution d’un compas elliptique tout en conservant et même en augmentant même la solidité ». Il note également l'utilisation de coulisseau dans la fiche descriptive avec les côtes. Malheureusement, sans le dessin il est difficile de se faire une idée précise du procédé.
En janvier 1853, le bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale en fait mention dans la description d’un autre système d’avant train, fabriqué par Mr Moussard. Il est indiqué que son avant-train, à la cheville ouvrière portée très en avant de l’essieu, donne la possibilité de « diminuer la distance entre les deux essieux sans raccourcir la caisse tout en obtenant le même raccourcissement de l’avant-train qu’avec le système à double cheville et à double centre. »
C’est dans le livre « L’architecture de la voiture » de Guillon, paru en 1855, que nous trouvons des définitions et dessins qui semblent correspondre à notre avant-train de Clarence.
Il fait référence à un « Avant-train à deux chevilles fixes au dessous d’avant-train »
Voici la description qu’il en fait :
« Ce spécimen d’avant-train, dont le système est de raccourcir beaucoup l’évolution des roues, est plus utilement employé pour les coupés chaises, dont le passage intérieur est habituellement très gênant aussi. Je donne cette figure toute braquée en face d’un devant de coupé, et je démontre l’évolution des roues par la figure d’épure, qui reproduit les lignes projetées des roues à leur passage supérieur, et, pour le passage inférieur, le pointillé de l’épure indique assez les endroits où la roue est susceptible de toucher. »
Il présente dans ce même ouvrage un dispositif du même type qu’il nomme « avant- train à coulisse et à une cheville ouvrière prisonnière sur le devant.» Malheureusement, celui-ci ayant été breveté par un dénommé M Felber, il n’en reproduit pas le dessin mais seulement l’épure
Voici, cependant, la description qu’il en fait:
« La lettre C, figurée sur le fer de la roue, indique le parcours inverse de celle qui braque sous la caisse, et la ligne d’épure, extrémité C en dehors et extrémité D en dessous, indique à son milieu le parcours, non des deux chevilles mais bien des deux coulisses, et le fer de la roue, lettre D, indique parfaitement son passage sous la caisse ; quant au passage inférieur, comme je l’ai dit, le pointillé de l’épure le démontre surabondamment. Ce système ne raccourcit que très peu de plus que le précédent, mais il a l’avantage de donner plus d’aplomb. »
Il est fait ultérieurement état de ce type d’avant-train dans le guide du carrossier de Brice Thomas qui le décrit sous le patronyme de « ronds à coulisse » dans les numéros du 15 Novembre 1869 et 15 Janvier 1860.
Ces textes sont trés techniques sur plusieurs pages et nous n'avons pas l'ensemble des planches.
Nous ne présentons donc que des extraits, que nous accompagnons des photos d’un coupé Binder Frères, appartenant à R.Senseby.
Extrait du GDC, publié le 15 novembre 1859 et le 15 Janvier 1860
« Des ronds à coulisse »
« Nous donnons aujourd’hui la description d’un avant-train, avec rond à coulisse appelé aussi rond à deux chevilles….
Les ronds à coulisse se composent de deux parties :
La partie qui porte les coulisses se nomme la plaque ou la forge plate et a un centimètre d’épaisseur ; elle est arrondie sur le champ en forme de baguette, sauf la jante qui est en général étampée en dessous, et qui doit avoir, aux endroits ou elle se pose sur les harmons, treize ou quatorze milimètres d’épaisseur.
L’autre partie se nomme le rond, on le forge ordinairement plat et à neuf millimètres d’épaisseur. On rapporte des semelles en bois, sur lesquelles on pousse des moulures, ce qui fait paraitre le rond ciselé….
Le dessous et le dessus d’avant-train sont reliés par deux chevilles. Les deux chevilles sont semblables, sauf l’épaulement de dessus qui se fait plus petit pour la cheville que l’on place au milieu du rond…Quand on tourne l’avant-train, les chevilles tournent sur leurs axes. C’est pourquoi on leur a mis une goupille dans la partie supérieure qui traverse la cheville et l’écrou, afin que celui-ci ne puisse ni se serrer ni se desserrer… »
Brice Thomas note une différence entre le système présenté et les essais antérieurs.
« Les premières chevilles que l’on a faites étaient cylindriques dans la partie qui s’engage dans la coulisse; mais quand la voiture avait servi pendant quelques mois, les chevilles qui ne présentaient qu’une petite surface au frottement étaient usées… »
Vous trouverez d'autres détails avec les photos de ce duc
Il est signé Muhlbacher et appartient à Mr Clament du Fleix en Périgord
Sur les deux images suivantes nous pouvons distinguer les goupilles traversant boulon et écrou comme décrit par Brice Thomas.
Vous aurez noté que, si le système général est commun au trois voitures présentées et au dessin du GDC, il existe des différences sur la forme et le mode de fixation des chevilles et coulisses.
Les informations sur ce train à coulisse sont donc regroupées sur une période courte allant de 1851 à 1866. Nous n’avons pas trouvé d’autres mentions, ni avant, ni après cette période. Il semble que ce dispositif n’ait pas connu un grand développement sans que nous n’en connaissions les raisons. Quelques pistes cependant: Si la description technique de Brice thomas ne parle pas comme Guillon de stabilité de la voiture, il donne des réponses techniques pour limiter les risques d’usures des chevilles et d’encrassage des coulisses.
Dés le début des XIX°, différents modèles de train-avant ont été imaginés. Cependant aucun ne détrona le système traditionnel avec une seule cheville ouvrière qui fut, sous différentes formes, le plus couramment utilisé pour les voitures hippomobiles.
Nous vous présenterons ces différentes innovations, et modèles; rond patent, système Ackerman,... dans un prochain article.
Texte: Figoli
Photos et documentation: R,Senseby, Figoli.